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1er Janvier 1665 Jour du Seigneur Grasse matinée ayant travaillé tard la nuit dernière. Levé, à mon bureau, mis de l'ordre dans mes papiers et mes comptes, comme je l'avais entrepris hier, afin de comprendre les recettes dépenses de l'année passée, qui me semblent considérables. Procédé aujourd'hui à la ventilation de mes frais afin d'évaluer le coût de mes vêtements et autres frais, c'est-à-dire chaque chapitre de mes dépenses. A midi dînâmes d'un bon pâté de venaison en croûte et d'une dinde, à nous seuls, n'ayant point d'invités, ce qui est peu usuel dans une famille aussi restreinte que la nôtre et de notre condition, mais ce fut ainsi, et fort gai. Puis, après dîner, derechef à mon bureau, je restai seul à réviser mes comptes fort tard, mais toujours sans parvenir à les ordonner, la tâche me paraît fort embrouillée, malgré le soin avec lequel je mets les choses au clair, à longueur d'année, et avec autant de méthode que faire se peut. Onze heures sonnées, rentré souper puis, au lit.
2 janvier
Levé, et par ce beau froid sec, fis un bout de chemin à pied vers Whitehall. Je fus rattrapé par la voiture de sir William Penn, montai et allâmes traiter nos affaires usuelles avec le Duc. Je dus, là, m'alléger d'une assez jolie somme dans diverses corbeilles, du moins de vastes troncs à Whitehall, et de là chez mon barbier, Jervas, où je pus parler à ma Jane seul à seul, et lui offris un petit quelque chose. Elle m'accorda, de son propre chef, de me dire où je pourrais la voir le dimanche suivant, ce à quoi je ne manquerai pas. Mais la réserve et l'ingénuité avec lesquelles elle m'en fit part m'ont paru charmantes. De là au Cygne, y lutinai un moment la jeune demoiselle Herbert, sans dommage d'ailleurs, les vieux étant sortis. Puis à la Grand-Salle de Westminster où me suis mis d'accord avec Mrs Martin, et de là au logis qu'elle loue à présent dans Bow Street, ma foi bien misérable mais il trouve grâce à ses yeux, et il est en effet bien assez bon pour une femme de sa condition. Là fis ce que je voudrais avec ( nte de l'éd. en français dans le journal ) elle le plus librement du monde. Puis, après lui avoir payé pour deux shillings de vin et de galette, partis écœuré d'une si grande impudence. Ensuite en voiture, sur rendez-vous, chez lord Brouncker, à la piazza de Covent Garden, où je causai grande joie en apportant le livret d'une ballade adressée par les marins en mer à leurs belles de la ville, et prétendis que sir William Penn, sir George Ayscue et sir John Lawson en étaient les auteurs. Là, excellent banquet à la française, le meilleur que j'aie pris depuis longtemps, et conversation fort intéressante. De là chez mon libraire où je vis chez son relieur un exemplaire du livre de Hooke sur le microscope. L'ouvrage me parut si beau que je le commandai aussitôt. De là au bureau où nous avions à faire, et bien qu'il fût très tard, pris une voiture pour me rendre chez sir Philip Warwick à qui, comme il n'était pas seul, je n'ai pu parler. De là chez moi où croyant m'y égayer je dus subir les tracasseries de ma femme qui avait cherché une lettre où sir Philip Sidney parlait de la jalousie, afin de me la faire lire, et elle y parvint à force de manœuvres industrieuses et habiles. Pour être franc, ma conscience me fit comprendre que cette lettre me concernait au tout premier chef, et j'en fus donc piqué. Mais j'ai, au contraire, fait mine de ne pas en prendre ombrage et l'ai lue à voix haute avec la meilleure volonté du monde. Il n'empêche qu'elle m'est restée sur le cœur et, de surcroît, je fus contrarié lorsqu'on fit amener chez moi un chien pour qu'il saillît notre petite chienne, ce qui fut fait, au nez et à la barbe de tous. Voilà, Dieu me pardonne, qui n'a pas manqué de chatouiller à nouveau ma jalousie, bien qu'en soi la chose ne soit très indécente. A la fin, ai joué aux cartes avec ma femme pendant un bon moment puis, au lit.
