lundi 13 février 2012

Lettres à Madeleine 7 Apollinaire

               Lettre à Madeleine
               ( les lettres des 2 et 10 juillet montrent un soldat poète triste, amère : )

               " ... Je suis très troublé et ne sais plus quoi écrire... C'est la nuit je suis dans le gourbi où j'habite seul 3 mètres sous terre, couvert en rondins de sapin et terre par-dessus, une bonne table, lit de paille Tout cela a été fait par moi. Les canons, les mitrailleuses marchent, c'est un bruit infernal..."

                                                                                                           12 juillet ( 1915 )
                Ma fée bien-aimée,
                Je vous adore ; je veux que vous ne soyez point jalouse de rien jamais. Mais ne parlons plus de cela, car c'est bien entendu. Il faut que vous dirigiez l'accomplissement de notre bonheur si la vie veut bien nous le donner. Mais pour reparler de cela j'attends une réponse à ma dernière lettre.
                Vous ne pouvez imaginer le plaisir que m'a causé la petite photo où ma fée chérie en peignoir se balade entre des massifs d'anthémis et de géraniums.
                Je suis bien aise que votre maman ne voie pas d'un mauvais oeil notre échange de pensées à distance. Je vous le répète, c'est à vous de tout dire la 1è. Si j'étais libre je parlerais bien moi-même. Mais la situation d'un soldat exposé à mourir d'un instant à l'autre est telle qu'il doit laisser s'exprimer ceux qui sont libres de le faire.
                Ainsi êtes-vous, ma chérie.
                Donc surmontez tous vos scrupules et montrez-vous femme forte selon que vous pouvez l'être.
                Pour intelligente et gracieuse, vous l'êtes assez et je me réjouis autant de votre esprit que de votre beauté.
                Et le plaisir que j'aurai à vous aimer sera centuplé par la conscience précise que nous pouvons avoir l'un de l'autre, égale et égal. -
                Je reçois votre premier mot adressé au secteur 138. Vous avez raison, ma chérie, mais il ne faut pas en vouloir à votre poète d'avoir été un peu énervé par l'impatience qu'il avait de vous voir enfin parler avec votre coeur. Et ce mot de vous reçu ce jour-là au bivouac du lieu dit la ferme du Piémont, mot qui était le seul mot, la seule lettre de vous, l'unique billet indifférent ou banal m'avait fait presque de la peine. Mais c'est la dernière fois, qu'on sera ainsi.
                Que je voudrais quitter ce secteur ! on s'y embête à mourir... sous les obus.
                Vous savez, ma chérie, que chaque fois qu'aurez nouvelle photo si vous me l'envoyez me ferez le plus grand plaisir. Je vous regarde, je vous détaille, j'aime votre front, vos yeux, les contours harmonieux de votre corps charmant font ma délectation. Je vous imagine faite à la perfection. Puis votre voix grave sonne encore à mes oreilles qui soudain agiles  me paraissent courir après l'écho qui s'éloigne.
                Vous avez eu bien raison de ne pas livrer votre âme au vulgaire et inhumain. Mais comme vous ne m'aviez pas encore dévoilé cette âme que j'adore, j'ai eu ce jour-là, sous le soleil vulgaire et inhumain de l'été 1915 un sursaut d'angoisse dont vous ne devez pas me vouloir.
                Je ne vous en voulais pas moi, mais j'exprimais de l'amertume de mon coeur. C'est tout.
                Et le mot grotesque ne viendra plus sous nos plumes, mais il nous plaira peut-être qui sait, après la guerre.
                Vous m'avez parlé de Claudel dernièrement. Cet écrivain de talent est l'aboutissement du symbolisme. Il représente de façon absconse et réactionnaire la menue monnaie d'Arthur Rimbaud. Celui-ci était un Louis d'or dont celui-là est le billon. Claudel est un homme de talent qui n'a fait que des choses faciles dans le sublime. A une époque où il n'y a plus de règles littéraires, il est facile d'en imposer. Il n'a pas eu le courage de se dépasser et surtout de dépasser la littérature d'images qui est aujourd'hui facile. On s'est habitué aux images. Il n'en est plus d'inacceptables et tout peut être symbolisé par tout. Une littérature faite d'images enchaînées comme grains de chapelet est bonne tout au plus pr les snobs férus de mysticité. C'est à la portée de tout le monde et je me demande pourquoi lesAnnales ne publient pas du Claudel afin que les cousines se croient désormais aussi Thomistes qu'elles sont bergsonniennes ou Nietzschéennes. Je vous baise les mains et le front et vous défends, Madeleine, de vous froisser désormais de quoi que ce soit qui vienne de moi

                                                                                                                         Votre poète
               

dimanche 12 février 2012

Le Réveillon du jeune Tsar Léon Tolstoï ( nouvelle Russie ) 3 suite et fin

                    Le Réveillon du jeune Tsar
                    ( suite et fin )

