dimanche 13 janvier 2019

Les Fraises Emile Zola ( Nouvelle France )


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                                                       Les Fraises

                                                                 I

            Un matin de juin, en ouvrant la fenêtre, je reçus au visage un souffle d'air frais. Il avait fait pendant la nuit un violent orage. Le ciel paraissait comme neuf, d'un bleu tendre, lavé par l'averse jusque dans ses petits coins. Les toits, les arbres dont j'apercevais les hautes branches entre les cheminées, étaient encore trempés de pluie, et ce bout d'horizon riait sous le soleil jaune. Il montait des jardins voisins une bonne odeur de terre mouillée.
            - Allons, Ninette, criai-je gaiement, mets ton chapeau, ma fille... Nous partons pour la campagne.
            Elle battit des mains. Elle eut terminé sa toilette en dix minutes, ce qui est très méritoire pour une coquette de vingt ans.

                                                                  II

            Quels bois discrets, et que d'amoureux y ont promené leurs amours ! Pendant la semaine, les taillis sont déserts, on peut marcher côte côte, les bras à la taille, les lèvres se cherchant, sans autre danger que d'être vus par les fauvettes des buissons. Les allées s'allongent, hautes et larges, à travers les grandes futaies ; le sol est couvert d'un tapis d'herbe fine, sur lequel le soleil, trouant les feuillages, jette des palets d'or. Et il y a les chemins creux, des sentiers étroits, très sombres, où l'on est obligé de se serrer l'un contre l'autre. Et il y a encore des fourrés impénétrables, où l'on peut se perdre, si les baisers chantent trop haut.                                                        jmrabby.oiseaux.net
            Ninon quittait mon bras, courait comme un jeune chien, heureuse de sentir les herbes frôler ses chevilles. Puis elle revenait et se pendait à mon épaule, lasse, caressante. Toujours le bois s'étendait, mer sans fin aux vagues de verdure. Le silence frissonnant, l'ombre vivante qui tombait des grands arbres nous montaient à la tête, nous grisaient de toute la sève ardente du printemps. On redevient enfant dans le mystère des taillis.
            - Oh ! des fraises ! des fraises ! cria Ninon en sautant un fossé comme une chèvre échappée, et en fouillant les broussailles.

                                                                       III

            Des fraises, hélas ! non, mais des fraisiers, toute une nappe de fraisiers qui s'étalait sous les ronces.
            Ninon ne songeait plus aux bêtes dont elle avait une peur horrible. Elle promenait gaillardement les mains au milieu des herbes, soulevant chaque feuille, désespérée de ne pas rencontrer le moindre fruit.
            - On nous a devancés, dit-elle avec une moue de dépit... Oh ! dis, cherchons bien, il y en a sans doute encore.
            Et nous nous mîmes à chercher avec une conscience exemplaire. Le corps plié, le cou tendu, les yeux fixés à terre, nous avancions à petits pas prudents, sans risquer une parole, de peur de faire envoler les fraises. Nous avons oublié la forêt, le silence et l'ombre, les larges allées et les sentiers étroits. Les fraises, rien que les fraises. A chaque touffe que nous rencontrions, nous nous baissions et nos mains frémissantes se touchaient sous les herbes.
            Nous fîmes ainsi plus d'une lieue, courbés, errant à droite, à gauche. Pas la plus petite fraise. Des fraisiers superbes, avec de belles feuilles d'un vert sombre. Je voyais les lèvres de Ninon se pincer et ses yeux devenir humides.

                                                                          IV                                            fatrasenbleu.blog50.com

            Nous étions arrivés en face d'un vaste talus sur lequel le soleil tombait droit, avec des chaleurs lourdes. Ninon s'approcha de ce talus, décidée à ne plus chercher ensuite. Brusquement elle poussa un cri aigu. J'accourus, effrayé, croyant qu'elle s'était blessée. Je la trouvai accroupie ; l'émotion l'avait assise par terre, et elle me montrait du doigt une petite fraise, à peine grosse comme un pois, mûre d'un côté seulement.
            - Cueille-la, toi, me dit-elle d'une voix basse et caressante.
            Je m'étais assis près d'elle, au bas du talus.
            - Non, répondis-je, c'est toi qui l'as trouvée, c'est toi qui dois la cueillir.
            - Non, fais-moi ce plaisir, cueille-la !
            Je me défendis tant et si bien que Ninon se décida enfin à couper la tige de son ongle. Mais ce fut une bien autre histoire, quand il fallut savoir lequel de nous deux mangerait cette petite fraise qui nous coûtait une bonne heure de recherches. A toute force, Ninon voulait me la mettre dans la bouche. Je résistai fermement ; puis je finis par faire des concessions, et il fut arrêté que la fraise serait partagée en deux.
            Elle la mit entre ses lèvres, en me disant avec un sourire :
            - Allons, prends ta part.
            Je pris ma part. Je ne sais si la fraise fut partagée fraternellement. Je ne sais même si je goûtai à la fraise, tant le miel du baiser de Ninon me parut bon.

  motsetmaux                                                                  V

            Ce talus était couvert de fraisiers, et ces fraisiers-là étaient des fraisiers sérieux. La récolte fut ample et joyeuse. Nous avions étalé à terre un mouchoir blanc, en nous jurant solennellement d'y déposer notre butin, sans rien en détourner. A plusieurs reprises pourtant, il me sembla voir Ninon porter la main à sa bouche.
            Quand la récolte fut faite, nous décidâmes qu'il était temps de chercher un coin d'ombre pour déjeuner à l'aise. Je trouvai à quelques pas un trou charmant, un nid de feuilles. Le mouchoir fut religieusement placé à côté de nous.
           Grands dieux ! qu'il faisait bon là, sur la mousse, dans la volupté de cette fraîcheur verte ! Ninon me regardait avec des yeux humides. Le soleil avait mis des rougeurs tendres sur son cou. Comme elle vit toute ma tendresse dans mon regard, elle se pencha vers moi, en me tendant les deux mains, avec un geste d'adorable abandon.
            Le soleil, flambant sur les hauts feuillages, jetait des palets d'or, à nos pieds, dans l'herbe fine. Les fauvettes elles-mêmes se taisaient et ne regardaient pas. Quand nous cherchâmes les fraises pour les manger, nous nous aperçûmes avec stupeur que nous étions couchés en plein sur le mouchoir.



