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Journal secret 2 ( suite extraits )
Une fois nous avons fait le pari qu'elle serait satisfaite même si elle n'était pas d'humeur à cela. Je connais trop bien la façon dont l'indifférence chez une femme se transforme en désir quand un homme sait ce qu'il fait. Dans le cas de N. son indifférence à ce moment précis était si évidente qu'il était impossible d'imaginer la facilité avec laquelle elle pouvait disparaître sans une trace !
Je lui ai fait boire deux verres de champagne, me réservai une demi-heure ce qui fut suffisant.......
Comme je l'aimais dans ces moments fulgurants !....... Je ne la lâchais pas d'un pouce....... J'étais encore abasourdi par la métamorphose d'une déesse en simple mortelle...... mais dans les moments de trop grande intimité l'enchantement s'évanouit, et je me suis débarrassé de ma vénération excessive qui souvent peut contrecarrer la soumission féminine.
Le pouvoir des belles femmes dans la haute société réside dans l'illusion entretenue autour de leur divinité, celle-là même qui se dissipe si agréablement dans l'intimité. O connaissance grandiose et charmante ! Un regard sur la beauté la plus inapprochable et vous savez sans erreur possible ce qu'elle sent, où elle se rend en quittant un salon et le pourquoi de son départ. la vision de ces genoux fermés et de la courbe de ces hanches véritablement divines. L'admiration me faisait tourner la tête. Mais simultanément je sentais clairement que l'on me dissimulait quelque chose d'extrêmement important........... Quand la première fois......... j'ai vu le visage de la Vérité, j'ai au même instant pris conscience de ma destinée, servir cette divinité blottie....... et chanter les sensations produites par elle.........
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Quand j'étais célibataire rien de particulier ne me hantait, sauf, peut-être, le désir d'un bonheur que je recherchais vainement, et cela me rendait malheureux. Il me semblait que le mariage avec une fille jeune, jolie, au grand coeur, m'apporterait la paix et la liberté, les deux éléments consécutifs du bonheur. Hélas, la vie donne soit la paix, soit la liberté, mais jamais les deux. La paix vient d'une résignation débilitante, et une telle paix ne laisse aucune place à la liberté/ La liberté m'entraîne dans des aventures sans fin, au sein desquels aucune paix ne peut exister.
En dépit de mon bon sens, des projets de mariage brûlaient en moi et s'enflammaient chaque fois que je croisais une jeune beauté. J'étais prêt à épouser n'importe quelle femme, sans délai, du moment que je pouvais me montrer avec elle, en société, sans avoir honte. Olénina et Sof. ne voulaient pas d'un mari fou. N. n'avait pas le choix. Voilà comment Dieu m'a mis à l'épreuve.
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Je me suis marié avec placidité, convaincu d'être protégé par mon expérience des espoirs inutiles et des naïves illusions. Mais ma conception du mariage n'était qu'une sèche théorie. Il est impossible de comprendre les émotions sans les ressentir intensément. C'est ainsi que le coeur peut être atteint, et seul le coeur peut enrichir l'esprit. Toute mon expérience était celle d'un amant, non celle d'un mari.
Ma passion pour N. ne dura pas même deux mois. J'étais conscient de la fuite de cette passion mais, découragé par cette évidence, parce que pour la première fois il s'agissait de ma propre femme.
Au bout du premier mois je ne tremblais déjà plus par anticipation joyeuse lorsque N. se déshabillait devant moi. Au bout de deux mois, la maîtresse en elle n'avait plus de secrets pour moi. Elle ne pouvait plus me surprendre avec quoi que ce soit. Je savais par avance les mouvements qu'elle ferait, les gémissements que j'entendrais, comment elle s'accrocherait à moi et comment elle soupirerait de contentement.
Ses odeurs ne m'incitaient plus à me ruer sur elle comme avant. Je ne les remarquais pas, comme s'il s'agissait des miennes. L'arôme du fromage allemand m'excitait plus que les lourdes senteurs de sa peau.
Parce que cela me faisait penser à d'autres femmes.
