jeudi 15 mars 2018

Nuits blanches 1 Feodor Dostoïevski ( Nouvelle Russie )

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                                                      Nuits blanches
                                              Roman sentimental

                                                  Souvenirs d'un rêveur

                                                ~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~      

                                                    Première nuit

            C'était une nuit merveilleuse, une de ces nuits comme il n'en peut exister que quand nous sommes jeunes, ami -e- lecteur - rice. Le ciel était si étoilé, un ciel si lumineux, qu'à lever les yeux vers lui on devait malgré soi se demander : se peut-il que sous un pareil ciel vivent des hommes irrités et capricieux ? Cela aussi, c'est une question jeune ami lecteur, très jeune... mais puisse le Seigneur vous l'inspirer souvent !
            En parlant de messieurs capricieux et irrités, je n'ai pas pu me rappeler ma propre conduite - irréprochable - durant toute cette journée. Depuis le matin, j'ai été tourmenté par un ennui profond et singulier. Soudain il m'apparut que j'étais seul, abandonné de tous, et que tout le monde s'écartait de moi. On serait en droit, bien sûr, de me demander : mais qui donc, " tous " ? puisque voici huit ans que j'habite Saint-Petersbourg et que je n'ai su m'y faire presque aucune relation. Mais qu'ai-je besoin de relations ? Je connais déjà tout Pétersbourg. C'est bien pourquoi il m'a semblé que tout le monde m'abandonnait quand tout Petersbourg s'est mis sur pied et est brusquement parti pour la campagne. J'ai été pris de peur à me trouver seul, et trois jours pleins j'ai erré par la ville dans un ennui profond, sans rien comprendre à ce qui m'arrivait.
            Allais-je sur la Perspective, allais-je au Jardin, errais-je sur les quais, pas un des visages que j'avais l'habitude de rencontrer à ces mêmes endroits à la même heure toute l'année ! Eux, bien sûr, ne me connaissent pas, mais moi je les connais. Je les connais intimement. J'ai presque étudié leur physionomie, et je les admire quand ils sont gais, je broie du noir quand ils se voilent de tristesse. J'ai presque lié amitié avec un petit vieux que je rencontre chaque jour que le Bon Dieu fait, à une certaine heure, sur la Fontanka. Il a la mine si grave, si pensive. Tout le temps il chuchote dans sa barbe et remue la main gauche tandis que de la droit il tient une longue canne noueuse à pommeau d'or. Même il m'a remarqué et me porte un cordial intérêt. Si d'aventure je n'étais pas à une certaine heure à ce même endroit de la Fontanka, je suis sûr qu'il aurait un accès de spleen. Voilà pourquoi nous sommes parfois à deux doigts de nous saluer, surtout quand nous sommes tous deux de bonne humeur. Dernièrement, comme nous ne nous étions pas vus de deux jours entiers, le troisième, en nous rencontrant nous portions déjà la main à nos chapeaux quand, par bonheur, nous reprîmes à temps nos esprits, abaissâmes le bras et passâmes avec sympathie l'un à côté de l'autre.
            Pour moi, les maisons aussi sont des connaissances. Quand je me promène chacune a l'air de courir à ma rencontre dans la rue : elle me regarde de toutes ses fenêtres et me dit, ou tout comme :
            " - Bonjour ! Comment allez-vous ? Moi, je vais bien, Dieu merci ! Au mois de mai on va m'ajouter un étage.
            Ou
            - Comment allez-vous ? Demain on me met en réparation.
            Ou
            - J'ai failli brûler et j'ai eu bien peur. "
            Et autres semblables discours.
            Parmi elles j'ai des préférées, j'ai des intimes. Une d'elles a l'intention de faire une cure cet été entre les mains d'un architecte. J'irai la voir tous les jours, exprès, de peur qu'il ne la tue, sait-on jamais ? Dieu l'en préserve !
            Mais jamais je n'oublierai l'histoire d'une jolie, jolie maisonnette rose clair. C'était une si gentilles petite maison de pierre, elle me regardait d'un air si affable, et si fièrement elle regardait ses lourdaudes de voisines, que mon coeur était dans la joie quand je passais devant.
              Soudain, la semaine dernière, je passe dans la rue, je regarde                                                           mon amie, et qu'entends-je ? un cri pitoyable : 
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Résultat de recherche d'images pour "la fontaka"            " - On me peint en jaune ! "
            Les scélérats ! les barbares ! ils n'ont eu pitié de rien, ni des colonnes, ni des corniches, et voilà mon amie jaune canari. J'ai failli en avoir un épanchement de bile, et jusqu'à maintenant, je n'ai pas eu la force d'aller voir ma pauvre estropiée, barbouillée aux couleurs de l'Empire du Milieu.
            Alors vous comprenez, ô lecteur, comment je suis en relations avec tout Petersbourg.
            J'ai déjà dit que trois jours durant j'ai été tourmenté d'une inquiétude, jusqu'au moment où j'en ai deviné la cause. Dans la rue je me sentais si mal à l'aise ( celui-ci absent, cet autre absent, où a passé un tel ? ) et chez moi je n'étais pas non plus dans mon assiette.. J'ai passé deux soirées à me demander : que me manque-t-il dans mon coin ? pourquoi ai-je trouvé si gênant d'y rester ? et, perplexe j'examinais mes murs verts, enfumés, le plafond tendu de la toile d'araignée cultivée avec tant de succès par Matriona, je révisais tout mon mobilier, j'examinais chaque chaise. Le mal n'était-il point là ( car si seulement une chaise n'est pas comme elle était hier, je ne suis plus dans mon assiette) Je regardais derrière la fenêtre.
            Peine perdue : pas le moindre soulagement ! J'imaginais même d'appeler Matriona, et sur-le-champ je lui adressai un blâme paternel à propos de la toile d'araignée et en général pour sa malpropreté. Mais elle se borna à me regarder étonnée et s'en retourna sans répondre un seul mot, si bien que la toile d'araignée pend encore intacte au plafond. Enfin, ce matin seulement, j'ai deviné de quoi il s'agit. Eh ! mais c'est pour me fuir qu'ils filent à la campagne !
            Pardonnez la vulgarité de l'expression : je n'avais pas la tête au style noble..., puisque c'était tout ce qu'il y avait à Petersbourg qui, ou bien était parti, ou bien partait pour la campagne, puisque tout monsieur respectable de bourgeoise apparence prenant un fiacre se transformait aussitôt à mes yeux  en un respectable père de famille qui, après le travail quotidien, se rendait sans bagages dans le sein de sa famille à la campagne, puisque tous les piétons avaient maintenant un air tout à fait spécial, qui disait, ou tout comme, à chaque personne rencontrée :
            " - Vous savez, nous sommes ici seulement comme ça, en passant. Dans deux heures nous partons pour la campagne. "
            Voyais-je s'ouvrir une fenêtre sur laquelle avaient tambouriné d'abord de menus petits doigts, blancs comme le sucre, et se pencher au-dehors la petite tête d'une jolie fille appelant le marchand de pots de fleurs, et aussitôt, sur-le-champ, il me semblait que ces fleurs on les achetait seulement comme ça, c'est-à-dire nullement pour jouir du printemps et des fleurs dans l'atmosphère étouffante d'un appartement et que, bientôt, très vite, on se transporterait tous à la campagne en les prenant avec soi.
            Bien plus, j'avais déjà fait de tels progrès dans cet ordre particulier de découvertes, nouveaux pour moi, que je pouvais maintenant, infailliblement, à vue d'oeil, déterminer dans quelle campagne était tel ou tel. Les citoyens de Kamenny ostrov et de l'île des Apothicaires ou de la Route de Peterhof se distinguaient par l'élégance étudiée des manières, par leurs costumes d'été à la mode et les beaux équipages dans lesquels ils étaient venus à la ville. Les habitants de Pargolovo et lieux plus éloignés imposaient, du premier coup d'oeil, par leur bon sens et leur sérieux. Le visiteur de Krestovski ostrov se reconnaissait à sa gaieté imperturbable.                                                 pinterest.com
Résultat de recherche d'images pour "pargolovo st petersburg"            Rencontrais-je d'aventure une longue procession de charretiers marchant paresseusement, les guides à la main, à côté de leurs voitures chargées de montagnes de meubles variés, tables, chaises divans de Turquie et d'ailleurs, et autre matériel domestique sur lequel, par surcroît, siégeait souvent, juste au sommet du véhicule, une maigre cuisinière gardant les biens de son maître comme la prunelle de ses yeux. Regardais-je les barques lourdement chargées d'ustensiles de ménage qui glissaient sur la Néva ou la Fontaka vers la Rivière Noire ou les Ïles, et charrettes ou barques se multipliaient par dix, par cent à mes yeux, il me semblait que tout était sur pied et en route, que tout émigrait par caravanes entières à la campagne. Il me semblait que tout Petersbourg menaçait de se changer en désert. Si bien, qu'enfin, j'étais honteux, vexé, affligé : je n'avais, moi, ni endroit où aller à la campagne, ni raison aucune. J'étais prêt à partir avec chaque charrette, à accompagner chaque monsieur de respectable apparence qui louait un fiacre. Mais pas un seul, absolument personne ne m'a invité : comme si j'étais oublié, comme si j'étais pour eux un étranger, effectivement !