                                                                            Émile Zola

vendredi 11 janvier 2019

Arthur Alphonse Daudet ( Nouvelle France )







                                                                Arthur

             Il y a quelques années j'habitais un petit pavillon aux Champs-Elysées, dans le passage des Douze-Maisons. figurez-vous un coin de faubourg perdu, niché au milieu de ces grandes avenues aristocratiques, si froides, si tranquilles, qu'il semble qu'on y passe qu'en voiture. Je ne sais quel caprice de propriétaire, quelle manie d'avare ou de vieux laissait traîner ainsi au coeur de ce beau quartier, ces terrains vagues, ces petits jardins moisis, ces maisons basses, bâties de travers, avec l'escalier en dehors et des terrasses de bois pleines de linge étendu, de cages à lapins, de chats maigres, de corbeaux apprivoisés. Il y avait là des ménages d'ouvriers, de petits rentiers, quelques artistes ( on en trouve partout où il reste des arbres ), et enfin deux ou trois garnis d'aspect sordide, comme encrassés par des générations de misères. Tout autour la splendeur et le bruit des Champs-Elysées, un roulement continu, un cliquetis de harnais et de pas fringants, les portes cochères lourdement refermées, les calèches ébranlant les porches, des pianos étouffés, les violons de Mabille, un horizon de grands hôtels muets, aux angles arrondis, avec leurs vitres nuancées par des rideaux de soie claire et leurs hautes glaces sans tain, où montent les dorures des candélabres et les fleurs rares des jardinières.
            Cette ruelle noire des Douze-Maisons, éclairée seulement d'un réverbère au bout, était comme la coulisse du beau décor environnant. Tout ce qu'il y avait de pavillons dans ce luxe venait se réfugier là : galons de livrées, maillots de clowns, toute une bohème de palefreniers anglais, d'écuyers du Cirque, les deux petits postillons de l'Hippodrome avec leurs poneys jumeaux et leurs affiches -réclames, la voiture aux chèvres, les guignols, les marchandes d'oublies, et puis de tribus d'aveugles qui revenaient le soir, chargés de pliants, d'accordéons, de sébiles. Un de ces aveugles se maria pendant que j'habitais le passage. Cela nous valut toute la nuit un concert fantastique, de clarinettes, de hautbois, d'orgues, d'accordéons, où l'on voyait très bien défiler tous les ponts de Paris avec leurs psalmodies différentes... A l'ordinaire cependant, le passage était assez tranquille. Ces errants de la rue ne rentraient qu'à la brune, et si las ! Il n'y avait de tapage que le samedi, lorsque Arthur touchait sa paye.
            C'était mon voisin, cet Arthur. Un petit mur de treillage séparait seul mon pavillon du garni qu'il habitait avec sa femme. Aussi, bien malgré moi, sa vie se trouvait mêlée à la mienne ; et tous les samedis j'entendais, sans en rien perdre, l'horrible drame si parisien qui se jouait dans ce ménage d'ouvriers. Cela commençait toujours de la même façon. La femme préparait le dîner, les enfants tournaient autour d'elle. Elle leur parlait doucement, s'affairait.. Sept heures, huit heures : personne... A mesure que le temps se passait, sa voix changeait, roulait des larmes, devenait nerveuse. Les enfants avaient faim, sommeil, commençaient à grogner. L'homme n'arrivait toujours pas. On mangeait sans lui. Puis, la marmaille couchée, le poulailler endormi, elle venait sur le balcon de bois, et je l'entendais dire tout bas en sanglotant : " Oh ! la canaille ! la canaille ! "
            Des voisins qui rentraient la trouvaient là. On la plaignait.
            - Allez donc vous coucher, madame Arthur. Vous savez bien qu'il ne rentrera pas, puisque c'est jour de payer.
            Et des conseils, des commérages.
            - A votre place, voilà comme je ferais... Pourquoi ne le dites-vous pas à son patron ?
            Tout cet apitoiement la faisait pleurer davantage, mais elle persistait dans son espoir, dans son attente, s'y énervait, et, les portes fermées, le passage muet, se croyant bien seule, restait accoudée là, ramassée toute dans une idée fixe, se racontant à elle-même et très haut ses tristesses avec ce laisser-aller du peuple qui a toujours une moitié de sa vie dans la rue. C'étaient des loyers en retard, les fournisseurs qui la tourmentaient, le boulanger qui refusait le pain... Comment ferait-elle, s'il rentrait encore sans argent ? A la fin, la lassitude la prenait de guetter les pas attardés, de compter les heures. Elle rentrait ; mais longtemps après, quand je croyais tout fini, on toussait près de moi sur la galerie. Elle était encore là, la malheureuse, ramenée par l'inquiétude, se tuant les yeux à regarder dans cette ruelle noire, et n'y voyant que sa détresse.
            Vers une heure, deux heures, quelquefois plus tard, on chantait au bout du passage. C'était Arthur qui rentrait. Le plus souvent, il se faisait accompagner, traînait un camarade jusqu'à sa porte.
            - Viens donc... viens donc..., et même là, il flânait encore, ne pouvait se décider à rentrer, sachant bien ce qui l'attendait chez lui... En montant l'escalier, le silence de la maison endormie qui lui renvoyait son pas lourd le gênait comme un remord. Il parlait seul, tout haut, s'arrêtant devant chaque taudis :
            - Bonsoir, ma'me Weber... bonsoir, ma'me Mathieu.
            Et si on ne lui répondait pas, c'était une bordée d'injures, jusqu'au moment où toutes les portes, toutes les fenêtres s'ouvraient pour lui renvoyer ses malédictions. C'est ce qu'il demandait. Son vin aimait le train, les querelles, et puis, comme cela, il s'échauffait, arrivait en colère, et sa rentrée lui faisait moins peur.
            Elle était terrible, cette rentrée...
            - Ouvre, c'est moi...
            J'entendais les pieds nus de la femme sur le carreau, le frottement des allumettes, et l'homme qui, dès en rentrant, essayait de bégayer une histoire, toujours la même : les camarades, l'entraînement " Chose, tu sais bien...Chose qui travaille au chemin de fer. " La femme ne l'écoutait pas :
            - Et l'argent ?
            - J'en ai plus, disait la voix d'Arthur.
            - Tu mens !...
            Il mentait en effet. Même dans l'entraînement du vin, il réservait toujours quelques sous, pensant d'avance à sa soif du lundi ; et c'est ce restant de paye qu'elle essayait de lui arracher. Arthur se débattait.
            - Puisque je te dis que j'ai tout bu ! criait-il sans répondre, elle s'accrochait à lui de toute son indignation, de tous ses nerfs, le secouait, le fouillait, retournait ses poches. Au bout d'un moment, j'entendais l'argent qui roulait par terre, la femme se jetant dessus avec un rire de triomphe.
            - Ah ! tu vois bien !
            Puis un juron, des coups sourds... c'est l'ivrogne qui se vengeait. Une fois en train de battre, il ne s'arrêtait plus. Tout ce qu'il y a de mauvais, de destructeur dans ces affreux vins de barrière, lui montait au cerveau et voulait sortir. La femme hurlait, les derniers meubles du bouge volaient en éclats, les enfants réveillés en sursaut pleuraient de peur. Dans le passage, les fenêtres s'ouvraient. On disait :
            - C'est Arthur ! c'est Arthur !...
            Quelquefois aussi le beau-père, un vieux chiffonnier qui logeait dans le garni voisin, venait au secours de sa fille ; mais Arthur s'enfermait à clef pour ne pas être dérangé dans son opération. Alors, à travers la serrure, un dialogue effrayant s'engageait entre le beau-père et le gendre et nous en apprenions de belles.
            - T'en as donc pas assez de tes deux ans de prison, bandit ? criait le vieux. Et l'ivrogne, d'un ton superbe :
            - Eh bien, oui ! j'ai fait deux ans de prison... Et puis, après ?... Au moins, moi, j'ai payé ma dette à la société... Tâche donc de payer la tienne !...
            Cela lui paraissait tout simple : j'ai volé, vous m'avez mis en prison. Nous somme quittes... Mais tout de même, si le vieux insistait trop là-dessus, Arthur impatienté, ouvrait sa porte, tombait sur le beau-père, la belle-mère, les voisins, et battait tout le monde, comme Polichinelle.
            Ce n'était pourtant pas un méchant homme. Bien souvent le dimanche, au lendemain d'une de ces tueries, l'ivrogne apaisé, sans le sou pour aller boire, passait la journée chez lui. On sortait les chaises des chambres. On s'installait sur le balcon, ma'me Weber, ma'me Mathieu, tout le garni, et l'on causait. Arthur faisait l'aimable, le bel esprit ; vous auriez dit un de ces ouvriers modèles qui suivent les cours du soir. Il prenait pour parler une voix blanche, doucereuse, déclamait des bouts d'idées ramassées un peu partout, sur les droits de l'ouvrier, la tyrannie du capital. Sa pauvre femme, attendrie par les coups de la veille, le regardait avec admiration, et ce n'était pas la seule.
            - Cet Arthur pourtant, s'il voulait ! murmurait ma'me Weber en soupirant. Ensuite ces dames le faisaient chanter... Il chantait Les Hirondelles de M. de Bélanger... Oh ! cette voix de gorge, pleine de fausses larmes, le sentimentalisme bête de l'ouvrier !... Sous la véranda moisie, en papier goudronné, les guenilles étendues laissaient passer un coin du ciel bleu entre les cordes, et toute cette crapule, affamée d'idéal à sa manière, tournait là-haut ses yeux mouillés.
            Tout cela n'empêchait pas que, le samedi suivant Arthur mangeait sa paye, battait sa femme ; et qu'il y avait là dans ce bouge, un tas d'autres petits Arthur, n'attendant que d'avoir l'âge de leur père pour manger leur paye, battre leurs femmes... Et c'est cette race-là qui voudrait gouverner le monde !... Ah ! maladie ! comme disaient mes voisins du passage.



