mardi 22 juin 2021

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 142 Samuel Pepys ( Jourrnal Angleterre )

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                                                                                                            1er Juin 1665

            Levé. Travaillé à mon bureau toute la matinée. A midi à la Bourse, vaqué à mes affaires, rentré dîner chez moi rejoint par Creed puis me vêtis de mon habit de camelot de soie, ma foi le plus bel habit que j'aie jamais porté et qui m'a d'ailleurs coûté plus de 24 £. Ainsi vêtu me rendis à la maison des Orfèvres, à l'enterrement de sir Thomas Vyner. Il y avait là tant de monde, comme dans la maison des merciers, que nous dûmes, pour avoir un peu d'aise et de fraîcheur aller jusqu'à Paternoster Row, choisir de la soie pour me confectionner un costume de ville tout simple. Sur ce, à pied, à Cornhill et là chez Mr Cade, nous nous sommes mis au balcon pour voir passer le cortège funèbre, les orphelins en bleu et les vieillards, ainsi que les échevins au grand complet, le lord-maire et une très nombreuse assistance, la plus grande que j'aie jamais vue se rendre dans une taverne. Fûmes rejoints sur le balcon par le Dr Allen, puis Mr Povey et Mr Fox. Le défilé terminé ainsi que mon entrevue avec Mr Povey, je pris une voiture pour la Grand-Salle. Cueillis là la plus jolie fleur, puis en voiture à Tothill Fields pour prendre l'air jusqu'à la nuit. Avons mis pied à terre, puis la jolie fleur et moi allâmes manger un gâteau, et je pris avec elle autant de plaisir que je jugeai prudent de le faire et suffisamment en ce qui me concerne. Après nos ébats, partîmes sans qu'on nous vît. Puis, ayant reconduit la rose là où il fallait, j'allai au Temple, où je descendis, descendis jusqu'à la porte centrale et de là pris une seconde voiture pour rentrer, écrire des lettres mais, Dieu m'est témoin, n'en écrivis guère, étant d'humeur fort oublieuse, distrait par mon plaisir. Mais le cocher qui nous a conduits ne pourra point me reconnaître, ni les gens de la maison où nous sommes allés.
            Chez moi au lit. Avons appris de source certaine que notre flotte est en vue des vaisseaux hollandais.


                                                                                                                      2 juin

            L'esprit inquiet suis resté longtemps au lit préoccupé par mon affaire de ravitaillement pour Tanger qui, je le crains, va échouer.
            Levé, puis chez le duc d'Albemarle, mais ne le vis pas. De là à la taverne de la Harpe et la Balle puis au palais de Westminster faire la tournée des fleurs qui s'y trouvaient. Vis Mr Creed, allâmes boire chez Mrs Croft, mais ne vis point sa fille, la Burrows. Rentrai dîner chez moi où je vaquai à mes occupations. L'après-midi sortis muni de mes tailles et obtins un règlement équitable avec Colvill et Vyner, ayant remis à chacun 5 000 livres en tailles et obtenu le plus simplement du monde 2 000 £ de crédit contre d'autres tailles de Mr Colvill ainsi que de lui et Mr Vyner la promesse d'en recevoir davantage. Puis me rendis auprès du duc d'Albemarle, puis auprès de milady Sandwich et de milord Crew.
            Rentrai chez moi où je trouvai un pli urgent de sir William Batten, de Harwich, me disant que la flotte venait de quitter Solebay, ayant repéré la flotte hollandaise au large, ajoutant : " que si le calme plat ne les avait pas retardés, ils devraient être à présent en train de livrer bataille. "
            Une seconde missive me parvint également de Mr Hayter, écroué cet après-midi à la prison de Gatehouse sur ordre du Conseil privé, pour avoir reçu de la poudre qu'il avait achetée, ayant eu la malchance de voir son nom utilisé, malgré lui et à son insu. Me rendis à la Cour à propos de ces deux lettres. S'agissant de la première fus conduit aux appartements de milady Castlemaine où le roi, elle et d'autres étaient attablés. Leur lus ma lettre et partis. 
            Allai voir sir George Carteret au sujet de Hayter que je ferai libérer demain, me portant garant de sa comparution. Sir George Carteret se rendit tout exprès auprès du roi pour lui faire cette requête, qui fut accordée. Chez moi à minuit passée, près d'une heure. A mon bureau jusqu'à plus de deux heures, puis rentrai, souper et, au lit.


                                                                                                                   3 juin

            Levé et à Whitehall. Sir George Carteret m'accompagna chez le secrétaire Morris qu'il persuada de relaxer Mr Hayter, à condition qu'on se portât garant de sa comparution. Ne sachant qui trouver d'autre que moi, je fis venir Mr Hunt qui attendit patiemment avec moi toute la matinée dans l'antichambre du secrétaire Morris, tandis qu'on avait envoyé chercher Mr Hayter accompagné de son gardien. A midi arriva le secrétaire, les cautions furent signées, à concurrence de 200 £ pour lui et de 100 £ pour Mr Hunt et moi, moyennant quoi il comparaîtrait sur requête. Il fut alors relâché et dû payer, je crois, plus de 3 £.
            Rentrai chez moi, mécontent d'avoir dû m'absenter de mon bureau toute la matinée, ce qui ne m'était pas arrivé depuis des mois, voire des années. Rentrai dîner, à mon bureau tout l'après-midi, jusqu'à une heure tardive. Fis force besogne, puis rentrai, souper et, au lit.
               Tous les habitants des bords de la Tamise et environs ont entendu tonner le canon toute la journée. Nos deux flottes ayant à présent, très certainement engagé le combat. Ce qui a été confirmé par lettres de Harwich, mais sans plus de détails. Nous sommes sincèrement inquiets pour le Duc et moi, tout particulièrement, pour milord Sandwich et Mr Coventry, après son Altesse Royale.


                                                                                                                     4 juin
                                                                                                           Dimanche
            Levé. Restai dans mon cabinet tout le matin à équilibrer mes comptes, ce que je n'ai pu faire plus tôt, depuis le mois dernier. Dieu en soit loué ! ma fortune s'élève à environ 1 400 £, plus que jamais
A midi dînai fort bien, puis à mon bureau, puis dans le parc. Parlai affaires avec plusieurs personnes, entre autres Mr Howell, le tourneur, qui me fit un compte rendu si édifiant des pratiques du payeur, John Fenn, que je crus bon m'en ressouvenir après son départ et en pris bonne note afin qu'elles ne fussent jamais oubliées. 
            Revins à mon cabinet préparer mes comptes de Tanger et autres, en prévision du lendemain. A ma grande joie achevai ce travail et allai souper d'une bonne volaille et d'une tanaisie et, au lit. 
            Avons appris que notre flotte avait pris le Hollandais en chasse, lequel, est-ce feinte ou défaite ? cède le pas, mais on n'en sait guère davantage avec certitude. Au lit, très tard, après avoir tout réglé.