            Je marchai beaucoup et longtemps, si bien que j'avais parfaitement réussi, selon mon habitude, à oublier où j'étais quand, soudain, je me trouvai à la porte de la ville. En un instant je fus pris de gaieté et je passai la barrière. J'avançai alors entre des champs ensemencés et des prés. Je n'éprouvais pas de fatigue, mais je sentais seulement de tout mon être qu'une espèce de fardeau tombait de mon âme. Tous les passants me regardaient si aimablement, qu'un peu plus ils m'auraient salué. Ils respiraient tous une sorte de contentement, et tous, sans exception, ils fumaient des cigares. Moi aussi j'étais content comme il ne m'était encore jamais arrivé. On aurait dit que, tout à coup, j'étais transporté en Italie, tant la nature m'avait frappé, demi-malade de citadin, à moitié asphyxié entre ses quatre murs.
            Il y a un je ne sais quoi d'inexprimablement émouvant dans notre nature petersbourgeoise quand, à l'approche du printemps, elle manifeste soudain toute sa puissance, toutes les forces qu'elle a reçues du Ciel, se couvre de jeune verdure, se pare, se colore de fleurs... Elle me rappelle malgré moi la jeune personne étique et malingre que vous regardiez parfois avec pitié, parfois avec une charité compatissante et que, parfois aussi, tout bonnement, vous ne remarquez pas mais qui, tout à coup, en un instant, à l'improviste, devient une beauté merveilleuse, inexplicable, tandis que, stupéfait, enivré, vous vous demandez malgré vous : quelle force a fait briller d'un tel feu ces yeux pensifs et tristes ? qu'est-ce qui a appelé le sang sur ces joues amaigries et pâles ? qu'est-ce qui a baigné de passion ces traits délicats ? pour quelle cause se gonfle ainsi cette poitrine ? qu'est-ce qui a soudain appelé la force, la vie et la beauté sur le visage de cette pauvre fille, l'a illuminé de sourire pareil, l'a animé d'un rire aussi éclatant, aussi étincelant ? Vous regardez tout autour, vous cherchez quelqu'un, vous devinez... Mais l'instant passe, et peut-être dès demain vous rencontrerez de nouveau le même regard pensif et distrait d'avant, le même visage pâle, la même soumission et la même timidité dans les mouvements, et même un repentir, même les traces d'un mortifiant ennui ou dépit pour cet entraînement d'une minute... Et vous, vous avez le regret que ce soit si vite, si irrévocablement fanée cette éphémère beauté, qu'elle ait brillé si illusoire et si vaine devant vous. Le regret, puisque vous n'avez pas eu le temps de l'aimer...  tripadvisor.fr
Résultat de recherche d'images pour "pargolovo st petersburg"            Et pourtant ma nuit a valu mieux que le jour. Voici comment cela s'est produit.
            Je suis revenu en ville très tard, et dix heures avaient déjà sonné quand j'approchai de chez moi. Mon chemin passait par le quai du canal où, à cette heure, on ne rencontre plus âme qui vive. Vraiment, j'habite un quartier très éloigné. Je marchais et je chantais parce que, quand je suis heureux il faut absolument que je ronronne dans ma barbe, comme tout homme heureux qui n'a ni amis, ni connaissances sympathiques et qui, dans ses instants de bonheur, n'a pas avec qui partager sa joie. Soudaine m'arriva la plus inattendue des aventures.
            Dans un coin, appuyée au parapet, se tenait une femme. Accoudée sur la grille, elle semblait regarder avec beaucoup d'attention l'eau trouble du canal. Elle portait un très joli petit chapeau jaune et une coquette mantille noire.
            " C'est une jeune fille, et sûrement une brune ", pensai-je. Elle ne paraissait pas entendre mes pas, mais elle ne bougea pas quand je la dépassai, retenant ma respiration et le coeur battant soudain fortement.
            " Bizarre, pensai-je, sans doute a-t-elle une grosse préoccupation " et, brusquement, je m'arrêtai, comme cloué sur place. J'avais perçu un sourd sanglot. Oui ! je ne m'étais pas trompé : la jeune fille pleurait. Une minute plus tard, encore et encore un sanglot. O mon Dieu ! Mon coeur se serra. J'ai beau être timide avec les femmes, le cas était exceptionnel !... Je revins, fis un pas vers elle et j'aurais obligatoirement prononcé : " Mademoiselle ! " si je n'avais su que cette exclamation avait été prononcée mille fois déjà dans tous nos romans du grand monde. C'est la seule chose qui me retint. Mais, tandis que je cherchais un mot, la jeune personne reprit ses esprits, promena un regard autour d'elle, se ressaisit, baissa la tête et glissa devant moi sur le quai. Je marchai aussitôt à sa suite, mais elle s'en avisa, quitta le quai, traversa la rue et prit le trottoir. Je n'osai pas traverser. Mon coeur tressautait comme celui d'un oisillon pris au piège. Soudain un hasard vint à mon secours.
            Sur cet autre trottoir, non loin de mon inconnue, parut soudain un monsieur en habit, d'un âge respectable, mais d'une allure qui l'était beaucoup moins. Il marchait en titubant et s'appuyant précautionneusement aux muraille. Le demoiselle, elle, filait comme une flèche, hâtive et timide, comme vont en général toutes les demoiselles qui ne veulent pas qu'on s'offre à les accompagner chez elles la nuit, et naturellement le monsieur branlant ne l'aurait jamais rattrapée si ma bonne fortune ne lui avait inspiré de chercher des moyens extraordinaires. Soudain, sans rien dire à personne, mon quidam prend son élan et vole de tous ses jarrets, court, poursuit mon inconnue. Elle allait comme le vent, mais le monsieur vacillant gagne sur elle, l'atteint, elle pousse un cri, et... je bénis le sort pour l'excellente canne noueuse qui se trouvait cette fois-là dans ma main droite. En un clin d'oeil me voilà de l'autre côté, en un clin d'oeil le monsieur malvenu saisit de quoi il retourne, prend en considération mon argument irréfragable, se tait, se laisse distancer, et c'est seulement quand nous fûmes déjà très loin qu'il protesta contre moi en termes assez énergiques. Mais c'est tout juste si ses paroles parvinrent jusqu'à nous.                                                                                      lavoixdubio.com
Résultat de recherche d'images pour "matriochka"            - Donnez-moi la main, dis-je à mon inconnue, et il n'osera plus nous aborder.
            Silencieuse elle me tendit sa main encore tremblante d'émotion et d'effroi. Ô monsieur malvenu, comme je te bénissais à cet instant ! Je la regardai furtivement : elle était très gentille, et brune, je l'avais deviné ; sur ses cils noirs luisaient encore de petites larmes, larmes de la récente épouvante ou d'un précédent chagrin, je l'ignorais. Mais sur ses lèvres brillaient déjà un sourire. Elle aussi me regarda à la dérobée, rougit légèrement et baissa les yeux.
            - Vous voyez, pourquoi m'avez-vous repoussé tout à l'heure ? Si j'avais été là rien ne serait arrivé...
            - Mais je ne vous connaissais pas. Je croyais que, vous aussi...
            - Et maintenant, vous me connaissez ?
            - Un peu. Tenez, par exemple, pourquoi tremblez-vous ?
            - Oh ! vous avez deviné du premier coup ! répondis-je enthousiasmé de ce que ma demoiselle eût de la tête : avec la beauté la tête ne nuit pas. Oui, du premier coup d'oeil vous avez deviné à qui vous aviez affaire. En effet, je suis timide avec les femmes, je suis ému, je n'en disconviens pas, tout autant que vous l'étiez tout à l'heure quand ce monsieur vous a fait peur... J'ai une espèce de peur, moi, en ce moment. On dirait un songe, mais même en songe je n'ai jamais prévu qu'un jour je parlerais avec une femme, n'importe laquelle...
            - Comment ? Est-il possible...
            - Oui, si ma main tremble, c'est que jamais encore elle n'a été tenue dans une aussi jolie petite menotte... J'ai tout à fait perdu l'habitude des femmes, c'est-à-dire que je ne l'ai jamais eue... Je vis seul, vous savez. J'ignore même comment on leur parle. Tenez, maintenant encore, j'ignore si je ne vous ai pas dit quelque sottise. Dîtes-le moi franchement, je vous préviens, je ne suis pas susceptible...
            - Mais non, rien du tout, rien du tout, au contraire. Et si vous voulez que je sois vraiment franche, eh bien, je vous dirai que les femmes aiment cette timidité-là. Et, si vous voulez en savoir plus encore, moi aussi je l'aime, et je ne vous chasserai pas avant d'être rendue chez moi.
            - Vous ferez si bien, commençai-je, haletant d'enthousiasme, que je m'en vais sur-le-champ cesser d'être timide, et alors adieu tous mes moyens !...
            - Vos moyens ? Quels moyens, pour quoi faire ? Voilà qui est moins bien.
            - Pardon, je ne recommencerai plus. Le mot m'a échappé. Mais comment voulez-vous que dans un pareil moment on n'ait pas le désir...