         
                                                                                Alphonse Daudet

lundi 7 janvier 2019

Tu t'appelais Maria Schneider Vanessa Schneider ( Roman France )


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                                                Tu t'appelais Maria Schneider   

            Une femme désorientée. A quinze ans sa mère la prie d'habiter ailleurs. Elle est accueillie par les parents de Vanessa. Ces derniers vivent à la mode des hippies des années 70. La mère semble être africaine, ce n'est pas précisé, travaille chez Maspéro est cinéphile, le père a fait de bonnes études a un bon poste, un Schneider comme la mère de Maria. " .... Dans les articles qui parlent de toi au temps de ta splendeur, il est mentionné que tu es la fille de Daniel Gélin et d'un mannequin roumain..... Roumaine elle ne l'était que par sa mère........ " Maria Schneider son nom se confond avec " Un Tango à Paris " et Marlon Brando son partenaire dans le film de Bertolucci. Et on apprend que Marlon Brando s'est senti presque aussi violé que l'actrice par la scène violente pas écrite, improvisée, et qui détruit la toute jeune comédienne présentée peu auparavant pour de petits rôles, de la figuration par Alain Delon.  Le livre est aussi prétexte à raconter l'histoire de la famille des deux cousines, Maria et Vanessa l'auteur qui, bien plus jeune, l'accompagne, la soutient sans la sortir de ses dérives, droguée à l'héroïne durant de très nombreuses années, jusqu'à son enterrement récemment à l'église Saint-Roch. Perdue elle le fut lorsque la famille de Vanessa qui l'hébergeait lui demande de trouver un autre point de chute, l'appartement trop exigu avec la naissance d'un bébé. Et ce sera celle qui ne l'abandonnera jamais, qui connut les tristesses de vedette traitée comme symbole sexuel selon leur expression, Brigitte Bardot. Elle logera avenue Paul Doumer jusqu'à ce que Bardot quitte le métier et cet appartement. Frédéric Mitterand exprime le regret de ne pas l'avoir aidée. Cependant Maria tourne une cinquantaine de films, cinquante-huit dit-elle en comptant les figurations, et Vanessa grandit vêtue à la mode hippie, vacances en camping sauvage en Bretagne alors qu'elle apprécie les plages au pied de grands immeubles. Elle fait Sciences Po coupe ses cheveux et porte bandeau et foulard, au désarroi de sa mère. Son père militant maoïste, pleure le jour de la mort du grand timonier. Vanessa devenue journaliste tente de saisir les particularités de cette grande famille de sept garçons et une fille, de père différents, tous les deux enfants. Famille complexe, autour d'une jeune femme qui ne pouvait plus tourner trop droguée pour retenir son texte. "........... La sortie du
Tango est une explosion dont le choc te pulvérise en quelques semaines. Tu as vingt ans, tu n'es préparée à rien de ce qui t'attend......... "

            

               

   


dimanche 6 janvier 2019

Isabelle Huppert Murielle NJoudet ( Biographie Cinéma )



















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                                                       Isabelle Huppert