                    Le spectacle changea. Le jeune tsar se vit dans le prétoire d'un juge de paix. Celui-ci, gros chauve, une chaîne d'or au cou, lisait le verdict à une femme à moitié endormie...
                    Puis ce fut une bastonnade dans une prison de Sibérie, résultat direct de l'ukase sur le vagabondage...
                    Une famille juive, qu'on chasse de son lieu de séjour, parce qu'elle est pauvre, alors qu'on y laisse une autre famille riche qui vient de donner de l'argent au maître de police...
                    Le jeune tsar assista ensuite à la perception des impôts, à la vente de la vache d'un pauvre paysan,alors que le riche marchand, qui ne paye pas ses taxes, se libère par des pots-de vin au percepteur...
                   ... Puis le tribunal rural, et, comme résultat, les verges à un vieux paysan :
                    - Elie Vassilievitch, ne pourrait-on pas remettre mon châtiment ?
                    - Non.
                    Le vieux paysan pleura.
                    - Le Christ a souffert et nous a ordonné de souffrir...
                   ... Ce fut encore la chasse aux sectaires. Et l'ordonnance pour un voyage du tsar : les paysans demeurant des heures entières, dans la boue, dans la neige, sans manger, pour l'acclamer.
                  ... Et le décret sur les institutions philanthropiques de l'impératrice Marie dont le résultat imprévu fut seulement l'excitation à la débauche et la perversion répandues parmi les jeunes filles...
                  ... Et combien d'autres spectacles vit le jeune tsar : la conscription qui prive les famille de leur soutien ; les femmes des soldats avec leur dépravation ; les soldats avec leur syphilis, les bataillons de discipline où l'on bâtonne jusqu'à la mort, où l'on verse du sel dans les plaies ; les officiers qui volent l'argent des soldats et le perdent aux cartes...
                 ... Le niveau de misère du peuple, des enfants scrofuleux, des tribus entières d'aborigènes disparaissant ; dans l'isba, les animaux pêle-mêle avec les hommes ; le travail continuel, la soumission et l'abattement ! Et voici les ministres, les gouverneurs ; partout, la concussion, l'orgueil, l'envie et le désir d'être craint.
                 - Et où sont les hommes ? demanda le tsar.
                 - Les voilà dans l'exil, solitaires et courroucés ; aux travaux forcés, où l'on bâtonne les femmes ; dans les cellules où elles s'affolent et où l'on abandonne les filles pubères aux soldats.
                 Ils sont ainsi des centaines de mille, et des meilleurs. Les uns, perdus par une fausse éducation, les autres, que l'on a volontairement pervertis, car l'Etat a besoin de pervers. Et c'est ainsi que se perd tout ce qui est jeune, l'espoir du monde. Mais malheur à celui qui  sacrifie  toute cette claire jeunesse ! Et tout cela est sur ta conscience, car, en ton seul nom, on corrompt des millions d'êtres sur lesquels s'étend ton pouvoir.
                 - Que dois-je faire ? s'écria le tsar désolé ! Je ne voudrais pourtant pas torturer, bâtonner, tuer et dépraver les gens. Je veux leur bien. Si j'aspire au bonheur, je ne le désire pas moins pour les autres. Suis-je donc vraiment responsable de tout ce qui se fait en mon nom ? Que faire ? Que faire ? répétait-il. Comment m'affranchir de cette responsabilité ? Si je me sentais, seulement pour un centième responsable de tous ces crimes inhérents à l'autorité qui est dans mes mains, je me tuerais. Mon Dieu, que faire ?
                 A ces mots, il s'éveilla tout en larmes.
                 - Quel bonheur, ce n'était qu'un rêve ! Telle fut sa première pensée.
                 Mais quand il eut souvenir de tout ce qu'il avait vue et l'eut comparé avec la réalité, il vit que la question n'en avait pas moins d'importance. Et, pour la première fois, le sentiment de cette réalité qui pesait sur lui se fit sentir dans toute son horreur.
                 Dans son angoisse, il se leva et pénétra dans la chambre voisine. Il vit un vieux courtisan, ami de son défunt père, qui parlait avec la jeune tsarine. Le souverain s'approcha et dit au vieillard ce qu'avait été son rêve, ainsi que ses doutes.
                - Tout cela est très bien et prouve la grandeur infinie de votre âme. Mais veuillez m'excuser si je vais droit au but : vous êtes trop bon, pour être tsar, et vous exagérez votre responsabilité. D'abord tout n'est pas comme vous vous le représentez : le peuple n'est pas pauvre, mais, au contraire, vit dans l'aisance, et celui qui est pauvre n'a qu'à s'en prendre à lui-même. On punit les coupables et, s'il y a parfois des erreurs, c'est, comme quand tombe la foudre, le hasard ou la volonté de Dieu. Vous ne devez qu'exécuter courageusement votre devoir, en gardant le pouvoir qui vous fut donné. Vous voulez le bien de vos sujets et Dieu, qui le voit, vous guidera et vous pardonnera les fautes involontaires. Et il n'y aura rien à pardonner, car des hommes possédant d'aussi éminentes vertus que vous et votre vénéré père, il n'y en a pas d'autres et il n'y en aura plus jamais. Et c'est pour cela que nous vous demandons une chose : vivez et répondez à notre amour et à notre dévouement sans bornes. Et alors tous - sauf les vauriens indignes de bonheur - seront heureux.
                  - Et toi, qu'en penses-tu ? demanda le tsar à sa femme.
                  La jeune femme, intelligente - et élevée dans un pays libre, - répondit :
                  - Je ne pense pas de même. Je suis heureuse que tu aies eu ce rêve. Car, ainsi que toi, je sens toute l'horreur de ta responsabilité. Et cette idée me fait souffrir cruellement. Il me semble pourtant qu'il y a un moyen, sinon de te délivrer de tout ce poids, mais au moins de ce qui dépasse tes forces. Il faudrait remettre une partie de ton pouvoir au peuple et à ses représentants, tout en gardant cette parcelle de pouvoir qu'exige la direction générale des affaires.
                  A peine eut-elle terminé que le vieux courtisan s'empressait de la contredire, en engageant un discussion correcte, mais acharnée.
                  Le jeune tsar leur prêta d'abord attention. Puis, entendant la seule voix du Compagnon de son rêve qui parlait haut dans son coeur, il ne les écouta plus.
                  - Tu es non seulement tsar, disait cette voix, mais tu es encore un homme, c'est-à-dire un être venu au monde aujourd'hui et qui demain peut disparaître. Outre des devoirs de tsar, dont te parlent ceux-ci, tu as un devoir beaucoup plus direct et irrécusable, non celui d'un tsar devant ses sujets, ce qui est accidentel, mais des devoirs éternels : le devoir devant Dieu et le devoir devant ton âme. Tu dois servir Dieu et contribuer à établir son règne en ce monde. Tu ne peux agir d'après ce qui fut et ce qui sera, mais uniquement d'après la parole de Dieu.

...................................................................................................................................................................

                     Il s'éveilla alors vraiment et vit sa femme à ses côtés. On nous dira, dans cinquante ans, laquelle des trois voies... avait choisie le jeune tsar.

                                                                                                          1894.

                

Le Réveillon du jeune Tsar Léon Tolstoï ( nouvelle Russie ) suite 2

                      Le Réveillon du jeune Tsar
                      ( suite 2 )

                      - Où sommes-nous ? demanda le tsar.
                      - Sur la frontière de Prusse, répondit l'autre.
                      Brutal, un coup de fusil retentit au loin. Le soldat se dressa et vit deux silhouettes d'hommes courbés en deux qui arrivaient en courant, cherchant à s'effacer. Il fourra vivement sa cigarette dans sa poche et poursuivit les fuyards.
                       - Arrêtez, ou je tire ! cria-t-il.
                       Et, n'obtenant pour réponse qu'une insulte, il s'arrêta, plaça son pied gauche en avant, mit en joue et tira.
                        - C'est de la poudre sans fumée, pensa le tzar, qui n'avait entendu aucun son et regardait maintenant un des fuyards se courber davantage, tomber à quatre pattes, ramper et enfin s'arrêter. Son camarade se pencha sur lui, ramassa quelque chose et reprit sa course.
                        - Qu'est-ce donc ? demanda le souverain.
                        - Ce sont les gardes-frontière qui font respecter la loi sur la contrebande. Cet homme a été tué parce qu'il causait un dommage aux bénéfices de l'Etat.
                        - Est-il mort ?
                        L'Inconnu toucha encore une fois la tête du tsar. Et, lorsqu'il s'éveilla à nouveau, il se vit dans une petite chambre au milieu de laquelle, sur le plancher, gisait le cadavre d'un homme. Son grand nez busqué, sa petite barbiche grisonnante pointaient en l'air. Et ses yeux, très gros, gonflaient les paupières closes. Ses mains croisées, ses pieds aux gros orteils sales, tout cela produisait un effet nouveau pour le tsar. Une blessure béait au côté ; le vêtement déchiré et la chemise bleue étaient couverts de sang coagulé. Une femme, la figure presque entièrement couverte d'un fichu, se tenait le long du mu, fixant de ses yeux immobiles le nez busqué, les orteils sales qui pointaient en l'air et les grosses paupières du cadavre. Une fillette de treize ans, remarquablement belle, ouvrait largement la bouche, et un garçonnet plus jeune se cramponnait à la jupe de la mère, regardant de ses yeux hébétés.
                         Alors, sur le seuil, apparurent quelques hommes. Ce d'abord un fonctionnaire en uniforme, puis un officier, puis un médecin. Après eux marchait un scribe, tenant une liasse de papiers. Et, derrière tout e monde, le jeune soldat qui venait de tuer. Il entra d'un pas délibéré, mais, à la vue du cadavre, il devint tout pâle, baissa la tête et se tut.
                         Quand le fonctionnaire lui eut demandé si c'était bien là l'homme qui avait voulu franchir la frontière, il ne put répondre que par un bredouillement. Ses lèvres tremblaient, et il dit " Oui ", sans ajouter même le sacramentel " Votre Haute Noblesse ".