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Résultat de recherche d'images pour "matriochka homme"            - Eh bien, oui ! Mais pour l'amour de Dieu, soyez, oh ! soyez bonne ! Jugez un peu qui je suis. J'ai déjà vingt-six ans savez-vous, et je n'ai jamais vu personne. Alors, comment puis-je parler comme il faut, avec aisance et à-propos ? Pour vous-même, ce sera mieux si tout est franc, à découvert. Je ne sais pas me taire quand mon coeur parle. Bon, mais c'est égal... Le croirez-vous ? Pas une femme, jamais jamais ! Aucune connaissance ! Et seulement je rêve chaque jour qu'à la fin, tôt ou tard, je rencontrerai quelqu'un. Ah ! si vous saviez combien de fois j'ai été amoureux de cette façon-là !
            - Mais comment cela, de qui donc ?
            - Mais de personne, de l'idéal, de celle qui me visite en songe. Je crée dans mes rêves des romans entiers. Oh ! vous ne me connaissez pas ! A vrai dire, c'est impossible autrement, j'ai rencontré deux ou trois femmes, mais sont-ce là des femmes ? Toujours des ménagères, qui... Mais je vais vous faire rire : je vous dirai que j'ai voulu plus d'une fois engager la conversation, comme ça, tout simplement, avec une aristocrate, dans la rue, naturellement si elle était seule, l'engager, bien sûr, timidement, respectueusement, passionnément. Dire que je meurs solitaire, qu'elle ne me repousse pas, que je n'ai le moyen de connaître aucune femme, lui suggérer qu'il est même du devoir de la femme de ne pas refuser la timide prière d'un homme aussi malheureux que moi. Qu'enfin tout ce que je demande se réduit à me dire quelques mots fraternels, un ou deux mots de sympathie, à ne pas me repousser au premier abord, à me croire sur parole, à écouter ce que je dirai, à se moquer de moi si on veut, à me donner espoir, à me dire deux mots, deux mots seulement, quitte après cela à ne plus jamais nous rencontrer !... Mais, vous riez... Au fait, c'est bien pour cela que je vous parle...
           - Ne soyez pas fâché. Je ris, parce que vous êtes votre propre ennemi, parce que, si vous essayiez vous réussiriez peut-être, oui, ne fût-ce que dans la rue : plus on y va simplement et mieux ça vaut... Il n'y a pas une brave femme, à condition seulement qu'elle ne soit pas une sotte et surtout qu'elle ne soit pas de mauvaise humeur à ce moment-là, pour avoir le courage de vous renvoyer sans ces deux mots que vous implorez d'elle si timidement... D'ailleurs, que dis-je ? sûrement elle vous prendrait pour un fou. C'est que j'en jugeais d'après moi. Mais je sais trop comment sont les gens ici-bas !
            - Oh ! je vous remercie ! m'écriai-je. Vous ne savez pas ce que vous venez de faire pour moi !
            - Bon, bon ! Mais, dîtes-moi, à quoi avez-vous reconnu que j'étais la femme avec qui... que vous jugiez digne... d'attention et d'amitié... bref, pas une ménagère, comme vous dites. Pourquoi vous êtes-vous décidé à m'aborder ?
            - Pourquoi ? pourquoi ? Mais vous étiez seule, ce monsieur était trop hardi, il fait nuit : reconnaissez-le vous-même, c'était mon devoir...
            - Non, non, avant, là-bas, de l'autre côté. Vous aviez déjà l'intention de m'aborder, n'est-ce pas
            - Là-bas, de l'autre côté ? Mais, bien vrai, je ne sais comment vous répondre, je crains... Savez-vous, j'étais heureux aujourd'hui, je marchais, je chantais, j'avais été à la campagne, je n'avais jamais éprouvé pareilles minutes de bonheur. Et vous... peut-être était-ce une impression... enfin pardonnez-moi si je vous le rappelle : j'ai eu l'impression que vous pleuriez, et je... je n'ai pas pu entendre cela... J'ai eu le coeur serré... Ô mon Dieu ! Voyons, n'avais-je pas le droit de m'attrister pour vous ? Était-ce un péché de ressentir pour vous une compassion fraternelle ?...  Pardonnez-moi, j'ai dit, compassion... Allons, pour finir, est-ce que j'ai pu vous offenser parce que l'idée m'est venue, malgré moi, de vous aborder ?...                                                                   
            - Laissez ! Assez ! ne me dites pas... fit-elle en baissant la tête et me serrant la main. C'est moi qui ai eu tort de vous parler de cela... Mais je suis contente de ne m'être pas trompée sur votre compte... Mais me voilà déjà chez moi, je n'ai plus qu'à prendre la rue, c'est à deux pas... Adieu, je vous remercie...
            - Alors, est-ce possible ? Est-il possible que nous ne nous revoyons plus jamais... Et tout se bornera là ?                                                                                                  pinterest.com
Image associée            - Vous voyez, dit-elle en riant : d'abord vous ne vouliez que deux mots, et maintenant... Mais au fait, je ne vous dirai rien... Peut-être que nous nous rencontrerons...
            - Je viendrai ici demain. Oh ! pardonnez-moi, voilà que j'exige déjà.
            - Oui, vous êtes impatient... vous exigez presque...
            - Écoutez un peu, écoutez- moi ! l'interrompis-je. Pardonnez-moi si je vous dis encore une chose... Voici ce qu'il y a : je ne peux pas ne pas revenir ici demain. Je suis un rêveur ; j'ai si peu de vie réelle que, des minutes comme celles-ci, comme maintenant, j'en compte si peu que je ne peux pas ne pas les reproduire dans mes rêves. Je rêverai de vous toute la nuit, toute la semaine, toute l'année. Je reviendrai ici demain, obligatoirement, et justement ici, à ce même endroit, à cette même heure, et je serai heureux au souvenir de la veille. Désormais cet endroit m'est cher. J'ai déjà deux ou trois endroits comme cela dans Petersbourg. J'ai même une fois pleuré à cause d'un souvenir, comme vous... Qui sait, peut-être que vous aussi, il y a dix minutes, c'est un souvenir qui vous faisait pleurer... Mais pardonnez-moi, de nouveau je m'oublie... Peut-être, un jour, avez-vous été particulièrement heureuse ici...
            Bon, dit la jeune fille, admettons, je viendrai ici demain, aussi à dix heures. Je vois que je ne peux plus vous interdire... C'est que j'ai besoin d'y être : ne vous figurez pas que je vous donne un rendez-vous. Je vous préviens, j'ai besoin d'y être, pour moi-même. Mais voilà... Allons, je vous le dirai franchement : ça ne fait rien si vous venez aussi. D'abord, il peut y avoir encore des désagréments, comme aujourd'hui, mais, à part ça... Bref, je voudrais tout bonnement vous voir... pour vous dire deux mots. Seulement, voyez-vous, ne me condamnez pas en ce moment, ne croyez pas que je donne si facilement des rendez-vous... Je ne vous l'aurais pas donné si... Mais que cela reste mon secret ! Seulement, d'avance, une condition...
            - Une condition? Parlez, dîtes, dîtes d'avance tout. Je consens à tout, je suis prêt à tout ! m'écriai-je enthousiaste. Je réponds de moi, je serai obéissant, respectueux... vous me connaissez...
            - Justement parce que je vous connais, je vous invite demain, dit-elle en riant. Je vous connais à la perfection, mais, attention, venez à une condition d'abord. Seulement soyez assez bon pour faire ce que je vous demanderai. Vous voyez, je parle franchement. Ne tombez pas amoureux de moi... C'est impossible, je vous assure. Pour l'amitié, je suis prête, voici ma main...Mais l'amour, non, je vous en prie !
            - Je vous le jure ! m'écriai-je en prenant sa petite main.
            - Assez, ne jurez pas : je sais que vous êtes capable de prendre feu comme de la poudre à canon. Ne me condamnez pas si je parle ainsi. Si vous saviez. Moi aussi, je n'ai personne avec qui échanger une parole, à qui demander conseil.. Naturellement, ce n'est pas dans la rue qu'il faut chercher des conseillers, mais vous, vous êtes une exception. Je vous connais comme si nous étions des amis de vingt ans... N'est-ce pas que vous ne me trahirez pas ?...
            - Vous verrez... Seulement je ne sais pas comment je vivrai toute cette nuit et tout ce jour.
            - Dormez bien, bonne nuit. Et, souvenez-vous, que je me suis confiée à vous. Mais vous avez si bien lancé cette exclamation tout à l'heure : faut-il donc rendre compte de chacun de ses sentiments, même de sa sympathie fraternelle ! Vous savez, c'était si bien dit que sur-le-champ l'idée m'a traversée de me confier à vous...
            - Pour l'amour de Dieu, mais en quoi ? comment cela ?
            - A demain ! Que cela reste pour le moment un secret. C'est mieux pour vous : au moins de loin ça ressemblera à un roman. Peut-être que je vous le dirai dès demain, et peut-être que non... Je vous parlerai d'abord, et nous ferons plus ample connaissance...
            - Oh ! moi, dès demain je vous raconterai toute mon histoire ! Mais qu'y a-t-il ? On dirait qu'un prodige s'accomplit en moi... Où suis-je, mon Dieu ? Allons, dites-moi, est-ce que vous n'êtes pas contente de ne pas vous être fâchée comme aurait fait une autre, de ne pas m'avoir repoussé tout de suite ? Deux minutes et vous m'avez rendu heureux à jamais. Oui, heureux ! Qui sait, peut-être m'avez-vous réconcilié avec moi-même, résolu mes doutes... Peut-être que je suis sujet à de pareilles minutes... Enfin, demain je vous raconterai tout, vous saurez tout, tout...
            - Bon, j'accepte. C'est vous qui commencerez...
            - D'accord.
            - Au revoir !
            - Au revoir !
            Et nous nous sommes séparés. J'ai marché toute la nuit : je ne pouvais pas me décider à rentrer. J'étais si heureux !... A demain !


