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Lettre du 5 février 1872
Le " catéchisme populaire républicain "
La proposition Tréveneuc sur les conseils généraux
Il est des hommes fatalement destinés à commettre toutes les fautes. Je me souviens encore du jour où, pour la première fois, à Bordeaux, M. de Gavardie est apparu à une tribune française. sa petite personne avait une sécheresse humble, un sourire contraint. On ne voulait pas le laisser parler, et il insistait,il implorait l'Assemblée du geste.
Ce jour-là, les tribunes étonnées devant les étranges figures que la France tirait des manoirs croulants, flairèrent un gêneur dans l'honorable M. de Gavardie. On se poussait du coude, on se disait :
" - Et celui-là d'où sort-il ? Ses amis ont donc peur qu'il ne dise des bêtises ; ils devraient le laisser parler. "
Celui-là sortait d'un parquet quelconque, celui-là était destiné à devenir célèbre dans l'histoire par la façon remarquable dont il lance les pavés à la tête de son propre parti. Il n'a pu encore monter à la tribune sans ameuter la Chambre ; un jour, il défendait les commissions mixtes ; un autre jour il parlait de la virginité de Jeanne d'Arc ; aujourd'hui, il a dénoncé une brochure, oubliant qu'il n'est plus procureur impérial, et qu'il a l'honneur d'être représentant du peuple.
* Donc, M. de Gavardie, en promenant dans les rues vides de Versailles ses tendresses provinciales, a vu à la vitrine d'un libraire une brochure intitulée " Catéchisme populaire républicain ". Avec son flair de magistrat policier, il a senti qu'on y insultait le bon Dieu, et, sévère gardien des bénitiers de sa bourgade, il est venu dénoncer la brochure devant l'Assemblée, et a lu, d'une voix indignée, des passages terribles dont sa pudeur rougissait.
* C'est ici que l'incident devient épique. Imaginez-vous que cet écrit incendiaire prétend que la justice est dans l'homme, et non en de-hors de l'homme. La gauche applaudit, M. Langlois se lève, fait à lui seul le bruit de toute une bande de claqueurs à Rabagas. La droite n'ose pas huer. M. de Gavardie, un peu étonné de l'effet qu'il produit dit que les religions sont des conceptions abstraites de l'esprit. Alors les applaudissements de la gauche redoublent, l'honorable procureur impérial reste écrasé par cette manifestation impie qu'il a provoquée lui-même.
Jamais je n'ai vu une telle maladresse. La droite était fâchée d'un tel coup de tête. M. Dufaure a achevé de rendre M. de Gavardie parfaitement odieux en déclarant qu'il lirait la brochure et qu'il saurait alors si elle était justiciable des tribunaux ou du bon sens public.
Je ne comprends pas comment les légitimistes osent dénoncer les brochures républicaines. Si un député de la gauche apportait à la tribune toutes les ordures dévotes qui circulent dans les campagnes, il pourrait égayer ses collègues pendant des journées entières. Le Catéchisme populaire républicain dit que nous devons placer en nous le sentiment de la justice ; que penser de cette autre morale nous livrant pieds et poings liés à une justice divine qui a allumé les bûchers du moyen âge et sonné le tocsin de la Saint-Barhélémy ?
Après un tel début, la séance ne pouvait être sérieuse. L'ordre du jour
appelait la proposition de M. de Tréveneuc sur les conseils généraux. Vous connaissez ce projet qui consiste à donner mission aux Assemblées départementales d'envoyer des délégués dans une ville du centre, en cas de dissolution violente de la Chambre. Ces délégués formeraient une Assemblée nationale intérimaire.
M. de Tréveneuc a défendu son projet avec une grande emphase. Il paraît avoir une légitime horreur pour toute dictature, ce qui se traduit chez lui en phrases un peu longues et trop imagées. Si je n'ai pas été plus touché par son discours, c'est que la haine de la dictature n'est chez lui que par le mépris du peuple et le mépris de César. Quand la dictature s'appelle tyrannie ou pouvoir absolu, et que c'est un roi, un Bourbon qui tient la grande épée dans sa main, il s'incline, il trouve que tout va pour le mieux dans le meilleur des royaumes possibles. Cela gâte un peu son amour de la liberté.
M. Boysset, un député de décembre, a justement établi la différence qu'il y a entre un coup de main prétorien et ce sentiment qui arme le peuple de fouets et lui fait chasser un gouvernement de honte. La mesure sera impuissante à toutes les les révolutions légitimes ; les délégués des conseils généraux ne se réuniront même pas. Il est certain qu'au 4 septembre les créatures bonapartistes qui suaient la peur... n'auraient pas osé descendre dans la rue, devant la sainte indignation du peuple.
Cette date du 4 septembre est une de ces injures bêtes que la droite jette à la tête des républicains, comme " la tarte à la crème " de Molière. Eh ! messieurs, comme vous l'a dit aujourd'hui M. de Pelletan, sans le 4 septembre, vous seriez des factieux. En proclamant la déchéance de l'empire, vous avez proclamé la république et légalisé cet admirable mouvement de Paris qui a balayé l'empire sans casser seulement un réverbère.
Mais, je vous l'ai dit, la maladresse de M. de Gavardie empêchait de dormir les farouches de la droite.. M. Baragnon avait des envies irrésistibles de se couvrir de gloire. Il a foudroyé les révolutions de son éloquence et a avancé cette chose colossale que " la révolution de 1789 a été un empêchement au développement régulier de nos libertés nationales.
Après cette opinion monumentales, il n'y a plus qu'à mettre ces messieurs sous verre et à les promener de pays en pays pour la plus grande curiosité de l'Europe.
La bataille gronde toujours. M. Castelnau, un autre déporté de décembre crie que les listes de proscriptions de l'empire ont été dressées sur les dénonciations des légitimistes. Ce soufflet, reçu en pleine face, fait bondir la droite. Les plus effroyables clameurs s'élèvent. M. Dupin s'élance à la tribune et traite M. Castelnau de menteur et de calomniateur. Toute l'Assemblée est debout. Je crains un instant qu'on ne s'en prenne aux cheveux. M. Langlois va se mettre à côté de son collègue et la houle des légitimistes qui les entourent est si violente qu'à deux ou trois reprises je les crois submergés, roulés sous les bancs, dévorés par le flot.
Pendant ce temps, M. Grévy sonne tranquillement. Il est fait à ces orages. Cependant, comme le calme ne peut se rétablir et qu'il redoute quelque incident plus grave, il se décide à lever la séance. Les députés se retirent, en roulant des yeux terribles. Un bon bourgeois disait dans une tribune :
" - C'est comme au théâtre, on dirait qu'ils vont se manger, et ils boivent ensemble dans les coulisses"
Le cri de M. Castelnau restera. Il faut enfin que la vérité soit dite sur le rôle des légitimistes en 1851. M. de Rességuier a prétendu que les légitimistes étaient innocents, puisqu'ils étaient à Mazas avec les républicains. C'est là un singulier argument. Tout le parti ne se trouvait pas en prison, et, d'ailleurs, il s'agit surtout de la clique dévote des départements. Allez dans le Midi, interrogez les gens, et vous saurez comment, au lendemain du 2 décembre, les royalistes ont aidé les bonapartistes à traquer les républicains. Dans le Var, ces purs agneaux de la légitimité ont encore les pattes ensanglantées.
* latetearire.canalblog.com
** emilezola.freee.fr
*** collectiana.org Emile Zola
( La Cloche, 7 février. )
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