3 janvier
Levé puis en voiture chez sir Philip Warwick, la chaussée tout encombrée de ballons, car il gelait à pierre fendre. Voici que je le rencontre en compagnie de Mr Coventry, se promenant dans le parc de St James. Je lui fis part de ma requête concernant l'abattage de bois dans des domaines forestiers royaux, et me rendis auprès de milord d'Oxford, juge du comté d'Eyre, afin d'obtenir son approbation, faute de quoi milord, le garde du Sceau privé, ferait barrage à cette entreprise. Le trouvai chez lui dans une pièce meublée, comme la maison, avec un goût très ordinaire, sans plus, mais il me paraît faire preuve dans ses réponses d'une grande sagesse. De là au café où j'apprends, de source sûre, que les Hollandais nous ont capturé des charbonniers au nord, quatre aux dires de certains, sept selon d'autres. De là à la Bourse brièvement et rentré dîner, ensuite au bureau, où nous restâmes longtemps, puis me mis à mon courrier. Allai ensuite voir sir William Batten chez lui, avant qu'il ne partît le lendemain pour Harwich, afin d'y faire ériger un phare pour la construction duquel il a récemment obtenu des lettres patentes royales, ce qui sera tout à son avantage. Passai un fort bon moment, puis derechef à mon bureau jusqu'à très tard. Rentré chez moi, souper et, au lit, après avoir joué aux cartes avec ma femme jusqu'à plus de deux heures du matin.
4 janvier
Grasse matinée, lever, puis visite à milord d'Oxford, mais milord était encore au lit à dix heures passées. Et Dieu nous garde ! de ma vie je n'ai jamais vu famille aussi incorrecte et malpropre. Il m'a fait dire que ma requête n'avait pas encore été satisfaite, mais le serait sans doute cet après-midi. Ensuite au café voisin mais n'y trouvai guère de compagnie. Revins à la Bourse où j'apprends que d'autres de nos vaisseaux ont été perdus au nord. De là chez sir William Batten, mais il était sorti avant mon arrivée. Je fis salon un moment, conversant avec milady, puis rentrai dîner. Mr Moore me rendit visite et nous partîmes chez milord d'Oxford où, ne l'y trouvant point, nous allâmes tous deux voir L'amour dans un baquet, une pièce fort enjouée, mais elle ne l'est que par ses bouffonneries et sans le moindre trait d'esprit, ce qui la rend, je crois, indigne de cette troupe. Puis rentré chez moi à pied, comme il gelait à pierre fendre, et voilà que j'éprouve, comme à chaque grand froid, une sensation de brûlure intérieure, accompagnée de chair de poule et de picotements partout le corps, et que j'ai les pores obstrués à cause du froid. A la maison, souper, joué aux cartes, puis, au lit.
5 janvier 1665
Levé par un froid glacial. Il a fortement neigé et gelé cette nuit. A mon bureau toute la matinée. A midi ai dîné à la maison, contrarié parce que ma femme s'est bêtement fâchée contre Jane la cuisinière, pourtant bonne servante, bien qu'elle ait sans doute quelques défauts et qu'elle soit rusée, et lui ai donné son congé. Derechef à mon bureau où sommes restés longtemps. Ai travaillé très tard. A la maison, puis à mon bureau et rentrai tard me coucher.
