mardi 5 juin 2012

Lettre à Madeleine 38 Apollinaire



                                               Lettre à Madeleine

                                                                                                          20 octobre 1915

            Madelon très chérie, je t'adore mon amour. Ta lettre du 13 est merveilleuse. D'abord parlons paquets. J'ai reçu la bague que j'adore qui est à l'annulaire gauche et y reste. Je l'aime et je t'aime. J'ai les gants qui sont très bien pr aller à cheval ( ce sont des gants très chers et je voudrais avoir le courage de te gronder de les avoir acheter mais je n'ai pas le coeur de le faire µJe baise ta bouche follement. ) - Mon cheval va très bien maintenant - les cigares ( j'en ai déjà fumé trois exquis ) et ce matin les paquets de cigarettes délicieuses, tu es mon mignon très chéri de me gâter ainsi. Je reviens à la lettre. Tu m'as compris entièrement et d'une façon si profonde que personne au monde n'a compris mon esprit comme tu fais, nous sommes un admirablement. Quand donc caché-je mon amour, ma chérie ? Jamais ! Jamais !! Je t'adore, tu m'aimes exquisément. Tu es ma joie et tu me désires physiquement... moi aussi. Il y a un grand nombre de postures pour l'amour, ma chérie, la plus commune est celle que tu désires présentement et que je désire aussi illa sub ille super dit le latin.
            µLe latin dans ses mots brave l'honnêteté ( le français aussi ) elle en-dessous lui au-dessus. Mais on intervertira aussi les rôles nous deux et varierons à l'infini, quand tu es Phèdre tu me désires sans doute à la façon dont Parsiphaé connut je crois le taureau et c'est ce que tu as, je pense exprimé en m'offrant tes hanches belles et blanches. Tes désirs s'accordent donc avec la nature de l'étreinte. Je suis heureux de pouvoir imaginer les floraisons noires comme l'Erèbe qui veloutent ton corps poli et j'adore qu'elle soient  bouclées. Mais je n'eusse pas voulu que tu eusses le corps lisse aux endroits où il ne faut point !!... Tu m'as parlé merveilleusement de l'Hérésiarque , tu m'as bien compris et combien j'aime le réel.. Je le rêve et je le crée, vrai et pur, simple et sain.J'étais certain que tu avais compris mais, je me demandais pourquoi tu ne voulais pas encore me le dire ; moi aussi je n'aime pas le malsain.
                              
            C'est très curieux que tu n'aimes Colette Willy, moi non plus, mais Willy lui-même est un écrivain de talent qui a gâché sa vie et son talent voilà la vérité, mais beaucoup de talent. Louÿs voluptueux parnassien, écrivain factice, talent étroit mais véritable, dommage que si factice, petite oeuvre de pastiche sans portée sans vérité dont l'expression la plus pure et la plus gracieuse comme la plus voluptueuse est dans les Chansons dBilitis gageure réussie. La volupté il la chante il ne la sent pas, puisqu'il s'agit principalement d'amour entre femmes et qu'il est homme. Oeuvre seulement de curiosité un peu malsaine - pas beaucoup cependant car il a le sens de l'hellénisme - elle a une apparente forme de simplicité mais au fond c'est malsain. La vie l'a montré. Car il n'a pas su garder sa femme qui vient d'épouser Gilbert Voisin. Idem pr Willy. Sa femme Colette après avoir traîné dans toutes ses amours de femme ses amours lesbiennes, a fini par épouser un des co-rédacteurs en chef du Matin dont le nom m'échappe et il la trompe avec son ancienne maîtresse ( à lui mais qui l'a aussi été à elle ) horrible femme d'ailleurs qui le trompe avec de petits acteurs grotesques. En général on s'extasie sur le naturel de Colette en ses écrits. J'y vois beaucoup d'affectation, peu de naturel et un simple talent de pensionnaire, une sensibilité de surface. C'est tout et peu intéressant à mon gré. Elle a en outre un terrible accent berrichon qui me déplaît extrêmement. Mais je ne te parle pas de tous ces personnages sans grand intérêt que parce que tu m'en as parlé. Ils ne nous intéressent pas. Tu as raison de ne pas aimer les choses détraquées, moi non plus et tu l'as bien senti en moi.
            Zola est un colosse du roman, il est difficile de juger en deux mots un tel homme et surtout  de le juger en mal. Mais nous en parlerons à loisir. Toutefois, j'avoue que je n'ai  aucun plaisir à lire Zola que j'estime toutefois.                       

