mercredi 31 mai 2017

Cynégétique de l'Omnibus Alfred Jarry ( Nouvelles France )

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                                          Cynégétique de l'Omnibus

            Des diverses espèces de grands fauves et pachydermes non encore éteintes sur le territoire parisien, aucune, sans contredit, ne réserve plus d'émotions et de surprises au trappeur que celle de l'omnibus          
            Des compagnies se sont réservé le monopole de cette chasse ; à première vue l'on ne s'explique pas leur prospérité ; la fourrure de l'omnibus est en effet sans valeur et sa chair n'est pas comestible.
            Il existe un grand nombre de variétés d'omnibus, si on les distingue par la couleur ; mais ce ne sont là que des différences accidentelles, dues à l'habitat et à l'influence du milieu. Si le pelage du
" Batignolles-Clichy-Odéon ", par exemple, est d'une nuance qui rappelle celle de l'énorme rhinocéros blanc, le " borelé " de l'Afrique du Sud, il n'en faut chercher d'autre cause que les migrations périodiques de l'animal. Ce phénomène de mimétisme n'est pas plus anormal que celui qui se manifeste chez les quadrupèdes des régions polaires.
            Nous proposerons une division plus scientifique, en deux variétés dont la permanence est bien reconnue :
            1° Celle qui dissimule ses traces.
            2° Celle qui laisse une piste apparente.
Résultat de recherche d'images pour "omnibus 1900"  *        Les foulées de cette dernière sont extraordinairement rapprochées, comme produites par une reptation, et semblables, à s'y méprendre, à l'ornière creusée par le passage d'une roue. Les naturalistes discutent encore pour savoir si la première variété est la plus ancienne, ou si elle est seulement retournée à une existence plus sauvage. Il est indiscutable, quoi qu'il en soit, que la seconde variété est la plus stupide, puisqu'elle ignora l'art de dissimuler sa piste ; mais,et ceci expliquerait qu'elle ne soit point encore toute exterminée, elle est, selon toute apparence, plus féroce, à en juger par son cri qui fait fuir les hommes, sur son passage, en une tumultueuse panique, et qui n'est comparable qu'à celui du canard ou de l'ornithorynque.
*         Vu la grande facilité de découvrir la piste de l'animal, facilité décuplée par sa curieuse habitude de repasser exactement sur la même voie dans ses migrations périodiques, l'espèce humaine s'est ingéniée à le faire périr dans des trappes pratiquées sur son parcours. Avec un instinct surprenant, la lourde masse, arrivée au point dangereux, a toujours fait demi-tour sur elle-même, rebroussant chemin et prenant grand soin, cette fois, de brouiller sa piste en la faisant coïncider avec ses précédentes foulées.  
            On a essayé d'autres systèmes de pièges, sortes de huttes disposées, à intervalles réguliers, le long de la voie et assez pareilles à celles qui servent pour la chasse au marais. Des bandes de gaillards résolus s'y embusquent et guettent le passage de l'animal : le plus souvent celui-ci les évente et s'enfuit, non sans donner des signes de fureur par un froncement de sa peau postérieure, bleue comme celle de certains singes et phosphorescente la nuit ; cette grimace figure assez bien, en rides blanches, la graphique du mot français : " Complet ".
            Quelques spécimens de l'espèce se sont toutefois laissé domestiquer : ils obéissent avec une suffisante docilité à leur cornac, qui les fait avancer ou s'arrêter, en les tirant par la queue. Cet appendice diffère peu de celui de l'éléphant. La Société protectrice des animaux a obtenu, de même qu'on supporte la queue adipeuse de certains moutons du Tibet sur un petit chariot, que celle de l'omnibus fût protégée par une poignée en bois.
             Cette mesure de douceur est assez inconsidérée, car les individus sauvages dévorent les hommes, qu'ils attirent en les fascinant à la façon du serpent. Par suite d'une adaptation compliquée de leur appareil digestif, ils excrètent leurs victimes encore vivantes, après avoir assimilé les parcelles de cuivre qu'ils en ont pu extraire. Ce qui prouve qu'il y a bien digestion, c'est que l'absorption du numéraire à la surface, l'épiderme dorsal, est moindre exactement de moitié que l'assimilation à l'intérieur.                                                                                                   lelombrik.net
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            Quelques-uns vivent dans un commensalisme étrange avec le cheval, qui semble être pour eux un dangereux parasite : sa présence est en effet caractérisée par une déperdition rapide des forces locomotrices, remarquables au contraire chez les individus sains.
            On ne sait rien de leurs amours ni de leur mode de reproduction.
            La loi française paraît considérer ces grands fauves comme nuisibles, car elle ne suspend leur chasse par aucun intervalle de prohibition.

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topsy.one                                                   Post-scriptum à l'omnibus
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            Pour ménager diverses susceptibilités, nous avions cru nécessaire de ne point révéler le mystère des amours de la reproduction de l'omnibus. Disons seulement que ce phénomène suit le même processus que la reproduction de certaines plantes, dont le pollen est transporté de l'une à l'autre par les insectes qui ont pénétré dans l'intérieur. Oui, dussions-nous forcer les " voyageurs ", ainsi nommés par euphémisme, à rougir du rôle peu honorable auxquels ils se prêtent :
           " les omnibus se reproduisent par correspondance ".

*     alamy.com


                                                                            Alfred Jarry

                                                             in La Revue blanche  1901 - 1902

                  

samedi 27 mai 2017

Au Nom de Gucci Patricia Gucci ( Document EtatsUnis )

 
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                                                         Au Nom de Gucci
                                                                     Mémoires

            En janvier 1990 mourrait l'homme qui donna son nom à un empire de la mode planétaire, développé depuis un petit atelier dédié au cuir. Aldo Gucci livrait, apprenait, puis des circonstances propices lui permirent d'exprimer son savoir faire en matière commerciale, son goût de l'élégance. A Florence l'homme au Borsalino grandit. Très jeune il dut épouser une jeune anglaise qui lui donna trois fils. Il en fut fier, mais déchanta lorsque les profits et l'expansion de la société devinrent trop importants pour qu'il soit seul maître à bord. Des conseils d'administration sortaient des fils éprouvés par la main-mise du père désireux d'ouvertures. Dans les boutiques à Milan aux EtatsUnis, au Japon, à Hong-Kong et des stars, Grace Kelly, Rita Hayworth, Cary Grant etc, les clients se bousculaient. A Rome il séduisit l'une de ses vendeuses devenue secrétaire, puis après diverses péripéties, sa  compagne jusqu'à ses derniers moments. 30 ans les séparaient et lorsque Patrizia naquit ses fils lui avaient déjà donné sept petits enfants. L'oeuvre immense racontée par sa fille continuellement entre deux domiciles, deux écoles, fut démantelée, au bord de la faillite, la prison le guetta, après avoir refusé à l'un de ses fils l'extension que celui-ci réclamait. Fils, neveux, frères, se déchirèrent. Et sa fille grandit, rapprochée d'un père aux infidélités multiples. En Italie, le divorce n'est admis que depuis peu, et là encore Aldo Gucci fit preuve de volonté et de fantaisie en réussissant un mariage avec sa chère Bruna, la mère de Patricia à qui il fera toujours confiance, jusqu'à sa mort à 84 ans. La haine, la vengeance, l'argent. Minoritaire, dépossédé Aldo Gucci vit son immense domaine vendu à une société sise à Bahreïn. Les termes du rachat durent rester secrets dix ans. Avec l'auteur le lecteur passe d'u continent à l'autre, survol de vies survoltées à la vitesse du Concorde en service durant ces années, à l'exception de Bruna, réservée, mal à l'aise, mais tous très catholiques, croyants. La maison Gucci fondée par Guccio Gucci père de Guido en 1921, fut achetée puis revendue. L'histoire est intéressante, Zola aurait aimé.  

lundi 22 mai 2017

Papiers Collés Georges Perros extraits 2 ( Flash France )

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thechangebook.org

               
            " Un romantique est un artiste que le grand mécontentement de soi rend productif, 
            qui porte le regard loin de soi et de son époque, vers le passé "
                                                                            "  Nietzsche "
                                                                                                in
                                                                             Papiers collés

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            Il est devenu très intelligent de s'engager. Et je comprends les communistes, même quand ils sont intelligents. Etre pour quelque chose, non pour quelqu'un, dans l'histoire, c'est une sensation qui doit avoir son prix. Au reste, je comprends tout le monde. Je me comprends moins bien.