....................................................................................................................................................................

                         Et voici les brillants résultats de l'affaire.
                         Dans une chambre luxueuse, mais sans goût, deux hommes étaient assis devant une bouteille : l'un, vieux et gris; l'autre, un jeune juif. Une liasse de billets à la main, le jeune discutait pour avoir à bas prix la marchandise de contrebande.
                        - Ça ne vous a pourtant pas coûté cher, dit-il en souriant.
                        - Vous comptez sans les risques...

...................................................................................................................................................................

                       - Partons, dit l'Inconnu...
                       Cette fois-ci ce fut une petite chambre, éclairée par une lampe à abat-jour. Une femme, assise devant une table, cousait ; un garçonnet dessinait et un étudiant lisait à haute voix.
                        Le père et la fille entrèrent dans la pièce...
                     ( - Tu viens de signer le décret sur le monopole, dit l'Inconnu... )
                       - Eh bien ? fit la femme.
                       - Je ne crois pas qu'il vive.
                       - Mais pourquoi ?
                       - On l'a saoulé avec de l'eau-de-vie.
                       - C'est impossible, s'écria l'étudiant, il n'a que neuf ans.
                       - Qu'as-tu ordonné ? demanda la femme.
                       - J'ai fait ce que j'ai pu ; j'ai administré un vomitif et j'ai appliqué des compresse de farine de moutarde. Mais il avait tous les symptômes de la plus forte intoxication.
                       - Ils étaient tous ivres dans la maison, dit la fille.
                       - Et ta société de tempérance ? dit l'étudiant.
                       - Que veux-tu faire ? Papa voulait faire fermer le débit, mais la loi, paraît-il, s'y oppose. Mieux que ça, comme je disais à Hermiline qu'il était honteux d'enivrer ainsi le peuple, il me répondit avec fierté, devant tout le monde :  - Et la patente, avec l'Aigle de Sa Majesté. Si l'affaire était mauvaise, il n'y aurait pas d'ukase.
                       - C'est terrible : voilà trois jours que tout le village est ivre. C'est fête ! Et il est effrayant de songer que tout ce qui a un pouvoir, les fonctionnaires, le tsar répandent l'ivrognerie. On boit partout, on porte des toasts.
                       " Jµe bois à la santé du régiment ! "
                       Les popes et les archevêques boivent...
                       ... Et, à nouveau, un oubli...

....................................................................................................................................................................

                      Une isba. La figure presque violette, les yeux révulsés, un moujik de quarante ans tapait furieusement sur la figure d'un vieillard. Celui-ci se couvrait d'un bras et, se cramponnant à la barbe de l'autre, ne voulait pas la lâcher.
                     - Tu frappes ton père !
                     - Ça m'est égal. J'irai en Sibérie, mais je veux te tuer.
                     Les femmes hurlaient. Les autorités, ivres également, pénétraient dans la pièce pour séparer les combattants.
                     L'un avait la barbe arrachée, l'autre un bras cassé. Dans l'entrée, la fille, ivre aussi, se donnait à un vieux moujik encore plus ivre.
                    - Mais ce sont des bêtes féroces, dit le jeune tsar.
                    - Non, ce sont des enfants.
                                                                                                                                   ( à suivre )
...................................................................................................................................................................

samedi 11 février 2012

Lettres à Madeleine 6 Apollinaire

                            Lettre à Madeleine
                            ( cette lettre suit une courte carte datée du 30 juin,dans laquelle Apollinaire indique l'adresse de son nouveau campement )

