Lettre à Madeleine
( les lettres des 2 et 10 juillet montrent un soldat poète triste, amère : )
" ... Je suis très troublé et ne sais plus quoi écrire... C'est la nuit je suis dans le gourbi où j'habite seul 3 mètres sous terre, couvert en rondins de sapin et terre par-dessus, une bonne table, lit de paille Tout cela a été fait par moi. Les canons, les mitrailleuses marchent, c'est un bruit infernal..."
12 juillet ( 1915 )
Ma fée bien-aimée,
Je vous adore ; je veux que vous ne soyez point jalouse de rien jamais. Mais ne parlons plus de cela, car c'est bien entendu. Il faut que vous dirigiez l'accomplissement de notre bonheur si la vie veut bien nous le donner. Mais pour reparler de cela j'attends une réponse à ma dernière lettre.
Vous ne pouvez imaginer le plaisir que m'a causé la petite photo où ma fée chérie en peignoir se balade entre des massifs d'anthémis et de géraniums.
Je suis bien aise que votre maman ne voie pas d'un mauvais oeil notre échange de pensées à distance. Je vous le répète, c'est à vous de tout dire la 1è. Si j'étais libre je parlerais bien moi-même. Mais la situation d'un soldat exposé à mourir d'un instant à l'autre est telle qu'il doit laisser s'exprimer ceux qui sont libres de le faire.
Ainsi êtes-vous, ma chérie.
Donc surmontez tous vos scrupules et montrez-vous femme forte selon que vous pouvez l'être.
Pour intelligente et gracieuse, vous l'êtes assez et je me réjouis autant de votre esprit que de votre beauté.
Et le plaisir que j'aurai à vous aimer sera centuplé par la conscience précise que nous pouvons avoir l'un de l'autre, égale et égal. -
Je reçois votre premier mot adressé au secteur 138. Vous avez raison, ma chérie, mais il ne faut pas en vouloir à votre poète d'avoir été un peu énervé par l'impatience qu'il avait de vous voir enfin parler avec votre coeur. Et ce mot de vous reçu ce jour-là au bivouac du lieu dit la ferme du Piémont, mot qui était le seul mot, la seule lettre de vous, l'unique billet indifférent ou banal m'avait fait presque de la peine. Mais c'est la dernière fois, qu'on sera ainsi.
Que je voudrais quitter ce secteur ! on s'y embête à mourir... sous les obus.
Vous savez, ma chérie, que chaque fois qu'aurez nouvelle photo si vous me l'envoyez me ferez le plus grand plaisir. Je vous regarde, je vous détaille, j'aime votre front, vos yeux, les contours harmonieux de votre corps charmant font ma délectation. Je vous imagine faite à la perfection. Puis votre voix grave sonne encore à mes oreilles qui soudain agiles me paraissent courir après l'écho qui s'éloigne.
Vous avez eu bien raison de ne pas livrer votre âme au vulgaire et inhumain. Mais comme vous ne m'aviez pas encore dévoilé cette âme que j'adore, j'ai eu ce jour-là, sous le soleil vulgaire et inhumain de l'été 1915 un sursaut d'angoisse dont vous ne devez pas me vouloir.
Je ne vous en voulais pas moi, mais j'exprimais de l'amertume de mon coeur. C'est tout.
Et le mot grotesque ne viendra plus sous nos plumes, mais il nous plaira peut-être qui sait, après la guerre.
Vous m'avez parlé de Claudel dernièrement. Cet écrivain de talent est l'aboutissement du symbolisme. Il représente de façon absconse et réactionnaire la menue monnaie d'Arthur Rimbaud. Celui-ci était un Louis d'or dont celui-là est le billon. Claudel est un homme de talent qui n'a fait que des choses faciles dans le sublime. A une époque où il n'y a plus de règles littéraires, il est facile d'en imposer. Il n'a pas eu le courage de se dépasser et surtout de dépasser la littérature d'images qui est aujourd'hui facile. On s'est habitué aux images. Il n'en est plus d'inacceptables et tout peut être symbolisé par tout. Une littérature faite d'images enchaînées comme grains de chapelet est bonne tout au plus pr les snobs férus de mysticité. C'est à la portée de tout le monde et je me demande pourquoi lesAnnales ne publient pas du Claudel afin que les cousines se croient désormais aussi Thomistes qu'elles sont bergsonniennes ou Nietzschéennes. Je vous baise les mains et le front et vous défends, Madeleine, de vous froisser désormais de quoi que ce soit qui vienne de moi
Votre poète
( les lettres des 2 et 10 juillet montrent un soldat poète triste, amère : )
" ... Je suis très troublé et ne sais plus quoi écrire... C'est la nuit je suis dans le gourbi où j'habite seul 3 mètres sous terre, couvert en rondins de sapin et terre par-dessus, une bonne table, lit de paille Tout cela a été fait par moi. Les canons, les mitrailleuses marchent, c'est un bruit infernal..."