                                                               à suivre.............

                                               Deuxième nuit

            - Eh bien........
         

                                                                                     Dostoïevski
     

         
        

mardi 13 mars 2018

Pereira prétend Pierre-Henry Gomont Antonio Tabucchi ( Bande dessinée France Italie )

Pereira prétend
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                                                   Pereira prétend

            Portugal les années 30 Pereira, le sympathique héros de l'album adapté du roman d'Antonio Tabucchi, sort avec peine de chez lui. Il est seul, veuf et c'est l'été d'où une très forte chaleur. Mais Pereira est un lecteur, il travaille au Lesboa, journal qu'il croit indépendant mais est en fait inféodé au pouvoir. Et le pouvoir à ce moment c'est Salazar. Pereira est responsable de la page culturelle et si à ce moment il est surtout occupé à la traduction de Honorine de Balzac, texte qui plaît beaucoup aux lecteurs, son regard est attiré par un article de journal abandonné signalant la maîtrise obtenue par Monteiro Rossi, le sujet : rapport sur la vie et la mort. Pereira songe alors à lui confier la rubrique
" nécrologie consacrée à des auteurs vivants " Mais Rossi est un jeune révolutionnaire, ses
nécrologies une réunion d'idées politiques. Embarras de Pereira devant ces textes impubliables, mais
 les valeurs que défend Monteiro Rossi, si jeune, le touchent. Et durant les mois de cet été torride, le journaliste, le citoyen, le veuf et le profond catholique Pereira trouvera peut-être une sorte de paix.
Alors qu'il croit à la résurrection de l'âme ".... Pourquoi faut-il que la chair, cet amas de viande informe qui souffre et qui transpire, pourquoi aurait-il fallu que cela ressuscite ?...... " Mais Pereira ne vit pas vraiment seul. Quittant ou revenant à son logis, s'éloignant un temps, toujours il parle et emporte dans son bagage la photo de sa femme morte si jeune. Il converse, lui répond ? La période est cruelle aux jeunes en lutte contre les salazaristes. Dénonciations, arrestations. P.H. Gomont a recréé le personnage du beau roman de Tabucchi paru il y a plusieurs années, d'un trait fin il entoure la lourde silhouette de ce penseur qu'est Pereira qui perd quelques kilos au cours d'une cure de quelques jours. Les couleurs, ocre pour le journaliste deviennent verdâtres lorsque Pereira rencontre d'autres personnages, Rossi et son amie. Vraiment une belle et bonne BD. Un héros si éloigné de tout mensonge. " ...... Ce qui était important ne l'est plus, ce qui était secondaire devient primordial....... "

vendredi 9 mars 2018

L e Paresseux Le Fromage Saint-Amant ( Poème France )


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                                            Le Paresseux

            Accablé de paresse et de mélancolie,
            Je rêve dans un lit où je suis fagoté,
           Comme un lièvre sans os qui dort dans un pâté,
                Ou comme un Don Quichotte en sa morne folie.                                                                                                                     
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           Là, sans me soucier des guerres d'Italie,
           Du comte Palatin, ni de sa royauté,
          Je consacre un bel hymne à cette oisiveté
          Où mon âme en langueur est comme ensevelie.

          Je trouve ce plaisir si doux et si charmant,
          Que je crois que les biens me viendront en dormant,
          Puisque je vois déjà s'enfler ma bedaine,
            
          Et hais tant le travail, que les yeux entrouverts,
          Une main hors des draps, cher Baudoin, à peine                    
          Ai-je pu me résoudre à t'écrire ces vers.                                           twitter.com


                                                                  Marc-Antoine de Saint-Amant  - 1631  -
                                                                               ( 1594 - 1661 )


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                                             Le Fromage                                                      maisoncario.fr      
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            Assis sur le bord d'un chantier
            Avec des gens de mon mestier,
            C'est-à-dire avec une trouppe
            Qui ne jure que par la couppe,
            Je m'escrie, en laschant un rot :
            Beny soit l'excellent Bilot !
             Il nous a donné d'un fromage
            A qui l'on doit bien rendre hommage.
            Ô Dieu ! Quel manger précieux !
            Quel goust rare et délicieux !
            Qu'au prix de luy ma fantaisie
            Incague la saincte ambroisie !
            Ô doux cottignac de Baccus !
            Fromage, que tu vaux d'escus !
            Je veux que ta seule mémoire
             Me provoque à jamais à boire.

            A genoux, enfans debauchez,
            Chers confidents de mes pecherz
            Sus ! qu'à plein gosier on s'escrie :
            Beny soit le terroir de Brie !
            Beny soit son plaisant aspect !
            Qu'on n'en parle qu'avec respect !
            Que ses fertiles pasturages
            Soient à jamais exempts d'orages !
            Que Flore, avec ses beaux atours,
            Exerçant mille amoureux tours                                                      focus-cuisine.com
Résultat de recherche d'images pour "fromage brie de meaux"            Sur une immortelle verdure,
            Malgré la barbare froidure
            Au visage morne et glacé,                                                   
            Y tienne à jamais enlacé
             Entre ses bras plue blancs qu'albastre
             Le gay Printemps, qui l'idolastre !
             Que, comme autrefois Apollon
             Délaisse torche et violon,
             Et s'en vienne dans ces prairies,
             Dans ces grandes plaines fleuries,
             Garder, en guise de vacher,
             Un troupeau qui nous est si cher,
             Et dont la mamelle féconde
             Fournit de laict à tout le monde.
             Mais je veux l'encharger aussi
             Qu'il en plus de soucy,
             S'il faut qu'un jour il s'y remette,
             Qu'il ne fit de celui d'Admette,
             Lors que le patron des mattois
             Portant cinq crocs au lieu de doits
             Qui faisoient le saut de la carpe,
             Joua sur ses boeufs de la harpe,
             Et le laissa sous un ormeau
             Fluster son soul d'un chalumeau,
             Que jadis l'amoureux martyre
             Fit entonner au grand satyre.

Image associée            On dit que, quand il fut duppé
            Il estait si fort occuppé
            Dans une douce rêverie,
            Qu'il  n'en vit point la tromperie
            Chose estrange ! à mon jugement,
            De convaincre d'aveuglement
            Celuy dont la vertu premiere
            Ne consiste qu'en la lumiere !
            Tout beau, Muse, tu vas trop haut,
            Ce n'est pas là ce qu'il nous faut :
            Je veux que ton stile se change
            Pour achever cette louange.

            Encore un coup donc, compagnons,
            Du beau Denys les vrais mignons,
            Sus ! Qu'à plein gosier on s'escrie :
            Beny soit le terroir de Brie !

            Pont-l'Evesque, arrière de nous !
            Auvergne et Milan, cachez-vous !
            C'est luy seulement qui merite
                   Qu'en or sa gloire soit escrite ;                                                                                                       fr.123rf.com
Image associée            Je dis en or avec raison,
            Puis qu'il fera comparaison
            De ce fromage que j'honore
            A ce metal que l'homme adore :
            Il est aussi jaune que luy ;
            Toutefois, ce n'est pas d'ennuy,
            Car si tost que le doigt le presse,
            Il rit et se creve de gresse.
           Ô ! combien sa propriete
           Est necessaire à la santé !
           Et qu'il a de vertus puissantes
           Pour les personnes languissantes :
           Rien n'est de si confortatif ;
           C'est le meilleur preservatif
           Qu'en ce temps malade et funeste
           On puisse avoir contre la peste.