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            Pour qu'un penseur soit intéressant, il faut qu'il ne puisse pas penser jusqu'au bout. Car il n'y a pas de bout. Il y a un charme. La pensée est enlevée, fait la roue, et ruine l'ambition d'absolu. Tout est à refaire, toujours, pour un homme d'esprit. C'est pourquoi la notion de progrès ne lui convient pas. Ce ne sont perpétuellement qu'essais, tentatives, pour faire sauter la machine. Qui ne saute pas.


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            Je me demande toujours de qui et pour qui parlent les intellectuels, les artistes, les poètes. Leur ambition est claire. Ils veulent toucher ceux qui sont incapables de les comprendre. Ils veulent se faire lire par qui ne lit que le journal. Il en est de même en amour. Si une femme a de l'esprit et vous aime pour le vôtre, c'est assez navrant. Mais être aimé par une petite lingère, que ni le Bien ni le Mal, ni le libre arbitre, ni la révolution n'empêchent de dormir et de travailler, c'est le voeu. Nous sommes loin du XVIIIè siècle, contraire absolu, où l'on profitait de l'esprit pour s'aimer, et de l'amour pour faire de l'esprit.


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                                                                                                                                    clioetcalliope.com
             On ne fait taire le silence qu'en parlant moins fort que lui.
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           Les sots mettent du temps pour comprendre. Les intelligents pour ne pas comprendre.
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           Cours d'éducation moderne. Dites trois fois :
          - Dieu est mort. La vie est absurde. Il faut une révolution, etc. -
           C'est bien. Maintenant, allez jouer aux billes.
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           Le vent est loquace, comme tous les solitaires.

                                                                            Hugo
                                                                                    un
                                                                                        Papiers collés
                                                         Georges Perros


                                  

samedi 20 mai 2017

Le concombre fugitif Octave Mirbeau ( Nouvelle France )

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chefsimon.lemonde.fr


                                                         Le concombre fugitif

            Il y a bien longtemps que je désirais une merveilleuse plante qui s'appelle Sylphium albyflorum. En vain, je l'avais réclamée partout, aux horticulteurs, aux collectionneurs, aux muséums,  aux jardins botaniques. En vain, je l'avais réclamée de l'Angleterre, de l'Amérique, de la Belgique, et même de ce botaniste, passionné et charmant, de Genève, M.H. Correvon, qui cultive, dans ses curieux jardins de Plainpalais, tout ce que la Flore universelle peut donner de plantes révélatrices de beauté. Comme je me désolais de l'inutilité de mes recherches, quelqu'un me dit :
            - Je connais un bonhomme qui l'a, peut-être, votre plante. C'est une espèce d'original, très amusant, et dont la coquetterie est de posséder des fleurs que personne ne possède. Il en a, paraît-il, d'extraordinaires ; allez le voir. Il habite Granville, et, par une prédestination singulière, son nom est Hortus.
            Le lendemain, j'étais à Granville.
            Je trouvai le père Hortus dans son clos. C'était un vieux petit bonhomme, très rouge de peau, très blanc de cheveux, et qui, en manches de chemise, le chef couvert d'un chapeau de paille, en forme de tente, jouait du cornet à pistons devant un hibiscus.
            - Je crois que ça y est, me dit-il, en m'apercevant... Cette fois, je le tiens, le gredin...
           Et comme je paraissais intrigué par cet accueil, le père Hortus m'expliqua :
           - Voilà... Moi, je n'aime que les plantes qui font des blagues...Seulement, je suis aussi rosse qu'elles... et je les embête... Savez-vous ce que je viens de faire ?... Je viens de féconder un hibiscus... L'hibiscus déteste la musique... Eh bien ! je lui joue du cornet à pistons, juste au moment de la fécondation... Ca l'embête, ça le dérange... ça le met en rage... ça lui fait perdre la boule... et il va se féconder de travers, c'est-à-dire qu'il va me donner des graines d'où sortira une espèce de monstre cocasse, qui, sera un hibiscus sans en être un, qui sera une plante comme on n'en a jamais vue...
            Je le félicitai vivement de ce procédé de culture et lui expliquai le but de ma visite.
            - Moi, je n'ai pas ça, me répondit le père Hortus... ou du moins je ne sais pas si je l'ai... car j'ai un tas de plantes dont je ne sais pas le nom... Mais j'ai autre chose de bien plus curieux que tous vos sylphiums... c'est le concombre fugitif... je vais vous le montrer...            123rf.com
Résultat de recherche d'images pour "jardinier chapeau rigolo"            Et il m'engagea à le suivre.  gnes, et traversé par de larges allées herbues. Jamais, même dans un jardin abandonné, je ne vis pareil désordre. Les plates-bandes, les planches, picturées, jamais rajeunies par la bêche ou l'humble binette, offraient l'indescriptible spectacle de plantes emmêlées les unes dans les autres, au point qu'il était impossible de les reconnaître. Et tout cela, jauni, roussi, jonchant la terre dure, disputant aux herbes folles le peu de fraîcheur restée dans le sol brûlé par le soleil.
            - Ah ! vous allez rire, me dit le père Hortus...
            Il s'arrêta devant une planche, se baissa, écarta quelques tiges séchées de phlox.
            - C'est là ! fit-il... Ah ! c'est un concombre impayable que le concombre fugitif !... A le voir, il n'a rien de particulier... Mais dès qu'on veut le prendre... Il fiche le camp... il s'en va au diable... impossible de le manier...
            Le père Hortus cherchait toujours, à travers le lacis des tiges jaunies qu'il écartait d'une main brutale.
            - Mais je ne le vois pas, cet animal-là... Où est-il ?... Il est à se balader, bien sûr... C'est toujours la même chose. Quand on vient pour le voir, il n'est jamais là...
            Et se tournant vers moi, il me dit :
            - Est-ce curieux, tout de même !... Un concombre !... Attendons un peu, il ne va pas tarder à revenir...
            Je ne savais si le père Hortus était véritablement fou, ou s'il voulait me mystifier, et je me disposais à interrompre ma visite quand, tout à coup, le bonhomme se précipitant à plat ventre, dans la planche de fleurs, cria :
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            Et je vis sa main noueuse cherchant à étreindre quelque chose qui fuyait devant elle, quelque chose de long, de rond et de vert qui ressemblait, en effet, à un concombre, et qui, sautant à petits bonds, insaisissable et diabolique, disparut, soudain, derrière une touffe...



lesjardinsdemartinique.blogs.lalibre.be       

                                                                                  Octave Mirbeau





                                                                                   

vendredi 19 mai 2017

Papiers collés Georges Perros extraits 1( Flash France )

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youtube.com


                                                        Papiers collés
                                                                 ( extraits )

            Un journal ne trouve sa raison d'être que s'il rend compte d'un naturel. Or le naturel n'existe pas, se contamine lui-même. C'est son accumulation qui le décrète.


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            Le drame de la vie c'est qu'il peut ne rien s'y passer.


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            Il est sans doute vrai que le monde est haïssable, puisque tant de personnalités influentes l'ont déclaré. Les moralistes, entre autres, n'ont jamais dit autre chose comme si de le dire leur permettait de vivre un jour de plus. La solitude a toujours été négative. La vie en société mène au suicide. Ce qui ne nous empêche nullement d'avoir des amis, et de supporter le " je vous aime " de l'autre sexe. Alors ? Est-on capable d'aimer très longtemps ? D'être aimé très longtemps ? Non. On joue. Mais à quoi ? Aucun jeu ne supporte deux vainqueurs. Match nul ? Oui, nul. Mais comment faire l'amour ?


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            Nous sommes responsables des idées involontaires, imprévues qui nous traversent. Ces idées dussent-elles ruiner le patient édifice. Penser, assumer la perpétuité de ce qu'on ne savait pas penser, voilà la responsabilité.