            L'impression trompeuse d'une femme lisse, trouble. L'actrice a traversé les dernières décennies en interprète de grands rôles, violée à ses débuts dans plusieurs films, meurtrie, Les Valseuses Bertrand Blier, La Dentellière, elle est meurtrière dans Violette Nozière. L'ouvrage de Murielle Joudet est une approche de la personnalité de la comédienne en compétition parfois avec Adjani. La première née dans le 16è à Paris, assez libre pour jouer et trouver sa place au cinéma, la seconde la fille de parents, surtout le père, qui lui interdisent toute sortie, pourtant elle s'échappe et entre à la Comédie française. Isabelle Huppert reconnaît " Vivre ne nous regarde pas....... Non, je crois que je ne veux pas tellement jouer les mères, ça c'est vrai, parce que les mères c'est... très réaliste une mère....... ( entretien Cahiers du Cinéma ) Ça crée le réel, quand même. Moi je refuse le réel.......... Les histoires des films les plus marquants qu'a tournés Isabelle Huppert sont analysées. Elle tourne six films avec Claude Chabrol, outre Violette Nozière, Madame Bovary, Merci pour le chocolat, etc... avec Jean-luc Godard Sauve qui peut la vie..... Des EtatsUnis le souvenir d'un très long tournage, sept mois, et d'un insuccès, Cimino La porte du paradis. En 2014 elle tourne enfin avec Catherine Breillat. Malgré leur amitié ancienne un précédent projet n'avait pas abouti, ce sera donc Abus de faiblesse, des faits tirés de la propre histoire de Breillatoue " Même quand je vis vraiment quelque chose, je le vis comme une fiction. " Des blessures " La Pianise " de Michael Haneke, et l'une des Huit femmes de Ozon aux côtés de Catherine Deneuve, Fanny Ardant.......  Pour bien comprendre l'itinéraire des comédiens, Mireille Joudet a choisi cette pensée de Flaubert " Quant à nous, vivre ne nous regarde pas, ce qu'il faut chercher, c'est ne pas souffrir. "  Plus qu'un aperçu, la vie à travers les rôles nombreux de la comédienne. Faut-il revoir ses films avec un regard neuf, ou cinéma, cinéma...

jeudi 3 janvier 2019

Extrait du journal d'un aide-comptable Anton Tchékhov ( Nouvelle Russie )

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                                        Extrait du journal d'un aide-comptable

            11 mai 1863 -
                                Notre comptable Glotkine ( il a 60 ans ) a soigné sa toux avec du lait au cognac, ce qui lui a déclenché une crise de délirium tremens. Avec l'assurance qui leur est propre, les docteurs affirment qu'il va mourir demain. Je serai donc enfin comptable ! Cette place m'a été promise il y a longtemps.
            Le secrétaire Klechtchov doit être jugé pour coups et blessures : le demandeur l'avait traité de " bureaucrate ". Il semble que la décision soit prise.
            J'ai bu une décoction pour soigner ma gastrite.
            3 août 1865 -
                                Le comptable Glotkine souffre de nouveau de la poitrine. Il s'est remis à tousser et prend du lait avec du cognac. S'il meurt, sa place est à moi. Je nourris cet espoir, mais il est faible car, si j'en juge par les faits, le delirium tremens n'est pas toujours mortel.
            Klechtchov a arraché une traite des mains d'un Arménien et l'a déchirée. L'affaire passera peut-être devant les tribunaux.
            Hier, une petite vieille ( la Gorievna ) m'a dit que je ne souffrais pas de gastrite mais d'hémorroïdes internes. Ça se pourrait bien !                         
            30 juin 1867 -                                                                                        copinette.centerblog.net
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            Que pourrais-je bien prendre contre la gastrite. Pourquoi pas du semen contra ?
            2 janvier 1870 -
                                  Un chien a hurlé toute la nuit dans la cour de Glotkine. Pélaguéïa, ma cuisinière, dit que c'est un signe infaillible. Nous avons parlé jusqu'à deux heures du matin de la pelisse de raton et de la robe de chambre que j'achèterai quand je serai comptable. Peut-être que je me marierai. Certes pas avec une jeune fille, ce n'est pas de mon âge, mais avec une veuve.
            Hier on a chassé Klechtchov du club pour avoir raconté à haute voix des histoires inconvenantes et tourné en ridicule les sentiments patriotiques du délégué commercial Ponioukhov. On dit que ce dernier portera plainte.
            J'ai envie de consulter le docteur Botkine au sujet de ma gastrite. Il paraît qu'il soigne très bien...
            4 juin 1878 -
                                La peste fait rage à Vetlianka disent les journaux, et les gens meurent comme des mouches, en fonction de quoi Glotkine boit de la vodka au poivre. Mais est-ce que la vodka peut guérir un bonhomme aussi âgé ? Si la peste vient jusqu'ici, je serai sûrement comptable.
            4 juin 1883 -
                                 Glotkine est mourant. Je suis allé le voir et lui ai demandé pardon en pleurant d'avoir attendu sa mort avec impatience. Il m'a généreusement pardonné en pleurant lui aussi et m'a conseillé pour ma gastrite de boire une infusion de glands.
            Quand à Klechtchov il a encore failli passer en jugement pour avoir engagé chez un Juif un piano de location. Ça ne l'empêche pas d'avoir la médaille de Stanislas et le rang d'assesseur de collège. Extraordinaire ce qui se passe en ce monde !
            Gingembre : 8, 50 gr
            Porentille : 7 gr
            Vodka supérieure : 4 gr
            Élixir des Sept-Frères : 20 gr                                                                      aguttes.com
            Mélanger le tout, laisser macérer dans un litre de vodka et prendre un petit verre à jeun contre la gastrite.
            7 juin même année -
                                   On a enterré Glotkine hier. Hélas ! La mort de ce vieillard ne m'a rien rapporté. Il m'apparaît en rêve toutes les nuits, en chlamyde  blanche, me faisant signe du doigt. Malheur à moi, malheur à moi, maudit ! Ce n'est pas moi qui suis nommé comptable, mais Tchalikov. Ce n'est pas moi qui ai eu la place, mais ce jeune homme que protège sa tante, la générale.Tous mes espoirs sont morts.
            10 juin 1886 -
                                  La femme de Tchalikov l'a abandonné. Il souffre le pauvre. Peut-être va-t-il se suicider. S'il le fait je serai comptable. On en parle déjà. Donc tout espoir n'est pas perdu. Je peux vivre encore et, qui sait, la pelisse en raton n'est peut-être pas loin. Pour ce qui est du mariage, je ne suis pas contre. Pourquoi ne pas se marier si l'occasion se présente. Seulement il faudra prendre conseil, car c'est un pas important.
            Klechtchov a échangé ses caoutchoucs contre ceux du conseiller secret Limansov. Quel scandale !
            Païssi, le portier, m'a conseillé le sublimé pour soigner ma gastrite. Je vais essayer.


