samedi 18 juillet 2015

Correspondance Proust Gide extraits 3 ( Lettres France )



lepoint.fr

                                                                     Enveloppe datée du 11 juin 1914

            Cher ami,
            Je vous remercie mille fois d'avoir eu la gentillesse de m'écrire ; je crains que ce que j'ai voulu dire ait bien peu passé dans mes phrases et que ce qui seul m'a paru valoir la peine d'écrire demeure inconnu. Vous êtes trop bon de penser aussi à mes ennuis et à mes chagrins ; hélas, la mesure a été comblée par la mort d'un jeune homme que j'aimais probablement plus que tous mes amis puisqu'elle me rend si malheureux. Bien que de la plus humble " condition " et n'ayant aucune culture, j'ai de lui des lettres qui sont d'un grand écrivain
C'était un garçon d'une intelligence délicieuse ; et ce n'est pas du reste du tout pour cela que je l'aimais. J'ai été longtemps sans m'en apercevoir, moins longtemps que lui d'ailleurs. J'ai découvert en lui ce mérite si merveilleusement incompatible avec tout ce qu'il était, je l'ai découvert avec stupéfaction, mais sans que cela ajoutât rien à ma tendresse. Après l'avoir découvert, j'ai eu seulement quelque plaisir à le lui apprendre. Mais il est mort avant de bien savoir ce qu'il était, et même avant de l'être entièrement. Tout cela est mêlé à des circonstances si affreuses que, déjà brisé comme j'étais, je ne sais comment je peux porter tant de chagrin. Merci aussi d'avoir été indulgent à Monsieur de Charlus. J'essayai de peindre l'homosexualité épris de virilité parce que, sans le savoir, il est une Femme. Je ne prétends nullement que ce soit le seul homosexuel. Mais c'en est un qui est très intéressant et qui, je crois, n'a jamais été décrit. Comme tous les homosexuels du reste, il est différent du reste des hommes, en certaines choses pire, en beaucoup d'autres infiniment meilleur. De même qu'on peut dire :
             " Il y a un certain rapport entre un tempérament arthritique ou nerveux de telle personne et ses dons de sensibilité, etc. "                                                                   
Résultat de recherche d'images pour "charlus"je suis convaincu que c'est à son homosexualité que Monsieur de Charlus doit de comprendre tant de choses qui sont fermées à son frère le Duc de Guermantes, d'être tellement plus fin, plus sensible. Je l'ai marqué dès le début. Malheureusement l'effort d'objectivité que je fis là comme partout rendra ce livre particulièrement haïssable. Dans le troisième volume en effet, où Monsieur de Charlus ( qui ne fit qu'apparaître en celui-ci ) tient une place considérable, les ennemis de l'homosexualité seront révoltés des scènes que je peindrai. Et les autres ne seront pas contents non plus que leur idéal viril soit présenté comme une conséquence d'un tempérament féminin. Quant à ce volume-ci ( où d'ailleurs Monsieur de Charlus paraîtra ailleurs que dans le passage que vous avez lu ), je ne sais si je dois lui laisser le titre Le Côté de Guermantes. Dans les romans russes, anglais, dans les vieux romans français, on met 1er volume, 2me volume, et personne ne s'étonne qu'une " Partie ", commencée à la fin du 2me volume, s'achève au commencement du 3me. Mais avec les titres pour chaque volume ! En réalité la 1re partie du Côté de Guermantes se passe encore du côté de chez Swann, et le premier tiers du 3me volume se passe du côté de Guermantes. Faut-il laisser ce titre et expliquer cette inexactitude dans une note, ou trouver un autre titre pour le second volume ?
            Quand à mon titre A la Recherche du Temps perdu, l'explication qu'en a donnée Monsieur Ghéon m'a vraiment porté malheur, car ( ce qui montre du reste la grande influence qu'il exerce ) il n'est plus un critique, hollandais ou breton, qui ne me " resserve ", en moins bon langage, ses reproches. Il semble bien pourtant que " Temps perdu " signifie " Passé ", et puisque j'annonçais le 3me  volume sous le titre :
" Le Temps retrouvé ", c'était bien dire que j'allais vers quelque chose, que tout cela n'était pas une vraie évocation de dilettante. Fallait-il donc dès le début annoncer ce que je ne découvrirais qu'à la fin ? je ne crois pas, pas plus que je ne crois qu'il ait été d'un artiste de dévoiler tout de suite que si Swann laissait Monsieur de Charlus sortir avec Odette, c'était parce que celui-ci avait été épris de Swann dès le collège, et qu'il savait n'avoir pas à être jaloux. Cher ami, j'aime tant causer avec vous que je me fatigue trop ; je vous dis adieu et je vous remercie encore en vous assurant de mes sentiments bien profondément affectueux et admiratifs.


                                                                                          Marcel Proust     

                                                                 Enveloppe datée du 20 juin 1914

                                                   Cher ami,  
CalmetteCaillaux.jpg            Je ne vous remercie que d'un mot car j'ai bien peu de forces. Mais je vous remercie de tout mon coeur. La raison pour laquelle je n'ai pas fait appel à votre amitié, c'est tout simplement qu'il est à peu près impossible d'entrer dans ma chambre. Je fais sans cesse des fumigations qui m'aident à respirer, mais en empêcheraient les autres. Et comme le temps est très lourd, même si je laisse la porte ouverte, la fumée ne s'échappe pas ; vous ne verriez pas clair ; vous suffoqueriez. De plus, la femme de mon pauvre ami est maintenant ici. Je n'ai pas trop de regrets d'être incapable d'écrire en ce moment un article, malgré l'honneur que ce serait pour moi de parler des Caves et la reconnaissance que je vous aurais de me le permettre. Mais mon seul appui au Figaro, Calmette, n'est plus. Et même de son vivant, je n'ai jamais pu, sauf une seule fois, parler d'un livre. C'était réservé à d'autres. Il y a nombre d'amis à qui j'ai promis de parler d'eux et qui ont toujours attendu en vain, parce que Calmette me disait : " Nous verrons plus tard. " Et puis, plus tard, vous savez ce qui est arrivé. Il est vrai que Robert de Flers, qui est un de mes plus anciens camarades et qui tout récemment encore ayant appris des ennuis que j'avais, fort oubliés depuis mes chagrins plus cruels hélas, a voulu très gentiment me rendre service, ferait sans doute ce qu'il pourrait pour me faciliter cela. Mais son pouvoir au Figaro n'est pas aussi grand qu'était celui de Calmette. Je ne sais trop si cela se serait réalisé. Je n'ai pas reçu les Caves, et j'en conclus que l'ouvrage n'est pas paru car j'avais envoyé un bulletin à la N.R.F. pour qu'un exemplaire me soit réservé. Vous ne verrez rien de Monsieur de Charlus dans la N.R.F., car les extraits que j'ai donné n'ont plus trait à lui, bien qu'il paraisse encore dans le second volume et ait avec le narrateur une conversation assez longue à Paris, après la scène que vous avez lue ( à Balbec ). C'est du reste dans le 3me volume qu'il prend toute son importance. Mais je ne sais pourquoi je parle du 3me volume. Je ne sais même si le second paraîtra jamais et, à ce point de vue, je regrette d'avoir donné des extraits à la N.R.F. Depuis la mort de mon pauvre ami, je n'ai pas eu le courage d'ouvrir un seul des paquets d'épreuves que Grasset m'envoie chaque jour. Ils s'empilent tout ficelés les uns sur les autres, et je ne vois pas quand, ni si jamais, j'aurai le courage de me remettre à la besogne. J'ai arrangé les extraits pour le prochain numéro de la N.R.F. parce que je craignais qu'un morceau aussi long ne fît trop défaut. Mais c'est tout ce que j'ai pu faire!
Et je ne sais ce que je pourrai ensuite. Dîtes, je vous prie, à Copeau quelle profonde sympathie j'ai pour lui et combien le succès ( si l'on peut employer pour quelque chose de si noble et de si rare ce mot décrié ) de son entreprise m'a réjoui. Croyez-moi, cher Gide, votre admirateur et ami reconnaissant.