6 janvier pinterest.fr
Grasse matinée mais, étant de fort méchante humeur, j'en ai passé le plus clair à chercher querelle à ma femme parce qu'elle a renvoyé Jane notre cuisinière, ce sur quoi elle demande aujourd'hui qu'on la laisse aller s'enquérir d'une autre place. C'est une très bonne servante, cette Jane, elle me convient parfaitement, plutôt bien tournée, un rien querelleuse parfois, à ce qu'on me dit, mais je ne l'entendis pas. A mon bureau toute la matinée où j'eus fort à faire. Dîné à la maison. Derechef au bureau, réconcilié cette fois avec ma femme, ce qui était d'ailleurs mon vœu le plus cher, car elle a décidé qu'aujourd'hui elle et ses gens feraient bombance pour marquer la fin des fêtes de Noël. Rentré le soir pour la Nuit des Rois, ai choisi ma part de galette et je suis monté prendre ma potion et me coucher, laissant ma femme et ses gens à leurs réjouissances qu'ils poursuivirent jusqu'au matin, sans se coucher de toute la nuit.
7 janvier
Levé, à mon bureau toute la matinée. Déjeuné seul à midi, ma femme et la plus grande partie de la maisonnée au lit. Puis chez milady Batten, devisai avec elle un moment, sir William Batten n'étant pas en ville. Puis retour à mon bureau où j'ai beaucoup travaillé et très tard. A la maison et, au lit.
8 janvier Jour du Seigneur Levé tôt, et par ce beau froid ai marché avec mon petit valet jusqu'à Whitehall, de là à la chapelle où un certain Dr Beaumont a fait un bon sermon, suivi d'un bel anthem sur le psaume 150 où au mot trompette résonna une bien belle musique. Ensuite à pied chez milady où suis resté dîner, mon valet rentrant à la maison, et là devisâmes plaisamment. Après dîner à pied jusqu'à Westminster et de là à la maison où Jane Welch m'avait donné rendez-vous. Mais c'était l'heure du sermon, si bien qu'ils ne me laissèrent pas entrer et répondirent qu'il ne s'y trouvait personne pour me recevoir. Fis les cent pas dans l'abbatiale et ne la trouvai point. Le soir en voiture chez moi. Ai bavardé avec ma femme, mais sitôt après le souper, sans doute pour avoir bu trop froid, je fus contraint de me décharger la vessie, et j'en eus grand mal, mais me sentis aussitôt mieux, et n'ai plus guère ressenti de douleur, tout ceci n'étant dû, je crois, qu'à la boisson froide où à mes efforts à la selle pour faire plus que ce que mon corps ne le pouvait. Et après les prières, au lit.
9 janvier
Levé, puis à pied jusqu'à Whitehall, toujours par un grand frimas et en parfaite santé, Dieu soit loué. En chemin vis une femme en talons hauts se rompre la cuisse en glissant sur la chaussée gelée. Chez le Duc nous fîmes notre travail habituel. Je vis la Société royale remettre son nouveau registre où sont magnifiquement inscrites ses lois et sa charte afin qu'il soit signé par le Duc en tant que membre d'honneur. Tous les seings des membres y doivent être apposés et figurer en commémoration. Le roi apposa le sien suivi du mot " fondateur ". ( nte de l'éd. Le volume existe toujours et figure dans la bibliothèque Pepys) De là à Westminster chez mon barbier où j'ai pu voir Jane, mais en présence de sa patronne, si bien que je n'ai pas pu lui parler du rendez-vous d'hier où elle m'a fait faux bond. Puis à la taverne du Cygne voir la parente d'Herbert. Ai pris quelque bon temps avec elle. Me rendis ensuite en voiture chez lord Crew, je dînai en sa compagnie. Il me reçut avec les plus grands égards et me fit part de ses craintes au sujet de l'issue de la guerre contre la Hollande, parce que, croit-il, les personnes à l'instigation desquelles nous nous y sommes engagés n'ont pas la moindre idée des conséquences auxquelles ce péril nous entraînerait, ce en quoi je suis aussi de son avis. Holmes fut aujourd'hui envoyé à la Tour et, à ce que je vois, nul n'en fait grand cas. Pourtant, s'il advenait que les Hollandais devinssent nos seigneurs et maîtres, l'affaire pourrait devenir grave en son particulier, à supposer qu'il leur soit offert un sacrifice, tout comme sir Walter Raleigh. De là à Whitehall pour une séance de la commission de Tanger. J'y fus salué et grandement complimenté par milord Belasyse, notre nouveau gouverneur, bien au-delà de ce que j'espérais et imaginé capable envers quiconque, comme si j'avais été la seule personne compétente sur laquelle il pût s'appuyer. Voilà qu'il désire faire de moi son correspondant, ce qui ne laisse pas de m'étonner, mais qui me plaît et sera peut-être tout à mon avantage. Nos lettres patentes sont reconduites et lui-même ainsi que lord Berkeley et sir Thomas Ingram sont désignés comme membres. Voila une décision qui ne peut manquer de porter fruit. De là pris une voiture et rejoignis ma femme chez son tailleur. Elle est venue en ville cet après-midi porter à sa mère des pommes, des langues et des cervelles de bœuf. Puis retour chez moi et à mon bureau très tard, en compagnie de sir William Warren, ce qui me valut un excellent entretien et de bons conseils, que j'espère bien suivre car ils ne seront que bénéfiques dans la directions de me affaires, et néanmoins parfaitement honnêtes. Après son départ, rentrai souper puis, au lit.