            Mais cependant que je discours,
            Ces goinfres-ci briffent tousjours,
            Et voudroient qu'il me prist envie
            De babiller toute ma vie.
            Hola ! gourmands, attendez-moy !
            Pensez-vous qu'un manger de roy
            Se doive traiter de la sorte ?
            Que vostre appetit vous emporte !
            Chaque morceau vaut un ducat,
            Voire six verre de muscat,
             Et vos dents n'auront point de honte
             D'en avoir fait si peu de conte.                                                                   imagesdubeaudumonde.com
PONT-L'ÉVÊQUE, la ville du fromage fleurie
            Bilot, qui m'en avois muny,
            Hé ! pourquoi n'est-il infiny
            Tout aussi bien en sa matiere
            Qu'il l'estoit en sa forme entière ?
            Pourquoy, tousjours s'apetissant,
            De lune devient-il croissant ?
            Et pourquoy si bas sous la nue,
            S'eclipse-t-il à notre veue ?
            Respons, toy qui fais le devin
            Crois-tu qu'un manger si divin,
            Vienne d'une vache ordinaire ?
            Non, non, c'est chose imaginaire.

            Quant à moy, je croy qu'il soit fait
            De la quintessence du lait
            Qu'on tira d'Yo transformée,
            Qui fut d'un Dieu la bien-aymée.
            Garçons, pour vous en assurer,
            Je ne craindray pas d'en jurer,
            Puisque sans contredit je trouve
            Que sa vieillesse me le prouve.

            Ô doux cotignac de Baccus !
            Fromage, que tu vaux d'escus !
            Je veux que ta seule mémoire
            Me provoque à jamais à boire.
                 


                                                         

                                                                  Marc-Antoine de Saint-Amant 
                                                                                 ( 1594 - 1661 )

mardi 6 mars 2018

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 86 Samuel Pepys ( Journal Ang ettleterre )

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                                                                                                                              16 janvier 1663

            Grasse matinée à causer avec ma femme et visite de Mr Battersby, l'apothicaire. Je fis apporter de l'échine de boeuf froide et nous mangeâmes et devisâmes ensemble, buvant du vin. Etait avec nous également le capitaine Brewer, notre peintre. Il me dit que les pasteurs presbytériens parlent toujours bien haut dans les cafés, ce qui me surprit. Après leur départ, promenade avec mon frère Tom, deux ou trois heures. Je lui dis combien mon esprit est tourmenté par les affaires de mon père et dans quelle situation ils se trouveraient s'il plaisait à Dieu de me rappeler à lui. je désire donc qu'il soit un bon intendant et qu'il s'applique à son travail, ce qui, je l'espère, est le cas. A midi, après dîner, ma femme recommence de parler d'une dame de compagnie. J'ai l'intention d'en engager une, et je serais content si Pall pouvait convenir, mais ma femme s'y oppose absolument. Si je prenais Pall, ce dont je n'ai guère envie non plus, ce serait seulement pour son bien et pour ne pas gaspiller d'argent à payer une étrangère. Puis à mon bureau où je travaille jusqu'à 9 heures à mon manuscrit sur la marine. Ensuite, de plus en plus tourmenté par l'affaire de mon oncle, à cause d'une lettre de mon père arrivée aujourd'hui qui m'apprend que tous ses métayers sont poursuivis en justice par mon oncle, ce qui va me coûter de nouveaux soucis. Rentrai souper à la maison, et au lit.


                                                                                                            17 janvier 1663
         
            Réveillé tôt l'esprit tourmenté par nos affaires en justice, mais les paroles d'Epictète " Certaines choses sont en notre pouvoir d'autres pas " me revinrent en mémoire et me procurèrent un grand apaisement, car il s'agit d'une maxime de sage.
            Lever et allai au bureau. Réunion avec Mr Coventry et Mr Pett de retour en ville. J'eus bien du regret d'avoir signé et fait signer à Mr Coventry une lettre de change réglant à Mr Creed ses émoluments de trésorier adjoint jusqu'à ce jour, alors qu'il n'exerce plus depuis cinq ou six mois. Constatant cela Mr Coventry effaça son nom, mais je vais me disculper auprès de lui d'avoir eu la moindre intention de l'induire en erreur. La réunion s'est prolongée jusqu'à 2 heures, puis à la maison pour dîner avec Creed. Après, pour me distraire de mes soucis j'emmenai Creed en fiacre au Théâtre du Duc où nous revîmes le spectacle des Cinq Heures, vraiment une excellente pièce, cependant à cause de mon inquiétude elle ne me sembla pas si bonne. Mais je vis que cela n'était pas dû à une quelconque imperfection de la pièce. Nous allâmes ensuite à la Taverne de la Chine où nous bûmes une ou deux bouteilles. Rentrai à la maison où je retrouve ma femme et son frère qui s'entretiennent de la fille de Mr Ashwell que nous engagerons probablement comme dame de compagnie pour ma femme. Et j'espère qu'elle conviendra, puisqu'il est nécessaire d'en engager une. Au bureau pour écrire des lettres et retour à la maison. Souper et au lit.
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                                                                                                                                             18 Janvier 1663
                                 Jour du Seigneur
            Lever et quand le barbier eut terminé et que j'eus parlé à Mr Smith, que j'avais envoyé chercher pour l'entretenir de l'affaire Field qui réclame 250 livres pour arrêter les poursuites, ce qui me tourmente fort, et aussi avec le major Allen du bureau des subsistances à propos de son vaisseau à affréter pour Tanger, je me rendis à l'office. Puis dînai seul avec ma femme, fort agréablement. Après dîner derechef à l'office où j'entendis un morne sermon bien ennuyeux. Ensuite à la maison et à mon bureau, ayant renouveler mes résolutions pour l'année car j'ai, tout à l'heure, devant Dieu tout puissant, juré de les respecter ou d'accomplir les pénitences si je ne m'y tiens pas. Allai voir ensuite comment se porte sir William Penn ( bien à contre-coeur car je ne puis être son ami, mais seulement pour qu'il ne puisse se plaindre à d'autres de ce que je ne vais point le voir ). Je le trouve assez bien et prêt à sortir. Puis à la maison, souper, prières et, au lit.


                                                                                                             19 Janvier 1663

            Lever et à Whitehall. Tandis que le Duc s'habille été présenter mes respects ) milord Sandwich assez souffrant, et en compagnie du Dr Clarke. Il a de la fièvre et a envoyé chercher Mr Pearse pour le saigner, mais celui-ci est introuvable, la chose est donc remise à ce soir. Il garde la chambre aujourd'hui. Puis chez le Duc, entretien habituel dans son cabinet et nous sommes quittés. J'aperçus Mr Coventry dans la grande galerie, je lui fis part des plaintes que je reçois journellement à propos de l'habitude qu'ont les trésoriers de ne jamais verser d'argent si ce n'est par l'intermédiaire des orfèvres chez qui l'on est obligé de payer 15 ou parfois 20 % pour toucher son argent, ce qui est une honte épouvantable et ne doit point être toléré. Il est peu probable que ces gens, le trésorier, souffre que l'orfèvre Maynell gagne impunément 10 000 livres par an comme actuellement, en faisant payer les gens pour toucher leur argent;
            Le Duc arriva et prit à part Mr Coventry avec qui il s'entretint pendant une demi-heure, se promenant dans la galerie puis dans le jardin. Après son départ je terminai ma conversation avec Mr Coventry qui me dit incidemment qu'il ne restait plus rien à amender dans  notre bureau, que tout s'améliorerait à son rythme, dans la mesure où le plus lent, sir William Batten, commence à prêter attention à ce qui se passe autour de lui et à s'appliquer à son travail. Entendant cela, Dieu me pardonne ! je ressentis un peu d'envie, pourtant je suis content, et avec raison, bien qu'ainsi mon souci de veiller à ce que le roi soit mieux servi qu'auparavant, soit diminué.
            Et en voiture chez Mr Covey, qui m'avait invité dans un message ce matin, et où il nous régala d'un repas tout à fait excellent et fort copieux,  exactement au goût de chacun que c'en était admirable. Il nous demanda en plaisantant ce qui nous ferait envie, et il s'engagerait à nous le fournir. Ce que nous fîmes, demandant crevettes, cygne, venaison, après que j'eus pensé que le dîner était tout à fait terminé, et on les apporta aussitôt. Je fus frappé par tant d'abondance. Il semble qu'il ne vive que pour cette abondance et l'élégance de sa maison, que nous visitâmes après dîner, pièce par pièce. Les murs sont tout couverts de tableaux exquis...... Et je vis son écurie où il garde de superbes chevaux et où même les râteliers sont peints ainsi que les mangeoires dotées d'une belle auge en plomb peinte, et les murs sont recouverts de carreaux hollandais, comme mes cheminées. Surtout, après cela, il me pria de descendre dans sa cave. Sur diverses étagères étaient posées debout des bouteilles contenant toutes sortes de vins, vieux et nouveaux et sur chaque bouteille était collée une étiquette Je n'ai jamais vu dans une librairie livres aussi bien ordonnés et en pareil nombre. Et de cela, je le vois, il tire sa plus grande satisfaction, et fait par conséquent l'éloge de tout ce qu'il possède, éloge mérité. Ont dîné avec moi le Dr Whore et Mr Scawen.
             A la maison je trouve Mrs Lodum causant avec ma femme de sa parente qu'on lui propose comme dame de compagnie. Je mis ensuite des choses en ordre au bureau, puis à la maison, et au lit.
Pour moi, le plus grand des réconforts est de percevoir mieux chaque jour le plaisir que l'on a de s'appliquer à ses affaires et le crédit que l'on en tire, choses qui, je l'espère, finiront par me rapporter du profit.
            Mr Clarke m'a conté comment milord Chesterfield a retiré sa femme ( la fille de milord Ormond ) de la Cour. A ce qu'il semble il était non seulement jaloux depuis longtemps du duc d'York, mais il les avait également trouvés tous deux en conversation, mais ils n'étaient pas seuls dans la pièce, et que la dame soit, de l'avis de tous, une femme très honnête, vertueuse. Le lendemain, ce dont le duc avait été averti par quelqu'un qui avait vu dans quel emportement se trouvait milord Chesterfield le soir précédent, lemari alla donc faire part au Duc de son sentiment qu'il lui avait causé grand tort en choisissant sa femme parmi toutes les femmes de la Cour pour être la cause de son déshonneur. A quoi le Duc répondit avec grand calme, faisant mine de ne point entendre la raison de sa plainte, et l'on en resta là. Mais milord expédia sur-le-champ sa femme à la campagne dans le Derbyshire, dans la région du Peak, ce dont la Cour a tiré un proverbe :  " Envoyer son épouse visiter le Cul-du-Diable lorsqu'elle contrarie son mari. "
            Ce midi j'ai trouvé Mr Dixon à Whitehall et me suis entretenu avec lui de la fille de Mr Wheatley, en vue de son mariage avec mon frère Tom, et l'ai chargé de s'enquérir des intentions de son père et de sa mère. J'ai exigé 300 livres de dot.