                                                                                                                       5 juin 1665
                                                                                                                              leblogdecata.com     
            Levé fort matin afin de revoir d'autres papiers, puis à Whitehall à une séance de la commission de Tanger, où je soumis mes comptes auxquels il fut fait accueil. En retirai même quelques compliments et quelque honneur, sans compter un ou deux avantages, à ma grande satisfaction, dans mon affaire de Tanger. Mais je vois clairement que nous allons perdre notre affaire de subsistance. Sir Thomas Ingram a en effet décidé d'en confier la charge à des personnes se trouvant sur place, pour aussi bon marché qu'ici, tout en versant aux marins la totalité de leur solde, ce qui nous donne pleinement l'assurance de voir le contrat honoré. On ne saurait refuser de tels termes. Je suis sans inquiétude puisque j'envisage, par ailleurs, au cas où ce projet viendrait à échouer, quelque autre manière d'occuper mon temps de façon lucrative. Je m'en remets donc pour tout au bon plaisir de Dieu tout-puissant.
            Dînai chez moi, après la Bourse où on entendit dire de toutes parts que les Hollandais sont en déroute, et que nous les poursuivons. On raconte que notre Charity est perdu. Notre capitaine, Wilkinson, et son lieutenant s'étant rendus. Mais la nouvelle est sans garantie, étant colportée par certains matelots du Charity, malades, placés à bord d'un canot à la dérive, puis retrouvés et ramenés à terre hier à Solebay. L'information ensuite rapportée par sir Henry Felton.
            Rentrai dîner avec Creed. Descendîmes ensuite à Deptford, traitâmes quelques affaires, revînmes le soir, lui chez lui et moi à mon bureau. Puis souper et, au lit.
            Eus ce matin une grande conversation avec milord Berkeley au sujet de Mr Hayter, envers qui celui-ci est animé d'un furieux ressentiment, car il voit en lui un fanatique et me prévient du danger qu'il y a à l'employer. Je parvins à l'apaiser complètement et le fis s'excuser auprès de moi pour les pensées qu'il avait eues à son sujet, puis l'amenai à désirer que je demandasse à Hayter de lui pardonner les paroles injurieuses qu'il avait eues à son endroit l'autre jour en tête à tête à Whitehall, à savoir qu'il avait toujours vu en lui un homme qui n'était pas l'ami sincère du roi, mais qu'il était loin de songer que son inimitié se manifesterait de la sorte. Je lui conseillai donc de le déclarer innocent auprès du Conseil et de prier pour qu'il soit interrogé et sa conduite justifiée, à quoi je m'avisai de ne rien ajouter. Mais je me souvins d'un compliment qu'il m'avait fait une fois dans sa grande bonté, louant mon soin et ma diligence, me témoignant son affection sincère et, en outre, m'assurant qu'il me suivait en tous points dans mon affection pour Mr Coventry car, bien que le monde les prît pour les pires ennemis et dans les pires termes qu'on puisse imaginer, il lui vouait pourtant une franche amitié, ce qui revient à me faire, d'une singulière manière, un compliment fort noble, voyant en moi l'un des confidents et des favoris de Mr Coventry.


                                                                                                                          6 juin

            Réveillé à 4 heures du matin pour douloureuse envie de pisser. Vive douleur en pissant, parce que j'ai sans doute bu trop froid avant de me coucher, puis me rendormis aussitôt. Levé, à mon bureau où j'eus fort à faire toute la matinée. A midi dîner chez George Carteret avec le Conseil au grand complet, d'un fort bon pâté. La conversation fut fort plaisante, mais nous redoutions fort d'apprendre quelque mauvaise nouvelle fraîchement arrivée de la flotte. Mais n'apprîmes rien, tout étant, dit-on, pour le mieux puisque les Hollandais sont en déroute, mais je n'y crois guère, d'ailleurs la nouvelle émane de sir William Batten à Harwich et écrite en des termes si naïfs que nous en avons bien ri.
            Au bureau où, au dire de sir George Carteret, à mon grand désarroi, rien n'a été fait par le contrôleur pour réparer le tort causé au roi. Me rendis alors à mon bureau où j'écrivis des lettres tout l'après-midi, et le soir, en voiture, chez sir Philip Warwick pour mon affaire de Tanger, afin d'obtenir de l'argent. 
            Chez milady Sandwich qui, la pauvre, espère à chaque heure des nouvelles de milord. Mais elle est de la meilleure disposition qui soit, ni trop confiante, ni rongée par la peur. Elle me dit que milord Rochester a manifestement perdu tout espoir au sujet de Mrs Malet et qu'elle s'attend, d'ici un jour ou deux, à être avisée des intentions du roi au sujet de l'autorisation qu'il doit donner à milord Hinchingbrook de s'occuper d'elle, puis, lorsque ce sera fait, d'amener l'affaire rondement à sa conclusion. Rentrai en voiture, à mon bureau quelque temps, puis rentrai quelque peu avant minuit me coucher.


                                                                                                                           7 juin

            Ce matin, ma femme et ma mère se levèrent vers 2 heures et, comme prévu, avec Mercier, Mary, le petit valet et Will Hewer, prirent une barque et descendirent le fleuve pour prendre le frais jusqu'à Gravesend. Resté couché jusqu'à 7 heures, levé, au bureau, afin de retravailler aux comptes de sir George Carteret, eus fort à faire. Et repartis. A la Bourse, aucune nouvelle sûre n'est parvenue de la flotte. Puis à la taverne du Dauphin où nous avons dîné, John Mennes et quelques autres, aux frais de sir George Carteret, fort gaiement, sir Thomas Harvey étant un joyeux gaillard.
            A mon bureau où; ayant rencontré Creed, allâmes tous deux chez milord le trésorier général, chez qui nous pensions trouver les orfèvres, à moins qu'ils ne fussent à Whitehall. Mais en vain, si bien que nous fixâmes un autre rendez-vous afin que milord pût les voir et leur demander de nous avancer quelque argent. Après cela, par une chaleur comme je n'en ai jamais connue, et d'ailleurs tout le monde dit qu'il n'y a jamais eu journée aussi chaude en Angleterre au début du mois de juin, allâmes à la nouvelle Bourse et là nous bûmes du petit lait, après avoir beaucoup insisté pour l'obtenir et en le payant de nos deniers, et on refusa, malgré notre insistance, de nous en servir un autre verre.
            Par le fleuve aux jardins de printemps de Vauxhall, où on se promena une heure ou deux avec grand plaisir, à ceci près que nous avions quelque inquiétude au sujet notre flotte et de milord Sandwich dont nous sommes sans nouvelles et sur qui des fausses rumeurs circulent, disant qu'il est mort. Mais elles sont sans fondement. Restâmes à nous promener jusqu'à 9 heures du soir et ne dépensâmes que 6 pence. Puis par le fleuve à Whitehall où je m'arrêtai prendre des nouvelles de la flotte, mais il n'y en avait point, ce qui est singulier. Chez moi en canot, éprouvé par la marche et la forte chaleur, et inquiet de voir que ma femme n'était pas rentrée. Flânai dans le jardin jusqu'à minuit, la chaleur étant alors si forte que le ciel fut envahi d'éclairs. Désespérant de la voir rentrer, au lit.
            Aujourd'hui, et bien contre mon gré, vis dans Drury Lane deux ou trois maisons marquées d'une croix rouge sur la porte, avec l'inscription " Seigneur, ayez pitié de nous ! ", spectacle affligeant et, autant qu'il m'en souvienne, c'était la première fois que j'en voyais un de la sorte. J'en vins à me méprendre sur mon état et sur ce que je sentais, à tel point que je dus acheter un rouleau de tabac à priser et à chiquer, ce qui dissipa mes appréhensions.


                                                                                                          8 juin

            Ma femme rentra vers 5 heures, après une nuit traversée d'une multitude d'éclairs et d'une forte averse. Elle vint se coucher. Me levai, puis à mon bureau toute la matinée. Rentrai dîner seul à la maison, ma femme, ma mère, Mercier étant allées dîner chez William Joyce. Je l'enjoignis de faire le détour par la taverne de la Demi-Lune, à cause de la peste. Me rendis chez milord le trésorier général, sur rendez-vous pris par sir Thomas Ingram, pour rencontrer les orfèvres. Appris cette grande nouvelle, qui nous fut enfin rapportée par Bab May de la bouche du duc d'York : nous avons mis les Hollandais en déroute complète. Le Duc, quant à lui, ainsi que le prince milord Sandwich et Mr Coventry, sont sains et saufs. Ma joie fut si grande que j'en oubliai presque tout le reste. Je donnerai bientôt de plus amples détails. Bientôt arrivèrent l'échevin Maynell et Robert Vyner à qui milord le trésorier général demanda de bien vouloir me fournir de l'argent en échange de mes tailles. Sir Philip Warwick, en présence de milord, déclara que le roi avait ôté la charge des mains de Povey pour me la confier, disant que j'étais quelqu'un d'extrêmement sérieux et aux yeux de milord le trésorier tout à fait digne de traiter en affaires. Ils répondirent qu'il leur était tout à fait impossible, dans l'immédiat, d'octroyer des fonds. Milord redoubla d'insistance, j'espère que nous obtiendrons quelque chose d'eux, une fois qu'ils auront réfléchi.
            Me rendis ensuite à la taverne du Cockpit, empli d'allégresse. Là, le duc d'Albemarle fou de joie me raconta tout à nouveau. Lui parvint ensuite une lettre de la main de Mr Coventry, qu'il n'ouvrit pas, ce qui est singulier, mais qu'il me tendit afin que je me charge de l'ouvrir, de la lire, d'aviser de la conduite à suivre, puis de la remettre à sir William Clarke. Je trouve étrange et à peine pardonnable autant d'indifférence en pareille occasion. Je recopiai la lettre et pris aussi des notes d'après d'autres lettres de sir William Clarke. Voici en résumé les nouvelles :