10 janvier 1665
voiture-anciennes.blogspot.com Grasse matinée, comme il faisait encore
grand froid, puis à mon bureau où je demeurai jusqu'au dîner, puis à la maison. Peu après derechef à mon bureau où nous sommes restés fort tard, et où j'écrivis des lettres jusqu'à minuit. Après le souper, au lit.
11 janvier
Levé, très fâché au sujet de mon valet qui avait tardé au lit et oublié son luth. Puis à mon bureau toute la matinée. A la Bourse à midi, rentrai dîner à la maison, après quoi me rendis à Gresham College pour voir lord Brouncker et Pett, le commissaire aux affaires maritimes, et menai Mr Castle afin d'y débattre des plans d'un vaisseau qu'il doit nous construire. C'est la première fois que je perçois chez ce commissaire Pett quelque réel talent hors du commun. M'est avis qu'il parvint à convaincre ce Castle comme un jeune blanc-bec et à se l'accommoder fort rondement et de main de maître. Je pris un infini plaisir à les entendre discourir, m'étant pour ma part mis récemment au fait de la matière, d'autant que milord Brouncker est lui-même très compétent en ce domaine, les droites et sections coniques. De là chez moi, travaillai fort tard et avec grand plaisir, bien que, Dieu m'est témoin, ce soit à grand-peine que, lorsque je suis en ville, je parvienne à me convaincre de rentrer, ou que, chez moi, même fort tard, je résiste à l'envie de ressortir. Souper puis, au lit. Ce soir, par missive de Plymouth, j'apprends que deux de nos vaisseaux se sont échoués et que trois autres ont failli les imiter, mais sont indemnes, dont celui du capitaine Allin. J'apprends aussi qu'une flotte hollandaise s'est rendue sur les lieux, Et Dieu seul sait ce qu'il adviendrait de nos navires désemparés si, par malchance, ils se rencontraient. Voilà pour le moins de tristes nouvelles. Dieu fasse que nous prenions conscience de leur gravité ! Ce soir, lorsque je suis rentré chez moi, j'ai été très peiné d'apprendre la mort de mon pauvre canari que j'avais depuis trois ou quatre ans.
12 janvier
Levé et à Whitehall pour mander un sceau privé autorisant l'abattage de bois royal pour la marine, puis à la Chambre des Lords pour en discuter avec milord le garde du Sceau privé. A la Bourse, où d'autres sombres nouvelles vinrent s'ajouter à celles d'hier. Ai parlé avec un Français qui avait été capturé, puis relaxé, par un bâtiment de guerre de trente-six canons, parmi sept autres semblables, voire plus gros, au large des côtes nord du Foreland, près de Margate, il est fort étrange qu'ils soient ainsi venus nous narguer. Mais le vent aidant, le vent qui devrait permettre à notre flotte de faire voile depuis Portsmouth ne manquera pas de les repousser vers la Hollande. Dieu nous préserve d'eux, et nous pardonne ces propos qui font paraître l'ennemi si méprisable. Rentré dîner chez moi où Mr Hollier s'est joint à nous Au bureau jusque fort tard, onze heures et plus, puis à la maison, souper et, au lit.