12 juillet ( 1915 )
Ma fée bien-aimée,
Je vous adore ; je veux que vous ne soyez point jalouse de rien jamais. Mais ne parlons plus de cela, car c'est bien entendu. Il faut que vous dirigiez l'accomplissement de notre bonheur si la vie veut bien nous le donner. Mais pour reparler de cela j'attends une réponse à ma dernière lettre.
Vous ne pouvez imaginer le plaisir que m'a causé la petite photo où ma fée chérie en peignoir se balade entre des massifs d'anthémis et de géraniums.
Je suis bien aise que votre maman ne voie pas d'un mauvais oeil notre échange de pensées à distance. Je vous le répète, c'est à vous de tout dire la 1è. Si j'étais libre je parlerais bien moi-même. Mais la situation d'un soldat exposé à mourir d'un instant à l'autre est telle qu'il doit laisser s'exprimer ceux qui sont libres de le faire.
Ainsi êtes-vous, ma chérie.
Donc surmontez tous vos scrupules et montrez-vous femme forte selon que vous pouvez l'être.
Pour intelligente et gracieuse, vous l'êtes assez et je me réjouis autant de votre esprit que de votre beauté.
Et le plaisir que j'aurai à vous aimer sera centuplé par la conscience précise que nous pouvons avoir l'un de l'autre, égale et égal. -
Je reçois votre premier mot adressé au secteur 138. Vous avez raison, ma chérie, mais il ne faut pas en vouloir à votre poète d'avoir été un peu énervé par l'impatience qu'il avait de vous voir enfin parler avec votre coeur. Et ce mot de vous reçu ce jour-là au bivouac du lieu dit la ferme du Piémont, mot qui était le seul mot, la seule lettre de vous, l'unique billet indifférent ou banal m'avait fait presque de la peine. Mais c'est la dernière fois, qu'on sera ainsi.
Que je voudrais quitter ce secteur ! on s'y embête à mourir... sous les obus.
Vous savez, ma chérie, que chaque fois qu'aurez nouvelle photo si vous me l'envoyez me ferez le plus grand plaisir. Je vous regarde, je vous détaille, j'aime votre front, vos yeux, les contours harmonieux de votre corps charmant font ma délectation. Je vous imagine faite à la perfection. Puis votre voix grave sonne encore à mes oreilles qui soudain agiles me paraissent courir après l'écho qui s'éloigne.
Vous avez eu bien raison de ne pas livrer votre âme au vulgaire et inhumain. Mais comme vous ne m'aviez pas encore dévoilé cette âme que j'adore, j'ai eu ce jour-là, sous le soleil vulgaire et inhumain de l'été 1915 un sursaut d'angoisse dont vous ne devez pas me vouloir.
Je ne vous en voulais pas moi, mais j'exprimais de l'amertume de mon coeur. C'est tout.
Et le mot grotesque ne viendra plus sous nos plumes, mais il nous plaira peut-être qui sait, après la guerre.
Vous m'avez parlé de Claudel dernièrement. Cet écrivain de talent est l'aboutissement du symbolisme. Il représente de façon absconse et réactionnaire la menue monnaie d'Arthur Rimbaud. Celui-ci était un Louis d'or dont celui-là est le billon. Claudel est un homme de talent qui n'a fait que des choses faciles dans le sublime. A une époque où il n'y a plus de règles littéraires, il est facile d'en imposer. Il n'a pas eu le courage de se dépasser et surtout de dépasser la littérature d'images qui est aujourd'hui facile. On s'est habitué aux images. Il n'en est plus d'inacceptables et tout peut être symbolisé par tout. Une littérature faite d'images enchaînées comme grains de chapelet est bonne tout au plus pr les snobs férus de mysticité. C'est à la portée de tout le monde et je me demande pourquoi lesAnnales ne publient pas du Claudel afin que les cousines se croient désormais aussi Thomistes qu'elles sont bergsonniennes ou Nietzschéennes. Je vous baise les mains et le front et vous défends, Madeleine, de vous froisser désormais de quoi que ce soit qui vienne de moi
Votre poète