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            Toute grande réussite cache un échec. On admire jamais un homme pour ce qu'il a d'admirable et qui ne s'est pas manifesté, mais pour ce que ses manques les plus hauts lui ont permis de faire à l'étage inférieur. Tel qui souhaitait d'être un auteur dramatique, et a échoué, en silence, devient le premier metteur en scène d'un pays, etc.
             


                                                   Georges Perros

                                                             extraits des Papiers collés



                                                    

jeudi 18 mai 2017

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 75 Samuel Pepys ( journal Angleterre )

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                                                                                                  1er août 1662

            Levé avec mal de tête et au bureau où Cooper m'a donné une leçon sur ma maquette. Fort agréable.
            Puis toute la matinée à mon travail qui s'accroît car les gens s'adressent à moi maintenant. A midi à la Bourse. Rencontré Mr Creed et Mr Moore et allâmes dîner tous les trois dans une maison voisine ( ce qui me déplut ). Après le dîner et une conversation banale retour en voiture car il pleuvait à verse, et au bureau tout l'après-midi jusque dans la soirée où j'allai dans ma chambre. Et là, Dieu me pardonne, j'ai été fâché d'apprendre que la servante de sir William Penn, Betty, était partie hier, car j'avais espoir de m'ébaudir avec elle avant son départ, car elle est fort jolie. J'ai aussi envie de ma propre servante, mais je n'ose pas, de crainte qu'elle ne se montre honnête fille, refuse et ensuite ne le dise à ma femme.
            Je suis resté debout tard, ai préparé mon départ pour Chatham demain. Et au lit. Ayant mal aux couillons à la suite de ma petite course en voiture aujourd'hui, revenant de la Bourse, ce qui me tracasse.


                                                                                                    2 aoüt

           Levé de bonne heure et mis mes vêtements pour monter à cheval, puis à mon bureau où j'écrivis des lettres à mon père et à ma femme. en prévision de ce soir. Puis à mon travail de bureau, et achevé, je pris un canot avec Will pour Greenwich, où je fus contrarié de l'absence du capitaine Cocke et allai me promener dans le parc en attendant qu'il vint m'y retrouver. Contrarié aussi que Will ait oublié d'apporter mes bottes par le canot, car je fus forcé de le renvoyer les chercher. J'allai chez le capitaine Cocke pour dîner. J'ai trouvé sa femme toujours aussi jolie, mais n'ayant pas aussi bon caractère que je l'avais cru. On nous a servi un bon repas simple, et je vois qu'ils vivent très modestement. J'ai mangé, avec d'autres fruits, quantité de mûres que je n'avais pas goûtées depuis que j'étais à Ashtead chez mon cousin Pepys. Après le dîner prîmes le canot et fîmes un agréabe trajet jusqu'à Gravesend, mais il était 9 heures du soir quand nous arrivâmes de sorte que nous ne savions vraiment que faire, rester ou non. D'autant plus que je craignais le cheval à cause de ma douleur aux couillons. Mais au Cygne, trouvant Mr Hempson et le lieutenant Carteret du Forsight venus me rejoindre, j'empruntai le cheval de Mr Hempson qui en prit un autre, et nous fûmes à Rochester à cheval dans la nuit. A la Couronne Mr Gregory, Mr Barrow et d'autres m'attendaient. Après un verre de vin nous nous rendîmes à notre canot major, qu'on m'avait préparé, et au manoir de la colline où nous ne tardâmes à aller au lit. Avant de dormir, je racontai en matière de conversation au capitaine Cocke mon opération de la pierre, ce qui lui plut fort. Et puis sommeil.


                                                                                            3 août
                                                                      Jour du Seigneur                  rue-des-maquettes.com  
Résultat de recherche d'images pour "maquette de bateaux"            Levé de bonne heure, été à l'Arsenal avec le capitaine Cocke. Belle promenade et beau temps. Nous promenâmes jusqu'à l'arrivée du commissaire Pett qui nous emmena chez lui et nous montra son jardin et toutes les belles choses qu'il a. Il nous fit servir un beau déjeuner de tartines de beurre, de friandises et d'autres mets fort choisis, et des boissons fortes, aussi je n'ai pu éviter d'avoir mal à la tête, si peu que j'en ai pris. Là-dessus sont arrivés le commandant Allen du Forsight et d'autres officiers de l'arsenal pour me voir.
             Au bout d'un moment à l'église en voiture avec le commissaire, entendu un ennuyeux sermon. L'église était pleine, il y avait quelques jolies femmes, notamment Beck Allen demoiselle d'honneur d'un couple récemment marié et venu à l'église aujourd'hui et, ce qui est assez étrange, leur banc était tendu de deuil pour la mère de la jeune mariée. Il me semble qu'on aurait dû l'enlever. Sortant de l'église saluai Mrs Pratt et d'autres femmes d'officiers venues avec nous en voiture. Le commissaire resta avec moi et on nous servit un bon dîner, meilleur que je n'aurais voulu, mais je vis que je ne pouvais y échapper.
             Après le dîner, le commissaire, et moi laissâmes la compagnie pour nous promener dans le jardin du manoir de la colline qui est fort agréable, et parler de nos affaires et de questions de marine.
Puis de nouveau à l'église, bien las, et après le sermon parcourus avec lui à pied l'arsenal et les champs et vis l'endroit où on veut créer le bassin à flot. Retour chez lui, pris du lait caillé et vis son cabinet qui n'est pas à la hauteur de ce que j'espérais, mais il y avait des maquettes de navires vraiment belles, sans que je pusse juger de leur valeur. Le soir rentrai à pied au manoir de la colline accompagné de Mr Barrow, causant des défaillances de l'arsenal et nous promenant dans les champs une ou deux heures, rentrai souper et le capitaine Cocke fûmes au lit.
            Aujourd'hui il m'a raconté, entre autres histoires, combien être bourreau en Pologne est une chose méprisée, bien que ce soit une fonction honorable, et que de son temps il avait fallu faire quelques réfections au gibet de la ville, en pierre et fort beau. Mais on ne put trouver personne pour le réparer et il fallut que le bourgmestre ou maire de la ville et toutes les corporations des métiers nécessaires se rendissent en procession solennelle, en habits de cérémonie et avec drapeaux jusqu'à ce lieu, et là le bourgmestre donna le premier coup de marteau à la charpente de bois, le reste des maîtres de corporation fit de même sur les parties qui relevaient de leur métier afin que les ouvriers n'eussent point honte de travailler au gibet.