                                                                                                 1er juillet 1915

                           Ma chère fée, je vous écris parmi l'horrible horreur de millions de grosses mouches bleues. Nous sommes tombés dans un lieu sinistre où à toutes les horreurs de la guerre, l'horreur du site, l'abondance épouvantable des cimetières se joignent la privation d'arbres, d'eau, de véritable terre même. Si nous restons longtemps ici, je me demande ce que nous deviendrons hors la mort par les instruments guerriers. Après plusieurs jours d'un beau voyage à cheval et de couchage très supportable par terre nous voici dans des trous infects, au point qu'y étant d'y penser j'ai envie de vomir avec ça les fatigues car tout est si éloigné que le travail des hommes et des chevaux est centuplé. Voilà pour moi. Mais tant mieux si cela doit être utile. J'ai eu votre lettre qui demandait des renseignements sur des bagues à notre 1er bivouac, qui fut la ferme du Piémont dont parlèrent les communiqués, j'y ai répondu de suite dans la pestilence du lieu. J'ajoute qu'en effet la plaque de cuivre où de bronze enchassée comme nous faisons est une spécialité de la 45è batterie du 38 où se font, dit-on les plus belles bagues du front, je n'ai eu que la peine d'apprendre à les faire. Mais il y a ici de véritables artistes - J'ai fait mon possible pour simplifier la syntaxe poétique et j'ai réussi en certains cas, notamment un poème " Les Fenêtres ", paru dans Poème et Drame puis à part dans une grande publication qui était aussi un catalogue de l'oeuvre d'un peintre. Mais maintenant je n'aime plus seulement l'impressionnisme même en art, c'est informe, si lointain, passé surtout, surtout en art. Il ne faut pas oublier qu'un de mes principaux livre s'appelle Les Peintres cubistes mais le langage et le style épistolaire auraient en effet besoin de passer par cette phase impressionniste mais s'il s'agit de vitesse, de raccourci, le style télégraphique nous offre des ressources auxquelles l'ellipse donnera une force et une saveur merveilleusement lyriques. - Alors j'attends que vous vous essayiez et que me disiez enfin même en style télégraphique et elliptique ce que je souhaite savoir ou agréable ou désagréable. Êtes-vous si fière que cela vous paraisse humiliant à dire en cas où je dusse être content ? Et au cas contraire, me devez-vous laisser dans une incertitude qui augmente l'horreur des déserts les soldats se font ermites ? De cette gêne qui est en vous, il naît des épîtres littéraires et notre correspondance si gaie si vive au début s'en ressent. Laissez-vous aller dites la vérité quelle qu'elle soit, qu'il en doive naître ce qui sera, en faudrait-il mourir. Mais, non, je ne suis plus que votre poilu, c'est la mode de l'Algérie et moi qui pensais à Cervantès, me voici, simple brigadier, à faire platoniquement la cour à une jeune Oranaise que mes lettres vont distrayant.
                          Allons Madeleine, mettez-vous nue, l'âme, le corps et le coeur. Et après serez si contente d'être véridique. Car il ne s'agit point de me faire plaisir, il faut dire la vérité. C'est tout et si même elle allait à l'encontre de mon rêve.
                          Sous l'influence du siroco, dites-vous, vous avez l'impression de devenir manche à balai. Eh bien! sur ce manche à balai que vous êtes devenue vous devriez bien faire chevaucher jusqu'à moi la jolie sorcière que vous êtes en réalité, charmante petite fée, ou bien laissez-vous aller à m'écrire les bêtises que vous êtes tentée de m'écrire. J'aime beaucoup Musset, justement à cause de sa liberté. Mais que j'aime la fin de cette lettre, car vous commencez à vous laisser aller à dire comme vous pensez. J'espère que ma lettre de la prochaine fois sera plus gaie et peut-être plus libre aussi. Mais vite écrivez et long sans songer à bien écrire, sur vous surtout, je me fiche du reste, prenez n'importe quoi, votre pied, votre main parlez-m'en, mais profondément comme quelqu'un qui se flatte de plaire toujours et ne craint pas d'obéir sans cesse, puisque je veux qu'il en soit ainsi en-dehors des préjugés que vous invoquez. Et je me demande même de quels préjugés il peut bien s'agir - puisqu'il n'y a que nous deux en l'occurrence... Écrivez-moi Madeleine, longuement longuement, vos lettres me font ici un bien inouï. surtout ne faites plus la coquette, en ce moment et de loin comme ça, c'est de la dépravation et pas autre chose.

                                                                                                                            Gui

Le Réveillon du jeune Tsar Léon Tolstoï ( nouvelle Russie )


                   Le Réveillon du jeune Tsar
                   ( né Comte Lev Nikolaïevitch Tolstoï  le romancier recherche les valeurs morales, philosophiques, il est de plus espérantiste et végétarien lorsqu'il écrit cette nouvelle parue dans
une édition posthume.)

                   Il venait de prendre le pouvoir. Depuis cinq semaines, il travaillait de son travail de tsar, écoutait des rapports, signait des papiers, recevait des ambassadeurs ou de hauts fonctionnaires et passait des troupes en revue. Il se sentait fatigué et, comme un voyageur exténué par la chaleur désire de l'eau et du repos, il aspirait à une journée sans réception, sans discours, sans revue, à quelques heures de liberté et de simple vie humaine qu'il aurait pu passer auprès de sa jeune femme, intelligente et belle, épousée seulement depuis un mois.
                   C'était le jour du réveillon et le jeune tsar s'était arrangé pour avoir sa soirée libre. La veille, il avait travaillé tard dans la nuit pour liquider les affaires ministérielles. Dans la matinée, il avait assisté à un service religieux ; puis, sans intervalle, à une fête militaire, que suivirent quelques audiences. Il écouta ensuite le rapport de quatre ministres et approuva certaines conclusions. Le ministre des finances lui fit accepter un nouveau tarif des droits de douane qui devait donner quelques millions de plus. Le même ministre lui avait fait signer un décret accordant le monopole de l'alcool à certains pays de l'empire, ainsi que le droit de vente des spiritueux dans les grands villages, ce qui augmenterait aussi le revenu de l'Etat. Enfin, il autorisa un nouvel emprunt d'or, indispensable à la conversion.
                    Le ministre de la justice lui soumit une affaire compliquée, concernant l'héritage des barons Schatten - Schnieder, ainsi que le règlement concernant l'application de la loi sur le vagabondage.
                     Avec le ministre de l'intérieur, il donna son adhésion à la circulaire concernant les impôts non perçus, signa un ukase sur les mesures à prendre comme les sectes, et un autre sur celles propres à assurer la sûreté de l'Etat.
                     Enfin, vint le ministre de la guerre qui lui demanda de contresigner la nomination d'un général commandant de corps d'armée, ainsi qu'un règlement concernant l'appel des conscrits et différentes mesures disciplinaires.
                     La liberté ne lui fut rendue que pour dîner. Mais ce n'était qu'une liberté partielle, car il recevait divers fonctionnaires avec lesquels il ne pouvait parler que de ce qui l'intéressait, mais seulement que de ce qui était nécessaire.
                     Le dîner ennuyeux enfin terminé, les convives partirent et la jeune tsarine regagna ses appartements pour quitter sa robe d'apparat, promettant de venir aussitôt retrouver son époux.
                      Entre deux rangées de valets droits comme des piquets, le jeune tsar passa dans sa chambre, quitta sa lourde tunique et, endossant une vareuse, ressentit, avec la joie de la libération, comme un attendrissement qui lui serait venu d'une vie heureuse, tranquille et saine, et de la jeunesse de son amour.
                      Il s'étendit sur un divan et, la tête appuyée sur sa main, il contempla le verre dépoli qui protégeait la lampe.
                      Bientôt, il ressentit ce qu'il n'avait pas éprouvé depuis son enfance : la joie de s'endormir.
                      - Non, je ne veux pas, car ma femme va venir, songea-t-il.
                      Puis il plaça sa joue sur sa paume, s'étendit et se sentit si bien qu'il ne désirait qu'une chose : qu'on ne vint pas le troubler. Et il lui arriva ce qui arrive à chacun de nous : il s'endormit sans le savoir, passant, contre sa volonté, de la veille au sommeil.
                      Avait-il dormi longtemps ? Il ne le savait pas. Mais, soudain, une main placée sur son épaule le réveilla.
                      - C'est elle, ma chérie. Mais c'est honteux d'avoir dormi ainsi.
                      Pourtant ce n'était pas elle. Devant ses yeux clignotants se tenait non celle qu'il attendait et désirait, mais Lui. Le jeune tsar ne le connaissait pas, ne l'avait jamais vu ; mais il n'était pourtant pas étonné de le voir. Il sentit qu'il le connaissait depuis longtemps et qu'il l'aimait, et croyait en Lui autant qu'en lui-même.
                       Il avait attendu sa femme aimée, et, à sa place, était venu Quelqu'un qu'il n'avait jamais vu. Et, cependant, le jeune homme, loin de s'en effrayer ou de s'en attrister, considérait cela comme tout naturel.
                       - Partons, dit l'Inconnu, de sa voix sans timbre.
                       - Oui, partons, dit le jeune tsar qui, sans savoir où il allait, savait pourtant qu'il devait obéir.
                       - Et comment ferons-nous pour sortir ? demanda-t-il.
                       - C'est très simple.
                       Et l'Inconnu ayant placé sa main sur la tête du tsar, celui-ci perdit aussitôt conscience de lui-même.
                       En s'éveillant, il se vit dans la campagne immense. A droite s'alignaient des champs de pommes de terre, des betteraves gelées et mises en tas, les nouvelles semailles d'hiver. Au loin, sur un ciel gris, pointaient les toits rouges d'un village. A gauche s'étalaient des champs, des blés d'automne et des chanvres. puis une longue ligne de poteaux-frontière. Le long de cette ligne se promenait la silhouette noire d'un homme, le fusil sur l'épaule, un chien sur les talons.
                        Tout près de l'endroit où se trouvait le tsar, et presque à ses pieds, un jeune soldat russe était assis. µIl portait l'uniforme bordé de vert des gardes-frontière et, certainement, ne voyait ni le souverain, ni son compagnon. Son fusil entre les jambes, il roulait une cigarette.