                                        Victoire sur les Hollandais, le 3 juin 1665

            Ils ont livré bataille ce jour, les Hollandais ayant commis la grave erreur de laisser passer l'occasion de nous prendre le vent, si bien que leurs brûlots ne leur ont été d'aucune utilité.
            Le comte de Falmouth, le vicomte Muskerry et Mr Richard Boyle ont été tués à bord du vaisseau du Duc, le Royal Charles, d'une seule décharge. Le Duc reçut en plein visage leur sang et leur cervelle et, au dire de certains, la tête de Mr Boyle l'aurait fait tomber.
           Tués également le comte de Malborough, le comte de Portland...... Sir Joseph Lawson a été blessé au genou, on lui enleva plusieurs os et il devrait être bientôt rétabli. Quand il fut blessé il fit demander au Duc de désigner un autre commandant pour le Royal Oak. Le Duc envoya Jordan du Saint George qui avait fait preuve de bravoure. Le capitaine Jeremy Smith du Mary secondait le Duc et s'interposa entre ce dernier et le capitaine Centen de l'Urania, 76 canons et 400 hommes, qui s'était juré d'aborder le bâtiment du Duc. Il le tua lui et 200 hommes et captura son navire. Lui-même perdit 99 hommes. Aucun officier ne réchappa, sauf lui et son lieutenant, ce dernier est en effet sauf, mais on l'a amputé d'une jambe.
            L'amiral Obdam fut déchiqueté par un boulet de canon. Tromp tué, au dire de Holmes. Tous les autres amiraux, dit-on, sauf Evertsen, dont on met en doute l'affection qu'il porte au prince d'Orange, ont été tués. On rapporte que nous avons capturé et coulé environ 24 de leurs meilleurs bâtiments, tué ou fait prisonniers entre 8 et 10 000 hommes et que nos pertes sont estimées à moins de 700 hommes. Jamais il n'y eut plus belle victoire au monde. Ils sont tous en déroute. 43 navires environ se sont réfugiés à l'abri de l'île de Texel, d'autres ailleurs et nous avons pris le reste en chasse.
            Rentrai, le cœur en fête, à mon bureau quelque temps, puis chez milady Penn, tous fort réjouis et pas peu fiers du beau succès de leur père. A ce qu'on dit, il a fort bien servi.
            On fit un grand feu de joie à la Grande Entrée ( Whitehall ) avec les gens de milady Penn et d'autres. Allai trouver Mrs Turner dans sa chambre, et on descendit dans la rue. Ai donné aux valets 4 shillings à partager entre eux, ce qui leur fit grand plaisir, puis rentrai me coucher, l'humeur sereine et apaisée, encore que la pensée de la victoire me paraisse si extraordinaire qu'il m'est impossible actuellement d'y croire.


                                                                                                                 9 juin
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            Tardé au lit avec un mal de tête causé, je crois, par les trop nombreuses pensées qui m'ont hier soir agité l'esprit. Levé puis à Whitehall et chez milord le trésorier général, puis chez Philip Warwick, au sujet de l'affaire de Tanger. Chemin faisant ai rencontré Mr Moore qui m'a rassuré sur un point qui me chagrinait, à savoir que j'étais sans nouvelle de milord Sandwich. Il m'apprend que Mr Cooling, secrétaire de milord le chambellan, a entendu le roi chanter les hauts faits et la bravoure de milord.
            Il semble que le roi soit fort peiné de la perte de milord Falmouth. Mais, à part lui, je ne connais personne qui voudrait le voir ressuscité. Aux yeux du monde il passait trop pour un homme qui aimait trop le plaisir pour bien servir la cause du roi. Mais j'apprends de toutes parts qu'on le déclarait homme d'honneur, ce qu'il prouva en suivant le Duc, et cela mieux que quiconque.
            Chez moi où mes gens s'affairent aux préparatifs d'un souper pour ce soir, car nous attendons quelques invités pour fêter le souvenir de mon opération de la pierre, reportée à ce jour.
     
      A midi dînai légèrement chez moi, sortis faire quelques achats. Allai, entre autres, chez mon tailleur acheter un costume de soie, bien que j'en ai fait faire un autrefois, mais celui-ci est pour fêter la bonne et joyeuse nouvelle de notre victoire sur les Hollandais, car celle-ci me donne envie de m'offrir un vêtement qui sorte de l'ordinaire. Ayant, après force délibérations, décidé que je ne désirais que du noir, je finis par choisir une ferrandine de couleur. Puis à l'ancienne Bourse et là chez ma jolie couturière achetai à son mari une paire de bas.
             Rentrai chez moi où bientôt arrivèrent Mr Honywood, Mrs Wiles et Roger Pepys, et beaucoup plus tard Mrs Turner, Theo et Joyce. Soupâmes d'un délicieux pâté de venaison..... Fûmes fort gais. Plus je le fréquente plus j'apprécie la conversation de Mr Honywood. Après un bon souper ils allèrent à pied à la Bourse prendre une voiture, où je les accompagnai. Chez moi et, au lit, heureux que ce soit terminé.


                                                                                                                   10 juin 1665

            Au lit tard, levé et à mon bureau toute la matinée. Dînai chez moi à midi, puis derechef au bureau occupé tout l'après-midi. Le soir, rentrant souper, j'apprends à mon grand tourment que la peste a fait son apparition dans la Cité, pourtant complètement épargnée jusque-là, depuis que le mal est apparu il y a trois ou quatre semaines dans les faubourgs, et ce précisément dans Fenchurch Street, chez mon bon ami et voisin le Dr Burnet. Voilà qui m'inquiète à double titre.
            Au bureau, achevai mes lettres et rentrai me coucher, préoccupé par l'épidémie et tourmenté à d'autres chefs. En particulier par le souci de mettre mes affaires et ma fortune en ordre, au cas où il plairait à Dieu de me rappeler à ses côtés. Que la volonté du Seigneur soit faite !
 

                                                                                                                         11 juin
                                                                                                     Jour du Seigneur
            Levé. Après avoir longtemps attendu livraison de mon nouveau costume. Comme il ne venait pas revêtis mon tout dernier habit de camelot de soie noir, et au moment où j'étais fin prêt arriva mon nouveau costume de ferrandine de couleur, à quoi ma femme trouva à redire. Ce qui me contrarie, mais me semble-t-il c'est parce que je n'ai point l'habitude de porter de la couleur qu'il paraît assez curieux sur moi. A mon cabinet, passai la matinée à lire. A midi arrivèrent nos invités, mes deux cousins Joyce et leurs épouses, ma tante James et le cousin Harman dont la femme est souffrante. Leur ayant fait préparer un bon dîner je fus aussi gai qu'il est possible en pareille compagnie. Après leur départ, sortis quelque peu afin, je le confesse, d'arborer mon nouveau costume, puis revins. Au passage vis qu'on avait condamné la porte du pauvre Dr Burnet. A ce qu'on dit il est fort estimé de ses voisins, c'est en effet lui qui le premier a diagnostiqué le mal et a fait condamner sa portes, sur ses propres ordres, ce qui est fort courageux.
            Dans la soirée Mr Andrews, sa femme et Mr Hill sont venus. Ils restèrent chanter, jouer de la musique et souper, compagnie des plus agréables, si gaie, facétieuse et sans malice, que je n'en puis désirer de meilleure. Après leur départ allâmes nous coucher l'esprit en paix.