                                                                                                             4 août 1662
patrimoine-histoire.fr
Image associée            Levé à 4 heures du matin et allai à pied au bassin où le commissaire Pett et moi avons pris le canot major pour aller aux bâtiments de garde et faire l'appel des équipages, et avons trouvé bien peu d'hommes à bord. De là au Sovereign que nous trouvons en bon ordre et fort propre, ce qui nous a fait grand plaisir, mais peu d'officiers étaient à bord.. Puis au Charles que nous avons été ennuyés de trouver si négligemment entretenu par le lieutenant en pied, Clements qui m'a toujours paru excellent officier. C'est un très beau navire. Puis au fort d'Upnor où nous montâmes tout en haut. Il y a là une très belle vue, mais la place est mal fortifiée. Puis à l'arsenal où nous avons fait l'appel de tout le personnel du temps de paix. La multitude de domestiques et de vieillard caducs provoque un grand désordre. Il faut remédier à cela. Puis dans tous les magasins, inspectâmes les provisions de toutes sortes et le chanvre. Nous trouvons celui du capitaine Cocke ( venu voir avec moi ), fort mauvais, et celui d'autres. Et c'est avec beaucoup de satisfaction, Dieu me le pardonne, que j'appris par le clerc de la corderie que c'est en vertu d'une lettre personnelle de sir William Batten qu'un envoi de l'échevin Barker a été accepté.
            Allai au dîner, au manoir de la colline à 2 heures. Réglai ensuite les affaires de beaucoup de gens puis retournai à l'arsenal 'et examinai les maisons de Mr Gregory et de Mr Barrow pour voir le sujet de leur querelle à propos de modifications que Barrow veut faire et dont je rendrai compte au Conseil de la marine. Mais leurs deux maisons sont fort jolies et le méritent car elles sont bien entretenues. Puis je fis essayer différentes sortes de chanvre. On n'a pas pu le faire aussi bien qu'à Woolwich, mais nous nous en sommes assez bien tirés.
            Pris le canot major au bassin et fus à Rochester où avec le capitaine Cocke et deux hommes prîmes une voiture vers 8 h du soir et allâmes à Gravesend où il faisait déjà tout à fait nuit avant notre arrivée au Cygne et, rencontrant là Doncaster un ancien batelier que j'avais à Londres, nous mangeons un rapide souper, en nous ébaudissant avec ce plaisantin de cocher ivre qui nous avait amenés, et puis nous prîmes le bateau. Il faisait tout à fait nuit et le vent se levait et notre batelier ne connaissait pas cette partie du fleuve, de sorte que nous fûmes bientôt jetés sur la rive de l'Essex. Mais nous repartîmes et continuâmes de notre mieux. Mais j'avais si peur que je ne pus dormir avant Erith, et là le vent commença à s'apaiser et les étoiles à se montrer et je commençai à reprendre courage et les autres aussi. Et nous réussîmes à sommeiller un peu.    
           Au-dessus de Woolwich nous nous perdîmes et revînmes à Blackwall et courûmes en tous sens sans rien pour nous guider que les aboiements d'un chien que nous avions remarqué en passant.
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et nous nous retrouvâmes à grand peine après avoir décrit quelques cercles, et continuâmes et à Greenwich nous nous approchâmes de la rive, à l'avant le capitaine Cocke et moi, hélant tous les navires royaux de Deptford, sans pouvoir réveiller un seul homme, de sorte que nous aurions pu faire ce que nous voulions de leurs navires. Enfin un homme s'éveilla, mais c'était un navire marchand, le
Résultat de recherche d'images pour "maquette de bateaux"Royal Catherine. J'arrivai ainsi au bassin de la Tour, et à la maison où la servante m'attendait sans être allée se coucher. Il était environ 3 heures, et faisant sortir Mr Bodham de mon lit, je me couchai et dormis jusqu'à 9 heures, et puis au bureau où nous avons été en réunion toute la matinée. J'ai rendu compte de ma mission. Dînai seul chez moi, me réjouissant de ce qu'on a commencé à mettre les tuiles sur ma maison, et retournai au bureau tout l'après-midi jusqu'à ce qu'il fît si noir que je ne pouvais presque pas voir ce que   je mets maintenant sur le papier en écrivant ce mot. Et puis dans ma      linternaute.com
 chambre et au lit, car j'avais sommeil.


                                                                                                      6 août 1662

            Levé de bonne heure et allant au bureau rencontrai sir George Carteret qui arrivait par le jardin. Me promenai avec lui causant un bon moment de sir William Batten. Je vois qu'il descend dans l'estime de tout le monde et qu'il perd son honnêteté d'après cette lettre qu'il a écrite au commandant Allen au sujet du chanvre de l'échevin Barker. Puis par le fleuve à Whitehall et à St James. Mais j'apprends là que Mr Coventry est parti pour Hampton Court. Allai donc chez milord, mais lui aussi est parti, car c'est aujourd'hui une journée importante pour des affaires du Conseil en présence du roi. Et je rencontrai Mr Pearse le chirurgien. Il m'a raconté que Mr Edward Montagu a eu, il y a peu, un duel avec Mr Cholmley, premier huissier de la reine et a été envoyé comme messager par le roi auprès de celle-ci au Portugal, est un excellent homme mais a reçu nombre d'affronts de Mr Montagu et l'a fait si bien rompre qu'il en est tombé dans un fossé et a lâché son épée. Mais lui, honorablement, n'a pas voulu en profiter et lui a laissé la vie. Tout le monde dit que Mr Montagu s'est comporté de piètre façon dans cette affaire et est à jamais perdu d'honneur auprès de tout ce qui compte, ce dont je me réjouis fort, espérant que cela rabattra son orgueil. On me dit aussi qu'il a fait demander à milord de lui prêter 400 livres en donnant la garantie de son frère Harvey, et que milord va les lui prêter, ce que je déplore.
            Puis à la maison toute la journée, au bureau et dîner. J'ai du mal à m'empêcher d'avoir envie de ma servante, mais j'espère ne pas succomber à quelque chose d'aussi honteux pour moi. Tout l'après-midi aussi au bureau à travailler. Dans la soirée visite de Mr Bland le négociant qui a longtemps vécu en Espagne et est concerné par l'affaire de Tanger. Après son départ il m'a envoyé trois ou quatre ouvrages imprimés qu'il a écrits sur le commerce en général et sur Tanger en particulier. Mais je n'y trouve guère de substance. Puis cet après-midi visite de Mr Waith qui m'a raconté sur la Caisse beaucoup de choses que je suis décidé à examiner. Je vois qu'il se rend compte de la façon dont sir William Batten se comporte et qu'il se réjouit de tout ce qui le déssert. Je me rends compte qu'il est fort inquiet, et hier matin, en nous promenant dans le jardin, il m'a dit qu'il voyait bien qu'on projetait de le remplacer et qu'il remarquait bien que je me liguais avec d'autres, et que nous traitions les affaires entre nous, sans lui. Ce qui est en partie vrai. Mais j'ai nié, en toute honnêteté, qu'il y eût projet de lui faire un si grand tort. Il m'a dit qu'il ne le disait pas de moi particulièrement, mais qu'il y avait quelqu'un qu'on voulait introduire. Et que même la mine avait été posée avant le départ de sir William Penn, ce que je fus heureux de lui entendre dire. En somme je m'aperçois qu'il se voit ébranlé et soupçonné et qu'il voudrait être aimable avec moi. Mais je fais mon travail au bureau sans m'occuper de lui.
            Le soir, pendant que j'écrivais dans mon cabinet de travail, une souris a couru sur ma table, et je l'ai rapidement enfermée sous l'étagère jusqu'à demain. Puis rentrai et au lit.


                                                                                                             7 août
                                                                                                                       
Résultat de recherche d'images pour "homme envie servante"            Levé à 4 heures et à mon bureau. Au bout d'un moment arrive Mr Cooper et nous nous mettons à notre maquette, ce qui me plaît de plus en plus. Jusqu'à 8 heures, et réunion au bureau toute la matinée, ce à quoi je prends un intérêt de plus en plus grand, Dieu soit loué. Ce matin, de façon inattendue, j'ai obtenu que Mr Cooper soit nommé lieutenant en pied du Réserve, ce qui n'a été possible qu'en choisissant un moment opportun pour mettre cette question en discussion et qui est un des heureux effets d'être assidu au bureau, de sorte que rien ne se fait sans moi et que je peux choisir mon heure pour proposer ce que je désire. Dînai à la maison et retour au bureau tout l'après-midi, puis souper et au lit. Faire mon travail m'est devenu un plaisir. Cela tient surtout à ce que je ne prends pas de vin et ne vais pas au théâtre.