                                                                  
            µJe t'aime ma rose brune comme tu es, tu es ma première impression - ( et j'y songe pr la première fois en cet instant ). Quand j'étais enfant de 5 à 10 ans 3 ou 4 fois j'ai eu la vision le matin d'une fille brune qui ouvrait les rideaux de mon lit ( il y avait des rideaux aux lits à cette époque ) et qui me regardait avec douceur un instant puis refermait doucement les rideaux. C'était toi, non comme je t'ai vue et sans doute imparfaitement vue en chemin de fer, mais comme tu es sur la photo d'il y a 2 ans. En outre enfant je me disais que je n'aimerais qu'une brune et j'ai bien été étonné à 20 ans de me trouver du goût pour une blonde, mais mon goût d'enfant, mon goût le plus pur, se réalise aujourd'hui, puisque pour la première fois j'aime, et j'aime une vraie brune, comme me l'annonçaient mes souhaits d'enfant. Les toisons blondes, au demeurant, n'ont pas l'attrait des fourrures bouclées dont tu parles et qui doivent donner plus de liliale clarté à ta blancheur naturelle, ô ma belle Madeleine au ventre blanc aux hanches belles et blanches.
            J'aime beaucoup " La Serviette des Poètes " comme toi et pour cette pensée je vais te faire en aluminium  boche, 2 ronds de serviette, j'y mettrai 2 monnaies boches en ornement. Un rond pour toi un rond pour moi. Tu es poète aussi et nos serviettes seront serviettes des poètes.
            Il est arrivé une chose exquise. Il y a quelques jours on a descendu un avion boche tombé entre les lignes. Je l'ai vu tomber, hier j'ai eu l'occasion d'aller aux tranchées des fantassins et l'on m'a donné un morceau de tendeur en aluminium de cet avion boche, j'y ai pris deux bagues sans les fondre par conséquent, je n'ai eu qu'à les limer, les mettre à la mesure les graver ( il me reste à finir la gravure ) et je les polirai. Ce sont deux alliances vraiment tombées du ciel.
            Je t'envoie aujourd'hui 2 bagues pr Marthe et Anne et 1 pour toi faite avec un bouton boche, c'est plus amusant je crois, maintenant qu'on dit que tout le monde fabrique des bagues à l'arrière, au moins celle-là aura bien l'air de venir du front d'où elle vient. Je t'enverrai les alliances dès que la gravure sera finie. Je joindrai aux alliances une petite chaîne d'or que j'ai portée au bras depuis le 7 janvier. Elle vient d'une chaîne de cou que j'avais brisée, j'ai maintenant au cou une chaîne d'argent. J'avais fait faire avec les débris de la chaîne d'or  3 bracelets ( j'en portais un comme c'était la mode en Angleterre, mode qui m'avait pli ). J'ai perdu le 1er bracelet il y a 2 ans; je ne sais plus où, le second à Nîmes au manège en sautant à cheval, je l'ai cherché dans la sciure mais en vain ; j'ai mis alors la 3è et elle s'est brisée il y a 2 jours indiquant sans doute que toute chaîne passée qu'elle aurait pu symboliser n'existe plus et je ne peux pas mieux faire que te l'envoyer, puisque ce bracelet ne s'est pas perdu comme les autres il est pour toi puisqu'il n'est pas pour moi et je t'enchaîne. Je te l'envoie, car il t'ira mieux qu'à moi et j'aime beaucoup ces bracelets très fins.
                   