                                                                                                             20 Janvier 1663

            Levé de bonne heure et au bureau toute la matinée. Dînai à la maison avec Mr Deane de Woolwich, parlai des abus qui se pratiquent à l'arsenal, puis travail au bureau tout l'après-midi, fort content de me voir reconnu par tous comme le seul administrateur d'entre nous, mis à part Mr Coventry. Travaillai tard, puis rentrai, souper et coucher.


                                                                                                              21 Janvier
                                                                                                                      connaissancedesarts.com
Image associée            Levé tôt, laissé ma femme fort malade de ses mois au lit, et au bureau jusqu'à 8 heures. Charles Pepys arriva alors exigeant son legs. Je refusai pour la bonne raison que son père et son frère nous font un procès, sur quoi il s'en alla. Arriva le commissaire Pett et nous nous rendîmes, comme prévu à Deptford et, après un petit tour à l'arsenal, à Greenwich et à pied à Woolwiche. Nous réglâmes des affaires et je montai à bord du Tanger Merchant, vaisseau que nous avons chargé et dont l'envoi à Tanger est différé depuis longtemps mais qui est maintenant prêt à appareiller. Retour et dîner chez Mr Acworth, bon dîner et sa femme jolie et modeste. Mais, surtout, nous avons vu sa quenouille, et c'est, de toutes choses faites de main de femme, une des plus belles. Il faut que ma femme la voie. Montai ensuite à bord de l'Elias et trouvai à bord le bois rapporté de la forêt de Dean, bois d'excellente qualité. Le capitaine nous a donné, à chacun, deux bourriches d'huîtres en saumure, préparées pour la reine mère.
            Retour à l'arsenal et avec Mrs Acworth et une autre dame à Londres, à la taverne du Globe dans Eastcheap, leur avons offert un verre de vin avant de nous quitter. Rentré à la maison où j'apprends que ma femme, malade, n'a pas quitté le lit de la journée. Son visage est tout bouffi de douleur. Mon Will a reçu son salaire des deux derniers trimestres, ce dont je suis content. Au bureau jusque tard, puis à la maison et après que le barbier eut terminé, au lit.


                                                                                                               22 Janvier.

            Au bureau. Sir William Batten et sir John Mennes de retour après leur voyage à Portsmouth. Réunion jusqu'à l'heure du dîner. Puis à la maison et dîne avec Mr Dixon, comme convenu, me rend compte du succès de sa démarche auprès de Mr Wheatley au sujet de sa fille et de mon frère. En bref, il ressort que mon frère ne peut plaire à sa fille à cause de son défaut de prononciation, ce que je déplore, mais cette affaire doit en rester là, et il me faut chercher un autre parti.
            Arriva aussi Mrs Lodum qui apportait une réponse une réponse au sujet de la fille et de son frère, Mr Ashwelle, qui viendra probablement chez moi, et elle était accompagnée par le frère de ma femme. J'avais amené le commissaire Pett et je craignais donc de manquer de victuailles, mais ce fut un bon dîner fort joyeux. Ensuite à l'enterrement de Mr Russel, on nous offrit du vin et des bagues. Nombreuse assemblée d'échevins et des membres les plus éminents de la corporation des peaussiers.. Et à l'église de Dunstan-in-the-East. Sermon, mais je ne restai pas et rentrai à la maison. Après avoir écrit des lettres pris un fiacre et allai dîner chez Mr Povey. Il était absent, je laissai une lettre sur les affaires de Tanger, puis chez milord. Je ne le trouve pas souffrant mais il s'attend à un accès de fièvre ce soir. Etaient présents sir William Compton, Mr Povey, Mr Bland, Mr Gauden, avons travaillé à envoyer des vivres à Tanger........ de rassembler des vaisseaux grands et petits, à Plymouth, d'une capacité d'environ 150 tonneaux et de les remplir du biscuit fourni par Mr Gauden . Ils s'engagent à m'apporter leur appui dans cette tâche et veilleront à ce que le fret soit payé. Vers 10 heures nous levâmes la séance et comme milord se sentait fiévreux, nous nous séparâmes et avec Mr Creed, le Dr Pearse, Will Howe et le capitaine Ferrer presque ivre et extravagant et querelleur, nous soupâmes dans la petite chambre que j'occupais autrefois, de quelques volailles envoyées par Mr Shipley. Soirée gaie et nous nous séparâmes à minuit. Je dormis avec Mr Creed, chez lui, et passai une bonne nuit.


                                                                                                            23 Janvier

            Lever et pressai Creed d'expédier une affaire concernant Tanger, et m'en fus chez moi ayant appris que milord avait eu un mauvais accès de fièvre. Visitai mon frère que je trouve au lit, souffrant d'une douleur dans la plante d'un pied, sans enflure. Il n'en connaît pas l'origine mais ne peut se tenir debout depuis deux jours. Chez Mr Moore et comme Mr Lovell était là avons parlé de mon affaire en justice. Puis chez Mr Graunt pour le prier de prendre de l'argent pour Mr Barlow, et ensemble allâmes dans un café où nous retrouvâmes sir John Cutler qui démontra, dans la conversation, que l'industrie de l'Angleterre se portait mieux que jamais, mais était seulement répartie entre davantage de mains, et que les artisans sont plus nombreux que jamais parce que les gens prennent d'avantage d'apprentis, parce qu'ils ont d'avantage d'argent. Discours fort instructif.
            Revenant par la barrière du Temple j'achetai La Manière de devenir riche, opuscule fort sérieux qui mérite que je m'y arrête. Repris ensuite le chemin de la maison, rencontrai sir William Batten, fis demi-tour et entrai dans un café où je bus encore, jusqu'à être presque malade. Beaucoup de bavardage mais peu de nouvelles, à part la découverte dans le Nord d'un projet de soulèvement parmi des gens de condition qui ont été arrêtés. Ensuite à la Bourse et à la maison avec lui en fiacre. Allai voir comment se porte ma femme bien rétablie, puis allai dîner chez sir William Batten d'une tête de morue. Ensuite à mon bureau et après avoir fait un saut pour voir sir William Penn où se trouvaient sir John Lawson, sa femme et sa fille assez jolie, retour au bureau et travaillai tard. J'ai fini de tracer les marges de mon manuscrit sur la marine. Puis à la maison, et au lit.