                                                                                                              8 août 1662

            Levé à 4 heures et à 5 heures allai par le fleuve à Woolwich pour voir comment on procède au goudronnage et passai toute la matinée à examiner les différents procédés utilisés dans la fabrication des cordages et autres choses du même ordre, à ma grande satisfaction. Venu de Hampton Court arrive Mr Coventry, à midi, exprès pour voir la même chose, et dînai avec Mr Falconer. Fis ensuite divers essais de chanvres, en particulier du chanvre de Milan qui nous arrive tout préparé.
            De là à pied à Greenwich, tenant des propos fort intéressants et même excellents. Entre autres la règle qu'il a de tenir quiconque lui propose quelque chose comme un fripon, ou du moins a quelque intérêt personnel. Règle où il a été conduit par l'histoire de sir John Millicent qui voulait obtenir du roi Jacques des lettres patentes autorisant tout le monde à lui verser un shilling et lui à le recevoir de quiconque, et quand on lui répondit que cela était honnête, quel besoin il avait de lettres patentes pour cela et ce qu'il ferait à ceux qui ne voudraient rien lui verser, il répondit qu'il ne les forcerait pas mais qu'ils seraient convoqués devant le Conseil d'Etat pour donner les raisons de leur refus.
            Une autre règle, c'est un proverbe qu'on lui a enseigné qui dit que quiconque ne sait pas rester immobile dans son cabinet ( je n'ai pas compris ce qu'il voulait dire ) et qui ne sait pas dire non ( c'est-à-dire est trop bonne pâte pour savoir refuser ou contrecarrer quelqu'un ) n'est pas propre aux affaires. Ce dernier point est un de mes grands défauts, dont je dois me corriger.
            Puis canot, et comme j'étais échauffé il m'enveloppa des basques de son manteau. et qu'il y avait des vagues il me raconta le passage d'un Français sous le Pont de Londres. Quand celui-ci vit la vitesse du courant il se mit à se signer et à dire des prières, et dès qu'il eut franchi le pont, il jura " Morbleu, c'est le plus grand plaisir du monde " ce qui est une manière bien française.
            A Deptford où nous arrivâmes par surprise à l'arsenal et rassemblâmes le personnel, découvrant bien des abus que nous saurons par la suite mieux saisir et corriger. Puis à pied à Rotherhithe et au Pont de Londres, où je le quittai. Et à pied à la maison. Un peu travaillé, puis souper et au lit.


                                                                                                                   9 août
museumofinart.boston.com
            Levé à 4 heures ou peu après, et à mon bureau où arrive bientôt Cooper à qui j'annonce que je lui avais obtenu le Réserve, ce dont il fut très reconnaissant, et nous nous mîmes au travail sur notre maquette, passant une bonne matinée sur le gréement, et je regrette bien de devoir le perdre dans si peu de temps. Au bout d'un moment arrive Mr Coventry. Nous avons travaillé ensemble seuls au bureau toute la matinée. Puis dîner à Trinity House et partîmes dans sa voiture pour Whitehall. Mais, comme il y avait un obstacle au Savoy, nous descendîmes et partîmes par le fleuve, et comme milord Sandwich n'était pas à Londres, nous nous sommes séparés là, ayant bien causé le long du chemin, et en somme je trouve que c'est la personne la plus fine que j'aie jamais rencontrée. Et c'est un bonheur d'être de ses amis. Rentrai par le fleuve et travaillai dans mon bureau, écrit une lettre à mon frère John pour le dissuader d'être modérateur de sa promotion ce qui, me dit-on, lui a été proposé et dont je suis très heureux. Au bout d'un moment arrive Cooper, et à la chandelle, étudions la maquette, car je désire apprendre de lui tout ce que je peux avant son départ.
            Puis rentrai et au lit.


                                                                                                                 10 août
   fontainebleau-photo.com                                                                                           Jour du Seigneur
Résultat de recherche d'images pour "homme envie servante"            Devant dîner chez mon frère je partis à pied à St Dunstan. L'église est maintenant terminée et elle est fort belle. J'entendis le Dr Bates. Il a prêché un très éloquent sermon, et je regrette d'avoir toujours eu si piètre opinion de lui, car il y a longtemps que je n'ai pas entendu un sermon si bien tourné et plus à mon goût. Puis chez Tom où je vis le Dr Fairbrother qui arrivait de Cambridge, et le Dr Tom Pepys. Je me fis aussi agréable que je pouvais, mais j'avais l'esprit ailleurs. Vint mon oncle Fenner, sachant que j'étais là. Il me parla de l'affaire de la part d'héritage de Peg Kite, que son mari réclame. Mais je ne veux jouer aucun rôle là-dedans. Je crois qu'il n'a pas envie de se dessaisir de cet argent. Mais qu'il fasse ce qu'il voudra. Il me dit que le nouveau Livre des offices qui vient de paraître a été posé sur le pupitre du Saint-Sépultre pour que Mr Gouge le lût. Mais il l'a ôté et refuse d'y toucher. Et je vois bien que les presbytériens s'apprêtent à tout quitter pour la Saint-Barthélémy. C'est Mr Herring récemment expulsé de St Bride qui a lu le psaume aux fidèles pendant qu'ils chantaient chez le Dr Bates, ce qui me semble une étrange façon de procéder.
            Après dîner à St Bride où j'entendis un certain Carpenter, un vieillard qui, dit-on, a été prêtre jésuite et qui est passé de notre côté, mais il prêche très bien. Rentrai avec Mrs Turner et j'apprends que Mr Calamy a fait ses adieux aujourd'hui à ses paroissiens, et que les autres feront de même dimanche prochain. Mr Turner, le drapier, me dit-on, est fait chevalier, nommé échevin et est choisi par le roi pour être shérif avec sir Thomas Bludworth l'année prochaine. On les appelle donc fort honorablement les shérifs du roi.
            Puis rentrai à pied, rencontrant Mr Moore en chemin. Il vint avec moi et nous nous promenâmes jusqu'à la nuit dans le jardin, et puis bonsoir. Et moi je fus dans mon cabinet, au bureau, pour mettre mon journal au net et lire mes voeux solennels, et au lit.


                                                                                                                      11 août

            Toute la matinée au bureau. Dînai tout seul à la maison. Puis à mon bureau où le doyen Fuller est venu me voir, et comme il avait à traiter à propos d'un navire qui doit transporter ses affaires à Dublin où il doit bientôt retourner, j'allai avec lui à l'Ermitage, et comme ce navire se trouvait être celui du commandant Holland je donnai ordre qu'on prit bon soin de ses affaires. De là à la douane pour obtenir un laisser-passer pour celles-ci, puis à la taverne du Dauphin où il m'en a coûté 6 pence, mais je ne bus qu'un seul verre de vin, et nous nous sommes quittés. Il me dit que sa nièce qui chante si bien, et que j'ai depuis longtemps envie de connaître, a épousé un certain Mr Boys, négociant en gros à l'enseigne des Trois Couronnes dans Cheapside.
            Retourné au bureau où arriva Cooper. Il m'a donné ma dernière leçon sur ma maquette et m'a dit adieu, puisqu'il doit aller demain à Chatham prendre le commandement du navire que je lui ai obtenu. A mon travail jusqu'à 9 heures, et souper, et au lit. L'esprit un peu en repos car ma maison est maintenant entièrement couverte.


                                                                                                                 12 août 1662
                                                                                                                              pinterest.com
Résultat de recherche d'images pour "homme envie servante"            De bonne heure à mon bureau, et je m'aperçois qu'on commence à s'adresser à moi. Entre autres Mr Deane, l'assistant de Woolwich qui, je le vois, va me révéler dans toute son étendue le préjudice que subit Sa Majesté dans le cubage du bois de charpente, ce dont je serai heureux. Il me promet aussi une maquette de bateau, ce qui me fera un plaisir extrême, car je veux vraiment en avoir une à moi. Nous eûmes notre réunion au bout d'un moment. Entre autres, j'eus un différend avec sir William Batten, parce que son commis à donné une autorisation de paiement à un lieutenant en pied, ce que je ne voulus pas souffrir, et en fis signer une autre. Il demande que l'affaire soit soumise à un conseil plénier, et je le veux bien. Mais bien que j'en ai fait signer une autre établie par mon propre commis, je la donnerai quand même à son commis, parce que je ne veux pas qu'on juge que je manque de complaisance, bien que je ne veuille pas céder sur mon privilège. A midi rentrai à la maison et dînai seul, et de nouveau au bureau.
            Je fus occupé tout l'après-midi jusqu'à 10 heures du soir, puis souper et au lit, l'esprit un peu troublé par ma querelle d'aujourd'hui, mais cet après-midi j'ai enfin parlé avec son commis Norman, et lui ai donné les raisons de mon exigence.