                                                                                             Marcel Proust



                                                                                                    24 décembre 1914

            Cher ami,                                                                                       actualitte.com
            Je vous remercie mille fois de m'avoir fait inviter chez Madame Raoul Duval. J'ai beaucoup regretté de ne pouvoir assister à cette soirée. Mais vous savez combien je me lève peu. Puis, j'avais cru que c'était une matinée. Quand la carte m'est retombée sous les yeux, j'ai reconnu mon erreur, mais celle-ci était excusable. Le chiffre 21, précisément le même que celui de la date, était suivi de " 15 heures ". Cher ami, je souhaite de tout mon coeur que l'année qui vient soit pleine pour vous de travaux féconds, de grandes oeuvres. Mon plus modestes travail est interrompu. Depuis plusieurs semaines l'imprimeur, ayant, à ce que j'ai cru comprendre, licencié ses ouvriers, ou se consacrant, disent d'autres, à l'ouvrage de Larbaud ( depuis que je vous ai écrit cela, des lettres de la " Semeuse ", communiquées par Madame Lemarié, me font croire qu'il manque vraiment d'ouvriers ). ne m'a plus envoyé une épreuve. Madame Lemarié, à qui j'ai fait téléphoner, et que je vous supplie de ne pas relancer, vous me désobligeriez beaucoup, n'a pu que confirmer la 1re version, en disant que bientôt tout recommencerait. Mais je ne sais si je serai aussi capable de travailler alors, que je l'étais ces temps-ci. Et puis je crains de nouveaux accrocs... J'ai écrit à Madame Raoul Duval un mot de remerciement et d'excuse. Cher ami, je pense beaucoup à Cuverville. Hier en relisant La Bruyère, dans une maxime, qui d'ailleurs ne peut nullement, comme il arrive au contraire si souvent, servir d'agréable allusion, j'ai trouvé le mot " Les Nourritures " employé dans un sens juridique. Mais comme c'est au pluriel, et en italique, comme si on citait le nom de votre livre, j'ai pensé comme La Bruyère l'aurait admiré et cela m'a été doux comme si je vous embrassais. Votre tout dévoué

                                                                                                Marcel Proust

            La fin de cette lettre, seulement, du 30 décembre ( le début daté par erreur du 24 doit être du 21 ) est écrite depuis une nouvelle lettre de Madame Lemarié qui ne me donne d'ailleurs aucune épreuve, mais me communique des lettres de l'imprimeur qui me font croire à la bonne volonté de Madame Lemarié.



                                                                                                  102 Boulevard Haussmann,
                                                                                                         jeudi 28 septembre 1916

            Cher ami,
            Depuis que vous êtes venu, que j'aie pensé constamment à vous, cela ne changeait en somme rien à ce qui était déjà. Mais le projet, chaque jour, d'aller vous voir le lendemain, les médicaments pris pour être en état de le faire, deux sorties ( les deux seules depuis votre visite ) pour aller vous trouver, et ayant exigé avant tant de fumigations, etc., qu'une fois dehors il était si tard que je n'ai plus osé aller rue Claude-Lorrain, tout cela je ne sais pas si vous vous en doutez, puisque mon agitation, incessante comme le mouvement des sphères, a abouti, comme lui, à un Silence dont vous n'avez peut-être pas deviné le bondissant et fébrile contenu. La première fois ( c'était je crois dimanche dernier ); Gallimard, le charmant Gallimard qui m'a tant touché en me parlant de vous une autre fois, est un peu responsable. Au moment de partir rue Claude-Lorrain, je suis entré dans un café, je lui ai téléphoné, et j'ai demandé à la dame répondante de s'informer si je pouvais aller voir ce soir Monsieur Gide. La dame est revenue en me disant, par une évidente et ingénieuse déformation ( qui plus tard m'a réjoui en confirmant l'exactitude d'une très analogue que j'avais mise dans mon livre et dont j'eusse souhaité pouvoir faire comme en arithmétique la preuve par 9 ), que Monsieur Gide avait dû dîner chez Monsieur Maurice Herbette. Or, je devine le nom du grand peintre qui s'est trouvé subir cette métamorphose. Ne me sentant pas encouragé, j'ai demandé Gallimard lui-même      ( auquel j'ai oublié de parler de Maurice Herbette ) ; il est venu au téléphone, m'a dit qu'il était dix heures moins 5, que vous vous couchiez de bonne heure, etc. Or je me suis rendu compte après qu'il s'était trompé, qu'il était 9 heures 35. Mais enfin, je comprends que vous habitez chez des amis. Peut-on aller vous y voir, sans indiscrétion ? Et, si oui, jusqu'à quelle heure ? Si vous me le dîtes, le premier jour où je serai bien, j'essaierai à tout hasard de vous trouver.
            Cher ami, je ne vous parle pas de mon livre ; Gallimard vous a certainement mis au courant de ma correspondance avec Grasset, des difficultés qu'a soulevées, que soulève encore ma rupture, et de ma joie de l'avoir accomplie pour aller du côté où me portaient mes sympathies et mon admiration. Comme je sais que rien ne se fait sans vous à la Nouvelle Revue Française et que vous en seriez informé par Gallimard, je n'ai pas voulu, de peur de vous paraître prétentieux et ridicule, le jour, mémorable pour moi seul, où j'ai dénoncé mon traité, vous l'annoncer solennellement dans une lettre, comme si j'avais été l'Italie ou la Roumanie.
            J'espère que vous avez de bonnes nouvelles de Rivière. Je me fais de sa grande action, de sa douloureuse vie, un si intime et journalier entretien, que je m'étonne parfois de ne pouvoir imaginer le visage de celui que, de ma part du moins, je pourrais appeler un ami, car, si je ne l'ai jamais vu, je ressens pour lui tout ce qui peut entrer de meilleur dans l'amitié.
            Ma rupture avec Grasset a été précédée de nouvelles objections que j'ai faites à Gallimard. Jamais homme n'accumula tant de bonnes raisons  que je ne fis pour le dissuader d'un projet qui me plaisait tant ; jamais homme non plus ne mit plus de courageux entêtement  que lui à se préparer des ennuis possibles sans compensation de plaisir. Et je n'appelle pas ennui le blâme des gens que nous méprisons et qui ne me ferait pas lever de mon lit, comme l'article de je ne sais quel critique médiocre fit, m'a-t-on dit, coucher Suarès dans le sien. ( C'est bien la peine d'avoir tant d'orgueil ! qui devrait préserver de ces souffrances-là, les seules que, malgré ma modestie, je ne connaisse pas. ) Mais je pense au blâme des gens qu'on admire, à Jammes mettant mon livre à l'Index, probablement, et aux bulles de Claudel ( j'ai vu une seule fois cinq minutes le premier et jamais le second, mais je pense que leur célébrité m'excuse de dire Jammes et Claudel sans " Monsieur " ). Cher ami, mes yeux sont trop fatigués pour que je puisse prolonger cette lettre qui d'ailleurs a dû excéder les bornes de votre bienveillante patience. Et je vous redis seulement toute mon admirative amitié.