............................................... à suivre

vendredi 10 février 2012

Lettres à Madeleine 5 Apollinaire

Lettres à Madeleine
                                                                        ( extraite de sa correspondance celle-ci, une carte                
                                                                          militaire, suit différents courriers toujours tendres
                                                                          où il lui annonce un changement de secteur )

                                                                                                           27 juin 1915

                               Ma Poilue, on m'a remis votre lettre du 20 dans le fantastique bivouac où nous nous reposons (!) durant quelques heures avant le redépart vers l'est. Alors, c'est une sorte de reniement de St Pierre, mais de reniement qui n'est pas mal ainsi tout peut être ou bien ou mal. Quant aux bagues je crois que c'est à notre batterie qu'on fait le mieux, c'est arrivé comme ça. On coule l'aluminium dans un moule creusé dans une pomme de terre et on achève ensuite à la lime. Pour le cuivre : on fait une queue d'aronde dans l'aluminium, on encastre la plaque de cuivre, ou de bronze, on resserre au burin ou au marteau frappé doucement car l'aluminium est tendre - Renvoyez-moi une mesure, en refairai une où il y aura beaucoup de fantaisie. Mais il y a ici des gens fort habiles qui trouveraient ces bagues for imparfaites.
                               Votre Poilu.
                                                                                                         Gui

                               J'ai lu dans un journal sur la coutume des Algériens d'avoir un poilu. Prise ainsi la chose est grotesque.
                               Écrivez-moi vite.

jeudi 9 février 2012

Le ciel se trouve sur terre ) Ake Edwardson ( roman policier Suède )

Le ciel se trouve sur TerreLe Ciel Se Trouve Sur Terre


                           Göteborg quelques jours avant Noël. Les inspecteurs espèrent un peu de répit dans la succession des drames habituels. Mais des enfants enlevés quelques heures puis rendus, mais des étudiants
victimes de coups violents sur la nuque éveillent l'attention d' Erik Winter. Lui- même père d'une petite fille élève de l'âge des enfants enlevés lors d'une sortie au parc et ramenés, mais cela durera-t-il ? La vie quotidienne suédoise fin décembre est intimement mêlée à l'enquête. Elle nous mène dans la plaine glacée fermes désertées, paysans esseulés. Les trams circulent, l'un d'eux... La Suède fête Noël le 24 décembre, le rôti de jambon cuit au four accompagne les lumières de l'Aven. Au commissariat les évènements se précipitent la neige ne tient pas sous les bourrasques de vent "...Dans un mois, peut-être que tout serait blanc alentour et ressemblerait vraiment à une mer... " Une femme dans la police, un étudiant à la faculté Africains, donnent à Edwardson la possibilité d'inscrire dans le roman l'acceptation de peut-être un nouveau fait de société. Les inspecteurs écoutent un jazz cool. Ake Edwardson est présenté comme le Simenon du nord, son commissaire revient dans plusieurs de ces romans, avec ses problèmes, son équipe et sa ville Göteborg où il habite.

Lettres à Madeleine 4 Apollinaire - Tendre comme le souvenir

Lettres à Madeleine
                                    ( lettre précédée de celles du 28 mai et du 3 juin )

                                                                              4 juin 1915
                  Ma petite fée adorable,
                  Pardonnez-moi de vous avoir fait de la peine. C'est moi qui suis sot et parfois énervé : je ne veux pas que vous soyez triste à cause de moi - Moi je suis si heureux à cause de vous. Je ne fais jamais de style - et vous non plus qui êtes la plus charmante des fées, ma jolie Gémiah des contes arabes.
                  Je suis désolé que vous ayez, Madeleine, à essuyer d'aussi beaux yeux que les vôtres.
                  Petite fée soumise, je n'ai pas à vous pardonner, mais je voudrais bien câliner la grande petite fille que vous êtes, obéissante et pas frivole.
                 Ce n'est pas moi qui vous fais dire que la guerre, les cagnats en roseaux et les marmites de 305 ont quelque chose à voir ou plutôt ont affaire avec notre coeur.
                 Ainsi petite fée, vous êtes toujours avec moi dans ma hutte, c'est vrai et vous y couchez même sur mon coeur, en image : votre chère petite photo qui est ce qui est ce que j'ai de plus précieux avec vos lettres.
                 La superstition du bleu nous réunit exquisement et quand j'imagine votre coeur je le teinte de bleu...
                 Si vous aimez le printemps éternel de ma poésie, celui du bouleau et de mon étoile logique, Madeleine si vous aimez le printemps du coeur aimez le coeur lui-même...
                 Je ne connaissez pas l'expression de Boboches, vous la confondez je crois, avec celle de Bobosses qui en effet dans le langage des artilleurs sur le front, désigne les fantassins qui paraissent tant à plaindre et le sont en effet. Bobosses est une sorte de diminutif attendri de Fantabosses qui était un terme comique né je crois dans la zone des étapes où les artilleurs rient des Fantassins, dans la zone de l'intérieur, les artilleurs : artiflots méprisent les pioupious et le terme de Fantassin est une injure entre cavaliers.
                  Ma batterie est composée presque uniquement d'hommes des pays envahis, plusieurs qui ont des nouvelles de chez eux assurent que les gens n'y sont pas malheureux, il paraît qu'à Lille c'est même une noce insensée et que les Lilloises sont le plus bel ornement des... fêtes galantes qui s'y déroulent.
                   C'est en tout cas ce qui se dit ici.
                   Ma petite fée n'est pas du tout ce qu'elle dit de vilain à son égard : elle est charmante... Recommandez-moi donc tout ce que vous voudrez, si vous vous trompez je vous câlinerai pour vous consoler... Mais votre instinct ne se trompe pas, car on nous recommande de sortir le moins possible et les servants ne sortent point, les conducteurs eux-mêmes ne faisant qu'une courte promenade à cheval la nuit tombée.
                   Muette ? je vous le défends, et timide ? non pas timide, - mais au contraire confiante, gosse, libre et soumise... comme peut l'être une reine quand elle se soumet.
                   Affectueusement, très affectueusement quoique le mot ne soit pas joli.