                                                                                                              13 août

            Levé de bonne heure et à mon bureau où on est venu me voir pour affaires, et au bout d'un moment nous avons une réunion à fin expresse de nous enquérir de l'affaire des fabricants de pavillons. Je suis la principale personne chargée de l'affaire contre eux, au nom du roi, et je trouve là la plus grande tromperie que j'aie jamais trouvée, car on leur donne 8 pence par yard sous couleur d'un contrat où il n'y a rien de pareil. C'est 3 pence de plus que ce qu'on payait auparavant, ce que je propose au Conseil de leur payer. Nous n'en avons pas totalement terminé, mais avons remis cela à une autre fois.
            A midi avec le commissaire Pett à Greenwich, par le fleuve. Montâmes à bord des bateaux de plaisance pour voir ce qui leur manquait, car ils ont ordre de prendre la mer, ce sont toujours, à mon avis, de bien jolis bateaux. Puis à terre et au Navire où nous prîmes quelque nourriture pour dîner. Vint nous saluer un barbier que connaît Mr Pett, et qui joue très bien du violon. De là à Lambeth où nous avons vu le petit bateau de plaisir que font construire le roi, Mr Brouncker et les virtuosi de Londres, sur de nouveaux plans. Ce qu'il vaut nous le verrons bien plus tard. Rentré par le fleuve et occupé tard dans mon cabinet de travail, rédigé à l'intention des arsenaux une lettre de blâmes et d'instructions que le Conseil signera. Ai mis tous mes soins. Puis à la maison, et au lit.


                                                                                                                 14 août
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Résultat de recherche d'images pour "bateaux voiliers peintures"            Levé de bonne heure, été examiner mes travaux, et je vois que ma maison avance bien. Puis à mon bureau pour préparer le travail, puis réunion jusqu'à midi. Puis, sur invitation, avec le commissaire Pett et dans la voiture envoyée par sir John Winter, à la Mître dans Fenchurch Street, manger un pâté de chevreuil. Je l'ai trouvé homme très digne et bon causeur, il a surtout parlé de la forêt de Dean, de son bois de charpente et de ses fonderies avec leur grande antériorité et les vastes amas de scories qui s'y trouvent et qui sont à l'heure actuelle très précieuses étant indispensables encore aujourd'hui pour la fabrication du fer, car sans elles on ne pourrait rien faire, et de l'âge de nombreux arbres restés debout après qu'une tempête en eut abattu un grand nombre du temps d'Edouard III; et sont connus sous le nom " arbres du défend " et qu'on appelle encore aujourd'hui " arbres du dévend ".
            Puis à mon bureau, travaillé tard et rentrai, et au lit.


                                                                                                                  15 août

            Levé de très bonne heure, été voir comment avancent mes travaux. Je suis assez satisfait. Le cabinet de ma femme, en particulier, sera très élégant, puis à mon bureau occupé toute la matinée. Beaucoup de visiteurs. A midi à la Bourse où on m'a parlé de certains quakers arrêtés et qui voulaient faire sauter la prison de Southwark où ils sont enfermés. Puis au Cygne dans Old Fish Street où Mr Brigden et son beau-père Blackbury à qui le bureau a acheté du bois de charpente mais qui n'a pas bien agi avec nous, m'ont offert un beau dîner, à moi seul. Plus tard vint un jongleur qui nous a montré de fort jolis tours. Je lui ai fait très bonne mine, mais je n'aime pas sa façon d'agir avec nous au bureau. Après être restés ensemble une heure ou deux, j'allai à l'enclos de St Paul chez mon libraire, chez qui je ne m'étais pas arrêté depuis longtemps. Et j'apprends que le prochain dimanche sera le dernier pour de nombreux pasteurs presbytériens de Londres qui, me dit-on, vont tout quitter. Je prie Dieu que cela se termine bien, car le mécontentement est grand. Retour à mon bureau jusqu'à 9 heures, ai travaillé, et au lit. Très satisfait dans mon for intérieur d'une lettre trouvée chez moi de Mr Coventry m'exprimant sa satisfaction d'une lettre que je lui ai envoyée ce matin pour qu'il la corrige....


                                                                                                                  16 août 1662

            Levé à 4 heures et montai voir mes travaux, ce qu'on a fait hier. Je suis assez satisfait, mais je vois qu'il faudra longtemps avant qu'ils aient terminé, bien que la maison soit couverte et que je sois à l'abri des intempéries.
            Réunion toute la matinée et à midi mon oncle Wight me fit appeler chez Rawlinson où on nous a servi un cochon et le Dr Fairbrother est venu me voir et a dîné avec nous, puis il partit et je restai à la prière de mon oncle. Il commença à me parler de notre différend avec Mr Young au sujet des pavillons, me demandant de nous réconcilier. Mais je lui exposai la situation et cela lui suffit, il n'en dit pas plus. Rentrai et montai au milieu de mes ouvriers que j'ai trouvés actifs, mes travaux avancent assez bien. Puis à mon bureau jusqu'au soir, mangeai un morceau et au lit.


                                                                   à suivre..........
                                                                                                   17 août
                                                                                  Jour du.........
            Levé de.......

     


 


            

dimanche 14 mai 2017

La peau des anges Michael Katz Krefeld ( Policier Danemark )

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                                                   La peau des anges

            Roman noir. Cruel, d'autant plus que l'auteur maintient un suspens lourd, passant des personnages sans humanité à d'amicales mais rugueuses amitiés. Masja est belle, protégée, croit-elle par un Igor qui pourtant est prêt à la vendre pour payer ses dettes de jeu. Comme nombre de jeunes femmes arrivées à Copenhague d'un peu partout, surtout d'Europe de l'Est, elle vient de Lituanie, elle se prostitue dans des hôtels chics jusqu'alors. Par ailleurs à Stockholm la police découvre un nouveau cadavre debout dans une décharge, ils l'appellent " ange blanc " car ces êtres qui pourraient être embaumés mais sont en fait beaucoup plus curieusement maintenus debout. Et tout va basculer. Le livre est constitué de chapitres assez courts qui débutent quelques dizaines d'années avant de passer à 2013, 2011, de la Suède au Danemark. Visite des bas-fonds, où les filles vivent dans des chambres-cellules ou sont sur le trottoir en robe légère par - 10, ou à l'arrière de cabines de bronzage. Les gangs sont bien organisés et la police ne parvient pas à saisir le patron de ce monde meurtrier, le russe Slavros. Dans cet univers noir, une femme Nadia, mère de Masja, qui s'occupe du ménage d'un café, va confier son désespoir à Johnson, son patron. Elle a appris que Ravn un habitué du bar, est policier, et lui demande de rechercher sa fille disparue depuis plusieurs mois. Ravn est en congé maladie, ivre dès l'aube, retourne difficilement dans son appartement à la suite d'un drame, mais vit avec Mufft, chien baveux, sur son bateau ancré le long du canal. Aux " taureaux " clients psychopathes, celles qui désobéissent. La drogue anéantit les sentiments. Bon polar, assez classique, éprouvant.
                                                 

samedi 13 mai 2017

les années douces Taniguchi Kawakami ( Manga Japon )

                           Années douces (les) Vol.2



                                       Les années douces

                        D'un pas lent, dans des rues souvent tranquilles, Tsukiko et celui appelé le Professeur, traversent la ville et se rencontrent le plus souvent dans le même restaurant sans se donner rendez-vous. Ils commandent des plats typiques : " Soja fermenté au thon - Tiges de lotus frites " accompagnés de saké et de bière. La jeune femme a un jour reconnu que l'homme avec qui elle converse et se promène paisiblement fut son professeur de japonais. Elle a trente-sept ans, a eu quelques liaisons, travaille mais est célibataire. Ils avancent lentement dans une relation sans projet. Le professeur lui apporte quelques lumières sur certains quartiers, notamment les jours où les cerisiers fleurissent. Tsukiko traverse ces jours, désemparée, incertaine devant la proposition de week end d'un ancien ami. Le manga se lit avec lenteur, au rythme des balades des deux personnages. La lecture est vraiment apaisante. Tsukiko rend visite à sa mère, et elle se régale avec le tofu chaud. Le tome 2 est plus vivant puisque le Professeur qui la reprend parfois sur certains mots, dévoile un peu  ses relations avec sa femme absente. Les sentiments se dévoilent. Mais le Professeur avoue être un homme aux réactions lentes. Et bien sûr les repas toujours accompagnés de flacons de saké, de bière accompagnent les prunes au sel, rondelles de citron macérées dans du miel, infusion de riz complet.
Romantique histoire d'un vieux professeur et de son élève, amoureux, transis, surpris. Quelle issue pour ce couple que trente ans séparent mais aucun obstacle. Bon manga pour qui aime découvrir l'identité de personnages divers japonais. Jiro Taniguchi a ici adapté le roman de Hirumi Kawakami.













