jeudi 9 février 2012

Lettres à Madeleine 4 Apollinaire - Tendre comme le souvenir

Lettres à Madeleine
                                    ( lettre précédée de celles du 28 mai et du 3 juin )

                                                                              4 juin 1915
                  Ma petite fée adorable,
                  Pardonnez-moi de vous avoir fait de la peine. C'est moi qui suis sot et parfois énervé : je ne veux pas que vous soyez triste à cause de moi - Moi je suis si heureux à cause de vous. Je ne fais jamais de style - et vous non plus qui êtes la plus charmante des fées, ma jolie Gémiah des contes arabes.
                  Je suis désolé que vous ayez, Madeleine, à essuyer d'aussi beaux yeux que les vôtres.
                  Petite fée soumise, je n'ai pas à vous pardonner, mais je voudrais bien câliner la grande petite fille que vous êtes, obéissante et pas frivole.
                 Ce n'est pas moi qui vous fais dire que la guerre, les cagnats en roseaux et les marmites de 305 ont quelque chose à voir ou plutôt ont affaire avec notre coeur.
                 Ainsi petite fée, vous êtes toujours avec moi dans ma hutte, c'est vrai et vous y couchez même sur mon coeur, en image : votre chère petite photo qui est ce qui est ce que j'ai de plus précieux avec vos lettres.
                 La superstition du bleu nous réunit exquisement et quand j'imagine votre coeur je le teinte de bleu...
                 Si vous aimez le printemps éternel de ma poésie, celui du bouleau et de mon étoile logique, Madeleine si vous aimez le printemps du coeur aimez le coeur lui-même...
                 Je ne connaissez pas l'expression de Boboches, vous la confondez je crois, avec celle de Bobosses qui en effet dans le langage des artilleurs sur le front, désigne les fantassins qui paraissent tant à plaindre et le sont en effet. Bobosses est une sorte de diminutif attendri de Fantabosses qui était un terme comique né je crois dans la zone des étapes où les artilleurs rient des Fantassins, dans la zone de l'intérieur, les artilleurs : artiflots méprisent les pioupious et le terme de Fantassin est une injure entre cavaliers.
                  Ma batterie est composée presque uniquement d'hommes des pays envahis, plusieurs qui ont des nouvelles de chez eux assurent que les gens n'y sont pas malheureux, il paraît qu'à Lille c'est même une noce insensée et que les Lilloises sont le plus bel ornement des... fêtes galantes qui s'y déroulent.
                   C'est en tout cas ce qui se dit ici.
                   Ma petite fée n'est pas du tout ce qu'elle dit de vilain à son égard : elle est charmante... Recommandez-moi donc tout ce que vous voudrez, si vous vous trompez je vous câlinerai pour vous consoler... Mais votre instinct ne se trompe pas, car on nous recommande de sortir le moins possible et les servants ne sortent point, les conducteurs eux-mêmes ne faisant qu'une courte promenade à cheval la nuit tombée.
                   Muette ? je vous le défends, et timide ? non pas timide, - mais au contraire confiante, gosse, libre et soumise... comme peut l'être une reine quand elle se soumet.
                   Affectueusement, très affectueusement quoique le mot ne soit pas joli.

                                                                                                                             Gui

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                   Que rajouter encore à tout ce qui précède, Madeleine, c'est qu'il ne faut pas que nous nous fassions de peine l'un à l'autre - ce serait trop bête - soyons francs et libres comme pouvaient l'être Adam et Eve dans le paradis terrestre -
                  Mais je vous en prie Madeleine, ne me menacez plus de ne plus m'écrire - C'est à moi en ce cas que vous faites de la peine et quelle peine !
                  Timide et muette !!! Ne soyez ni l'un ni l'autre... Et moi que vous devez sentir de loin si timide devant la petite fée merveilleuse que vous êtes, aidez-moi, je vous prie à surmonter une timidité qui après tout, messied à un Soldat. Aidez-moi si vous voulez bien, car avant de m'aider c'est un petit coeur bleuâtre qui bat en Afrique qu'il faut interroger...
                   Et voilà que je n'ose même pas par lettre baiser ce doigt dont j'ai la mesure.
                   Ecrivez-moi vite, Madeleine, puisque je suis votre poète et, vous avez ajouté, ami.

                                                                                                                          Gui
                
 

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