                                                                                                 Marcel Proust
                                                                                                           
                            

jeudi 16 juillet 2015

L'ombre de Gray Mountain John Grisham ( roman EtatsUnis )




                                              L'Ombre de Gray Mountain

            2008. La crise s'abat sur le monde de la finance. Aux EtatsUnis, les subprimes accentuent les chûtes des banques et des cabinets de juristes qui travaillent à leurs côtés, l'immobilier perd tout attrait. Jeu de dominos, des milliers d'avocats sont licenciés. Samantha est l'un d'eux. Elle habite, pour son plus grand plaisir Manhattan, Soho, fille de Karen qui travaille à Washington au ministère de la Défense, et de son père ex-avocat ( il a vécu quelques mésaventures ), s'occupait des crash d'avions, connu pour son talent, est à Alexandria. Pour conserver pendant une année une couverture sociale elle doit trouver un poste non rémunéré dans une association qui protège des groupes sociaux sans moyen. Ce sera à Brady, dans les Appalaches, dans l'Est. La Virginie. Auprès de Mattie, l'une des deux avocates de cette association qui apporte une aide gratuite aux plus démunis. Et le travail ne manque pas. Les montagnes alentour ont été acquises par de très grosses sociétés minières qui détruisent forêts, cours d'eau,, faune et flore anéanties, pour extraire le charbon. Et les hommes meurent de silicose, de cancers. Les syndicats interdits depuis 20 ans, les demandent de reconnaissance de maladie due à la poussière de charbon, et de pensions, sont systématiquement refusées. L'une de ces sociétés appartient à un Russe quasi intouchable ( d'autres à des Coréens, des Canadiens ). Mais Donovan, avocat à Brady, et neveu de Mattie, qui a toutes les raisons de poursuivre les sociétés a récupéré des dossiers, bien cachés et prêts à être présentés au juge. Ce qui le rend dangereux pour nombre d'acteurs parmi ceux qui sèment les querelles dans les familles entre ceux qui ne veulent pas vendre leurs hectares et ceux qui espèrent fuir. Hors la mine, les hommes ne trouvent pas de travail. Certains trafiquent la meth. Entre drames familiaux et financiers, l'hiver est arrivé, Samantha a brutalement changé de mode de vie. Elle apprend, rêve de Soho tout en restant accroché à ce monde violenté. Peut-être y aura-t-il meurtre. Est-elle espionnée ? Magouilles et grands sentiments font un très bon polar. La préservation de la nature est un enjeu difficile à tenir, les déforestations et les pollutions sont secondaires si la finance gagne. Le dernier roman de Grisham, qui fut avocat dix ans, aussi passionnant que les précédents

mercredi 15 juillet 2015

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 44 Pepys ( Journal Angleterre )


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                                                                                                        1er avril 1661

            Aujourd'hui revient mon tour de service au Sceau privé.
            Debout de bonne heure avec mes ouvriers. Au bureau et dîner à la maison avec sir William Batten, après cela à la taverne de la Chèvre près de Charing Cross pour rencontrer le Dr Castle. Nous bûmes une pinte de vin et discutâmes des affaires du Sceau privé, puis au bureau du Sceau où je trouve Mr Moore mais toujours aucun travail. Ensuite à Whitefriars où je vis une partie de Femme soumise, femme acquise, pièce que je n'avais jamais vue et qui ne me plaît pas.
            Chez mon père, en froid avec ma mère à propos de la servante ( qui plaît à mon père et déplaît à ma mère ). Je restai jusqu'à 10 h à essayer d'amener ma mère à se mieux conduire, et ne mâchai point mes mots,
ce que je regrette, mais la pauvre femme est devenue très pénible. Je les laissai toujours en froid et retour chez moi, par un beau clair de lune. Et au lit.
           

                                                                                                          2 avril

            De bonne heure avec mes ouvriers. Puis avec ma femme et Pall chez mon père, en voiture, où elles coucheront jusqu'à la fin des travaux. Je trouvai ma mère seule, pleurant à cause de la querelle de la nuit dernière. Je la quittai et emmenai ma femme à Charing Cross, où je la laissai chez sa mère qui ne va pas bien.
Pour ma part, allai dans le parc de St James où je vis le duc d'York jouer au mail. La première fois que je voyais ce jeu.
            Puis chez milord où je dînai avec milady. A la fin du repas arrivent milord et Ned Pickering affamés, alors qu'il ne restait pas une parcelle de nourriture dans toute la maison, les domestiques ayant tout mangé, ce dont milord fut fort mécontent. On finit par préparer quelque chose. Ensuite au Sceau privé où je donnai quelques signatures.
            A Whitehall où je vis Le Petit Filou, pièce fort gaie et bien troussée, et le petit garçon joue fort bien.
            Puis chez mon père où je trouve ma mère et ma femme de très bonne humeur. Je les quittai et rentrai chez moi.
            Ensuite au Dauphin rencontrer sir William Batten, Penn et d'autres personnes, entre autres Mr Delabarr. Il est étrange de voir ces hommes qui, en d'autres occasions, sont des personnes avisées en viennent sous l'effet de la boisson à s'adresser railleries et reproches pour leurs situations passées et leur conduite dans les affaires publiques, au point que ce spectacle me fit honte.
            Mais nous nous quittâmes tous bons amis à minuit, après avoir bu beaucoup de vin. Retour chez moi et au lit.


                                                                                                             3 avril

            Debout avec mes ouvriers, et mal à la tête toute la journée après les excès de la nuit dernière. Au bureau toute la matinée, et à midi dîner avec sir William Batten et Penn qui me forcèrent aujourd'hui à boire deux bonnes rasades de Xéres pour me guérir du mal d'hier. Ce qui me parut étrange, mais qui, apparemment s'avère efficace.
            Retour chez moi, avec mes ouvriers tout l'après-midi. Le soir, au jardin pour jouer du flageolet. Il faisait clair de lune, j'y restai assez longtemps, puis rentrai me coucher.
            J'apprends aujourd'hui que les Hollandais ont envoyé au roi beaucoup d'argent en cadeau, ce qui, à notre avis, mettra fin au mariage portugais et explique, selon nous, qu'ait beaucoup diminué notre hâte à envoyer deux vaisseaux aux Indes orientales.


                                                                                                                 4 avril 1661

            Auprès de mes ouvriers, puis chez milord où je dînai avec Mr Shipley. Après le dîner j'entrai voir milord et nous fîmes beaucoup de musique. Arriva ensuite mon cousin Tom Pepys qui accepta la garantie que nous lui donnons pour les 1 000 livres que nous lui empruntons. L'argent doit être versé la semaine prochaine. Après quoi, Sceau privé et avec Mr Moore chez mon père où soupèrent quelques amis avec nous, et retour tardif à la maison, laissant ma femme derrière moi. Au lit.



                                                                                                                  5 avril
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            Debout avec mes ouvriers, au bureau puis allai dîner chez William Penn avec l'autre sir William et sir John Lawson, puis ensemble chez Mr Lucy, négociant, où se trouvaient de nombreuses personnes de bonne compagnie. Bûmes force vin. Au cours de la conversation nous en vînmes à parler du poids des gens, ce qui donna lieu à quelques paris. Nous fûmes quelques-uns qui gagnâmes une demi-pièce d'or à dépenser sur place.
            Puis, chez moi, et le soir chez sir William Batten, où nous mangeâmes gaiement une bonne bourriche d'huîtres. Telle est la vie que je mène en ce moment.
            Chez moi, au lit.


                                                                                                                     6 avril

            Debout avec mes ouvriers. Puis à Whitehall et au Sceau privé et ailleurs pour mon travail. Rencontrai, en particulier, Mr Townshend qui me parla de l'erreur qu'il avait commise l'autre jour en mettant les deux jambes dans la même jambe de sa culotte, et la porta ainsi toute la journée.
            Puis avec Mr Creed et Moore à la taverne de la Jambe, au Palais pour le dîner que je leur offris. Après le dîner je vis la fille de la maison, fort jolie, qui allait dans une chambre, la suivis et l'embrassai. Ensuite, par le fleuve, Creed et moi, à Salisbury Court où nous vîmes Querelle d'amoureux, que l'on jouait pour la première fois, mais je n'ai aimé ni le style, ni l'intrigue.
            M'arrêtant chez mon père, je trouvai mes parents et ma femme en bonne santé. A la maison et, au lit.