Mais après tout n'y vois aucun symbole, même s'il se brisait à ton bras. Il s'est brisé au mien parce qu'il a accroché pas mal de choses et qu'il est bien frêle pour résister à tous les efforts qu'exige la vie des camps. Ce n'est qu'une petite chaîne que j'envoie à mon esclave pour la parer et lui dire mon amour. Mais la vraie chaîne ne peut se briser. Elle est éternelle. Je suis heureux que tu aimes la simplicité de mon style, elle est tienne aussi et si tu savais combien j'admire tes lettres ton style et ta petite caboche que j'adore qui est si pondérée si sûre, va, si tu savais cela tu ne dirais pas que je suis plus beau que toi, car c'est toi que je préfère à moi, mais moi je suis le maître voilà et j'ai bien droit de décider que tu es plus belle. Tu as raison d'avoir compris qu'il n'y a rien que je fisse pour t'aimer , enlèvement viol. Je t'aime tellement, tu es si belle ma rose mon lys, ne dis pas que le lys est victime de la rose, il ne tient qu'à toi que le lys subsiste de concert avec la rose, ne veux-tu pas ma roselys, moi j'aime la rose comme le lys et le lys comme la rose. Tout est sain aux sains, dis-tu, et la rose saine peut être la santé du lys. Va mon amour ne doute pas, notre amour sera une pureté passionnée, justement parce qu'il sera plein de réalité dans sa mysticité et que peut craindre la pureté des lys ? Il est la seule floraison qui s'allie bien à la rose mystique dont tu parles si joliment et qui est ton être intime, tout palpitant d'amour et de désir. Ne souffre jamais ma lionne, je t'adore. Et ce que tu dis de ce que doivent être nos lettres est exactement ce que j'en pense. Tu as raison ,e nous affaiblissons pas et tu répondras ainsi à mon souhait, ô Madeleine au corps beau et vigoureux.Je prends le don exquis , mon amour, de ta bouche, de ta langue, de tes hanches et de ton ventre adorable de vierge. Oui, dis-moi tous ces bouleversements, parle-moi de tes troubles. Je baise mon amour, ton être intime où se localise ce que tu nommes ton trouble et je t'adore pr le merveilleux effort que tu fais., ô ma chérie, pour te donner à ton mari de si loin. Nous arriverons à réaliser le toucher à distance que j'en ne serais pas étonné. tu peux tracer la silhouette au sein d'après l'ombre qu'il projette sur le mur. Mais quelle idée exquise tu as eue tu es délicieusement inventive, mon amour !
            Je ne serai jamais plus triste puisque tu m'aimes, mon amour. - Fais des objets que je t'envoie l'usage que tu veux, utilise-les comme tu veux, mais c'est je crois peu de chose pr une vitrine ; enfin ils ne se perdent point, c'est l'essentiel ; mais nous ne pouvons pas envoyer grand-chose comme armes. Pr les encriers j'ai risqué - Les chargeurs aussi ne doivent pas partir d'ici. Alors pour avoir un fusil ou des douilles d'obus qui feraient de merveilleux vases c'est impossible. Dis-moi vite si tu vas bien - Je ne veux pas que tu attrapes mal. Couvre-toi ne va pas à la pluie sans parapluie, Madeleine chérie. µmais mon amour que dis-tu de te pardonner. Tu n'as été qu'exquise avec moi, et je t'adore, je t'adore de plus en plus car tu es adorable de nature et ton caractère s'harmonise si bien avec  le mien que pensant à nous deux il me semble ouïr chanter le choeur des anges qui sont la subtilité du ciel bleu comme ton coeur. Je prends ta bouche et te donne ma langue.


                                                                                                             Gui








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