13 janvier
Levé de bon matin, puis à pied chez milord Belasyse, dans ses appartements de Lincoln's Inn Fields. Il m'a reçu et s'est entretenu avec moi de la manière la plus respectueuse qui soit. Il m'a dit combien il avait entendu d'éloges au sujet du dévouement, du discernement et de l'attachement dont j'avais fait preuve pour Tanger. Il ajouta qu'il sollicitait mes conseils ainsi qu'une correspondance suivie, à laquelle il attachait grand prix, et qu'il me ferait sa cour. Bien que je perçoive nettement ses desseins et que tout ceci ne soit que flatterie de courtisans, il m'est du moins réconfortant de penser que je suis devenu respectable au point qu'il éprouve le besoin de me tenir ce langage, et je n'aurais rien entendu de tel si je ne remplissais quelque office public.
De là, satisfait, m'en fus chez sir Philip Warwick pour affaires. Puis chez Jervas où je pris quelque loisir en sa compagnie, celle de sa femme, Jane, et d'une amie à elle. A Whitehall, puis à la Bourse où les nouvelles d'hier furent confirmées, bien que passablement différentes. Seulement deux de nos bâtiments ont été perdus et les Hollandais sont passés par la rade de Margate. Rentré dîner, puis ressortis seul voir une pièce au Théâtre du roi,
Le Traitre, et où par malchance j'ai rencontré sir William Penn, si bien que me voilà contraint de tout dire à ma femme, ce qui me contrarie. Rentré chez moi à pied, mécontent de ce qui se joue depuis quelque temps dans ce théâtre, auquel je préfère infiniment l'autre, le Théâtre du Duc. Puis chez milady Batten où je rencontre Peg Penn, et pour la première fois la vois porter des mouches. Ce fut fort gai, et on attendait pour ce soir le retour de Harwich de sir William Batten, mais il n'est point rentré. Chez moi, souper puis, au lit.
14 janvier 1665
Levé puis à Whitehall. J'attendis longtemps dans l'antichambre du Duc pour une séance de la commission de Tanger. Mais ne voyant personne suis rentré chez moi puis au bureau où j'eus quelques visites. Ensuite à la Bourse où me confirme les récentes mauvaises nouvelles, la perte de deux navires dans le détroit. Mais il s'agit à présent du Phoenix et du Nonsuch. Rentré dîner, puis au Théâtre du Roi, avec ma femme, pour voir Volpone, pièce fort excellente, la meilleure, je crois, que j'aie jamais vue et fort bien jouée. Chez moi avec sir William Penn, dans sa voiture, puis me rendis à mon bureau. Rentrai souper et, au lit, ayant pris la ferme résolution avec la grâce de Dieu, de me remettre très sérieusement et dès ce jour à mes affaires que je néglige depuis une ou deux semaines.