                                                                                                                      7 avril
                                                                                                 Jour du Seigneur

            Toute la matinée chez moi à faire mes comptes ( Dieu me pardonne ! ) que je dois présenter à milord
cet après-midi. Puis partis vers 11 heures vers Westminster et entrai à Saint-Paul où j'entendis notre pasteur, Mr Mills, prêcher devant le lord-maire. A Whitehall où je rencontrai le Dr Fuller de Twickenham fraîchement débarqué d'Irlande, et le menai chez milord où nous dînâmes. Il nous expliqua clairement la situation de l'Irlande, et comment il se trouve que, du fait du rapprochement des fanatiques et des presbytériens, ils sont les uns et les autres cités conjointement dans la proclamation officielle sous le nom de fanatiques.
            Après le dîner, milord, Shipley et moi vérifiâmes les comptes et réglâmes entre nous les questions d'argent. Milord me parla librement de la façon de se procurer de l'argent, d'autres choses, et de sa famille, etc.  Allai ensuite chez mon père où je trouve Mr Hunt et sa femme qui soupaient, avec également ma mère et ma femme. Je les quittai après le souper et repris le chemin de la maison. Passai chez sir William Batten et décidai de me rendre à Chattam demain. Rentrai chez moi, et au lit.


                                                                                                                         8 avril 1661

                                                                                                                 yourtwickenham.com
Strawberry Hill House - Twickenham            Levé tôt, milady Batten frappant à la porte qui communique avec une de mes chambres, je donnai des instructions à mes gens et à mes ouvriers et vers 8 heures nous prîmes le canot à la Tour, sir William Batten, sa femme, Mrs Turner, Mr Fowler et moi. Voyage for agréable. A Gravesend, où nous dînâmes, et de là ils prirent une voiture tandis que Fowler, moi et quelques autres venus de Rochester à notre rencontre, partîmes à cheval, à Rochester. Nous descendîmes chez Alcock où nous bûmes et nous amusâmes fort de le voir apporter tant de fromages divers. Puis au manoir de la colline à Chattam où je n'étais jamais allé. Cette maison me paraît fort agréable et j'aime les armoiries dont elle est ornée. Nous fîmes là un souper fort joyeux. Au lit tard, sir William me disant que le vieil Edgeborow, son prédécesseur était mort et venait rôder dans sa chambre. J'en conçus quelque frayeur, mais pas autant que j'en laissai paraître pour les amuser.


                                                                                                                            9 avril

            Au lit dans la chambre du trésorier où je reposai et dormis bien jusqu'à 3 heures du matin, puis je me réveillai et vis alors, dressé, à la clarté de la lune, mon oreiller que j'avais rejeté loin de moi pendant la nuit, mais ne comprenant pas ce que ce pouvait être j'éprouvai quelque crainte. Mais le sommeil l'emporta et je dormis jusqu'au milieu de la matinée. Je me fis apporter un chaudeau et allumai un bon feu. D'une façon générale je fus ravi de mon séjour, voyant combien je suis respecté et honoré de tous. Et je considère que je commence, maintenant, à savoir recevoir tant de marques de respect, ce que je ne savais faire au début.
            Sir William et moi en voiture jusqu'au bassin du port où nous inspectons tous les magasins et les vieilles fournitures qui doivent être vendues aujourd'hui aux enchères, j'en fus fort satisfait. Retour à la maison en voiture, on nous servit un bon dîner. Et parmi les personnes étrangères qui nous rendirent visite, Mr Hempson et sa femme, jolie personne qui sait parler latin, Mr Allen et deux de ses filles, toutes deux fort grandes, et la cadette fort belle, au point que je ne pus m'empêcher de m'en éprendre. Elle a, entre autres choses, les plus jolies mains que j'aie jamais vues.                                       etsy.com
            Après dîner, Tom Hayer nous ayant rejoins ce matin, nous allâmes préparer les registres et tout ce qui était nécessaire à la vente à la chandelle. Cela nous amusa fort, nous et les dames qui assistaient à la vente, de voir les gens mettre les enchères. Parmi les objets vendus il y avait toutes les armoiries de la République que sir William Batten acheta dans l'intention d'en disposer quelques-unes dans son jardin et de brûler le reste au soir du couronnement. La vente achevée, le capitaine Pett, les dames et moi et Mr Castle prîmes le canot et descendîmes vers le Sovereign, pour notre plus grand plaisir, en chantant pendant tout le trajet. Entre autres plaisirs, je fis entrer milady, Mrs Turner, Mrs Hempson et les deux Mrs Allen dans le fanal de la poupe, les suivis et les embrassai, exigeant cela au titre d'une gratification due à un officier de premier rang. Tout ceci nous mit de la meilleure humeur du monde et nous bûmes quelques bouteilles de vin, mangeâmes de la langue de boeuf, etc. Puis retour à la maison et souper. Et après bien de la gaieté, au lit.


                                                                                                                        10 avril

            Le matin, allé voir les maisons du port. D'abord celle de Mr Pett, le charpentier de marine, où nous fûmes aimablement reçus. Entre autres, il offrit à lady Batten un perroquet, le plus remarquable que j'aie jamais vu. Il reconnut Mingo sitôt qu'il le vit, car il avait autrefois été élevé dans leur maison. Pour la parole et le chant je n'ai jamais entendu son pareil. Milady accepta ce cadeau.
            Allai ensuite voir la maison du commissaire Pett, en son absence et celle de sa famille. Je m'étonnai de voir milady Batten la parcourir avec des airs d'envie pour l'élégance et la richesse de tout ce qui s'y trouve. Et de fait, la maison, comme le jardin, est d'une extrême beauté. Elle disait qu'elle aurait la maison car elle appartenait, autrefois, à l'intendant de la Marine.
            Puis à bord du Prince, maintenant au bassin. Il possède une cabine remarquable pour ses boiseries sculptée ( on n'en trouverait pas de plus somptueuse ) mais sans aucune dorure.
            Après cela, retour à la maison, où nous fîmes un dîner léger. Puis à Rochester où nous vîmes la cathédrale que l'on restaure pour le culte et dont on accordait les orgues. Nous en repartîmes après avoir contemplé les grandes portes qui furent, dit-on, recouvertes de peaux de Danois. Nous nous aussi bien amusés devant une tombe sur laquelle était inscrit " Viens doux Jésus ", que je lus " Viens douce Molly ", ce dont nous rîmes bien le capitaine Pett et moi.
            A la taverne de la Salutation où Mr Acock et de nombreuses personnes de la ville nous offrirent du vin, des huîtres et autres mets Sir John Mennes nous rejoignit, venu aujourd'hui de Londres pour voir les Henry, sur lequel il va naviguer tout l'été comme vice-amiral, dans les eaux de la Manche et de la Mer d'Irlande. Beaucoup de gaieté, mais m'attarder me gênait un peu, car nous devions nous rendre chez Hempson. Ce que nous fîmes plus tard, et trouvons sa maison fort belle à tous égards et somptueusement meublée. Malheureusement les abords de tous côtés sont très laids ce qui, à mon avis, est le plus grand défaut que puisse présenter une maison.
            On fit jouer, pour me complaire, deux instruments à cordes, dont une basse de viole. Celui qui jouait de la viole interpréta fort bien quelques morceaux pour la harpe, mais les deux réunis firent la musique la plus abominable que j'eusse jamais entendue.
            On nous servit une bonne collation, mais je n'y pris guère de plaisir tant la musique était mauvaise et tellement j'avais l'esprit obsédé par Mrs Rebecca Allen.
            Après le repas les dames allèrent danser, et me trouvant parmi les hommes présents je dus moi aussi danser, ce dont je m'acquittai fort maladroitement. Mrs Rebecca Allen dansait fort bien et semblait avoir le caractère de femme le plus agréable que j'aie jamais rencontré. Vers 9 heure, sir Willaiam et milady rentrèrent chez eux et nous continuâmes à danser une heure ou deux. Nous nous arrêtâmes dans la bonne humeur et la joie, et rentrâmes à pied. J'accompagnai Mrs Rebecca qui semblait, je ne sais pourquoi, chercher à me plaire et me témoignait beaucoup de respect.
            Sur le chemin du retour elle insista pour que je chante. Je m'en acquittai assez bien, ce qui me valut d'être hautement estimé de tous.
            Chez le capitaine Allen ( comme la nuit dernière ) que nous entendîmes jouer de la harpe. Je le trouve excellent musicien, et comme je n'étais pas pressé de quitter Mrs Rebecca je m'attardai, et entre la conversation et les chansons ( chantées par son père et moi ) Mrs Turner et moi restâmes jusqu'à 2 heures du matin. Je me sentais de la meilleure humeur qui fût. J'eus l'occasion d'embrasser fort souvent Mrs Rebecca.
            Le capitaine Pett, entre autres choses, dit qu'il pensait avoir fait un enfant à sa femme depuis ma dernière visite. Ce que je relevai, lui demandant en plaisantant, quelle condition il mettrait à ce qu'il fût dit, pour mon honneur, que l'enfant était de moi. Il me répondit gaiement qu'il ne mettrait d'autre condition que ma promesse d'être le parrain de l'enfant, s'il naissait à terme. Ce que je promis. Il faudra donc que je pense à faire le calcul, lorsque le temps sera venu.