                                                                  Tchékhov
                                                                                   ( 1883 )

mercredi 2 janvier 2019

Le parrain et le rabbin Sam Bernett ( Roman France )


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                                            Le parrain et le rabbin

            C'est une belle histoire, déjà signalée ici même, mais le texte a disparu comme cela arrive sur ce support. Alors, chers bibliorêveurs, voici un résumé de ce conte mais est en fait réellement advenu. Milan 15 novembre 1943 quinze enfants juifs se préparent à fuir au petit jour et très rapidement la pension, les Allemands frappent avant de défoncer la porte. Entraînés par le maître les jeunes garçons arriveront peut-être à atteindre la Suisse. Il faut pour cela traverser des forêts dans le froid, la neige. Au même moment à NewYork une organisation juive avec à sa tête un rabbin reçoit des demandes d'aide pour sauver des personnes en danger en Europe, entre autres celle d'enfants en perdition quelque part entre l'Italie et la Suisse. Un des membres de l'organisation démontre que seul un certain chef mafieux peut les sauver, son organisation ayant des possibilités particulières de circulation durant cette période. Le contact est délicat entre le rabbin et le parrain. Ce dernier demande à l'homme religieux de le bénir entre autres. Un accord est trouvé et de Naples partent des hommes à la rencontre de la petite troupe en perdition dans la forêt suisse. Des hommes habitués aux crimes arriveront-ils assez tôt chargés de victuailles et des contacts nécessaires pour traverser la frontière ?
Une simple histoire vraie, mais rare.





mardi 1 janvier 2019

La bible du contrepet Joël Martin ( Document France )



fnac.com et ou  librairiedesabbesses.fr  


                                       La bible du contrepet

            Pour commencer 2019 avec le sourire !
            Quelques extraits...........
            Jongler avec les mots......
            Contrepèteries pour les enfants
                    extrait de Historiettes

            Le nourrisson s'habille après le bain et babille après le sein
            .....................
            ........
             ............                                                                                                         pinterest.fr
Image associée            Musette antique, musique en tête...
                   Ce son-là vient de ce salon
                      Le salon de Beaugency,
                     Le Salon de gens si beaux
                .......................
                   ..................


                                ...............

                         Le bateau dort
                     Sur un beau tas d'or
                       Et le matelot gras
                     Sur un gros matelas
                    .......................

             Sujets divers
             Contrepèteries de salon :
             Mieux vaut être aviné et paisible qu'avisé et pénible
             .........................

             Composition des contrepèteries
             Sur la religion
                    Musique et Danse - Ce danseur répète sans fléchir
                    Médecine Santé

            Trocs de consonnes
             Trocs de voyelles
             Justice, Droit, Chicane etc..........

            Jeux de mots -  Et la Bible " Têtes " Par ordre alphabétique mots attribués à des personnalités ex. Alain Juppé, Monica Lewinsky, Queneau, Tapie, Mgr Gaillot.........
             Pour situer l'ouvrage, épais, l'auteur sévit au Canard enchaîné !
            

mercredi 26 décembre 2018

Piranhas Roberto Saviano ( Italie Roman )


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                                        Piranhas

            La vie, la mort. A Naples des enfants de milieu modeste mais pas pauvre, fascinés par le monde de l'argent. Le monde du pouvoir. Si tous sont accrochés aux jeux vidéos, récitent et jouent les héros de leurs films cultes, violents,seul Nicolas, adolescent de quinze ans est prêt à foncer vers un destin qui lui offre le pouvoir. Machiavel est son maître. Saviano dit avoir écrit un roman sur " la revanche ", mais la revanche est sans fin. Chaque membre du groupuscule porte un surnom que chacun porte vaillamment dans le monde de la mafia où ils entrent, ainsi Dentino, Dumbo, où Nicolas dit le Maharadja, ébloui par ce qui lui paraît le palais des merveilles, le restaurant cabaret, le Nuovo Maharadja qui appartient à Copacabana mafieux en cavale. Passée une première scène absolument     ( pardonnez l'expression ), " dégueu....; " on poursuit une lecture qui raconte l'ascension de jeunes hommes qui oublient le collège, décidés à devenir une parenza. Ils dealent déjà et roulent en scooter dans Naples mais Nicolas leur chef choisit de prendre le quartier Forcella " ...... La Fourche, on sait d'où on vient mais on ne sait pas où l'on va....... " Des mafieux âgés sont assignés à résidence où en prison. Dans une autre vie Nicolas aurait pu être un brillant homme d'affaires, dans le monde des mafias il est habile, observe, apprend. Ils conquièrent place après place, ils sont mal élevés, désinvoltes, violents et maladroits lors de leur apprentissage de l'usage des armes. Car tuer est une nécessité pour prouver leur adhésion à une vraie parenza.. " .......... Ils affichaient l'air d'enfants  qui savent déjà tout, qui parlent de sexe et d'armes, car dès leur naissance aucun adulte n'avait jamais cru qu'il pût y avoir des vérités, des faits ou des comportements qu'ils pouvaient ignorer. A Naples, on ne grandit pas : on naît dans la réalité et on la découvre peu à peu....... " L'auteur a écrit sous forme de roman parce que dit-il "..........  Je voulais entrer dans la tête de ces enfants......... "  Dans la mafia il y a des règles, un code dit d'honneur, et celui qui ne les respecte pas est en danger, la mort les attend partout même l'enfant de dix ans le petit frère. "........ Il faut des couilles. Par loyauté, il évite la prison à celui qui a massacré son fils.
            - Moi, cette loyauté, je crois pas que je pourrais. Sois je te bute, soit je suis en taule et je te balance, que tu prennes perpète, a expliqué Oiseau mou.......... "
            D'un repenti Nicolas obtient leur planque, un appartement qui n'appartient à personne
" ....... - Notre planque ? a fait Agostino. Qu'est-ce que tu veux dire.
           - L'endroit où on se planquera, où on se retrouvera, où on fera les cons et où on partagera tout....... "
 Ces adolescents devenus des jeunes gens, dealent toutes les drogues, de l'héroïne à l'herbe, gagnent et dépensent de l'argent, mais des femmes et des hommes sont tués, des enfants en danger que des mères tentent de préserver et d'autres mères demandent vengeance après la mort de leur enfant. La revanche c'est sans fin. Une histoire triste, douloureuse à travers Naples.