                                                                                                                24 Janvier 1663

            Grasse matinée, et comme j'avais dormi avec mon drap sur la bouche, comme je l'ai remarqué depuis longtemps, j'avais le matin la lèvre supérieure boursouflée. Au bureau toute la matinée, réunion jusqu'à midi. A la Bourse m'enquérir d'un vaisseau pour Tanger, et déposai mon manuscrit chez le relieur. Dînai à la maison puis me rendis à Rotherhite pour vérifier l'état de préparation  d'un vaisseau affrété pour Tanger. Je le trouve prêt à appareiller. A la maison et ensuite en fiacre chez Mr Povey où sir William Compton, Mr Bland, Gauden et sir John Lawson devions nous rencontrer afin d'établir les comptes de l'approvisionnement de Tanger pour la période passée. Ce fut fait avec bien des difficultés, et pour les six mois à venir.
            A la maison dans la voiture de Mr Gauden et à mon bureau où je travaillai tard. Je vois bien que c'est par le travail que je dois avancer, et que j'avance chaque jour dans le monde. Puis à la maison, souper et au lit.

                                                                                                                   
                                                                                                                       25 Janvier
  youtube.com                                                                                  Jour du Seigneur
            Resté au lit jusqu'à 9 heures. Lever et après m'être fait raser par le barbier, à pied à Whitehall , visitai Mr Moore encore souffrant de sa fièvre. Parlâmes des biens de milord avant l'entretien que j'aurai avec lui aujourd'hui. Puis à la table d'hôte de la Tête du Roi dans Charing Cross  et envoyai chercher Mr Creed. Avons fort bien dîné, bonne compagnie et agréable conversation. Il m'apparaît que le roi de France a entrepris de consulter ses théologiens sur la vieille question de l'autorité du pape, et qu'il a l'intention de lui faire la guerre à moins qu'il ne répare le tort fait à son ambassadeur et ne banisse le cardinal impérial. Je comprends seulement aujourd'hui qu'il ne s'agit point du cardinal dépendant de l'Empereur ou choisi par lui, mais que son nom de famille est Imperiali.
            Ensuite promenade de 2 heures dans le parc, à deviser, car la journée est ensoleillée, quoique froide. Conversation sur la plupart des personnes que nous connaissons élevées à de grands honneurs, d'où il ressort que leur succès est l'ouvrage de la chance, et non de l'intrigue, quel que soit celui que l'on considère, en particulier sir John Lawson, qui s'était déclaré sur la Tamise contre Charles Stuart et pour le Parlement croupion.            Puis chez milord rétabli de sa fièvre, et je m'entretins avec lui une heure dans son cabinet, de diverses affaires publiques et privées. Il est entre autre dans l’incertitude quand au projet que fait le Duc de se rendre à Portsmouth ces jours ci avec sa femme à une pareille époque de l'année voilà, pensons-nous, qui n'augmenterait guère sa popularité, et ne serait pas prudent si l'effet devait être mauvais. Sur ce arrive milady Wright. Je me retirai donc. Plus tard causai avec le capitaine Ferrer, il me dit que milady Castlemaine et sir Charles Berkeley sont les grands favoris à la Cour et que leur faveur grandit chaque jour, et qu'à l'issue d'une querelle récente entre milord Chesterield, qui est lord Chambellan de la reine et Mr Edward Montagu, son grand écuyer, pour savoir qui devrait avoir la préséance hors du palais, ce que revendique Mr Montagu, c'est à milord Chesterfield qu'elle fut accordée. Je vois par là que Montagu décline en crédit et pour tout, chaque jour qui passe. A pied ensuite chez mon frère. Il me dit qu'aujourd'hui est arrivé un messager annonçant que le colonel Honywood, hier bien portant à Cantorbéry, a été jeté à terre en montant sur son cheval, s'est rompu la tête et a trépassé. Puis à la maison et au bureau où j'expédiai certaines affaires, à la maison pour souper, prières et au lit.


                                                                                                      26 Janvier

            Lever et par bateau avec sir William Batten à Whitehall, bus un verre de vin d'armoise à la taverne de Steelyard, puis chez le Duc, et réunion avec les autres officiers, comme d'habitude. Chez milord Dandwich, mais il était au lit après un mauvais accès de fièvre dans la nuit. Me rendis à la Grand-Salle de Westminster, car les tribunaux sont en session et je suis tourmenté à la pensée que j'ai moi-même des affaires de cette espèce pour me soucier et occuper mes pensées. Rencontrai Monsieur Raby tout juste de retour de France. Il me dit que milord Hinchingbrooke et son frère font peu de progrès et sont fort négligés dans leur toilette entre autres. Mais je suis persuadé qu'il veut se faire nommer tuteur auprès d'eux et ne puis donc croire ce qu'il me dit. Mais nous eûmes une longue et excellente conversation....... me parla des grandes affaires de la France. Il me dit que le roi est un prince tout à fait excellent qui conduit lui-même toutes les affaires du royaume. Et qu'il est vrai qu'il a une maîtresse, Mademoiselle de La Vallière *, une des dames d'honneur de la princesse Henriette, à qui il fait la cour pour son plaisir, un jour sur deux, mais sans que cela lui fasse négliger les affaires publiques. Il me dit que le roi se conduit noblement envers la famille du défunt cardinal et qu'il ne souffre pas que soit publiée la moindre pasquinade contre lui. Et qu'il agit selon les instructions qu'il a reçues avant sa mort.                                                                                        *                       
Résultat de recherche d'images pour "corset femme 17è sc"            Après avoir longuement conversé je le conduisis en fiacre chez        milord Crew, et j'allai moi dîner chez Mr Povey où se trouvaient Orlando  Massam, Mr Wilkes de la Garde-Robe et Mr Gauden. On nous servit un dîner tout à fait semblable à celui de l'autre jour.
            Mais sa perspective est ce que j'admire le plus. Il ouvrit pour moi la porte de son cabinet, et je vis qu'il n'y avait rien là, qu'un simple tableau au mur.
            Après dîner avec Mr Gauden entreprîmes de régler la question du ravitaillement de Taner, et il m'apparaît qu'aucun des membres de la commission n'y entend toujours rien, à part moi.
            En voiture à Whitehall et réunion de la commission de Tanger. Principal entretien sur la manière de préparer le départ de milord Rutherford à la mi-mars prochaine, et sur une proposition de sir John Lawson et de Mr Cholmley à propos de la construction du môle renvoyée à une séance ultérieure.
            En fiacre à la maison, d'humeur mélancolique. Je suis surchargé de travail et je crains d'avoir fait tort à Mr Coventry, ou alors il a remarqué que depuis quelque temps je ne travaille plus comme par la passé, ce qui est vrai, je le confesse. Mais il ne s'agit peut-être que de mes incertitudes habituelles. Seulement il ne m'aime plus autant qu'auparavant........
            A la maison et, après avoir un peu causé avec ma femme, au bureau où j'expédiai un grand nombre d'affaires jusque très tard. Puis à la maison , souper et, au lit.


                                                                                                             27 Janvier

            Lever et au bureau, réunion jusqu'à 2 heures. A la maison pour dîner. Arrive Creed, avons parlé de notre affaire de Tanger. Et je constate que rien en ce monde  ne se fait avec une véritable intégrité, sans que le calcul y prenne part. C'est le cas pour milord Rutherford, qui espère s'octroyer le profit du ravitaillement de la garnison, tandis que d'autres pensent prendre le bénéfice de la construction du môle.. De sorte que je serais presque découragé de retourner à la commission, s'il n'y avait cette possibilité que par là j'accède dans l'avenir à l'intimité des grands. Puis retour au bureau, fort occupé jusqu'à 10 heure du soir. A la maison, souper et au lit.
            J'ai appris aujourd'hui de Cambridge que mon frère a reçu sa toque de bachelier. Mais ce qui me tourmente, c'est qu'il a la maladie de la pierre, il lui est fort douloureux d'uriner et ses urines sont mêlées de sang. Tout comme cela avait commencé pour moi. Veuille le Seigneur lui venir en aide.


                                                                                                       28 Janvier 1663

              Lever et travail au bureau toute la matinée, et à la maison pour voir mesurer l'ouvrage de mes peintres, dîner et sortis avec ma femme que je conduisis chez Unthank et je continuai jusque chez milord Sandwich qui se porte fort bien et joue aux dés.........  Puis dans le quartier du Temple chez mon cousin Roger Pepys, et de là chez le sergent Bernard pour le consulter et le retenir pour plaider contre mon oncle. J'ai la tête et le coeur bien lourds à cause de cette affaire. Puis chez Wotton le bottier à qui j'achetai une autre paire de bottes en remplacement de celles que j'ai achetées à mon dernier voyage et qui ne me vont pas. Et je bus avec lui et sa femme, qui est jolie. Ils ont mis en perce un tonneau de cidre pour moi. Retour à la maison où je retrouve ma femme qui semble avoir pleuré, car, alors qu'elle rapportait en fiacre son nouveau corselet de ferrandine à la maison, un homme dans Cheapside lui demanda si c'était le bon chemin pour aller à la Tour, et tandis qu'elle lui répondait, un second de l'autre côté se saisit de son paquet qu'elle tenait sur ses genoux et s'enfuit sans qu'on pût le rattraper, ce qui m'irrite fort mais on ne peut rien faire.
            Allai et restai au bureau jusqu'à presque minuit avec Mr Lewis, pour comprendre comment les commissaires de marine établissent leur comptabilité, ce qui est fort difficile et à quoi mes collègues officiers entendent peu de chose , pourtant d'une utilité considérable. M'interrompis enfin, très satisfait, et à la maison, souper et, au lit.