                                                                                                          11 avril 1661

            A 2 heures du matin, le plus gaiement du monde, nous retournâmes à notre logis, et au lit. Y restai jusqu'à 7 heures, réveillé par sir William Batten, je me levai, réglâmes quelques affaires puis arriva le capitaine Allen. Nous nous retirâmes tous deux pour chanter une ou deux chansons, avec grand plaisir à
" Va t'faire pendre ! c'est dire deux fois adieu. "
            Les jeunes filles arrivèrent et je retrouvai l'agréable compagnie de Mrs Rebecca. J'eus un peu de peine lorsque je la quittai. Dieu me le pardonne ! Retour à Londres vers 9 heures....
            Mais de tous les voyages que j'aie jamais faits ce fut le plus gai. J'étais étrangement porté à la gaîté....
            Je rencontrai deux petits écoliers qui allaient porter des pichets de bière à leur maître pour fêter la fin de l'école avant Pâques. Je bus dans le pichet de l'un d'entre eux et lui donnai deux pence.
            Peu de temps après nous rencontrâmes deux petites filles qui gardaient des vaches. L'une d'elles me paraissant fort jolie, il me prit fantaisie de lui faire demander ma bénédiction. Comme je lui disais que j'étais son parrain, elle me demanda si je n'étais pas Ned Wooding, je lui dis que oui. Elle se mit alors à genoux et cria avec beaucoup de simplicité :                                                                    nature-ange.com
            - S'il te plaît parrain, prie Dieu de me bénir !
            Ce qui nous fit bien rire et je lui donnai deux pence.
            En plusieurs endroits je demandai à des femmes si elles accepteraient de me vendre leurs enfants. Elles refusèrent toutes, mais me dirent qu'elles m'en donneraient volontiers à élever à leur place.
            Mrs Ann et moi passâmes à cheval au pied du pendu de Shooten Hill. Spectacle répugnant que cette chair desséchée sur les os.
            Retour chez moi. J'y trouve que tout va bien.... J'envoyai prendre des nouvelles de ma femme, qui se porte bien. Mon frère John arrive de Cambridge.
            Chez sir William Batten où je soupai, et fort gaiement, avec les demoiselles. Puis au lit, avec grande envie de dormir.....                          


                                                                                                                   12 avril

            Levé avec mes ouvriers. Vers 7 heures ma femme vint me voir accompagnée de mon frère John. Mais je les renvoyai parce que je devais me rendre au bureau, ce que je fis.Puis dîner avec sir William Batten, de poisson seulement, car c'est vendredi saint.
            Chez moi où j'inspectai le travail de mes ouvriers. Ensuite à la Cité. Je vis où en étaient les préparatifs du couronnement, qui sera vraiment magnifique. Retour chez moi dans mon cabinet pour noter dans mon journal la relation de mon dernier voyage, ce que je fais avec grand plaisir, et tandis que j'y suis occupé, on m'apporte une invitation aux funérailles du capitaine Blake. Sa mort m'afflige et m'étonne......
            Depuis mon départ de Londres, un certain Alexander Rosse s'est fait prendre et envoyer en prison pour avoir imité ma signature sur un ordre de paiement..... Au lit.


                                                                                                                 13 avril

            A Whitehall par le fleuve..... avec sir William Penn. De là chez milord, puis nous sommes allés prendre notre boisson du matin avec le capitaine Cuttance et le capitaine Clarke. Retour à Whitehall..... j'allai à la salle des Banquets où je vis le roi trancher les écrouelles. Première fois que je le voyais faire cela, il s'n acquitta avec beaucoup de gravité. L'office me parut médiocre et inepte...... Retour chez moi, puis immédiatement à Wapping pour l'enterrement du capitaine Blake, en compagnie de sir William Penn eet du capitaine Terne. Chacun de nous reçut un anneau...... Au lit.


                                                                                                            14 avril 1661
                                                                                 " Pâques " Jour du Seigneur
            Le matin partis chez mon père, mais entendis en chemin Mr Jacombe à Ludgate sur ces paroles
" Dieu nous a aimés, et pour cela aimons-nous les uns les autres ". Ne s'est guère donné de mal pour son sermon, en bon presbytérien..... Après le dîner chez mon père, je me rendis au quartier du Temple où j'entendis le Dr Griffith. Sermon bien adapté à ce jour.......  Après quelques tâches chez milord, chez mon père, et après le souper, ayant fait semblant de vouloir rentrer chez moi et ma femme paraissant approuver mon intention, je partis de fort méchante humeur. Mais elle, pauvre chérie, me suivit dans la nuit et la pluie jusqu'à Fleet Bridge pour me faire revenir, ce que je fis......


                                                                                           ( à suivre,
                                                                                                         15 avril )
            Depuis chez mon père.......
         
                                                                                                                       

                                                                                                       


                                                                                                                 
                                                                                                         


































jeudi 9 juillet 2015

Epigramme Guillaume Apollinaire ( Poème France )

Peintre célèbre -Claude Monet
            Monet

                                 Epigramme

                    Mon adorable jardinière
                    Toi qui voudrais savoir pourquoi
                    Nul ne tape sur ton derrière                                                          blog.aujourdhui.com
                    Ne sais-tu donc pas comme moi
                    Qu'il ne faut pas battre une femme
         
            Et même avec une Fleur Rare oui-Madame


                                                   Guillaume Apollinaire

                                                        (  extrait des Poèmes à Lou )


                                                                                                                                                                                                                                  

mercredi 8 juillet 2015

Soumission Michel Houellebecq ( roman France )



                                              Soumission

            2022, la France vote. Après deux mandats gagnés par le PS, c'est un mouvement mené par Ben Abbes qui est le mieux placé pour gagner l'élection présidentielle avec le soutien de la gauche, de François Bayrou ( nommé dans le texte ) pressenti pour un poste au ministère de l'Education Nationale, entre autres.  L'Islam, les conversions, sans brusquerie, mais presque obligatoire, la vie quotidienne se radicalise. Enseignant à la faculté Paris III, spécialiste de Huysmans à qui il a consacré une thèse de 800 pages, vers qui il se tourne tout au long du récit, François mène une vie de bourgeois tranquille qu'il raconte dans ses détails les plus intimes, avec simplicité, il habite le 13è arrondissement, dans une tour, circule de la rue Monge à la Sorbonne, fait ses courses au Centre Commercial Italie, prévoit la fermeture de certaines enseignes, la suppression du rayon casher au super marché. Seuls les Chinois continuent à courir sans se préoccuper des nouvelles règles. Mis à la retraite d'office, à moins de 45 ans, retraite confortable, le chômage a nettement baissé, les femmes soumises au foyer. Les aides familiales sont importantes, les hommes ont droit à 4 femmes, qu'ils ne choisissent pas, c'est le rôle des marieuses. Houellebecq est très habile, son écriture extrêmement fluide, l'histoire d'un homme, de la solitude d'un intellectuel profond, de ses besoins sexuels, quelques escorts girls. Il poursuit entre deux séances détaillées, sa recherche : Huysmans et l'oblat, traverse la France réside quelques jours au monastère qui accueillit l'auteur. Sa minutie le pousse à traduire tous les maux, ses rapports avec ses parents, ses petits malaises, sa nourriture, sushis, libanais. Quelques petits accrocs se font jour dans la nouvelle société. Les Saoudiens financiers veulent la reconnaissance effective du gouvernement, le président proche du Quatar s'interpose, indirectement. Un monde plus vaste encore que ne le fût l'Empire Romain, imposer la charia, en France, en Belgique, Michel Houellebecq a écrit un des très bons livres de l'année, facile à lire. Faut-il pleurer avec François et sa solitude, ou sourire " Vous aurez trois femmes... " 