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J'avais tort de penser que je pouvais modeler N. comme bon me semblait. Non, le talent n'est pas quelque chose que l'on apprend. On naît avec. De la même manière il faut être né pour l'amour, et N. était née pour la coquetterie. Ce que moi j'appelle excellence, elle le nomme bassesse. La capacité de ressentir les convulsions de l'amour n'est absolument pas un talent amoureux. Le talent de l'amour implique un désir si puissant et si vite inflammable que toute minauderie, toute honte disparaissent complètement. Les femmes douées pour l'amour en deviennent les esclaves. Elles font des maîtresses merveilleuses mais des épouses.... Encore une fois il faut faire un choix entre une merveilleuse maîtresse et une épouse merveilleuse. Mon mariage se trouve être l'un des meilleurs car, si j'avais
une femme douée pour l'amour, en d'autres termes une mauvaise femme, il serait impossible de compenser son inaptitude à être une bonne épouse par des à-côtés, alors qu'il n'est pas difficile de trouver ailleurs une maîtresse talentueuse.
* J'ai compris que le tempérament de N. est celui qui convient le mieux au mariage. Elle me tuerait si elle avait une faim omnivore semblable à celle de Z. ou R. Ce qui m'offensait n'était pas son manque d'entrain mais mon indifférence devant son corps. Mon coeur ne parvenait pas à se résigner. Quoi ! pouvoir m'allonger nu aux côtés de N. et m'endormir sans le désir de la prendre ? C'était, pour moi, absolument impensable avec n'importe quelle autre femme, et N., la plus belle d'entre toutes, m'a émasculé. Je la regardais, impassible, et pensais que si, à cet instant, n'importe quelle femme étrangère, même peu séduisante, prenait sa place, je la défoncerais avec le désir que N. ne sera plus jamais capable de provoquer en moi. Je sentais en moi la colère brûler à petit feu.
Mon désir de corps nouveaux devint plus puissant que l'amour, plus puissant que la beauté, mais je ne voulais pas que cela devienne plus puissant que ma fidélité envers ma femme.
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J'ai essayé de rendre N. enceinte. Durant les premiers mois de notre mariage, avant que la haute société ne tombe amoureuse d'elle, N. s'ennuyait à ses heures de loisir. Je lui ai appris à jouer aux échecs, lui ai donné à lire
" Histoire de
Karamzine ", mais cela l'a davantage ennuyée. Elle pouvait lire des romans français insipides, l'un après l'autre, avec une exaltation enfantine. Une fois je lui ai lu quelques-uns de mes poèmes. Elle les a écoutés avec une telle expression de nonchalance que je n'ai plus jamais osé l'importuner avec mes compositions, et elle ne m'en a plus réclamées...
Les nouveaux habits et les compliments relatifs à sa beauté étaient ses plus grands plaisirs Cela ne me fâchait pas du tout. Je savais qu'une fois les enfants arrivés elle serait occupée par des choses réelles. Entre-temps elle brodait et je regardais son joli visage, mais le plaisir que j'en retirais était plus esthétique qu'érotique.
N. avait rejeté la bonne moitié de ma vie liée à la poésie. L'autre moitié c'était l'amour, où la tendresse remplace les sensations poignantes. Mais nous ne sommes pas capables de trouver l'extase autrement que par la stimulation des sens
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Moi qui me glorifiais autant de mon prestige d'amant que de ma célébrité de poète, je ne trouvais pas de place pour ce genre d'activité dans ma vie familiale. N. entretenait ma vanité avec sa
beauté, sa gentillesse et son innocence. Mais son innocence a fini par devenir de la coquetterie, sa gentillesse du sentimentalisme, et je suis tellement habitué à sa beauté qu'elle m'est devenue imperceptible. Je ne me sentais fier que lorsque tous admiraient la beauté de N., malheureusement , cette sensation dégénérait de plus en plus souvent en jalousie.
Pour la première fois dans mon existence de sauvage je m'endormais et me réveillais chaque jour avec la même femme. Auparavant aussi je perdais vite la fascination qu'exerçait sur moi la douceur de la nouveauté, si bien que je changeais de maîtresse ou ajoutais l'une à l'autre. Je me rends compte avec chagrin qu'en ce qui concerne l'homme marié un tel comportement est inacceptable.
La différence entre une épouse et une maîtresse, c'est qu'avec une épouse on se couche sans désir. Voilà la raison pour laquelle le mariage est sacré. Le désir s'en trouve graduellement exclu et les rapports deviennent simplement amicaux, indifférents même et souvent hostiles. Alors le corps nu n'est plus considéré comme péché, parce qu'il n'est plus tentant.
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Parfois je ressentais le calme, une joie tranquille, en regardant innocemment ma Madone ( existe-t-il une autre façon de regarder la Madone ? ). Le désir devenait une partie minime de notre vie. La majeure partie consistait en une angoisse des petites choses, le châtiment de la passion. De manière inexcusable, et sans retour possible, je commençai à croire à mon droit irrévocable au corps de N.