vendredi 12 mai 2017

Les Demoiselles de Bienfilâtre Villiers de l'Isle Adam ( Nouvelle France )




                                                      Les Demoiselles de
                                                                              Bienfilâtre

            Il y a quelques années florissait, orgueil de nos boulevards, certain vaste et lumineux café situé presque en face d'un de nos théâtres de genre dont le fronton rappelle celui d'un temple païen. Là se réunissait quotidiennement l'élite de ces jeunes gens qui se sont distingués depuis, soit par leur valeur artistique, soit par leur incapacité, soit par leur attitude dans les jours troubles que nous avons traversés.
            Parmi ces derniers il en est même qui ont tenu les rênes du char de l'Etat. Comme on le voit ce n'était pas de la petite bière que l'on trouvait dans ce café des Mille et Une Nuits. Le bourgeois de Paris ne parlait de ce pandémonium qu'en baissant le ton. Souventes fois le préfet de la ville y jetait négligemment, en manière de carte de visite, une touffe choisie, un bouquet inopiné de sergents de ville ; ceux-ci, de cet air distrait et souriant qui les distingue, y époussetaient alors, en se jouant, du bout de leurs sorties-de-bal, les têtes espiègles et mutines. C'était une attention qui, pour être délicate, n'en était pas moins sensible. Le lendemain il n'y paraissait plus.     pinterest.com 
Image associée            Sur la terrasse, entre les rangées de fiacres et le vitrage, une pelouse de femmes, une floraison de chignons échappés du crayon de Guys, attifées de toilettes invraisemblables, se prélassaient sur les chaises, auprès des guéridons de fer battu peints en vert espérance. Sur ces guéridons étaient délivrés des breuvages. Les yeux tenaient de l'émerillon et de la volaille. Les unes conservaient sur leurs genoux un gros bouquet, les autres un petit chien, les autres rien. Vous eussiez dit qu'elles attendaient quelqu'un.
            Parmi ces jeunes femmes deux se faisaient remarquer par leur assiduité. Les habitués de la salle célèbre les nommaient, tout court, Olympe et Henriette. Celles-là venaient dès le crépuscule, s'installaient dans une anfractuosité bien éclairée, réclamaient, plutôt par contenance que par besoin réel, un petit verre de vespetro ou un mazagran, puis surveillaient le passant d'un oeil méticuleux.
            Et c'étaient les demoiselles de Bienfilâtre !
            Leurs parents, gens intègres, élevés à l'école du malheur, n'avaient pas eu le moyen de leur faire goûter les joies d'un apprentissage : le métier de ce couple austère consistant, principalement, à se suspendre, à chaque instant, avec des attitudes désespérées, à cette longue torsade qui correspond à la serrure d'une porte cochère. Dur métier ! et pour recueillir, à peine et clairsemés, quelques deniers à Dieu !!! Jamais un terne n'était sorti pour eux à la loterie ! Aussi Bienfilâtre maugréait-il en se faisant le matin son petit caramel. Olympe et Henriette, en pieuses filles, comprirent, de bonne heure, qu'il fallait intervenir. Soeurs de joie depuis leur plus tendre enfance, elles consacrèrent le prix de leurs veilles et de leurs sueurs à entretenir une aisance, modeste il est vrai, mais honorable, dans la loge. - 
" Dieu bénit nos efforts " disaient-elles parfois, car on leur avait inculqué de bons principes et, tôt ou tard, une première éducation basée sur des principes solides porte ses fruits. Lorsqu'on s'inquiétait de savoir si leurs labeurs, excessifs quelquefois, n'altéraient pas leur santé, elles répondaient, évasivement, avec cet air doux et embarrassé de la modestie et en baissant les yeux : " Il y a des grâces d'état... "                                                               
            Les demoiselles de Bienfilâtre étaient, comme on dit, de ces ouvrières " qui vont en journée la nuit ".                                                                       lopezmorado96.blogspot.com
Image associée            Elles accomplissaient, aussi dignement que possible, ( vu certains préjugés du monde ), une tâche ingrate, souvent pénible. Elles n'étaient pas de ces désoeuvrées qui proscrivent, comme déshonorant, le saint calus du travail, et n'en rougissaient point. On citait d'elles plusieurs beaux traits dont la cendre de Monthyon avait dû tressaillir dans son beau cénotaphe. - Un soir, entre autres, elles avaient rivalisé d'émulation et s'étaient surpassées elles-mêmes pour solder la sépulture d'un vieux oncle, lequel ne leur avait cependant légué que le souvenir de taloches variées dont la distribution avait eu lieu naguère, aux jours de leur enfance. Aussi étaient-elles vues d'un bon oeil par tous les habitués de la salle estimable, parmi lesquels se trouvaient des gens qui ne transigeaient pas. Un signe amical, un bonsoir de la main répondaient toujours à leur regard et à leur sourire. Jamais personne ne leur avait adressé un reproche ni une plainte. Chacun reconnaissait que leur commerce était doux, affable. Bref, elles ne devaient rien à personne, faisaient honneur à tous leurs engagements et pouvaient, par conséquent, porter haut la tête. Exemplaires, elles mettaient de côté pour " quand les temps seraient durs ", pour se retirer honorablement des affaires un jour. - Rangées, elles fermaient le dimanche. En filles sages, elles ne prêtaient point l'oreille aux propos des jeunes muguets, qui ne sont bons qu'à détourner les jeunes filles de la vie rigide du devoir et du travail. Elles pensaient qu'aujourd'hui la lune seule est gratuite en amour. Leur devise était  " Célérité, Sécurité, Discrétion "et, sur leurs cartes de visite, elles ajoutaient : " Spécialités ".
            Un jour, la plus jeune, Olympe, tourna mal. Jusqu'alors irréprochable, cette malheureuse enfant écouta les tentations auxquelles l'exposait plus que d'autres ( qui la blâmeront trop vite peut-être ) le milieu où son état la contraignait de vivre. Bref, elle fit une faute : " Elle aima ".
            Ce fut sa première faute ; mais qui donc a sondé l'abîme où peut nous entraîner une première faute ? Un jeune étudiant candide, beau, doué d'une âme artiste et passionnée, mais pauvre comme Job un nommé Maxime, dont nous taisons le nom de famille, lui conta des douceurs et la mit à mal.
             Il inspira la passion céleste à cette pauvre enfant qui, vu sa position, n'avait pas plus de droits à l'éprouver qu'Eve à manger le fruit divin de l'Arbre de la Vie. De ce jour tous ses devoirs furent oubliés. Tout alla sans ordre et à la débandade. Lorsqu'une fillette a l'amour en tête, va te faire
 lanlaire !
            Et sa soeur, hélas ! cette noble Henriette qui maintenant pliait, comme on dit, sous le fardeau !
Parfois, elle se prenait la tête dans les mains, doutant de tout, de la famille, des principes, de la Société même ! - " Ce sont des mots ", criait-elle. Un jour, elle avait rencontré Olympe vêtue d'une petite robe noire, en cheveux et une petite jatte en fer blanc à la main. Henriette passant sans sembler la reconnaître, lui avait dit tout bas :
            " - Ma soeur, votre conduite est inqutalifiable ! Respectez, au moins, les apparences ! "
            Peut-être par ces paroles espérait-elle un retour vers le bien.
           Tout fut inutile. Henriette sentit qu'Olympe était perdue ; elle rougit et passa.
           Le fait est qu'on avait jasé dans la salle honorable. Le soir, lorsque Henriette arrivait seule, ce n'était plus le même accueil. Il y a des solidarités. Elle s'apercevait de certaines nuances, humiliantes. On lui marquait plus de froideur depuis la nouvelle de la malversation d'Olympe. Fière, elle souriait comme le jeune Spartiate dont un renard déchirait la poitrine, mais, dans ce coeur sensible et droit tous ces coups portaient. Pour la vraie délicatesse, un rien fait plus de mal souvent que l'outrage grossier et, sur ce point, Henriette était d'une sensibilité de sensitive. Comme elle dut souffrir !