mardi 7 juillet 2015

Une Jeune Pucelette, folastrie Ronsard ( Poèmes France )


ilyaunsiecle.blog.lemonde.fr

                                    Une Jeune Pucelette 

            Une jeune pucelette,
            Pucelette, grasselette,
   Qu'esperdument j'aime mieux  
Que mon coeur ny que mes yeux,
           A la moitié de ma vie
           Esperdument asservie
  De son grasset en-bon-point ;
  Mais fasché je ne suis point
D'estre serf pour l'amour d'elle,
  Pour l'en-bon-point de la belle,
    Qu'esperdument j'aime mieux
Que mon coeur ny que mes yeux.
       Las ! une autre pucelette,
          Pucelette maigrelette,
    Qu'esperdument j'aime mieux
Que mon coeur ny que mes yeux,
         Esperdument a ravie
      L'autre moitié de ma vie
    De son maigret en-bon-point.
    Mais fasché je ne suis point
D'estre serf pour l'amour d'elle,
   Pour la maigreur de la belle,
   Qu'esperdument j'aime mieux
Que mon coeur ny que mes yeux.
   Autant me plaît la grassette
  Comme me plaît la maigrette,
     Et l'une à son tour autant
   Que l'autre me rend contant.
      Je puisse mourir, grassette,
      Je puisse mourir, maigrette,
        Si je ne vous aime mieux
Toutes deux que mes deux yeux,
         Ny qu'une jeune pucelle
     N'aime un nid de tourterelle
       Ou son petit chien mignon
       Du passereau compagnon,
   Petit chien, qui point ne laisse
      De faire importune presse
     Au passereau qui toujours
         A pour fidèle secours
      Le tendre sein de la belle,
Quand le chien plume son aile,
     Ou de travers regardant
   Après l'oiseau va grondant.
   Et si je ments grasselette,
  Et si je ments, maigrelette,
   Si je ments, Amour archer                                                                       fr.muzeo.com
Dans mon coeur puisse cacher
  Ses fleches d'or barbelées,
Et dans vous les plombelées,
   Si je ne vous aime mieux
Toutes deux que mes deux yeux.
     Bien est-il vray, grasselette,
     Bien est-il vray, maigrelette,
    Que l'appast trop doucereux
       De l'hameçon amoureux
    Dont vous me sçavez attraire,
       Est l'une à l'autre contraire.
         L'une d'un sein grasselet,
          Et d'un bel oeil brunelet
    Dans ses beautez tient ma vie
          Esperdument asservie,""
       Or' luy tastonnant le flanc,
           Or' le bel yvoire blanc
          De sa cuisse rondelette,
        Où les doux troupeaux ailez
            Des frères en-carquelez
         Dix mille fleches decochent
    Aux ribaux qui s'en approchent.
      Mais par dessus tout m'espoint
           Un grasselet en-bon-point,
                Une fesse rebondie,
              Une poitrine arrondie,
          En deux montelets bossus
           Où l'on dormirait dessus
    Comme en cent fleurs décloses,
         Ou dessus un lit de roses.
          Puis avecques tout cela
          Encor d'avantage elle a                                                                    
         Je ne sçay quelle feintise,
         Ne sçay quelle mignotise,
Que mon coeur ny que mes yeux.      
          L'autre maigre pucelette
        A voir n'est pas si belette,
          Elle a les yeux verdelets
           Et les tétins maigrelets ;
    Son flanc, sa cuisse, sa hanche
      N'ont pas la neige si blanche                                                          
     Comme a l'autre, et si ondez      
     Ne sont ses cheveux blondez ;
         Le rempart de sa fossette
         N'a l'enflure si grossette,
        Ny son ventrelet n'est pas
           Si rebondi ne si gras ;
    Si bien que quand je la perce,
      Je sens les dents d'une herse,
       J'enten mille ossets cornus
  Qui me blessent les flancs nus.
    Mais en lieu de beautez telles,
    Elle en a d'autres plus belles,
    Un chant qui ravit mon coeur,
    Et qui dedans moy, veinqueur,
        Toutes mes veines attise ;
           Une douce mignotise,
    Un doux languir de ses yeux,
       Un doux souspir gracieux,
     Quand sa douce main manie
      La douceur d'une harmonie.
   Nulle mieux qu'elle au dancer
     Ne sçait ses pas devancer,
       Ou retarder par mesure ;
     Nulle mieux ne me conjure
      Par les traits de Cupidon,
    Par son arc, par son brandon,
    Si j'en aime une autre qu'elle ;
      Nulle mieux ne m'emmielle
    La bouche, quand son baiser
        Vient mes lèvres arroser,
    Begayant d'un doux langage.
      Que diray-je d'avabtage ?
     D'un si plaisant maniment
      Soulage nostre uniment
  Lors que tout elle tremousse
  Que sa tremblante secousse
   A fait que je l'aime mieux
 Que mon coeur ny que mes yeux.
      Jamais une ne me fasche
    Pour ne la servir à tasche ;
   Car quand je suis my-lassé
    Dù premier plaisir passé,
    Dès le jour je laisse celle
   Qui m'a fasché dessus elle,
 Et m'en vois prendre un petit
     Dessus l'autre d'appetit,
   A fin qu'après la dernière
   Je retourne à la première,
Pour n'estre recreu d'amours.
 Aussi n'est-il bon tousjours
     De gouster une viande,
   Car tant soit elle friande,
Sans quelquefois l'eschanger
   On se fache d'en manger.
Mais d'où vient cela, grassette,
Mais d'où vient cela, maigrette,
Que depuis deux ou trois mois
Résultat de recherche d'images pour "peinture ronsard"    Je n'embrassay qu'une fois
    ( Encore ce fut à l'emblée,
       Et d'une joye troublée )
     Vostre estomac grasselet,
      Et vostre sein maigrelet ?
  A-vous peur d'estre nommées
      Pucelles mal renommées ?
  A-vous peur qu'un blasonneur
    Caquette de vostre honneur ?
  Et qu'il die : " Ces deux belles
    Qui font de jour les pucelles,
   Toute nuict d'un bras mignon
    Eschaufent un compaignon,
  Qui les paye en chansonnettes,
    En rimes et en sornettes " ?
Las ! mignardes, je scay bien
Qui vous empêche, et combien
      Le seigneur de ce village
   Vous souille de son langage,
    Mesdisant de vostre nom
  Qui plus que le sien est bon.
  Ah ! à grand tort, grasselette,
  Ah ! à grand tort, maigrelette,
  Ah ! à grand tort, cest ennuy
        Me procède de celuy
  Qui me deust servir de pere,
  De soeur, de frère et de mère.
    Mais luy voyant que je suis
    Vostre coeur, et que je puis
   D'avantage entre les Dames,
  Farcist vostre nom de blâmes,
       D'un mesdire trop amer,
     Pour vous engarder d'aimer
    Celuy qui gaillard vous aime
  Toutes deux plus que soy-même,
      Celuy qui vous aime mieux
Toutes deux que ses deux yeux
  Bien-bien, laissez-le mesdire :
   Deust-il tout vif crever d'ire
       Et forcené se manger,
      Il ne sçauroit estranger
Résultat de recherche d'images pour "picasso femmes"    L'amitié que je vous porte,
Tant elle est constante et forte :
     Ny le temps ny son effort,
        Ny violence de mort,
      Ny les mutines injures,
    Ny les mesdisans parjures,
      Ny les outrageux brocars
       De vos voisins babillars,
     Ny la trop soigneuse garde
         D'une cousine bavarde,    
   Ny le soupçon des passans,
     Ny les maris menaçans,
    Ny les audaces des frères,
Ny les preschemens des meres,
     Ny les oncles sourcilleux,
      Ny les dangers périlleux
Qui l'amour peuvent desfaire,
 N'auront puissance de faire
Que tousjours je n'aime mieux
Que mon coeur ny que mes yeux
      L'une et l'autre pucelette,
     Grasselette et maigrelette.