         
         

             

lundi 24 décembre 2018

Une vengeance Anton Tchekhov ( nouvelle Russie )



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                                                         Une vengeance

            Lev Savvitch Tourmanov, homme des plus ordinaires, doté d'un petit capital, d'une jeune femme et d'une grande calvitie, jouait un jour au wint chez un de ses amis dont c'était la fête. Après un minus considérable, au cours duquel il avait transpiré, il se rappela soudain qu'il y avait longtemps qu'il n'avait bu de vodka. S'étant levé et se balançant de manière imposante sur la pointe des pieds, il se fraya un chemin entre les tables, traversa le salon où dansaient les jeunes gens ( ici il sourit avec indulgence et tapota paternellement l'épaule d'un jeune et fluet pharmacien ), puis fila par une petite porte qui menait à l'office. Là, sur une table ronde, se dressaient des bouteilles, des carafes de vodka... A côté des zakouski, tout verdoyant d'oignon et de persil, reposait sur une assiette un hareng déjà à moitié consommé. Lev se versa un petit verre, agita les mains en l'air comme s'il se préparait à faire un discours, but, prit une expression tragique, piqua sa fourchette dans un morceau de hareng et...
            Mais à ce moment des voix se firent entendre de l'autre côté de la cloison.
            - Pourquoi pas, pourquoi pas ? disait une voix de femme excitée. Mais quand cela arrivera-t-il ?
            " C'est ma femme, constata Lev. Avec qui est-elle donc ? "            blissinthecity.fr
            - Quand tu voudras, ma chère, répondit derrière la cloison une voix basse, épaisse et juteuse. Aujourd'hui, ce n'est pas trop pratique, demain je suis pris toute la journée...
            - C'est Diogtiarev ! ( Tourmanov avait reconnu la voix de basse de l'un de ses amis ).  Toi aussi, Brutus, tu vas y passer ! Vraiment, elle l'aurait déjà racolé, comme les autres ? Quelle bonne femme insatiable, infatigable ! Elle ne peut pas vivre une journée sans aventure !
            - Oui, demain je suis pris, continuait la basse. Si tu veux, écris-moi un mot demain... Je serai ravi, enchanté... Mais nous devrions organiser un peu notre correspondance. Il faut trouver un truc. Recourir à la poste, ce n'est pas trop pratique. Si je t'écris, ton dindon serait capable d'intercepter la lettre auprès du facteur ; si tu m'écris, ma moitié la recevra sans moi et la décachettera sûrement.
            - Alors, comment faire ?
            - Il faut inventer un truc quelconque. On ne peut pas non plus utiliser les domestiques comme courriers, parce que ton Sobakévitch mène sûrement votre femme de chambre et votre valet à la baguette... Tiens, est-ce qu'il joue aux cartes ?
            - Oui. Et il ne cesse de perdre, l'imbécile !
            - Donc, il a de la chance en amour ! dit Diogtiarev. Voici, ma petite fille, quel tour j'ai inventé... Demain, à six heures du soir précises, en revenant du bureau, je traverserai le jardin public dont je dois voir le gardien. Alors toi, ma poulette, tu vas essayer de mettre un billet pour six heures, en aucun cas plus tard, dans le vase de marbre qui se trouve, tu sais bien, à gauche de la tonnelle recouverte de vigne...
            - Je connais, je connais...
            - Ce sera, poétique, mystérieux et nouveau... Ni ton poussah, ni ma légitime n'en sauront rien.   pleclerc.free.fr                         Tu as compris ?
            Lev but un petit verre de plus et retourna à la table de jeu. La découverte qu'il venait de faire ne l'avait ni pétrifié, ni surpris, ni indigné. Le temps où il s'indignait, faisait des scènes, criait et allait jusqu'à cogner était passé depuis longtemps. Il s'était résigné et fermait les yeux sur les aventures de sa volage épouse.
            Néanmoins, ce n'était pas agréable. Des expressions telles que dindon, Sobakévitch, poussah, etc., offensaient son amour-propre.
            " Quelle canaille tout de même que ce Diogtiarev : pensait-il en notant les minus. Quand je le rencontre dans la rue il joue les amis chers, il sourit de toutes ses dents, il me caresse l'estomac, et maintenant le voilà qui me traite de noms d'oiseaux ! En face, il m'appelle son ami, et derrière mon dos il m'appelle dindon et poussah... "
            Plus il se plongeait dans ses affreux minus, plus l'offense lui était pénible à supporter...
            " Blanc-bec... pensait-il en cassant rageusement la craie. Gamin... Je n'ai pas envie de me colleter avec toi, sinon je t'aurais montré ce que sait faire Sobakévitch ! "
            A souper, il ne put observer de sang-froid le visage de Diogtarev qui, comme un fait exprès, le persécutait de questions : avait-il gagné ? pourquoi était-il si triste ? et ainsi de suite. Il eut même l'impertinence, en sa qualité d'ami intime, de gronder vertement l'épouse de cet ami parce qu'elle prenait mal soin de la santé de son mari. L'épouse, comme si de rien n'était, regardait son mari de ses petits yeux huileux, riait gaiement et bavardait avec innocence, si bien que le diable lui-même ne l'aurait pas soupçonnée d'infidélité.
            De retour à la maison, Lev se sentait furieux et insatisfait, comme si, à souper, au lieu de veau il avait mangé une vieille galoche. Peut-être serait-il arrivé à se maîtriser , mais le bavardage et les sourires de son épouse lui rappelaient à chaque instant le dindon, l'âne bâté, le poussah...
            " Le gredin mériterait d'être giflé aller-retour, pensait-il. Il faudrait le moucher publiquement.
            Et il se dit qu'il serait bon de rosser Diogtiarev, de l'abattre en duel comme un moineau... de lui faire perdre sa place ou de mettre dans le vase de marbre quelque chose d'indécent, de puant, par exemple un rat crevé... Ce ne serait pas mal de voler au préalable la lettre de sa femme et de mettre à la place quelques petits vers grivois signés : " Ta Goton ", ou quelque chose de ce genre.
            Tourmanov fit longtemps les cent pas dans la chambre à coucher en se flattant de rêveries. Soudain il s'arrêta et se frappa le front.
            - J'ai trouvé, bravo ! s'écria-t-il, et la joie ajouta un air rayonnant à son visage. Ça ce sera excellent !
            Ex-cel-lent !                                                                                    lookbooks.fr
            Lorsque son épouse fut endormie, il s'assit à son bureau et, après de longues méditations, écrivit ce qui suit en modifiant son écriture et en ajoutant des fautes d'orthographe :
            " A M. Doutlinov, négociant. Monsieur, si vous ne dépausez pas deux cents roubles aujourdui 12 septambre avant six heures dans le vase marbre qui se trouve dans le jardain publique à goche de la tonnelle couverte de vigne, vous serez asasiné et votre mercerie explosera. "
            Ayant rédigé cet épître, Lev bondit d'enthousiasme.
            - Pas mal inventé, hein ? marmonnait-il en se frottant les mains. Ça a du chic ! Satan lui-même n'inventerait pas meilleure vengeance. Naturellement, le mercanti prendra peur et préviendra immédiatement la police. La police s'embusquera avant six heures dans les buissons et, quand le pauvre chéri voudra récupérer la lettre... par ici, mon mignon !... La peur qu'il aura ! Avant que son affaire ne soit tirée au clair, il aura le temps de souffrir et de languir, la crapule !... Bravo !
            Lev colla un timbre à la lettre et la porta lui-même à la boîte. Il s'endormit avec un sourire de béatitude et dormit plus voluptueusement qu'il n'avait dormi de longtemps.
            Le matin, au réveil, il se souvint de son stratagème et se mit à ronronner de plaisir. Il chatouilla même le menton de son infidèle de femme. Partant pour le travail et, plus tard, assis dans son bureau, il ne cessait de sourire en imaginant la terreur de Diogtiarev quand il tomberait dans l'embuscade...
            Avant six heures il n'y tint plus et courut au jardin public pour profiter de visu de la situation désespérée de son ennemi.
            " Aha ! " pensa-t-il en croisant un sergent de ville.
            Ayant gagné la tonnelle, il s'assit sous un buisson et, ses regards avides fixés sur le vase, attendit. Son impatience était sans limites.
            A six heures précises parut Diogtiarev. Le jeune homme paraissait d'excellente humeur. Son haut-de-forme était gaillardement posé sur sa nuque, et, le pardessus et le gilet ouverts, il semblait avoir le coeur sur la main. Il sifflotait en fumant un cigare...
            " Et maintenant tu vas avoir des nouvelles du dindon et de Sobakévitch ! jubilait Tourmanov.  gifs-animes.net                                       Attends un peu ! "
            Diogtiarev s'approcha du vase et y fourra paresseusement la main... Lev se souleva, ne le quitta plus des yeux... Le jeune homme tira du vase un petit pli, le regarda de tous les côtés, haussa les épaules, puis d'un air indécis, le décacheta, haussa à nouveau les épaules... et une extrême stupéfaction se peignit sur ses traits ; le billet contenait deux billets de cent roubles !
            Diogtiarev prit son temps pour examiner ces billets. A la fin sans cesser de hausser les épaules, il les fourra dans sa poche et prononça :
            - Merci !
            L'infortuné Lev entendit ce " merci ". Il passa toute la soirée en face de la boutique de Doulinov, menaçant son enseigne du poing et marmottant dans son indignation :
            - Polltrron ! Mercanti ! Méprisable Ki Kitytch ! Capon ! Gros plein de soupe !