                                                                                                                             Gui

                   Tournez la page Madeleine

                   Que rajouter encore à tout ce qui précède, Madeleine, c'est qu'il ne faut pas que nous nous fassions de peine l'un à l'autre - ce serait trop bête - soyons francs et libres comme pouvaient l'être Adam et Eve dans le paradis terrestre -
                  Mais je vous en prie Madeleine, ne me menacez plus de ne plus m'écrire - C'est à moi en ce cas que vous faites de la peine et quelle peine !
                  Timide et muette !!! Ne soyez ni l'un ni l'autre... Et moi que vous devez sentir de loin si timide devant la petite fée merveilleuse que vous êtes, aidez-moi, je vous prie à surmonter une timidité qui après tout, messied à un Soldat. Aidez-moi si vous voulez bien, car avant de m'aider c'est un petit coeur bleuâtre qui bat en Afrique qu'il faut interroger...
                   Et voilà que je n'ose même pas par lettre baiser ce doigt dont j'ai la mesure.
                   Ecrivez-moi vite, Madeleine, puisque je suis votre poète et, vous avez ajouté, ami.

                                                                                                                          Gui
                
 

mardi 7 février 2012

Lettres à Madeleine 3 Apollinaire

... Lettres à Madeleine ( celle-ci suit celle du 20 mai )

                                                                        25 mai 1915

                  Oui, chère petite fée si lointaine, hélas, et si proche cependant, vous m'avez écrit une lettre délicieuse le 17 mai et je suis un méchant de vous avoir écrit il y a quelques jours une lettre désabusée, pardonnez-moi!... pardonnez-moi surtout de pouvoir me sentir désabusé quand je n'ai été abusé en rien et que tout ce qui m'arrive de vous provient de votre libéralité  exquise, libéralité qui dans la dernière lettre confine à la prodigalité. J'ai lu et relu cette jolie lettre et comme je voudrais qu'un coup de baguette les supprimât ces distances... Moi aussi je la vois votre terrasse et les couleurs ardentes, claires et violemment tendres qui naissent de votre soleil, ces mauves puissants et suaves comme l'amour ces roses sains et délicieux comme la joie, ces bleus silencieux et profonds comme la volupté.
                   Toutefois, petite fée, n'ayez pas froid dans le dos, nous, du moins je ne souffre pas. En réalité, je m'amuse beaucoup ou plutôt c'est indéfinissable... je n'en sais rien, mais vos lettres me rendent joyeux à l'extrême... Il n'y a que les absences qui me fassent de la peine... Et puis cela dépend tellement des jours... Mais je n'ai nullement souffert de l'angoisse du danger... Je crois que peu de soldats la connaissent dans cette guerre. Je suis venu ici avec l'inquiétude, sans songer que la vie dans les grandes villes modernes, les trams, les autobus, les autos simples etc.  tous ces engins de notre civilisation  nous avaient habitués au danger et la venue d'un obus ne me parait guère plus dangereuse - bien qu'elle le soit - que l'arrivée d'une auto lancée à toute vitesse.
                    Aujourd'hui même, ce matin, dans le bois si déchiqueté dont je vous ai parlé, un fusant a éclaté au-dessus de moi. j'ai été arrosé par les balles littéralement arrosé. Aucune ne m'a touché mais je les ai vues devant moi, tomber à deux centimètres de mon visage, elles dégringolaient à travers le feuillage. C'est la première fois que cela m'arrivait, je n'ai même pas eu une petite émotion et j'ai fait tout ce qu'il est possible à un homme qui ne se sent ni particulièrement brave ni particulièrement aguerri, pour susciter en moi l'émotion. Et cependant il m'est arrivé souvent à Paris, me sentant seul, dans mon cabinet de travail, d'avoir peur de cette solitude le soir.
                     Je n'y comprends rien... Sont-ce les récits des gens de ma batterie qui parlant entre eux, ont si souvent répété que je faisais le service le plus dangereux de la batterie qui m'ont habitué par contraste à ne rien craindre ? Est-ce le sort de mon prédécesseur tué d'un éclat d'obus sur la lisière du petit bois charmant qui par contraste aussi m'incite à n'avoir pas peur ? Mais le fait que je n'ai pas de crainte en y allant, tandis que j'en  frissonne maintenant en vous écrivant et que mon coeur bat tandis que ce matin je n'avais ni crainte ni confiance mais une simplicité et une légèreté d'esprit qui m'étonnaient moi-même.
                     Je vous écris avec la confiance d'un homme qui écrit à une fille dont il estime infiniment l'esprit, aussi je voudrais bien que vous ne voyiez dans ce récit aucune vantardise ni bravade. C'est loin de mon caractère et je ne me donne nullement pour un foudre de guerre. Il est possible que demain j'ai peur. J'analyse simplement une sensation ou plutôt l'absence d'une sensation. Car la bravoure consiste selon l'étymologie même à braver un danger et il n'y a aucune bravoure dans mon cas, tandis qu'il est possible qu'après tout je dusse être un lâche à la baïonnette ou dans un combat corps à corps ou même dans une casemate pendant un bombardement. Je n'en sais rien. toujours est-il qu'après avoir quitté le bois tandis que les obus miaulaient prenant une autre direction que la mienne, je me suis tourné vers les tranchées car j'étais dans un lieu découvert face à des hauteurs occupées par les Allemands et je vis des masses de fumée verdâtre qui roulaient, il ne me parut point que cette fumée venait jusqu'à moi mais ma vue se voilait, je titubais, il me semblait que le sol tournait violemment en changeant souvent le sens de ses torsions, c'est alors qu'étant dans le sainfoin en fleur je mis le pied sur un corps mou qui sauta, me terrifiant littéralement et poussant un cri semblable à la voix des polichinelles à qui on presse sur le ventre, en même temps deux perdrix s'élevèrent avec le bruit spécial qui accompagne leur envolée. Cela me réveilla et je me retrouvai dans le même état de simplicité qu'avant, sauf cette lourdeur et ce vertige que j'attribuai au soleil, mais j'ai appris qu'on en avait ressenti autant dans des villages beaucoup plus éloignés c'était donc le Brome... Cependant ces vapeurs n'ont pas été du côté de notre batterie où personne ne s'en est plaint. Voilà donc un  récit dont les détails sont plus pathétiques que la réalité qui ne l'est point car l'après-midi a été charmant et nous avons de façon congruente sablé du champagne brut en l'honneur de l'Italie et encore une fois je ne voudrais nullement que vous preniez ce récit pour les déclarations de quelqu'un qui veut se faire plaindre, car en tout ceci, je considère que je me suis bien plutôt amusé qu'embêté de quelque façon que soit..
                     Merci de m'avoir envoyé la mesure de votre annulaire si mignon !  Je vais commencer le ciselage - est-ce le mot ? - ou plutôt la ciselure ( je ne sais plus écrire ).
                      En effet la hutte est maintenant très coquette toute décorée de toiles de tentes qui protègent l'habitant de la pluie, sur le toit de roseaux aux endroits les plus gouttières j'ai mis des carreaux de ciment ou carton ciment que j'ai trouvé près d'une écluse. J'ai maintenant une table, une lampe à pétrole et un verre à dents qui est un verre gradué de pharmacien...
                      Mais si ! Ma forêt est embêtante, parce que les gens y sont embêtants, les officiers bien mais un peu distants... on les connaît peu... ( l'artillerie n'est pas l'infanterie où en campagne hommes et officiers sont très proches. ) Le maréchal des logis-chef, je n'en parle point, le sous-chef garçon de café, le reste paysan, les hommes charretiers ou à l'avenant... Je vais souvent pour me recréer aux échelons des deux autres batteries de mon groupe, qui sont cantonnés dans une petite ville charmante mais extrêmement bombardée, et je suis beaucoup plus ami avec les gradés des deux autres batteries qu'avec ceux de la mienne. En effet, l'ennui dans une forêt ne serait pas possible si... ( voyez plus haut ) et ma première oeuvre publiée ( L'Enchanteur pourrissant ) célébrait uniquement cette prodigieuse matrice qu'est la forêt, créatrice de prestiges et vies sans cesse renouvelés.
                        Ne me parlez pas de mes vers. Vous ne connaissez pas encore ma poésie, cela viendra... Je ne saurai me forcer...
                        Mais comme j'attends avec impatience, une impatience qui touche à la déraison ces photographies dont vous me parlez. L'eau m'en vient à la bouche... Pourquoi à la bouche?!
                        Petite fée  ! vous l'êtes certes puisque je le dis et que vous le croyez...
                        Mais comptez sur mon indulgence quand c'est mon admiration passionnée qui ira vous rejoindre dans votre belle Algérie, c'est pour rire... et je vous sais bien plus coquette et à juste raison très consciente de votre beauté, car le mot n'est pas trop fort.
                        Le silence le plus complet autour de vous ? que signifie?... Mais tout ce qui est de vous et qui de vous vient à moi est pour moi seul, j'en suis jaloux à un point que ne pourriez imaginer... Et puis je suis encore si content que vous ayez signé de votre petit nom, c'est beaucoup plus gentil, plus amical, plus charmant que l'M insexué des lettres précédentes.
                        J'oubliais de vous dire qu'avant-hier Pentecôte j'ai écouté un concert militaire dans un village voisin - Il avait lieu dans un parc très ancien. J'y ai cueilli une rose dont je vous envoie des pétales. Le matin j'avais vu un commandant-évêque, à cheval, en costume mi-commandant, mi-évêque, impression singulière, et à mon gré, pas très agréable.
                        Je n'aime guère ces retours. Ils me paraissent déraisonnables, bien que je ne sois contre aucune croyance et qu'en ayant parfois, je conçois très bien qu'on ait la foi très ancrée en soi.
                        Petite fée il est une heure du matin, ce qui après tout doit être une heure indue même pour les braves et pour le front.
                        Je demande la permission de baiser respectueusement et discrètement cette main de fée si mignonne, si petite dont la mesure de l'annulaire me donne comme un symbole très certain et je vous prie de m'écrire le plus vite et le plus longuement possible ce qui sera une bonne action de votre part.
                        Au revoir, petite fée
                                                                              