                                        Pierre de Ronsard

samedi 4 juillet 2015

Sur la vie de mon père Gérard Darmon ( biographie France )


Gérard Darmon, autobiographie

                                         Sur la vie de mon père                               
                                           Biographie reconstituée

            " Pourquoi ai-je choisi de devenir acteur "s'interroge Gérard Darmon. Personne dans sa famille n'a eu ce souhait, son père peut-être. Ce père longtemps un mystère pour ce fils unique d'un couple mal assorti, mais fils aimé. Son père, 4è d'une fratrie de 14 enfants, né comme sa mère dans un bourg proche d'Oran obligé d'aider sa mère, veuve et sans le soutien de ses trois aînés morts à la guerre quelque part dans les Dardanelles, a quitté l'école, il a onze ans.  Enfant vif, actif, il sera entre autres groom. Son fils plus tard lira Spirou et imaginera ce père muet sur son passé, sous la coiffe du petit héros. Arrivent les années 1920 les spectacles parisiens se produisent à Oran, Henri Darmon aurait pu tenter une carrière de chanteur grâce à une diva de passage. Sa mère refusa, il poursuivit une vie souvent dans " le milieu ". Il fut spahi. Un jour il arrive à Paris, a à peine 20 ans, fréquente la rue de Lappe, les marlous de la Bastille et du faubourg Montmartre, s'installe rue des Plantes, puis rue des Artistes, dans le 14è, près de la voie de chemin de fer, important car voici la guerre, et celui que l'on appelle " Trompe-la-Mort " dans le milieu, a vécu cette période difficile inscrit en toute fin aux FFI. 1945, Darmon s'installe alors, représentant en vins et spiritueux, s'éloigne des femmes qui s'offrent des danseurs mondains, des soubrettes, et ramène du pays où souffle le levèche, Viviane, l'une des quatre filles ( neuf enfants tout de même ) qui voulait être institutrice, mais sombre, neurasthénique, à la mort de la mère brûlée vive. Ce passé reconstitué Gérard Darmon le rétablit par petites touches, à la mort de son père qu'il apprend alors qu'il tourne à Soweto. Son père est non seulement un taiseux, mais aussi une ombre. Pas inscrit à la Sécurité Sociale, à une Caisse de Retraite, ces repaires, le fils à la reconquête du père  très présent depuis sa disparition, va d'administration en ministère pour retrouver des fragments de la vie aventureuse du père bien adapté à la vie parisienne, alors que sa mère toujours triste survécut à son mal-être et à ce mariage-compagnonnage grâce au travail pour lequel elle montra des dispositions et lui donna une bonne assise sociale.
            Chercher le père, stimulant pour les auteurs : rappel voir plus bas " Pascal Brukner, Un bon fils. - Marc Lavoine " LHomme qui ment ". Et le lecteur attrape, retient ce qu'il recherche, sans doute.

mercredi 1 juillet 2015

Correspondance Proust Gide extrait 2 ( Lettres France )


timescolumns.typepad.com

                                                                                             102, Boulevard Haussman

                                                                                                     6 mars 1914

            Mon cher Gide,                                                                                               openlibrary.org
            Je ne vous remercierais pas aussi vite de votre hindou, préférant attendre de l'avoir bien lu, si je n'avais grand plaisir à vous dire que je suis toujours le captif anxieux et ravi de vos Caves du Vatican. Ce n'est pas ma faute si vous nous donnez à admirer simultanément des choses si différentes, si différentes qu'il est confondant et bien beau qu'un même être puisse tenir tout " l'entre-deux ". Je trouve bien noble et haute l'humilité dont vous faites preuve devant Tagore, et je la relie à votre conscience de juré. Mais dans la création de Cadio, personne ne fut objectif avec autant de perversité depuis Balzac et Splendeurs et Misères. Encore, je pense, que Balzac était aidé, pour inventer Lucien de Rubempré, par une certaine vulgarité personnelle. Il y a un certain " grain de peau ", dans les propos de Lucien, dont le naturel nous enchante, mais qu'on retrouve souvent chez Balzac et même dans sa correspondance. Tandis que vous, pour créer Cadio !... J'aurais beaucoup à vous dire de ce roman, plus passionnant qu'un Stevenson, et dont les épisodes convergent, composé comme dans une rose d'Eglise. C'est à mon goût la composition la plus savante, mais je n'ai peut-être pas le droit de dire cela, puisque, ayant mis tout mon effort à composer mon livre, et ensuite à effacer les traces trop grossières de composition, les meilleurs juges n'ont vu là que du laisser-aller, de l'abandon, de la prolixité. Il y a certaines choses que je ne peux aimer, dans vos  Caves du Vatican, qu'en me forçant. Je ne parle pas seulement des boutons de Fleurissoire, mais de mille détails matériels ; moi je ne peux pas, peut-être par fatigue, ou paresse, ou ennui, relater, quand j'écris, quelque chose qui ne m'a pas produit une impression d'enchantement poétique, ou bien où je n'ai pas cru saisir une vérité générale. Mes personnages n'enlèvent jamais leur cravate, ni même n'en renouvellent " le jeu ", comme au commencement d'Isabelle. Mais je crois que c'est vous qui avez raison. Cet effort que je suis obligé de faire en suivant Fleurissoire chez le pharmacien, Balzac longtemps me l'imposa, et la réalité, la vie. Enfin je lis votre roman avec passion. C'est vraiment une Création, dans le sens génésique de Michel-Ange ; le Créateur est absent, c'est lui qui a tout fait et il n'est pas une de ces créatures. Je vous vois réglant les allées et venues de Fleurissoire comme le Dieu colérique de la Sixtine installant la lune dans le ciel. Je sens tout le ridicule de cette lettre qui est plutôt un remerciement anticipé pour les Caves du Vatican, si vous me l'envoyez. Mais non, je ne vous demande pas de me l'envoyer. Et quand il paraîtra, je vous écrirai une nouvelle lettre, cette fois sur Tagore. Croyez à mes sentiments amicalement dévoués.


                                                                                            Marcel Proust

            Je ne sais si je vous ai dit que j'ai trouvé votre préface admirable.