                                                                          Anton Tchekhov

                                                                               ( in Nouvelles )

mercredi 19 décembre 2018

Mauvaise humeur Anton Tchekhov ( Nouvelle Russie )


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                             Mauvaise humeur

            Le commandant de police Sémione Pratchkine marchait de long en large dans sa chambre et essayait d'étouffer une sensation fort déplaisante. La veille, une affaire de service l'avait appelé chez le commandant de la place. Le hasard avait voulu qu'il se mit à jouer aux cartes et il avait perdu huit roubles. La somme était insignifiante, négligeable, mais le démon de l'avarice et de la cupidité lui reprochait à l'oreille sa dissipation.
            " Huit roubles... Quelle affaire !... pensait Pratchkine pour imposer silence au démon. Il y a des gens qui perdent bien davantage, et ils ne se frappent pas. L'argent ça va, ça vient. Il n'y a qu'à passer à l'usine, ou chez Rylov, l' cabaretier, et voilà les huit roubles retrouvés... huit roubles et le pouce... " 
            " C'est l'hiver... le paysan solennellement... " Dans la pièce voisine, Vania, le fils du commissaire, ânonne d'une voix monotone : " Le paysan solennellement retrace sa route... "
            " Sans compter que je peux prendre ma revanche... qu'est-ce que c'est que ce - solennellement - ? "
            " Le paysan, solennellement, retrace sa route... retrace... "
            " Solennellement, pense Pratchkine, songeur. Si on lui avait administré une dizaine de coups de verges, il n'aurait pas l'air si solennel. Au lieu de prendre des airs si solennels, il ferait mieux de payer régulièrement ses impôts... Huit roubles, ce n'est pas une affaire ! Ce n'est tout de même pas huit mille, on peut toujours les regagner... " Son vieux cheval, humant la neige, s'en va, cahin-caha, trottant... " Il aurait fait beau voir qu'il parte au galop ! Le beau coursier, voyez-moi ça ! Une rosse reste toujours une rosse. Et ça les amuse, ces abrutis de paysans, ces sacs à vin, de fouetter leur cheval, et là-dessus qu'il dégringole dans un trou de glace ou dans un ravin, à toi toute la peine... Avise-toi seulement de le mettre au galop, ton cheval, et je te prescris une de ces ordonnances, que de cinq ans tu ne pourras l'oublier !...                                                             apprendre-en-ligne.net
Résultat de recherche d'images pour "chateau de cartes"            Et pourquoi ai-je entamé d'une faible ? J'aurais dû entamer de l'as de trèfle, je n'aurais pas fait deux de chute... " Hardi ! le traîneau s'élance... Creusant son sillon duveteux... Creusant son sillon duveteux... " Creusant... Creusant.son sillon... son sillon... Ils écrivent de ces machins ! Dieu me damne, on leur permet d'écrire de ces choses ! Et tout ça c'est la faute de dix ! Nom de Dieu ! Fallait que je tombe dessus à ce moment-là ! "
            " Il court, le petit gars des champs... son chien sur sa luge... son chien... "
            " Faut croire qu'il a le ventre plein s'il court et fait le singe... Et ses parents ne pensent même pas à mettre ce galopin au travail. Au lieu de promener son chien, il ferait mieux de couper du bois ou de lire les Évangiles. Et tous ces chiens qu'ils élèvent... Plus moyen de circuler, ni à pied ni en voiture ! Je n'aurais pas dû jouer après le dîner... m'en aller tout de suite après le dîner... "
            " Il a mal, mais il rit, sa mère le menace... le menace du doigt par la fenêtre... "
            " Menace... Menace... Tu as le flemme de sortir et de le corriger... Tu devrais lui retrousser la pelisse et pan ! pan! pan ! Ça vaudrait mieux que de le menacer du doigt... Sans quoi, prends garde d'en faire un ivrogne... " 
            - C'est de qui ce machin-là, demande Pratchkine à haute voix ? "
            - De Poutchkine, Papa.
            - Poutchkine ? Hum ! Ça doit être un type. Pour ce qui est d'écrire, ils écrivent, mais ce qu'ils écrivent ils ne le comprennent pas eux-mêmes. L'essentiel, c'est d'écrire !
             - Papa, un paysan qui apporte de la farine, cria Vania.
            -  Prends-la !                                                                         laterredufutur.com
Image associée            Même la pensée de la farine n'arriva pas à dérider Pratchkine. Plus il essayait de se consoler, plus sa perte lui pesait. Il regrettait ses huit roubles si amèrement qu'on aurait vraiment cru qu'il en avait perdu huit mille.
            Quand Vania eut appris sa leçon et se fut tu, Pratchkine se mit à la fenêtre et, l'âme lourde, il fixa les congères d'un oeil triste... Mais ce spectacle ne fit qu'irriter sa blessure. Il lui rappelait sa visite de la veille au commandant de la place. Sa bile s'échauffa, lui monta au coeur... Le besoin de se délester de son chagrin atteignit un degré qui ne souffrait plus d'ajournement.
            Il n'y tint plus...
            - Vania ! cria-t-il, arrive ici que je te fouette pour le carreau que tu as cassé hier au soir !