                                                                                                                   12 juin

            Levé et chez le duc d'Albemarle dans mon costume neuf. Après un détour par Whitehall et le palais de Westminster, revins et allai avec mon tailleur à Paternoster Row acheter du galon doré pour le bord des manches. Chez moi, dîner puis à mon bureau et par le fleuve à Deptford.. Revins puis chez milord le trésorier général, puis fis quelques démarches afin de veiller à mes affaires de la commission de Tanger. Rentrai à mon bureau, puis souper et, au lit.
            On envoya chercher le duc d'York hier soir et il est attendu dans la journée de demain.


                                                                                                                         13 juin

            Levé et travaillai toute la matinée à mon bureau. A midi allai dîner chez milord le maire avec sir George Carteret où nous étions trop serrés dans un espace trop étroit. La table fut bonne, mais sans plus. Il se nomme sir John Lawrence, son père, vieil homme tout à fait quelconque, mais qu'on dit fort riche, était parmi les convives. Il y avait aussi à la table trois personnes : sir Richard Browne, secrétaire au Conseil privé, l'échevin et son fils, ainsi qu'un petit-fils aussi prénommé Richard, qui sera plus tard sir Richard Browne. L'échevin clama avec forfanterie qu'il avait fait enfermer plusieurs personnes dont il se méfiait, en cas de mauvaises nouvelles de la bataille navale, et qu'il soupçonnait simplement d'être des fauteurs de trouble, que ce n'était pas la première fois et qu'il n'hésiterait pas à recommencer et qu'il n'accepterait pas de caution quand il estimerait la chose risquée pour le roi. Puis il nous dit qu'il était maintenant poursuivi à la Cour de l'Echiquier par un homme pour l'avoir fait emprisonner à tort, et qu'il avait fait incarcérer pour la même raison lorsqu'il était maire il y a quatre ans, et nous demanda conseil à ce sujet  Je lui dis qu'à mon avis il n'y avait rien à faire, et lui racontai mon histoire avec Field, ce qui l'inquiéta et lui fit dire qu'il était risqué de servir la cause du roi. M'est avis qu'il est fort désemparé. Sir Richard Browne lui a conseillé d'en parler à milord le chancelier.
            Milord le maire se montra plein de respect envers moi. Après dîner repartis et trouvai sir John Mennes qui m'attendait avec sa diligence tirée par quatre chevaux à la porte de notre bureau, afin que nous partissions ensemble de Londres au-devant du Duc qui rentre de Harwich ce soir. Allâmes jusqu'à Ilford, où nous descendîmes. Arrivèrent bientôt sir John Shaw et Mr Neal, celui qui a épousé la riche veuve Gold, venus pour les mêmes raisons que nous.
            Après avoir mangé de la crème, repartîmes en voiture sans nouvelle du Duc. Chez moi au terme d'une bonne soirée et d'une plaisante sortie. A mon bureau où j'écrivis mes lettres, puis souper et, au lit. Ai surtout parlé en route avec sir John Mennes qui m'a décrit les voyages en mer de feu notre roi et de son père, ce que, pour ma gouverne, je fus enchanté d'entendre, bien que le récit de la façon dont l'orgueil de certains et la vilénie du plus grand nombre causèrent la perte de tout le royaume et du roi, fut affligeante.


                                                                                                                14 juin

            Levé et chez sir Philip Warwick et d'autres pour mon affaire de Tanger, mais sans grand résultat. Allai, entre autres, m'entretenir avec milord le trésorier, ce pour quoi je fis antichambre pendant trois longues heures et ce dont ma patience fut fort éprouvée, mais en vain, si bien que je dus repartir bredouille. Voilà qui m'apprendra peut-être à savoir faire attendre
            Rentrai dîner avec Mr Hayter, puis j'établis une requête à propos de son inquiétante affaire de poudre à canon, afin qu'il la présentât devant le Conseil privé pour solliciter un jugement, de sorte qu'on ne l'accusât pas de refuser de comparaître. Nous rendîmes donc à Whitehall, mais ce n'était pas opportun de la soumettre aujourd'hui. Rencontrai Mr Cooling qui me fit part du silence qu'il avait observé de toutes parts au lieu de louanges à l'endroit de milord Sandwich, ceci afin de faire valoir le Duc prince. Mais le Duc a vanté les mérites et les loyaux services de milord dans des lettres adressées à la fois au roi et à milord le chancelier. Reçus ce jour une lettre du capitaine Ferrer. Il me dit que milord sur son bâtiment était au plus fort de la bataille, et fit preuve de la plus grande bravoure.
            Vis Creed et allâmes ensemble à Westminster où on apporta la dépouille de milord Marlborough afin qu'il soit enterré, porté par plusieurs lords du Conseil privé, précédé des hérauts en tenue d'apparat. M'en fus, mécontent à la pensée d'avoir si peu avancé mes affaires de Tanger. Chez moi puis, après souper, au lit.


                                                                                                                 15 juin 1665

            Levé, mis mon costume d'étoffe neuf serré au genoux qui, de l'avis de ma femme, me va à la perfection. A mon bureau toute la journée. A midi mis mon premier tour de cou ajouré tout en dentelle, et allai dîner chez Kate Joyce où se trouvaient aussi ma mère, ma femme et nombre de leurs amis. On y fut fort bien traité, puis avec Mercier et ma femme à l'ancienne Bourse où l'on acheta deux nouveaux tours de cou en dentelle, dont un chez ma couturière qui, ma femme me le concède, est fort jolie. Puis descendis à Deptford et à Woolwich avec mon petit valet. Parlai là avec Mr Sheldon de mon projet de faire venir ma femme un mois ou deux chez lui, ce dont il est d'accord. Ce sera, je crois très commode. Revins tard, puis à mon bureau, écrivis des lettres, puis rentrai, souper et, au lit.
            Aujourd'hui la gazette, après que Mr Moore a montré à L'Estrange sa lettre du capitaine Ferrer, a rendu un grand hommage à milord Sandwich au sujet de la récente victoire.
            Le duc d'York n'est toujours pas de retour à Londres. La ville est de plus en plus touchée par l'épidémie, que chacun redoute. Cette semaine on a dénombré 112 morts de la peste, contre 43 la semaine précédente, dont un dans Fenchurcn Street et un autre dans Broadstreet, près du bureau du trésorier.


                                                                  à suivre.............

                                                                                                                    16 juin 1665        

            Levé puis.........


                                                                                                                     







dimanche 20 juin 2021

Parce que tu m'as parlé du vice Guillaume Apollinaire ( Poème France )

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               Parce que tu m'as parlé de vice    

             Tu m'as parlé de vice en ta lettre d'hier
             Le vice n'entre pas dans les amours sublimes   
             Il n'est pas plus qu'un grain de sable dans la mer
             Un seul grain descendant dans les glauques abîmes

              Nous pouvons faire agir l'imagination
              Faire danser nos sens sur les débris du monde
              Nous énerver jusqu'à l'exaspération
              Ou vautrer nos deux corps dans une fange immonde

              Et liés l'un à l'autre en une étreinte unique
              Nous pouvons défier la mort et son destin
              Quand nos dents claqueront en claquement panique
              Nous pouvons appeler soir ce qu'on dit matin

              Tu peux défier ma volonté sauvage                                                  dansesaveclaplume.com
               Je peux me prosterner comme vers un autel
               Devant ta croupe qu'ensanglantera ma rage
               Nos amours resteront purs comme un beau ciel

                Qu'importe qu'essoufflés muets bouches ouvertes
                 Ainsi que deux canons tombés de leur affût
                 Brisés de trop s'aimer nos corps restent inertes
                 Notre amour restera bien toujours ce qu'il fut

                 Ennoblissons mon cœur l'imagination
                 La pauvre humanité bien souvent n'en a guères
                 Le vice en tout cela n'est qu'une illusion
                 Qui ne trompe jamais que les âmes vulgaires 


                                        Guillaume Apollinaire

                                                                O2 - 1918 )                                         




                       










                                

mardi 15 juin 2021

Si tu veux que je meure entre tes bras Rémy Belleau ( Poème France )

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                Si tu veux que je meure entre tes bras


            Si tu veux que je meure entre tes bras, m'amie,
            Trousse l'escarlatin de ton beau pélisson
            Puis me baise et me presse et nous entrelaçons
            Comme, autour des ormeaux, le lierre se plie.