                                                                                                 21 ou 22 mars 1914
bookblister.com
            On me donne à l'instant votre lettre. Ecoutez, vous me dites que vous avez en ce moment un grand chagrin. Or, je veux vous dire ceci. Je suis l'être le moins curieux et le moins indiscret qui soit. Quand on veut me faire une confidence, j l'arrête si je le peux. Mais aussi, moi si impuissant à obtenir quelque chose pour moi, à m'éviter le moindre mal, j'ai été doué ( et c'est certes mon seul don ) du pouvoir de procurer du bonheur aux autres, de leur éviter des peines, bien souvent. J'ai réconcilié non pas seulement des adversaires mais des amants, j'ai guéri des malades quand je n'ai pu qu'empirer mon mal, j'ai fait travailler des paresseux tout en le restant moi-même. Si vous croyez que je puisse d'une manière quelconque intervenir dans les choses qui vous font de la peine, je suis prêt à aller où vous vous voudrez, à partir en voyage s'il le faut et dans les 24 heures. Que mon état de santé ne vous donne aucun scrupule ; je suis incapable d'une fatigue régulière, nullement d'une fatigue exceptionnelle. Les qualités, et je vous le dis très simplement et parce que je vous jure que j'ai en dehors de cela une bien pauvre idée de moi, qui me donnent ces chances de réussite pour les autres, sont sans doute, avec une certaine diplomatie, un oubli de moi-même et une attention exclusive au bien de mon ami ; qui se rencontrent d'habitude rarement chez une même personne. Ne me répondez pas, si je ne peux rien faire. Mais si votre peine est de celles où une parole qu'on ne peut pas dire soi-même à un autre être peut être efficace, n'hésitez pas à avoir recours à moi. Dans un tout autre ordre, tandis que j'écrivais mon livre, je sentais que si Swann m'avait connu et avais pu user de moi, j'aurais su rendre Odette amoureuse de lui... Cher ami, Swann me rappelle que vous me parlez de cette édition. Excusez-moi de ne pas vous en parler aujourd'hui : j'étais absorbé par l'idée de votre peine. J'espère que vous pourrez lire ma lettre, car j'écris si illisiblement et vous m'avez mal lu hier. Je ne disais pas que Grasset ait été gentil, mais que j'avais peur de ne pas l'être : " Apprends que mon devoir ne dépend pas du tien. " Il n'a d'aucune façon à regretter d'avoir publié mon livre, car il a tiré quatre éditions en deux mois, et chaque fois je n'acceptais que la moitié de ce qu'il voulait me donner, bien que j'eusse à ce moment de graves ennuis d'argent. Quand à la N.R.F., si je me décidais ( ce que je ne crois pas ) ce serait à la condition absolue que ce serait moi qui ferais les frais des volumes(1). Ne m'écrivez pas si je ne peux rien pour vous, ne me répondez pas. Si je peux quelque chose, écrivez-moi. Mais sachez qu'il est possible que je n'aie pas vos lettres avant le soir ; donc, si vous aviez à me faire partir en voyage demain lundi, il serait prudent d'écrire sur l'enveloppe qu'on me remette cette lettre aussitôt qu'il serait possible.
            Mais si vous ne voyez pas que je puisse rien faire, ne nous écrivons plus, d'autant plus que c'est une grande fatigue pour moi d'écrire. Merci encore ; j'ai pour vous infiniment d'amitié et d'admiration.


                                                                                                       Marcel

                                                          Ecrit sur l'enveloppe

            Je fais attendre la réponse pour le cas où vous auriez besoin que je fasse quelque chose ( départ, etc. ) demain ; je serais moins agité de le savoir dès ce soir. Si vous n'avez pas besoin de moi, dîtes simplement qu'il n'y a pas de réponse et ne m'écrivez pas.

1 - La NRF prendra finalement l'édition du volume entièrement à sa charge, dégageant ainsi Proust de tout problème de cet ordre.



                                                                                                                                      
                                    Lettre sans date accompagnant une gerbe de roses de chez Lachaume

            Si tu me parles de tourment,
            D'espérances désabusées,
            J'irai te cueillir seulement
            Des roses pleines de rosée.

                                       Villiers de l'Isle-Adam

            Etes-vous toujours aussi triste ?                                                                                                                                                                    flowerlifestyle.wordpress.com

                                                          Votre,
                                                                     Marcel



                                                                                                     4 ou 5 avril 1914

            Cher ami,
            Je vous en Prie n'allez pas avoir ce découragement au sujet des Caves qui passionnent tout le monde, et m'ont, moi, rendu malade ( ce qui n'est peut-être pas le meilleur hommage, mais en est un bien grand pourtant . Il faudrait dix lettres, ou plutôt dix conversations pour vous faire comprendre le mal que m'a fait Cadio et c'est d'abord une preuve qu'il existe : " Je fais souffrir, donc je suis . " Non, mon cher ami, si vous avez des tristesses dans votre vie, je sais trop que les " succès littéraires " sont bien insuffisants à les adoucir ; mais quant à vous attrister à cause de votre oeuvre, ce serait de la folie. Qu'importe qu'elle ait vieilli pour vous, elle naît maintenant resplendissante et jeune dans nos pensées, laissez-la accomplir de cerveau en cerveau sa migration mystérieuse et que vous avez providentiellement réglée. Vous me demandez de ne pas vous juger là-dessus ! Que dirais-je, moi qui, incapable même de relire la dactylographie de mon second volume, vais faire paraître quelque chose d'informe et que je souhaiterais tant que vous ne lussiez pas, sans avoir même la force de dicter au moins le premier brouillon qui, lui, avait en tout cas plus de netteté. Ce qui vous rend peut-être injuste pour les Caves, et ce qui, pendant que je les finissais, a rendu injuste l'un des nombreux moi-même qui lisait en même temps et que les autres ont bien vite convaincu d'erreur, c'est que depuis Crime et Châtiment et les Karamazov, nous ne pouvons plus voir un criminel qui ne cherche pas à échapper à la justice sans croire que cela ressemble à Dostoïevski. C'est idiot. A ce compte-là Tolstoï n'aurait pas pu peindre la Guerre en ordre dispersé parce que Stendhal l'avait déjà fait. Et puis qu'est-ce qu'il y a de plus différent d'un personnage de Dostoïevski que Cadio. Je suis même persuadé que Dostoïevski n'en aurait pas pu comprendre la séduction et l'immoralité. ( Je voudrais bien savoir si tous les
" oncles " de Cadio sont des " tantes ". Que tout cela est intéressant. ) Le point d'interrogation, la pointe de soleil levant et d'espoir sur lesquels s'achève votre livre, n'est peut-être pas, au point de vue purement géométrique de la composition, tout à fais satisfaisant. On s'attendait à ce que les issues fussent plus complètement bouchées, à avoir un livre hermétiquement clos. Mais il m'intéresse plus ainsi, faisant sa part à une des lois qui m'intéressent le plus, et que pour ma part je tâche toujours de mettre en lumière quand j'écris, à savoir les différences de pression, les variations de l'atmosphère morale pour un même individu. Cette aurore tonique de la fin me plaît beaucoup par là. Cher ami, j'aurais tant à vous dire sur vous et suis si épuisé pour prolonger cette lettre que je m'en veux de résumer quelques lignes pour vous répondre au sujet de mon livre. Mais en deux mots, voici. Je ne sais si je vous ai déjà dit ( je confonds ) que j'ai écrit à Grasset, j'ai profité de ce que j'ai des sujets d'être mécontent de lui. Il m'a répondu par de vaines paroles, mais où, à la fin, il semblait invoquer commercialement le traité d'une façon qui m'a un peu choqué. Ce que je lui ai témoigné dans ma réplique. Alors est arrivé ce que je pouvais le plus redouter, car je suis sans armes contre la gentillesse. Il m'a écrit que je pouvais faire ce qui me plaisait, qu'il me déliait de tout traité, qu'il ne voulait de moi que de tout mon coeur et non par contrainte. Dans ces conditions, je ne pouvais qu'abdiquer la liberté qu'il me rendait, je lui ai donc dit que je paraîtrais chez lui, en me réservant de faire d'autres éditions
ailleurs, ce qu'il a reconnu m'être permis en vertu du traité. Je l'ai dit pour être plus libre, mais à vrai dire je ne vois pas bien quel serait l'intérêt de cela. Quant aux fragments dans la Revue, tout ce que vous voudrez. Il faudra seulement que vous me disiez le nombre de pages pour que je calcule à peu près. Je pense beaucoup à vous. Souvent j'aimerais causer avec vous, et souvent de la N.R.F.où tout ne me plaît pas. Mais ce que je voudrais surtout, c'est vous savoir un peu consolé.
            Je vous sers la main vingt fois par jour !
                                                                                Votre

                                                                                             Marcel

            Je vous dois, entre tant d'autres choses, deux délicieuses lettres de Monsieur Chadourne et je vous en suis bien reconnaissant.


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