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Les fantasmes commencèrent à me hanter, et c'était l'oeuvre du Diable.........
Depuis ma jeunesse je me connaissais un goût prononcé pour le voyeurisme............
J'avais cette espèce de vision quand je prenais N. dans mes bras........
Parfois, je m'asseyais dans mon bureau et je tentais d'écrire, mais mes pensées s'envolaient vers des femmes inconnues, des intimités........ et le désir me prenait d'un coup........
Lorsque N. entrait dans mon bureau pendant ces chauds moments de rêverie, mon désir disparaissait sans une trace........ La regarder est toujours un plaisir et une joie, mais elle ne m'excite ni ne m'inspire. Je la regarde comme une oeuvre d'art, vraiment comme une Madone ( dont la seule imperfection serait un oeil-de-perdrix à l'orteil ).
N. est devenue pour moi un moyen de me débarrasser de mes hantises charnelles. En d'autres mots, je baisais ma femme non pour le plaisir mais pour lui rester fidèle.
Cependant je me suis révélé incapable d'oublier mes fantasmes, si courte que fût la période que je m'assignais. Ils finissaient par s'agiter d'eux-mêmes au fond de moi et se redressaient comme l'herbe après la pluie...........
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A une époque je pensais que les spasmes divins étaient le but de l'amour. Eh bien, non ! Car s'il en était ainsi la fidélité ne représenterait pas un tel fardeau et une épouse pourrait complètement satisfaire mes désirs. La finalité ne réside pas dans les convulsions.......... mais dans la révélation du mystère de l'intime féminin. Ce mystère qui cesse de vous exciter à cause de contacts répétés chaque nuit avec la même femme, ne disparaît pas et ne se résout pas entièrement mais s'envole vers d'autres femmes..........
La seule chose qui remet le mystère à sa place légitime est la séparation. Alors une épouse devient à nouveau désirable, mais pour une nuit seulement, ensuite la satiété reprend sa place, tout aussi légitime.
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En décembre je ne pouvais plus le supporter et j'ai fui Moscou. J'ai pensé que la séparation ranimerait ma passion pour N. Mais la séparation doit s'effectuer dans l'isolement, et non au milieu d'une foule de Tsiganes invités par Naschokine. La distance n'a pas seulement rallumé ma passion, elle m'a aussi fait oublier mes voeux de fidélité. Quand Olenka est venue à moi, toute ma passion renaissante pour ma femme s'est reportée sur la femme la plus proche. Il m'a semblé qu'elle était la première femme de ma vie, tant mes sensations étaient fraîches. L'intime était redevenu divinité.
Mais, repu d'elle, je me suis mis à rêver de N. comme assoiffé. Si elle était apparue à côté de moi je me serais précipité sur elle avec une passion toute neuve. N. était lointaine, une étrangère et en conséquence excessivement désirable. Ce n'était pas une de mes inventions. Je ressentais la même chose à l'endroit des autres femmes, mais pour je ne sais quelle raison je m'étais convaincu que les lois habituelles ne s'appliquaient pas à mon épouse. Ainsi donc, lorsqu'une nouvelle fois tout s'est répété avec elle, j'ai compris que mon désir pouvait se porter sur la première femme venue.
Et ventre à terre je suis retourné aux p... Celles qui avaient entendu parler de la grande beauté de ma femme me reprochaient de leur rendre visite et de laisser une telle merveille à la maison. Comment pouvaient-elles comprendre que la beauté ne protège pas de la satiété et que la variété est la seule chose qui maintienne en vie ? Des soupirants amoureux de N. me regardaient avec colère ou étonnement., comment pouvais-je oser désirer une autre femme que ma sublime épouse ? De nombreux admirateurs lui écrivaient, lui promettaient leur vie en échange de ses faveurs. Leur lecture nous faisait rire. Si seulement les personnes amoureuses savaient à quel point l'admiration s'estompe rapidement et combien on en vient à la regretter ! Car, une fois que l'on s'en rend compte il devient impossible de s'habituer à sa disparition.
Le sacrifice de sa propre vie dans l'unique dessein de posséder une beauté trouve une signification profonde : on évite ainsi d'être ignoré, situation offensante entre toutes quand il s'agit d'une passion naissante. La mort est la façon la plus sûre de rester fidèle à celle qui habite vos pensées. Je comprends la raison du suicide de Roméo et Juliette. Ils ont agi intuitivement, sans comprendre, mais dans la même perspective, rester fidèles à leur amant même après la mort, ce qui est impossible pour un corps jeune, beau et vivant.
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( à suivre .........)