                                                          Anton Tchekhov

                                                                  ( 1884 )

lundi 17 décembre 2018

La Marionnette Alex Berg ( Roman policier Allemagne )

La Marionnette (Actes noirs)
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                                   La Marionnettet

            En ce mois de mai Katja Rittmer, soldate émérite allemande revient à son poste après des heures de déminage, dans la région de Kunduz en Afghanistan. Son compagnon et elle sont attaqués par des talibans, des insoumis. A l'hôpital Eric Mayer; agent secret qui connaît bien la soldate lui révèle que les balles récupérées dans son bras sont allemandes. Des hommes de son groupe sont morts ce jour-là tués par des armes de leur pays. Katja déjà profondément traumatisée par les guerres précédentes auxquelles elle a participé rapatriée à Hambourg, prend la décision de venger ses frères d'armes. Elle ne sera pas seule à chasser sur des terres dangereuses, celui des ventes d'armes à des chefs de tribus pour prix d'une paix relative parfois. A Hambourg le très gros fabricant d'armes subit les retombées de ce qui s'avère être l'erreur de trop dans les accords occultes entre dirigeants allemands et politicien américain. Katja, grande femme blonde dont on apprend les péripéties de sa naissance d'où peut-être son engagement dans la vie militaire où elle se montre aussi habile que les hommes, est conseillée par l'avocate Valérie Weymann, suivie, surveillée par Eric Mayer et Martinez homme de la CIA. Les militaires dans ce livre consacré au conflit sans fin afghan. " Les soldats de la Bundeswehr sont de plus en plus nombreux à revenir de leur période d'engagement en Afghanistan affectés de lourds traumatismes....... " Les protagonistes circulent beaucoup des petites rues de Kaboul à Berlin, de Hambourg siège de Larenz principal fabricant de munitions, à Baden-Baden. des chefs de tribus usent de ruse sur les deux continents sans compter les morts. Katja très habile hacker ne circule jamais sans son laptop. Passionnant roman d'espionnage d'Alex Berg pseudo de Stéphanie Baumm.

Polina Bastien Vives ( Bande Dessinée France )


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                                         Polina

            Polina, jeune danseuse russe, se présente aux concours qui lui permettront d'intégrer la troupe du théâtre. Sans conviction ni désir particuliers de réussite, elle travaille avec application. Elle est une bonne élève attentive et polie. Arrivée en 4è année deux écoles se disputent la force de leur enseignement. L'une académique, classique, l'autre
incompréhensible à Polina, mais sans doute plus actuelle. Le dessin de Bastien Vives suit au plus près l'art chorégraphique, ainsi qu'il l'a fait pour Le goût du chlore, mais là le dessin est nettement plus simple, à l'exception du nez de Polina, sans signification particulière cependant. A l'exception d'une déception amoureuse, légère, qui conduira Polina à Berlin, l'histoire raconte surtout le travail de la danseuse sur le port de tête, le dos le plus large possible, la souplesse "..... Si vous n'êtes pas souple à 6 ans vous le serez encore moins à 16 ans. La souplesse et la grâce ne s'apprennent pas, c'est un don....... " Une bonne BD, carrée d'environ 200 pages, sur papier épais en noir et blanc, qui fera sûrement plaisir, à tous.

mardi 11 décembre 2018

Deux mètres dix Jean Hatzfeld ( Roman France )

Deux mètres dix
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                                              Deux mètres dix

             " Depuis un moment les merles ne chantaient plus, ils babillaient à peine..... " Ces mots ne sont pas le début d'une histoire douce, mais celle rude de quatre champions olympiques, deux sauteuses en hauteur et deux haltérophiles. Sue ( Susan Baxter ) vit en Arizona, à Phoenix, l'heureuse vie d'une adolescente lorsqu'elle est repérée par des prospecteurs de l'Université. Le seul attrait pour Sue, une entrée rapide à l'Université sans frais si elle passe 1m 84. La première étape passée elle améliore ses performances, visionne celles des championnes des pays étrangers, la Russe Tatiana Izvitkaya notamment. Elles se croisent aux Jeux Olympiques d'Helsinki en 1982. Tatiana est Kirghize, et en 1982 les athlètes des diverses républiques annexées, Kirghistan, Géorgie etc. concourent au nom de la Russie où elles sont entraînées après avoir été repérées, comme Sue l'américaine, très tôt. Durant ces Olympiades, la guerre froide est très présente dans les coulisses, entre les EtatsUnis et l'URSS. Chacun des deux pays boycottera l'un les Jeux de Moscou, l'autre les Jeux de Los Angeles. Mais en cette année 1982, un champion, immense, moustache de Kirghize et force reconnue, sur une photo il porte son cheval sur ses épaules, grimpe sur le ring et dépose près de lui un petit personnage en feutre gris au chapeau blanc, don de la chamane avant son départ du village. Poids à soulever plus d'1/4 de tonne, son nom, Chabdan. Un Américain est présent bien décidé à gagner, Randy Wayne, l'équipe entière très remontée contre les communistes, les Reds.
Le livre a de multiples centres d'intérêt, d'abord les mouvements, la torsion des torses au moment de l'envol du saut, la caresse de la main du champion sur la barre qu'il commence par invectiver, la pose du pied pour l'un comme pour l'autre sport, très décryptés ces mouvements pour les non sportifs comme pour les pratiquants, et la vie dans les hautes montagnes, les kolkhozes où ont vécu et travaillé les parents et grands-parents de Chabdan, de Tatiana et les habitants de Bichteck amenés de Corée. Les hommes furent envoyés au-devant de la Wermacht en 1941. Mais on se promène dans les parcs et l'on mange des glaces comme souvent dans les contes russes. Tatiana invite Sue dans son village et l'on saura d'où proviennent les douleurs intolérables de la championne. Les petites pilules, le KGB mais la vie des montagnes du Kirghistan, les béliers noirs, les brebis pansues. En 1968,
"....... Dick Fosbury, Jeux de Mexico ! - Elle compte les foulées, l'observe au bout de l'élan se présenter à l'envers, dos face à la barre après une virevolte à 180° de tout son corps...... "