Le Réveillon du jeune Tsar
( suite 2 )
- Où sommes-nous ? demanda le tsar.
- Sur la frontière de Prusse, répondit l'autre.
( suite 2 )
- Où sommes-nous ? demanda le tsar.
- Sur la frontière de Prusse, répondit l'autre.
Brutal, un coup de fusil retentit au loin. Le soldat se dressa et vit deux silhouettes d'hommes courbés en deux qui arrivaient en courant, cherchant à s'effacer. Il fourra vivement sa cigarette dans sa poche et poursuivit les fuyards.
- Arrêtez, ou je tire ! cria-t-il.
Et, n'obtenant pour réponse qu'une insulte, il s'arrêta, plaça son pied gauche en avant, mit en joue et tira.
- C'est de la poudre sans fumée, pensa le tzar, qui n'avait entendu aucun son et regardait maintenant un des fuyards se courber davantage, tomber à quatre pattes, ramper et enfin s'arrêter. Son camarade se pencha sur lui, ramassa quelque chose et reprit sa course.
- Qu'est-ce donc ? demanda le souverain.
- Ce sont les gardes-frontière qui font respecter la loi sur la contrebande. Cet homme a été tué parce qu'il causait un dommage aux bénéfices de l'Etat.
- Est-il mort ?
L'Inconnu toucha encore une fois la tête du tsar. Et, lorsqu'il s'éveilla à nouveau, il se vit dans une petite chambre au milieu de laquelle, sur le plancher, gisait le cadavre d'un homme. Son grand nez busqué, sa petite barbiche grisonnante pointaient en l'air. Et ses yeux, très gros, gonflaient les paupières closes. Ses mains croisées, ses pieds aux gros orteils sales, tout cela produisait un effet nouveau pour le tsar. Une blessure béait au côté ; le vêtement déchiré et la chemise bleue étaient couverts de sang coagulé. Une femme, la figure presque entièrement couverte d'un fichu, se tenait le long du mu, fixant de ses yeux immobiles le nez busqué, les orteils sales qui pointaient en l'air et les grosses paupières du cadavre. Une fillette de treize ans, remarquablement belle, ouvrait largement la bouche, et un garçonnet plus jeune se cramponnait à la jupe de la mère, regardant de ses yeux hébétés.
Alors, sur le seuil, apparurent quelques hommes. Ce d'abord un fonctionnaire en uniforme, puis un officier, puis un médecin. Après eux marchait un scribe, tenant une liasse de papiers. Et, derrière tout e monde, le jeune soldat qui venait de tuer. Il entra d'un pas délibéré, mais, à la vue du cadavre, il devint tout pâle, baissa la tête et se tut.
Quand le fonctionnaire lui eut demandé si c'était bien là l'homme qui avait voulu franchir la frontière, il ne put répondre que par un bredouillement. Ses lèvres tremblaient, et il dit " Oui ", sans ajouter même le sacramentel " Votre Haute Noblesse ".
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Et voici les brillants résultats de l'affaire.
Dans une chambre luxueuse, mais sans goût, deux hommes étaient assis devant une bouteille : l'un, vieux et gris; l'autre, un jeune juif. Une liasse de billets à la main, le jeune discutait pour avoir à bas prix la marchandise de contrebande.
- Ça ne vous a pourtant pas coûté cher, dit-il en souriant.
- Vous comptez sans les risques...
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- Partons, dit l'Inconnu...
Cette fois-ci ce fut une petite chambre, éclairée par une lampe à abat-jour. Une femme, assise devant une table, cousait ; un garçonnet dessinait et un étudiant lisait à haute voix.
Le père et la fille entrèrent dans la pièce...
( - Tu viens de signer le décret sur le monopole, dit l'Inconnu... )
- Eh bien ? fit la femme.
- Je ne crois pas qu'il vive.
- Mais pourquoi ?
- On l'a saoulé avec de l'eau-de-vie.
- C'est impossible, s'écria l'étudiant, il n'a que neuf ans.
- Qu'as-tu ordonné ? demanda la femme.
- J'ai fait ce que j'ai pu ; j'ai administré un vomitif et j'ai appliqué des compresse de farine de moutarde. Mais il avait tous les symptômes de la plus forte intoxication.
- Ils étaient tous ivres dans la maison, dit la fille.
- Et ta société de tempérance ? dit l'étudiant.
- Que veux-tu faire ? Papa voulait faire fermer le débit, mais la loi, paraît-il, s'y oppose. Mieux que ça, comme je disais à Hermiline qu'il était honteux d'enivrer ainsi le peuple, il me répondit avec fierté, devant tout le monde : - Et la patente, avec l'Aigle de Sa Majesté. Si l'affaire était mauvaise, il n'y aurait pas d'ukase.
- C'est terrible : voilà trois jours que tout le village est ivre. C'est fête ! Et il est effrayant de songer que tout ce qui a un pouvoir, les fonctionnaires, le tsar répandent l'ivrognerie. On boit partout, on porte des toasts.
" Jµe bois à la santé du régiment ! "
Les popes et les archevêques boivent...
... Et, à nouveau, un oubli...
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Une isba. La figure presque violette, les yeux révulsés, un moujik de quarante ans tapait furieusement sur la figure d'un vieillard. Celui-ci se couvrait d'un bras et, se cramponnant à la barbe de l'autre, ne voulait pas la lâcher.
- Tu frappes ton père !
- Ça m'est égal. J'irai en Sibérie, mais je veux te tuer.
Les femmes hurlaient. Les autorités, ivres également, pénétraient dans la pièce pour séparer les combattants.
L'un avait la barbe arrachée, l'autre un bras cassé. Dans l'entrée, la fille, ivre aussi, se donnait à un vieux moujik encore plus ivre.
- Mais ce sont des bêtes féroces, dit le jeune tsar.
- Non, ce sont des enfants.
( à suivre )
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