            Et le soir donc, au souper de la famille ! Le père et la mère, baissant la tête, mangeaient en silence. On ne parlait point de l'absente. Au dessert, au moment de la liqueur, Henriette et sa mère, après s'être jeté un regard à la dérobée et avoir essuyé une larme, avaient un muet serrement de main sous la table. Et le vieux portier, désaccordé, tirait alors le cordon, sans motif, pour dissimuler quelque pleur. Parfois, brusque et en détournant la tête, il portait la main à sa boutonnière comme pour en arracher de vagues décorations.
Résultat de recherche d'images pour "constantin guys"            Une fois même, le suisse tenta de recouvrer sa fille. Morne, il prit sur lui de gravir les quelques étages du jeune homme. Là !
            " - Je désirerais ma pauvre enfant ! sanglota-t-il.
              - Monsieur, répondit Maxime, je l'aime et vous prie de m'accorder sa main.
             - Misérable ! s'était exclamé Bienfilâtre en s'enfuyant, révolté de ce cynisme ".
            Henriette avait épuisé le calice. Il fallait une dernière tentative ; elle se résigna donc à risquer tout, même le scandale. Un soir, elle apprit que la déplorable Olympe devait venir au café régler une ancienne peitte dette ; elle prévint sa famille, et l'on se dirigea vers le café lumineux.
            Pareille à la Mallonia déshonorée par Tibère et se présentant devant le Sénat romain pour accuser son violateur avant de se poignarder en son désespoir, Henriette entra dans la salle des austères. Le père et la mère, par dignité, restèrent à la porte. On prenait le café. A la vue d'Henriette les physionomies s'aggravèrent d'une certaine sévérité, les tables de marbre et il se fit un religieux                                             L'on distinguait dans un coin, honteuse et se faisant presque invisible, Olympe et sa petite robe noire, à une petite table isolée.
            Henriette parla. Pendant son discours on entrevoyait, à travers le vitrage, les Bienfilâtre inquiets, qui regardaient sans entendre. A la fin, le père n'y put tenir ; il entrebâilla la porte et, penché, l'oreille au guet, la main sur le bouton de la serrure, il écoutait.
            Et des lambeaux de phrases lui arrivaient lorsque Henriette élevait un peu la voix :
            " - L'on se devait à ses semblables !... Une telle conduite... C'était se mettre à dos tous les gens sérieux... Un galopin qui ne lui donne pas un radis !... Un vaurien !... L'ostracisme qui pesait sur elle... Dégager sa responsabilité... Une fille qui a jeté son bonnet par-dessus les moulins !... qui baye aux grues... qui, naguère encore... tenait le haut du pavé... Elle espérait que la voix de ces messieurs plus autoritaire que la sienne, que les conseils de leur vieille expérience éclairée...ramèneraient à des idées plus saines et plus pratiques... On n'est pas sur la terre pour s'amuser !... Elle les suppliait de s'entremettre... Elle avait fait appel à des souvenirs d'enfance ! à la voix du sang ! Tout avait été vain... Rien ne vibrait plus en elle. Une fille perdue ! - Et quelle aberration !... Hélas ! "
            A ce moment, le père entra, courbé, dans la salle honorable. A l'aspect du malheur immérité tout le monde se leva. Il est de certaines douleurs qu'on ne cherche pas à consoler. Chacun vint, en silence, serrer la main du digne vieillard, pour lui témoigner discrètement de la part qu'on prenait à son infortune.
            Olympe se retira, honteuse et pâle. Elle avait hésité, un instant, se sentant coupable, à se jeter dans les bras de la famille et de l'amitié, toujours ouverte au repentir. Mais la passion l'avait emporté. Un premier amour jette dans le coeur de profondes racines qui étouffaient jusqu'aux germes de sentiments antérieurs.
            Toutefois l'esclandre avait eu, dans l'organisme d'Olympe, un retentissement fatal. Sa conscience, bourrelée, se révoltait. La fièvre la prit le lendemain. Elle se mit au lit. Elle mourait de honte, littéralement. Le moral tuait le physique : la lame usait le fourreau.
            Couchée dans sa petite chambrette et sentant approcher le trépas, elle appela. De bonnes âmes voisines lui amenèrent un ministre du ciel. L'une d'entre elles émit cette remarqe qu'0lympe était faible et avait besoin de fortifications. Une fille à tout faire lui monta donc un potage.
            Le prêtre parut.                                                                                  pinterest.com
Image associée            Le vieil ecclésiastique s'efforça de la calmer par des paroles de paix, d'oubli et de miséricorde.
            - J'ai eu un amant !... murmurait Olympe, s'accusant ainsi de son déshonneur.
           Elle omettait toutes les peccadilles, les murmures, les impatiences de sa vie. Cela, seulement, lui venait à l'esprit : c'était l'obsession.
            " - Un amant ! Pour le plaisir ! Sans rien gagner ! "
            Là était le crime.
            Elle ne voulait pas atténuer sa faute en parlant de sa vie antérieure, jusque-là toutjours pure et toute d'abnégation. Elle sentait bien que là elle était irréprochable. Mais cette honte où elle succombait d'avoir fidèlement gardé de l'amour à un jeune homme sans position et qui, suivant l'expression exacte et vengeresse de sa soeur, " ne lui donnait pas un radis ! " Henriette, qui n'avait jamais failli, lui apparaissait comme dans une gloire. Elle se sentait condamnée et redoutait les foudres du souverain juge vis-à-vis duquel elle pouvait se trouver face à face d'un moment à l'autre
            L'ecclésiastique, habitué à toutes les misères humaines, attribuait au délire certains points qui lui paraissaient inexplicables, diffus même, dans la confession d'Olympe. Il y eut là, peut-être, un quiproquo, certaines expressions de la pauvre enfant ayant rendu l'abbé rêveur, deux ou trois fois. Mais le repentir, le remords, étant le point unique dont il devait se préoccuper, peu importait le détail de la faute ; la bonne volonté de la pénitente, sa douleur sincère suffisaient. Au moment donc où il allait lever la main pour absoudre, la porte s'ouvrit bruyamment : c'était Maxime, splendide, l'air heureux et rayonnant, la main pleine de quelques écus et de trois ou quatre napoléons qu'il faisait danser et sonner triomphalement. Sa famille s'était exécutée à l'occasion de ses examens : c'était pour ses inscriptions.
            Olympe, sans remarquer d'abord cette significative circonstance atténuante, étendit avec horreur, ses bras vers lui.
            Maxime s'était arrêté, stupéfait de ce tableau.
           - Courage, mon enfant !... murmura le prêtre qui crut voir dans le mouvement d'Olympe un adieu définitif à l'objet d'une joie coupable et immodeste.
Image associée**           En réalité, c'était seulement le " crime " de ce jeune homme qu'elle repoussait, et ce crime était de n'être pas " sérieux ".
            Mais au moment où l'auguste pardon descendait sur elle, un sourire céleste illumina ses traits innocents ; le prêtre pensa qu'elle se sentait sauvée et que d'obscures visions séraphiques transparaissaient pour elle sur les mortelles ténèbres de la dernière heure.
            Olympe, en effet, venait de voir vaguement les pièces du métal sacré reluire entre les doigts transfigurés de Maxime. Ce fut, seulement alors, qu'elle sentit les effets salutaires des miséricordes suprêmes ! Un voile se déchira. C'était le miracle ! Par ce signe évident, elle se voyait pardonnée d'en haut, et rachetée.
                                                                     Éblouie, la conscience apaisée, elle ferma les paupières     comme pour se recueillir avant d'ouvrir ses ailes vers les bleus infinis. Puis ses lèvres s'entrouvrirent   et son dernier souffle s'exhala, comme le parfum d'un lis, en murmurant ces paroles d'espérance :
           " - Il a éclairé ! * "


*    Éclairé / Payé en argot, note de l'éditeur.
** fineartamerica.com                                                                                         Villiers de l'Isle Adam
                                                                                in 
                                                                                   Contes cruels - Fumisteries