            Dégrafe ce collet, m'amour, que je manie
            De ton sein blanchissant le petit mont besson :
            Puis me baise et me presse et me tiens de façon
            Que le plaisir commun nous enivre, ma vie.

            L'un va cherchant la mort aux flancs d'une muraille
            En escarmouche, en garde, en assaut, en bataille
            Pour acheter un nom qu'on surnomme l'honneur.

            Mais moi, je veux mourir sur tes lèvres, maîtresse,
            C'est ma gloire, mon heur, mon trésor, ma richesse
            Car j'ai logé ma vie en ta bouche, mon cœur.


                                    Rémi Belleau

                                                           ( 1528 - 1577 )

lundi 14 juin 2021

Le journal du Séducteur 19 Sören Kierkegaard ( Essai Danemark )

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            Comme Cordélia me préoccupe ! Et pourtant la fin approche. Mon âme demande toujours à être rajeunie, j'entends toujours au loin le chant du coq. Elle l'entend peut-être aussi, mais elle croit que c'est l'aube qu'il annonce.
            - Pourquoi une jeune fille est-elle si belle, et pourquoi sa beauté est-elle de si courte durée ? Je pourrais en devenir tout mélancolique, et cependant, au fond, cela ne le regarde pas. Jouissez, ne divisez pas. La plupart des gens qui font métier de telles réflexions ne jouissent pas du tout. Toutefois le fait qu'une pensée naît à cet égard ne peut pas nuire, car cette mélancolie sans égoïsme pour le compte  d'autrui augmente généralement un peu la beauté masculine. Une mélancolie qui se dessine comme un nuage trompeur sur la force virile fait partie de l'érotisme masculin et répond chez la femme à une espèce d'humeur noire.
            - Quand une jeune fille s'est donnée entièrement, c'est fini. Je m'approche toujours encore d'une jeune fille avec une certaine angoisse. Mon cœur bat parce que je sens l'éternel pouvoir de son être. Devant une jeune femme je n'y ai jamais pensé. Le peu de résistance qu'on essaie de faire semble un artifice, n'est rien. C'est comme si on voulait dire que la coiffe de la femme en impose davantage que la tête nue de la jeune fille. C'est pourquoi Diane a toujours été mon idéal. Cette virginité intégrale, cette pruderie m'ont toujours beaucoup occupé, mais en même temps je l'ai toujours tenu pour suspect, car j'ai l'impression qu'au fond elle n'a pas du tout mérité toutes les louanges qu'elle a récoltées pour sa virginité. Elle savait que son jeu dans la vie dépendait de sa virginité, et par conséquent, elle resta vierge. 
            Dans quelque coin perdu de la philologie j'ai d'ailleurs entendu dire, à mors couverts, qu'elle avait une idée des douleurs d'enfantement épouvantables souffertes par sa mère. Elle en a été effrayée, et je ne peux en blâmer Diane, car je dis comme Euripide : " J'aimerais mieux faire trois guerres que d'accoucher une fois. "
            A vrai dire, je ne pourrais pas tomber amoureux d'elle, mais je donnerais gros, je l'avoue, pour l'avoir à causer, pour ce que j'appellerais une conversation probe. Elle devrait pouvoir se prêter à toutes sortes de bouffonneries. Ma bonne Diane, paraît-il, possède, de façon ou d'autre, des connaissances qui la rendent beaucoup moins naïve que Vénus même. Je ne tiens pas à la surprendre au bain, mais pas du tout, c'est avec mes questions que je l'épierai. Si, par ruse, j'obtenais un rendez-vous avec une jeune fille, en doutant du succès, je causerais d'abord avec elle, afin de me préparer et de m'armer et afin de mobiliser tous les esprits de l'érotisme.

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        Une question souvent soulevée a été l'objet de mes réflexions est de savoir quelle situation et quel instant peuvent bien être considérés comme offrant le plus de séduction. La réponse dépend naturellement de ce qu'on désire, de la manière de désirer et de votre développement. Je tiens pour le jour des noces et surtout pour un moment précis. Quand alors elle s'avance dans sa toilette de mariée et que, pourtant, toute cette splendeur pâlit à son tour devant sa beauté et qu'elle-même pâlit à son tour quand son sang cesse de couler et que sa gorge se repose, quand son regard reste incertain et que ses genoux se dérobent sous elle, quand la vierge tremble et que le fruit mûrit, quand le ciel la soulève et que la gravité de l'heure la fortifie, quand la promesse la porte, que la prière lui donne sa bénédiction et que la couronne de myrtes orne son front, quand le cœur tremble et que le regard se fixe sur le sol, quand elle se cache en elle-même et qu'elle n'appartient plus au monde afin de lui appartenir entièrement, quand la gorge se gonfle et que tout son corps pousse des soupirs, quand la voix fléchit, que les larmes brillent en tremblant avant l'explication de l'énigme, quand les flambeaux s'allument et que le marié attend, voilà l'instant venu ! Bientôt ce sera trop tard. Il ne reste qu'un pas à faire, mais juste assez de temps pour faire un faux pas. Cet instant-là donne de l'importance même à la jeune fille la plus effacée, une petite Zerline même devient alors un objet. 
            Tout doit alors y être concentré, les plus grands contrastes même doivent être réunis dans l'instant. S'il manque quelque chose, surtout un des principaux contrastes, la situation perd immédiatement une part de sa force séductrice. On connaît bien cette taille-douce qui représente une pénitente d'une mine si jeune et si innocente qu'on est presque embarrassé, à cause d'elle et aussi à cause du confesseur, pour savoir ce qu'au fond elle peut bien avoir à confesser. Elle lève un peu son voile et regarde autour d'elle, comme si elle cherchait quelque chose qu'elle pourrait peut-être plus tard trouver l'occasion de confesser et, bien entendu, c'est le moins qu'elle puisse faire pour le confesseur.
             La situation présente assez de séduction, et comme elle est la seule figure dans la gravure, rien n'empêche de s'imaginer l'église, dans laquelle la scène se déroule, si vaste que plusieurs prédicateurs, même très disparates, pourraient bien prêcher à la fois. 
            La situation présente assez de séduction et je n'objecterais pas à me laisser placer à l'arrière-plan, surtout si sa petite y consent. Mais cette situation ne serait tout de même que de second ordre, car la fillette a bien l'air de n'être qu'une enfant, et bien du temps passera donc avant que l'instant arrive.

            Ai-je été avec Cordélia constamment fidèle à mon pacte ? C'est-à-dire à mon pacte avec l'esthétique, car c'est le fait d'avoir toujours l'idée de mon côté qui me donne de la force. C'est un secret comme celui des cheveux de Samson qu'aucune Dalila ne m'arrachera. Tromper tout bonnement une jeune fille, la persévérance me manquerait sûrement; mais savoir que l'idée est engagée, que c'est pour son service que j'agis, que c'est à elle que je dévoue mes forces, voilà qui me rend austère envers moi-même et qui fait que je m'abstiens des plaisirs défendus. Ai-je toujours sauvegardé ce qui est intéressant ? Oui, et j'ose le dire bien librement et ouvertement dans ces entretiens intérieurs. Les fiançailles elles-mêmes le constituaient justement parce qu'elles ne me procuraient pas ce qu'on entend communément par ce qui eût été intéressant. Elles le sauvegardaient justement parce que leur publicité était en contradiction avec la vie intérieure.  
            Si nos liens avaient été secrets, il n'eût été intéressant qu'à la première puissance. Mais il s'agit ici de ce qui est intéressant à la seconde puissance, et c'est pourquoi c'est, pour elle, primordialement l'intéressant. Les fiançailles vont se rompre, mais c'est elle qui les rompt pour se lancer dans une sphère supérieure. Et elle a raison, car c'est la forme de ce qui est intéressant qui l'occupera le plus.