                                                                                         Guillaume Apollinaire

lundi 6 février 2012

La vie passera comme un rêve Gilles Jacob ( Biographie France )

ELa Vie passera comme un rêven EnEt la vie passera comme un rêve de Gilles Jacob (document biographie - France )





                              
                        

La vie passera comme un rêve


En 1939 la première version du festival de Cannes projetée par Lumière est annulée. Mais dès la fin des hostilités le projet est repris par Jean Zay alors ministre de l'Instruction Publique et des Beaux Arts et inauguré en 1946. Durant cette période le jeune Gilles Jacob et son frère réfugiés à Nice fuient la gestapo comme tant d'enfants juifs. Accueillis par des religieux ils échappent à la déportation, à la mort. Cet épisode raconté à Louis Malle inspire ce dernier et se retrouve dans " Au revoir les enfants ". Ainsi Gilles Jacob mêle souvenirs personnels et vie professionnelle. Il écrit " ... 2 existences, naissance biologique et naissance cinématographique... " 74 chapitres assez courts. Et pourtant posons le livre pour reprendre souffle.
Destiné à devenir industriel néanmoins cinéphile il est aussi critique de films. 1977, délégué général. Il entre dans l'entreprise festival qui a ses bureaux à Paris. 12 mois de travail intense, la sélection devenue extrêmement difficile car mondiale, pour 12 jours de festival. Les coûts et les reproches, les caprices et les colères, Pialat, Depardieu, Adjani adepte d'un régime poivrons radis, déjeuner à LA avec Clint Eastwood impavide au moment d'un tremblement de terre, Rossellini père mort écrivant une
dernière lettre, Rossellini Isabella confrontée à des amours capricieuses.
Sharon Stone qui n'a pas tourné que des bons films. La famille Jacob a des
problèmes sentimentaux racontés entre parenthèses. Cousin de François Jacob, prix Nobel. A Cannes les Prix décernés sont  : Prix de la Quinzaine des Réalisateurs, Caméra d'Or etc...hors Prix officiels.
Souvenirs, Souvenirs ? Tapis rouge et grosses angoisses



































































































Lettres à Madeleine 2 Apollinaire

                       Lettres à Madeleine

                       ( cette lettre est en fait du 11 mai et non mars )