15 janvier Jour du Seigneur Levé. Après un bref moment à mon bureau pour préparer une nouvelle ébauche de mes résolutions de nouvel an, me suis rendu à l'église où prêchait un jeune freluquet fort insipide. Rentré dîner puis entrepris de lire, dans les " Collections de Rushworth " les pages concernant les chargées portées contre le Duc de Buckingham, et ceci afin d'être en mesure d'intervenir et de comprendre le discours qui allait être tenu devant le roi, s'agissant d'autoriser les négociants turcs à faire sortir leur flotte marchande en ces temps de péril, alors que nous ne pouvons leur procurer ni les navires, ni les hommes, ni les escortes royales pour les convoyer. A quatre heures chez milord le chancelier avec sir William Penn dans sa voiture. Là Mr Coventry, sir William Penn et sir John Lawson, sir George Ayscue et moi-même fûmes bientôt convoqués devant le roi, en présence de plusieurs membres du Conseil privé, milord le chancelier demeurant tout ce temps allongé sur un canapé, à cause de sa goutte, je suppose. Alors sir William Penn commença : il avait consigné plusieurs chefs par écrit et parla fort pertinemment mais avec une lenteur, une componction telles que son discours en devint vite fastidieux, et ce qu'il dit était, à la réflexion, tout à fait insignifiant à l'homme de métier. Il en gardait néanmoins toute sa pertinence visant à dissuader le roi de permettre à ces navires marchands turcs de quitter le port, disant que sa Majesté ayant résolu de porter à 130 le nombre de navires parés à sortir au printemps, il aurait besoin de plus d'une vingtaines de navires marchands dont il n'avait encore trouvé que 12 ou 14 sur la Tamise, que parmi ceux-ci 5 des navires exploités par ces marchands étaient utilisés et ne pouvaient être mis à contribution, qu'il faudrait en outre 30 000 hommes pour équiper ces 130 navires, qu'à présent nous ne disposions que de 16 000 hommes servant à la mer et que par conséquent il nous faudrait enrôler 14 000 hommes, que ces navires ainsi que leurs navires escortés transporteraient chacun plus de 2 000 hommes et des plus capables, ceux des régions méridionales faisant les meilleurs hommes de guerre tandis que ceux qui ont grandi dans le Nord, parmi les houilleurs, font une bonne main-d'œuvre, que ce serait imprudence pour les négociants et déshonneur pour le roi que de mettre en péril ces riches navires ainsi que leur escorte royale de six bâtiments qui serait insuffisante pour les protéger des Hollandais qui auraient, sans nul doute, une flotte puissante basée en Méditerranée. Sur quoi sir John Lawson renchérit. Sir John Ayscue quant à lui insista surtout sur l'impossibilité de pourvoir à la fois au financement de la guerre et du négoce. Il doit donc être mis un frein à celui-ci pour laisser place à celui-là. A ces propos Mr Coventry souscrivit......................Il expliqua que les étoffes transportées par ces marchands vers la Turquie étaient déjà acquises et les ouvriers payés et qu'ils n'en enverraient pas plus d'ici les 12 prochains mois............. soulignant que les marchands voyant que le mal restait sans remède parviendraient à trouver de leur plein gré les moyens d'acheminer leurs marchandises à l'étranger à leur profit. Tous parvinrent à cette certitude. Le roi me posa deux ou trois questions afin d'entendre ce que je savais de la perte subie par Allin en Méditerranée, mais je me tins coi, et il n'en éprouva nul regret....... Nous nous retirâmes et les marchands furent mandés. Resté au-dehors milord Fitzharding entra et nous entretint du prince Rupert et ne se fit pas scrupule de dire qu'il était atteint de vérole et qu'on devait le faire saliver, ni d'ajouter à quel point le mal l'accablait et lui couvrait le visage d'une éruption. Mais je notai surtout la remarque qu'il fit au sujet du prince, que le courage n'est point comme le croient les hommes mépris de la mort : " Car, dit-il, combien le prince fut affligé le jour où il crut mourir, n'ayant guère l'esprit plus disposé que quiconque. Néanmoins certains sont plus prompts à espérer sortir indemnes d'un duel tandis que tel autre ne doute pas qu'il sera touché. Mais dès lors que celui-ci est persuadé qu'il va mourir, comme c'est à présent le cas du prince, il éprouve autant de frayeur et de tourment qu'il est possible. Or, depuis que nous lui avons dit notre sentiment qu'il vaincrait son mal il est plus gai que jamais, jure, peste, s'exclame et se livre à tout ce qui peut occuper un homme en bonne santé, comme il l'a toujours fait. " Voilà qui n'a pas laissé de surprendre, d'autant que cela fut dit devant force gens de qualité. Puis chez moi avec sir William Penn. Après souper, au bureau afin de compléter mes résolutions puis, au lit
à suivre.........................
16 janvier 1665