                               Le 16 septembre.                                                               franceculture.fr

            La rupture est un fait accompli. Forte, hardie, divine, elle s'envole comme un oiseau auquel aujourd'hui seulement il a été permis de déployer son envergure. Vole, bel oiseau, vole ! Je l'avoue, si ce vol royal l'éloignait de moi j'en aurais une douleur extrêmement profonde. Ce serait pour moi comme si la bien-aimée de Pygmalion s'était pétrifiée à nouveau. Je l'ai rendue légère, légère comme une pensée, et maintenant cette pensée ne m'appartiendrait plus ? Ce serait à en désespérer. Un instant avant je ne m'en serais pas occupé, un instant plus tard ce me sera bien égal, mais maintenant, maintenant, cet instant qui pour moi est une éternité. Mais elle ne s'envole pas de moi. Vole donc bel oiseau, vole, prends fièrement ton vol sur tes ailes, glisse à travers les tendres royaumes de l'air, tantôt je te rejoins, bientôt je me cache avec toi au fond de la solitude.
            Cette rupture a un peu atterré la tante. Mais elle a l'esprit trop libre pour vouloir contraindre Cordélia, bien que, afin de mieux l'endormir, ainsi que pour mystifier Cordélia quelque peu, j'aie fait quelques essais pour l'intéresser à moi. Elle me montre d'ailleurs beaucoup de sympathie, elle ne se doute pas de toutes les raisons que j'ai pour pouvoir la prier de s'abstenir de toute sympathie.
            La tante lui a permis de passer quelque temps à la campagne où elle doit rendre visite à une famille. Il est bon qu'elle ne puisse s'abandonner tout de suite à la disposition suraiguë de son esprit. Toutes les résistances du dehors maintiendront ainsi pour quelque temps encore son émotion. Je garde une faible communication avec elle à l'aide de lettres, et ainsi nos relations verdiront de nouveau. Maintenant coûte que coûte il faut la rendre forte, le mieux serait surtout de lui faire faire quelques embardées de mépris excentriques des gens et de la morale. Alors quand le jour de son départ sera arrivé, un garçon sûr se présentera comme cocher et, devant sa porte, mon valet, qui jouit de toute ma confiance, se joindra à eux. Il les accompagnera jusqu'au lieu de destination et restera près d'elle, à son service et, au besoin, pour l'assister. Après moi je ne connais personne plus propre à jouer ce rôle que Johan. J'ai moi-même tout arrangé là-bas avec autant de goût que possible. Rien ne manque pour charmer son âme et pour la rassurer dans un bien-être fastueux.

                             Ma Cordélia !
      
            Les cris d'alarme des différentes familles ne se sont encore réunis pour créer un désarroi général comme celui que causèrent les cris capitolins. Mais tu en as sans doute déjà dû endurer quelques solos. Imagine-toi toute cette assemblée d'efféminés et de commères, présidée par une dame, digne pendant de cet inoubliable président Lars dont parle Claudius, et tu aurais une image, une idée, une échelle de ce que tu as perdu et, devant qui ? devant le tribunal des honnêtes gens.
            Ci-joint la fameuse gravure représentant le Président Lars. Je n'ai pas pu l'acheter à part, et j'ai donc acheté les œuvres complètes de Claudius d'où je l'ai arrachée et j'ai jeté le reste car, comment oserais-je t'encombrer d'un cadeau qui pour le moment ne peut pas t'intéresser, mais comment pourrais-je négliger la moindre chose qui, ne serait-ce que pour un moment, pourrait t'être agréable ? comment me permettre d'encombrer une situation de choses qui ne la regardent pas ? La nature connaît une telle prolixité, ainsi que l'homme asservi aux choses temporelles, mais toi, ma Cordélia, dons ta liberté, tu la haïras. 

                                                                                            Ton Johannes.
 
            Le printemps est bien la plus belle époque de l'année pour tomber amoureux, et la fin de l'été la plus belle pour arriver au but de ses désirs. Il y a dans la fin de l'été une mélancolie qui répond entièrement à l'émotion qui vous pénètre en pensant à la réalisation d'un désir.
            Aujourd'hui j'ai moi-même visité la maison de campagne où Cordélia trouvera, dans quelques jours, une ambiance en harmonie avec son âme. Je ne désire pas être moi-même témoin de sa surprise et de sa joie. De telles pointes érotiques ne serviraient qu'à affaiblir son âme, seule elle s'abandonnera comme en un rêve, et partout elle verra des allusions, des signes, un monde enchanté, mais tout perdrait sa signification si j'étais à côté d'elle, et lui ferait oublier que l'heure est passée où nous aurions pu jouir en commun de ces choses-là. Cette ambiance ne doit pas entraver son âme comme un narcotique, mais l'aider à s'évader, sans cesse puisqu'elle la dédaignera comme un jeu sans intérêt par rapport à ce qui doit venir. J'ai l'intention de visiter moi-même ce lieu plusieurs fois pendant les jours qui restent afin de conserver mon entrain. 

                                  Ma Cordélia !

            Maintenant, c'est le cas de le dire, je t'appelle la mienne, car aucun signe extérieur ne me rappelle ma possession. Bientôt en t'appelant ainsi ce sera la pure vérité et, serrée dans mes bras, quand tu m'enlaceras dans les tiens, nous n'aurons besoin d'aucun anneau pour nous rappeler que nous sommes l'un à l'autre. Cette étreinte n'est-elle pas un anneau plus réel qu'un signe. De plus il nous tient étroitement enlacés et nous liera indissolublement. Plus grande sera notre liberté, car ta liberté sera d'être à moi, comme la mienne sera d'être à toi.

                                                                                   Ton Johannes.

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            A la chasse Alphée s'éprit de la nymphe Aréthuse. Elle ne voulut pas lui prêter l'oreille, mais s'enfuit sans cesse, jusqu'à ce que sur l'île Ortygue elle fut changée en source. Alphée en eut tant de chagrin qu'il fut lui-même changé en un fleuve de l'Elide dans le Péloponnèse. Mais il n'oublia pas son amour et s'unit sous la mer à cette source. N'est-ce plus le temps des métamorphoses ? Réponse : n'est-ce plus celui de l'amour ? A quoi comparer la pure et profonde âme, sans liens avec le monde, si ce n'est à une source ? Ne t'ai-je pas dit que je suis comme un fleuve pris d'amour ? Et maintenant que nous sommes séparés, ne dois-je pas me jeter sous les flots pour être uni à toi ? Sous la mer nous nous rencontrerons encore, car ce n'est que dans ces profondeurs que nous nous appartenons.

                                                                                               Ton Johannes.

                                   Ma Cordélia !

            Bientôt, bientôt tu es à moi. A l'heure où le soleil ferme ses yeux qui épient, quand l'histoire est terminée et que les mythes prennent vie, je ne me drape pas seulement de ma cape, mais de la nuit aussi et je vole vers toi et, pour te trouver, je ne guette pas tes pas mais le battement de ton cœur.

                                                                                                         Ton Johannes.

            Ces jours où je ne peux être personnellement près d'elle quand je le veux, j'ai craint qu'elle ne se mette parfois à penser à l'avenir. Jusqu'ici cela n'a pas été le cas, car j'ai trop bien su l'étourdir par mon esthétique. On ne peut rien s'imaginer rien de moins érotique que ces papotages au sujet de l'avenir qui naissent surtout parce qu'on n'a actuellement rien de mieux pour se préoccuper. Mais près d'elle je ne crains rien à cet égard non plus, je saurais bien lui faire oublier le présent, aussi bien que l'éternité. Si à un tel point on ne sait pas se mettre en rapport avec l'âme d'une jeune fille, mieux vaut ne jamais se laisser aller à vouloir séduire, car il sera alors impossible d'éviter ces deux écueils : d'être questionné sur l'avenir et catéchisé sur la foi. C'est pourquoi il est tout naturel que Marguerite dans Faust soumette Faust à un tel petit examen, parce qu'il a eu l'imprudence de se montrer galant, et qu'une jeune fille est toujours armée contre une telle attaque.