                                                                                       11 mars 1915

                       Petite fée,,nous avons eu la même idée, la même inquiétude l'un et l'autre : ne nous laissons pas trop longtemps sans nouvelles. Votre gentille carte d'aujourd'hui - envoyée le 3 - m'a causé une surprise plus merveilleuse encore s'il se peut, que la première lettre car je n'espérais plus rien avant une vingtaine de jours.
                        Je voulais vous écrire ces jours derniers mais je n'ai pas eu de temps à moi -
                        Je vous ai promis des détails sur la vie ici et votre nouvelle carte en demande.
                        Je vous dirai aujourd'hui les tranchées des fantassins. J'ai l'occasion d'y aller quelquefois. Voici donc mon dernier voyage à ces fossés qui défendent la France. Je suis parti avec un conducteur et un servant. Nous nous sommes arrêtés pour regarder quelques obus boches ou autrichiens non éclatés, puis ayant continué notre chemin nous nous sommes trouvés parmi les servants d'une batterie d'un autre régiment qui s'installait sur cette position.. Zm pan, un 88 autrichien explose à 4 pas de nous, les servants de l'autre régiment nous crient de nous réfugier avec eux dans leurs cagnats souterraines à peine installées, mais l'arrosage continue. Nous étions à plat ventre et nous rampions. Un obus de canon révolver, tout petit obus, vient s'enfoncer sans éclater à l'endroit que nous avions abandonné en rampant. Nous arrivons à la cagnat et dès que nous y sommes, un obus éclate à l'entrée et fait voler des feuilles et de la terre sur nous. Nous attendons la fin de l'orage et en route ! Nous arrivons sans encombres aux tranchées des fantassins, fossés blancs, creusés dans la craie, c'est d'une propreté, d'un silence, inconcevables. J'ai écrit à quelqu'un que j'imaginais  ainsi la muraille de Chine, mais ici c'est un fossé, des fossés, car ces boyaux s'enchevêtrent à l'infini. Ils ont des noms. L'un de ces cheminements porte le vôtre : allée Madeleine. Dans chaque boyau tous les cinq ou 6 mètres un enfoncement permet de se ranger pour laisser passer ceux qui viennent en sens contraire, en face du rendoncement est un trou pr l'écoulement des eaux. Laplupart de ces boyaux sont à hauteur d'homme, mais il y en a un où il faut ramper, c'est unboyau de seconde ligne. En première ligne nous étions à 80 m des tranchées boches on les voyait très bien par les meurtrières et les créneaux. Il y a là des créneaux partout, dans certains postes avancés au lieu des créneaux ce sont des meurtrières : sur la tranchée, des caisses de bois sans fond ni couvercle et de petits sacs de terre dessus et autour. Là, sont les sentinelles. On voit peu de soldats. Ils sont dans des cagnats souterraines. On voit les pieds de ceux qui dorment, parfois à la porte d'un de ces trous quelqu'un lit. Lors d'un voyage précédent un sergent lisait ainsi un roman de Walter Scott. Pendant ce dernier voyage j'ai vu un adjudant qui lisait la traduction du Faust de Goethe par Gérard de Nerval, un caporal lisait Les Millions du trappeur par Louis Noir et un sous-lieutenant tenait ouvert sur ses genoux le livre si implacablement dépravé des Liaisons dangereuses, dont l'auteur, ce Laclos qui inventa sans doute le vice véritable, le Vice avec une majuscule (,) était, si je me souviens bien, officier d'artillerie. Ces premières lignes et les postes d'écoute paraissent frêles, légers, une véritable voilette sur le visage de la France qu'ils préservent cependant des atteintes d'insectes affreux. Les balles sifflaient au-dessus de nos têtes sans danger naturellement. Elles sifflaient dans le silence ou plutôt fouettaient ce grand silence. Quelques poilus d'ici de là polissaient des bagues faites avec de l'aluminium des fusées de l'obus boche du 77 puis après avoir rempli notre mission nous sommes revenus doucement par les boyaux d'arrière où de jeunes soldats se lavaient ou... s'épouillaient. 
                          A propos des bagues, si vous voulez bien m'envoyer la mesure de votre annulaire, je vous ferai en deux ou trois jours une bague comme en font les autres, si vous voulez bie, ces bijoux sont sinon précieux, du moins assez plaisants et assez touchants ce sont d'amusants souvenirs de la guerre. Voilà pour aujourd'hui - la prochaine fois je vous parlerai de l'artillerie qui se trouve comme vous savez un peu en arrière des tranchées des fantassins.
                          On s'embête un peu tout de même dans la forêt. 
                          Ecrivez-moi longuement, petite apparition charmante. Je n'ose vous demander une photographie, mais si vous saviez combien il me ferait plaisir d'en avoir une, peut-être cela vous décidrait-il à passer sur bien des considérations. Nous sommes ici un peu comme des bêtes sauvages dans la forêt, on ne connaît peut-être plus les convenances. Mais ne vous choquez point. Car si on ne connaît plus la politesse, je crois que l'on a progressé dans cette courtoisie qui fut surtout florissante au temps de la chevalerie si bien que les romans de chevalerie sont aussi appelés romans courtois et j'entourerai votre portrait d'une si grande dévotion, si tendre que si lointaine qu'elle puisse être, elle ne manquera point de vous joindre de vous toucher. Votre portrait serait dans la poche intérieure de ma veste, du côté gauche, du même côté que le sabre et le révolver. Et sur le coeur de votre poète ce portrait pourrait jaser avec ses armes et serait ainsi en bonne compagnie.

                                                  Un seul bouleau crépusculaire
                                                  Sur le mont bleu de la raison...
                                                  Je prends la mesure angulaire
                                                  Du coeur à l'âme et l'horizon

                                                  C'est le galop des souvenances
                                                  Parmi les lilas des beaux yeux
                                                  Et les canons des indolences
                                                  Tirent mes songes vers les cieux...

                           Adieu petite fée très lointaine et si proche, je vous baise la main.

                                                                                      Guillaume Apollinaire

          au front
    le 15 mai 1915


samedi 4 février 2012

Les Trois Frères Castro Eduardo Manet ( roman France











Les Trois Frères Castro



" L'ex-colonel J.A. Montes est... accablé... par un passé qu'il n'arrive pas digérer ?.... Trop de morts entre nous... " écrit Salvador Ferrer.
CUBA 1907 L'Aragonnais Cerda arrivé nu-pieds à La Havane travaille sans relâche, construit maison, foyer, riche en terre. 50 ans plus tard, Batista vaincu, le deuxième fils de la famille Castro, Fidel, provoque la révolution, communiste admirateur de la gestion sociale et agricole de l'URSS adapte les mêmes méthodes à Cuba. Ce qui se révèle catastrophique. Il commande le démembrement des grosses propriétés afin que chaque paysan est une parcelle.
Un siècle plus tard, "... l'on avait passé par les armes d'anciens combattants héroïques... " Le plus jeune des trois frères, Raül est "... organisateur et directeur de la première agence de tourisme révolutionnaire mondiale... Les faits historiques marquants d'un siècle Cubain, installation de missiles russes, affaire de la baie des Cochons, nous promènent dans l'île particulièrement chère à l'auteur.
Eduardo Manet né à Santiago de Cuba étudiant en faculté aux côtés de Raül, connait parfaitement l'histoire de la famille Castro et Cuba qu'il dépeint. La faune et la flore luxuriante, les coutumes, le cigare Roméo et Juliette accompagné de rhum, le riz et haricots noirs sur côte de porc. Les averses courtes et brutales. Durant ces décennies la jeunesse fut partagée. Certains couples acceptèrent la politique castriste et furent confrontés à la révolte de leurs enfants attirés par la proximité américaine. L'aîné des frères Castro Ramon apparaît discret et fuyant.
Eduardo Manet vit en France, devenu français il continue à écrire sur Cuba, île plaisante sous sa plume.