                                                                                                      29 Janvier

            Resté un moment couché à réprimander ma femme, puis, content d'elle, au lit, ai bien voulu qu'elle se fasse faire un nouveau corselet en remplacement de celui qu'elle a perdu hier. Puis au bureau et réunion toute la matinée. A midi dîné avec Mr Coventry chez sir John Mennes, pour la première fois, et je regrette de l'avoir fait aujourd'hui, parce qu'obligé de lui rendre la pareille. Le vieux capitaine Marsh, de la Tour, était aussi présent. Rendis ensuite visite à sir William Penn, puis au bureau où j'ai travaillé tard tout seul, mon commis Will étant aujourd'hui souffrant. Ensuite à la maison, souper et, au lit.


                                                                                                            30 Janvier

            Jeûne solennel pour le meurtre du roi. Et nous fûmes forcés de l'observer plus que nous ne l'aurions voulu, ayant oublié de garnir notre garde-manger.
Elderly Couple Reading            Me rendis à l'office le matin. Mr Mills fit un bon sermon sur les remords de conscience de David pour avoir déchiré le vêtement de Saül.
            A la maison et causé avec ma femme une partie de l'après-midi pour passer le temps. Ensuite au bureau tout seul pour faire les comptes du mois, fort tourmenté de constater que je n'ai pas plus de 640 livres, mais j'ai eu de grosses dépenses ce mois-ci. Fasse le ciel que le suivant soit un peu meilleur ! Le soir on m'a rapporté mon manuscrit joliment relié, à mon entière satisfaction. Je pense avoir maintenant une plus belle collection d'ouvrages sur le marine, où du moins sera-ce le cas lorsque je l'aurai complétée, qu'aucun de mes prédécesseurs. A la maison pour manger quelque chose, ce que j'ai pu trouver, une tartine de beurre et du lait. Puis, au lit.
artuk.org

                                                                                                          31 Janvier

            Lever et à mon bureau où réunion jusqu'à midi. Revins à la maison pour dîner et trouvai ma gravure du Sovereign avec sa description  envoyée par Mr Christopher Pett, ce qui me réjouit fort. Ensuite le dîner servi en retard et pas très bon, rien qu'un lapin à moitié cuit, ce qui me fâcha contre ma femme. Au bureau où je restai tard à travailler sans relâche. Dans la soirée examinai la lettre de ma femme à milady et une autre à Mademoiselle. L'ortographe en était si mauvaise qu'elles me firent honte et furent la raison de ma querelle avec ma femme, avec pour résultat qu'elle n'écrivit rien du tout. J'en fus cependant désolé parce qu'il s'agissait d'une réponse à une lettre de Mademoiselle, au sujet d'affaires. Rentré tard à la maison pour souper et, au lit.


* Note de la Biblio d R.. : N"oublions pas Dumas et ses Mousquetaires. L'histoire de Mle de La Vallière est contée dans la suite " Le vicomte de Bragelonne ".

*  histoires-d-histoire.webnode.fr

                                                                                          à suivre 1er février 1663
                                                                              Jour du Seigneur

            Lever et à l'office............






vendredi 2 mars 2018

Au revoir là-haut Pierre Lemaître - roman France )

                                                                                                                 



                                                                 

                                                                         

                                                                               
                     Au revoir là-haut
                                                                                                                      
            1918. - Quelques jours avant la signature de l'armistice. Novembre. Albert "... perd l'équilibre... court plusieurs mètres... malgré les balles qui sifflent tout autour de lui... " Ce que le soldat découvre transforme sa vie que le lieutenant Henri Pradelle voudra transformée en vie de mort-vivant. Mais arrive Edouard Péricourt, et le drame prend corps, alors que la fin de cette guerre de 1914/18 a fait des millions de morts abandonnés sur les champs de bataille. Des morts sans nom, des morts pour qui des familles paieront pour des monuments aux morts. Et là nous sommes déjà au milieu du livre avalé tant l'intrigue et les rebondissements retiennent les lecteurs. Sont entrés en scène auparavant Marcel Péricourt homme d'affaires, banquier, proche des ministres, sa fille Madeleine, père et soeur d'Edouard. Des caractères entiers, intelligence et bonnes manières, sans un accroc, la petite Louise jolie, compréhensive, Merlin, une vie de fonctionnaire, sans grade, passé sans gloire, d'une propreté douteuse. Les finances de l'Etat exsangues, les soldats démobilisés ne reçoivent que peu et tardivement une solde, le travail est rare pour les gueules cassées, les estropiés. Alors l'un des héros, pour tromper le temps et l'adversité sort de l'ombre en restant inconnu, il monte avec son complice, aide, frère d'armes, l'arnaque qui vainquit même les plus retors en affaires. L'arnaque aux Monuments aux Morts. Fin dessinateur, il prépare tout, des modèles aux catalogues, mais sous morphine toujours depuis l'obus qui lui a arraché une partie du visage. Le temps a passé, 1920.  14 juillet, date butoir pour la réussite du projet L'écriture est efficace, celle d'un auteur de romans policiers, primé plusieurs fois, apprécié dès avant le prix, un vrai plaisir de lecteur amateur de romans bien enlevés. Prix Goncourt 2013, puis film joué et filmé par Albert Dupontel césarisé en 2018.

Dans l'ombre Edouard Philippe et Gilles Boyer ( Roman France )

Dans l'ombre
                  fnac.com


                                         Dans l'ombre

            Dans quelle catégorie inscrire ce gros volume, très dense, daté et minuté ? C'est une fiction certes d'un tel réalisme que l'on ne peut s'empêcher de se remémorer certains événements des années précédentes, quant aux noms chacun chasse le bon et le méchant selon son choix politique. L'actuel premier ministre, Edouard Philippe, entré en politique de longue date, et son adjoint ont écrit le roman policier de la politique. Les corrompus, les sans-visage, les passe-droits, la gangrène d'une société décrite farouche dans la sauvegarde de ses droits passés et de ses espérances.
C'est l'histoire des trois mois précédant l'élection présidentielle. Plus exactement d'un appparatchik totalement lié au Patron de son parti politique. Qu'est-ce qu'un apparatchik "..... Je l'ai toujours été. Je ne me suis jamais pris pour un homme politique....... Dans mon monde les politiques et les apparatchiks vivent ensemble...... " Le journal de campagne débute le 16 février à 10h15, à Lille, fief  de Marie-France Trémeau battue de 500 voix lors de la première élection à la primaire et premier vote également électronique. Et voilà comment commence le premier jour d'une lutte pour le déplacement des voix des petits ou plus importants partis tels les Radicaux et les Centristes, ces derniers peu appréciés de l'apparatchik en raison de leur " ni oui, ni non ". Fin de l'épisode crucial pour les électeurs et les élus le dimanche 9 mai à 17h33. Entre les deux dates, 560 pages, accusation de fraude, jalousie, rancoeurs, morts et autres tabassages. Des personnages sympathiques apparaissent sous la plume de l'apparatchik qui ne dort guère, surmène son cerveau à force de déchiffrer les propos tendancieux de ses interlocuteurs, le petit Caligny surnommé Winston et son oncle, Gustave ou Tonton flingueur, Marilyn, célibataire et sans enfant,  au service de presse gère les mots et les passages médias du Patron, Démosthène écrit les discours et quelques autres. Et les félons se cachent apparaissent, se jalousent d'une heure l'autre les projections sont annulées. " ...... Personne n'imagine la masse de travail, d'hésitations, de calculs....... vous êtes tenus de vous poser les trois grandes questions de la politique  : qu'est-ce que je veux dire....... et à ce stade apparaissent les communicants, appelés les Sorciers....... Le Patron était devenu le candidat, une chose, un produit, un concept...... Le premier cercle était miné par le soupçon........ Ceux qui étaient prêts à tuer, voulaient-ils faire sortir la rumeur ou voulaient-ils l'étouffer....... Normalement après le premier tour tout est joué. C'est un principe de base......  Il suffit de voir qui est en tête, d'additionner pour constater où se situe l'équilibre des voix entre droite et gauche, de comparer avec les trois élections précédentes, et vous savez...... "Le roman est bien mené, bien écrit. pas de temps mort, huilé et tant de chausses-trappes. Calculée et minutée une élection à haut risque, avec sans doute des hackers qui ne disent par leurs noms. Bon livre , bons personnages, les détails d'un événement bien connu, de l'extérieur.