            Je crois que tout à présent est prêt pour sa réception. L'occasion ne lui manquera pas d'admirer ma mémoire ou, plutôt, elle n'en aura pas le loisir. Rien de ce qui pourrait avoir de l'importance pour elle n'a été oublié, mais rien n'y a été mis qui pût me rappeler directement et, pourtant, je suis partout invisiblement présent. L'effet dépendra beaucoup de sa manière de regarder le tout la première fois. Mon valet a, pour cela, reçu les instructions les plus précises et il est, à sa façon, un virtuose accompli. S'il en a reçu l'ordre il sait jeter une remarque comme par hasard et tout négligemment, ainsi que faire l'ignorant, bref il est pour moi sans prix. 
            C'est un site comme elle l'aimerait. Du milieu de la pièce le regard se porte des deux côtés par-delà le premier plan vers l'infini de l'horizon, on est tout seul dans le vaste océan de l'air. Si on s'approche d'une suite de fenêtres on voit au loin à l'horizon une forêt s'élever en voûte comme une couronne qui limite et cerne le site. Et c'est parfait, car l'amour aime - quoi ? - un enclos, le paradis lui-même n'était-il pas un enclos, un jardin vers l'orient ?
            Mais il se resserre trop autour de vous ce cercle. On avance vers la fenêtre, un lac tranquille se cache humblement entre les abords plus élevés. Sur sa rive une barque. Un soupir du cœur, un souffle de la pensée inquiète, la barque se détache de ses chaînes et glisse sur le lac, doucement bercée par les tendres souffles d'une nostalgie sans nom. On disparaît dans la solitude mystérieuse de la forêt, bercé par la surface du lac qui rêve des ombres profondes de la forêt. On se retourne de l'autre côté et c'est la mer qui se répand devant les yeux, que rien n'arrête, poursuivis par la pensée que rien n'arrête.
            Qu'aime l'amour ? l'infinité.
            Que craint l'amour ? des bornes.
            Derrière le grand salon, une pièce plus petite, ou plutôt un cabinet, car ce que cette pièce faillit être chez les Wahl, celle-ci l'est. La ressemblance est frappante. Une natte couvre le parquet, devant le sofa il y a une petite table à thé avec une lampe, pareille à celle de là-bas. Tout y est semblable, mais plus luxueux. Je pense pouvoir me permettre cette petite retouche à la pièce. Dans le salon un piano très simple, mais rappelant celui de chez les Jansen. Il est ouvert, avec, sur le porte-musique, le même petit air suédois. La porte donnant sur l'entrée est entrebâillée.
            Elle entrera par cette porte du fond, Johan en a été instruit, ainsi au moment même où il  l'ouvrira, elle apercevra à la fois le cabinet et le piano, l'illusion est parfaite. Elle entre dans le cabinet, et je suis sûr qu'elle sera contente. En jetant son regard sur la table elle trouvera un livre mais, à l'instant même, Johan le prendra pour le ranger, disant de façon accidentelle : "  Monsieur a dû l'oublier là ce matin. " Elle saura ainsi que j'étais là ce matin même et ensuite elle voudra examiner le livre. C'est une traduction allemande de la fameuse œuvre d'Apulée, " Amour et Psyché ". Ce n'est pas un ouvrage poétique, mais il n'en faut pas non plus, car l'offre d'une vraie œuvre poétique à une jeune fille est toujours une injure, parce que cela implique qu'à un tel instant elle ne le serait pas elle-même assez pour boire la poésie cachée immédiatement dans la réalité et qui n'a pas d'abord été corrodée par la pensée d'un autre. Généralement on n'y pense pas et c'est pourtant ainsi. Elle voudra lire ce livre, et c'est ce que je veux. En l'ouvrant à la dernière page lue, elle trouvera une petite branche de myrte qui lui dira plus qu'un simple signet.

                                                                 Ma Cordélia !

   leparisien.fr        
Que crains-tu ? En nous soutenant l'un l'autre nous sommes forts, plus forts que le monde, plus forts que les dieux eux-mêmes. Tu sais que jadis il y avait sur la terre une race, humaine il est vrai, mais dont chaque élément se suffisait à lui-même et ne connaissait pas l'union intime de l'amour. Leur puissance pourtant fut grande, si grande qu'ils voulurent donner l'assaut au ciel. Jupiter craignait cette race et fit de chacun de ces éléments un couple, homme et femme.
            S'il arrive parfois que ce qui fut jadis uni se réunit à nouveau en amour, une telle union est plus forte que Jupiter. Ils sont alors non seulement aussi forts que chacun des éléments, mais plus forts encore, car l'union de l'amour est une unité supérieure.

                                                                                      Ton Johannes.


          Le 24 septembre

            La nuit est calme, il est minuit moins le quart, le veilleur de nuit de Oesterport sonne sa bénédiction sur le pays, et la Blegdam en renvoie l'écho. Il rentre dans son corps de garde en sonnant à nouveau et l'écho en arrive de plus loin encore. Tout dort en paix, sauf l'amour. Levez-vous donc, puissances mystérieuses de l'amour, rassemblez-vous dans cette poitrine ! La nuit est silencieuse, seul un oiseau interrompt ce silence avec son cri et son coup d'aile en passant au ras du glacis gazonné tout humide de rosée : lui aussi sans doute se hâte à un rendez-vous, " accipio omen ! 
            Comme toute la nature est remplie de présages ! Je tire des présages du vol des oiseaux, de leurs cris, des ébats des poissons à la surface de l'eau, de leurs fuites dans les profondeurs, d'un aboiement au loin du tintamarre lointain d'une voiture, de l'écho d'un pas venant du loin. Je ne vois pas de fantômes à cette heure de la nuit, je ne vois pas ce qui appartient au passé, mais le sein du lac, l'humide baiser de la rosée, le brouillard qui se répand sur la terre et cache son étreinte féconde me montrent ce qui doit venir. 
            Tout est image, je suis mon propre mythe car, n'est-ce pas comme un mythe que je vole à cette rencontre ? Mais qu'importe qui je suis, j'ai oublié toutes les choses finies et temporelles, seul l'éternel me reste, la puissance de l'amour, son désir, sa béatitude. 
            Comme mon âme est tendue comme un arc et mes pensées prêtes au vol comme les flèches d'un carquois, non pas envenimées et pourtant bien capables de se mêler au sang. Que de force, de santé et de joie en mon âme, présente comme un dieu ! La nature l'avait faite belle. Je te remercie toi, nature prodigieuse. Comme une mère tu as veillé sur elle. Merci pour ta sollicitude. Elle était inaltérée et je vous en remercie, vous tous à qui elle le doit. Son développement est mon œuvre, je récolterai bientôt la récompense. Que n'ai-je accumulé pour ce seul instant qui s'annonce ? Mort et damnation, si j'en étais privé !
            Je ne vois pas encore ma voiture. J'entends le claquement d'un fouet, c'est mon cocher. Allez, vite, pour la vie et la mort, les chevaux dussent-ils s'effondrer, mais pas une seconde avant l'arrivée.

          Le 25 Septembre.

            Pourquoi une telle nuit ne dure-t-elle pas plus longtemps ? Alectryon a bien pu s'oublier. Pourquoi le soleil n'a-t-il pas assez de pitié pour faire comme lui ? Tout est fini pourtant, et je ne désire plus jamais la voir. Une jeune fille est faible quand elle a tout donné, elle a tout perdu, car l'innocence chez l'homme est l'essence de sa nature. 
            A présent toute résistance est impossible, et il n'est beau d'aimer que tant qu'elle dure, lorsqu'elle a pris fin, ce n'est que faiblesse et habitude. Je ne désire pas me souvenir de nos rapports. Elle est déflorée et nous ne sommes plus au temps où le chagrin d'une jeune fille délaissée la transformait en un héliotrope. Je ne veux pas lui faire mes adieux. Rien ne me dégoûte plus que les larmes et les supplications de femme qui défigurent tout et qui, pourtant, ne mènent à rien. Je l'ai aimée, mais désormais elle ne peut plus m'intéresser. Si j'étais un dieu je ferais ce que Neptune fit pour une nymphe, je la transformerai en homme.
            Comme il serait donc piquant de savoir si on peut s'évader des rêveries d'une jeune fille et la rendre assez fière pour qu'elle s'imagine que c'est elle qui en a eu assez des rapports.
            Quel épilogue passionnant qui, au fond, présenterait un intérêt psychologique et en outre pourrait vous offrir l'occasion de beaucoup d'observations érotiques.


                                                                     Fin
                                                                             du    
                                   
                                 Journal du Séducteur de Sören Kierkegaard ( 1813 - 1855 ) 
                                                  















                                                                                              

            





samedi 12 juin 2021

Intouchables Jean-Christophe Portes ( Policier France )

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                                              Intouchable

            Tragique et pathétique combat d'une mère qui veut prouver que sa fille ne s'est pas suicidée mais a été assassinée par son " fiancé " le docteur Bonnamy, à Royan gériatre et généraliste, mais on apprendra au cours de la lecture, qu'il peut être urgentiste, au RAID, en divers lieux, en France, en Belgique à Mons, en Tunisie à Sfax. La jeune femme trouvée morte sur la plage, imbibée de whisky et de cachets était interne dans la même clinique que le docteur ( il tient beaucoup au titre lors des interrogatoires ), ses parents vivaient alors à Pornic, couple près de la séparation, gens simples, la mère n'interroge son smartphone dont, pourtant, elle se sert beaucoup, que suivant son humeur, et manque un appel de sa fille qui laisse un message angoissé et affolé, un appel au secours disant avoir découvert le vrai visage de son compagnon et surtout médecin. Après cette mort infiniment triste, le couple se sépare et la mère s'installe à Antibes, près de sa seconde fille, moins aimée, pourtant bonne fille, active. Dix ans ont passé et cette dernière vient d'accoucher. Bons parents ils rendent visite à leur fille et, sortant de l'ascenseur, la maman reconnaît le docteure Bonnamy, homme froid, blond. Si les autres membres de la famille veulent oublier les circonstances de la mort de la jeune femme, elle, la mère, continue à se battre pour prouver qu'il n'y a pas eu suicide mais meurtre. Le docteur Bonnamy exercerait donc à Antibes ? Et la traque va commencer. L'argent manque cruellement, elle fait des extras en restauration, mais décidée à faire rouvrir une enquête elle circule dans sa vieille auto ayant appris le lendemains que ce fumeux docteur avait disparu le lendemain du jour où ils s'étaient croisés. Et la mère tire le fil d'une pelote qui se casse souvent tout près du but. Machiavélique docteur ( il est vraiment diplômé ). Assassin, jouit au moment des meurtres, ne laisse pas de preuves qui l'impliqueraient, nie toute culpabilité, le conseil de l'ordre des médecins se tait, directeur de clinique de gériatrie pas de bruit gênant pour la réputation de l'établissement, notables silencieux et gênés. Les chapitres changent d'auteur, la maman, puis Bonnamy à petits pas dans ses confidences se racontent. La maman, tant d'années plus tard réussira-t-elle à confondre ce tueur en séries selon l'aveu de cet homme orgueilleux. Bon polar, très humain, des personnages ordinaires, un quotidien commun. De Pornic à Antibes, Lille, Limoges, Grenoble, une vaillante petite auto aux mains d'une mère qui ne put oublier et se résigner. Une fin de course inattendue. Bon roman policier, bonne lecture. 


jeudi 10 juin 2021

Sonnet Bouche dont la douceur Catherine des Roches ( Poème France )


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                                 Bouche dont la douceur
                                                                           
                 Bouche dont la douceur m'enchante doucement
            Par la douce faveur d'un honnête sourire,
            Bouche qui soupirant un amoureux martyre
            Apaisez la douleur de mon cruel tourment !

                 Bouche, de tous mes maux le seul allégement 
            Bouche qui respirez un gracieux zéphyr (e) :
            Qui les plus éloquents surpassez à bien dire
             A l'heure qu'il vous plaît de parler doctement ;

                  Bouche pleine de lys, de perles et de roses,
            Bouches qui retenez toutes grâces encloses,
            Bouche qui recelez tant de petits amours,

                 Par vos perfections, ô bouche sans pareille,
            Je me perds de douceur, de crainte et de merveille
            Dans vos ris, vos soupirs et vos sages discours.


                                        Catherine des Roches       

                                                                ( 1542 - 1587 )



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                                  Epigramme

                                                           à Jeanneton

            Mon chose veut choser votre chose ; mais chose
            Gardez que je ne puis enchoser votre chose ;
            Ou, si chose à la fin ne nous laisse enchoser,
            Je le choserai tant qu'il en ira choser.


                                      Jean de Boyssières

                                                            ( 1555 - 1584 )

mardi 8 juin 2021

La beauté du ciel Sarah Biasini ( Biographie France )

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                                             La beauté du ciel

            Le livre pourrait s'intituler " Mère ! " Sarah Biasini perd sa mère à 4 ans. Elevée, et même semble-t-il bien élevée par ses grands-parents paternels, notamment Monique 89 ans aujourd'hui, dont elle fait un portrait sympathique, personne active et rieuse qui aujourd'hui joue avec son arrière-petite fille. Très présente dans l'histoire de ce récit, elle soutient sa petite fille qui apprend par un appel que la tombe de sa mère, Romy Schneider, actrice célèbre, a été dégradée. Sarah voit des signes partout.
Agée d'une petite quarantaine elle veut devenir mère depuis plusieurs années, sans succès, pourtant signe ou pas dans le même temps elle apprend que enfin, le petit miracle se produit. Et l'auteur décrit ses craintes, femme à grossesse tardive elle choisit une clinique spécialisée, où péridurale aidant, elle accouche après des mois d'inquiétude, de retour sur son passé de fille sans mère, mais aimée par son père, Daniel Biasini, et tout l'entourage familial. C'est le début d'une grande recherche de la mère. Elle parle peu de Romy actrice, quelques pages où apparaissent Claude Sautet, Michel Piccoli, mais les mots, les douleurs de Romy qui perd son fils de la façon atroce que l'on sait. Et cette recherche est un travail sur soi douloureux "..... Où est ma joie ?....... Le temps passe et il y a un temps pour tout. Un temps pour rejeter, un autre pour chercher, un autre pour aimer...... " Aux côtés de Sarah il y a Gilles, metteur en scène de théâtre, assez présent, père déjà d'un petit garçon aux réactions parfois un peu vives, jalousie et rage d'enfant. Comédienne, Sarah, fille d'une mère très connue, d'un père qui confie sa petite Sarah à ses parents, sa mère Monique en particulier, et Nanou la nounou qui refuse d'apparaître son travail achevé depuis longtemps. Du côté maternel, les rapports sont plus froids avec la mère de Romy. Femme, femme. femme, chante qui donc ? Mais Mère, l'incroyable souci, l'inquiétude de Sarah et l'immense amour, en fait l'adoration qu'elle voue à sa petite Anna, cadeau in-extrémis, don du ciel peut-être pense-t-elle. Jolie histoire, de la fille devenue une mère pleine d'interrogations et d'inquiétude.
Bonne lecture, chapitres courts, impression en assez gros caractères. Les affres d'une mère, avant, pendant.....


          


samedi 5 juin 2021

Au moment où le joueur de tennis César Vallejo ( Poème Pérou )

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             Au moment où le joueur de tennis

            Au moment où le joueur de tennis lance magistralement
            sa balle, le domine une innocence totalement animale ;
            au moment
            où le philosophe découvre une nouvelle vérité,
            c'est une bête intégrale.
            Anatole France affirmait
            que le sentiment religieux
            est la fonction  d'un organe spécial du corps humain,
            jusqu'alors ignoré et l'on pourrait
            dire aussi, alors,
            qu'au moment précis où un tel organe
            fonctionne pleinement,
            le croyant est si dénué de malice,
            qu'on le prendrait presque pour une plante.
            Oh âme ! Oh pensée ! Oh Marx ! Oh Feuerbach !


                                         César Vallejo

 

vendredi 4 juin 2021

Le patient américain Richerano Péju (BD France )

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                                                  Le patient américain

                                                                      Frinck et Freud

            En août 1909 Sigmund Freud découvre le Nouveau Monde. Bien loin de la Mitteleuropa et des us et coutumes de sa société. Le psychanalyste invité à faire des conférences à Worcester, parcourt d'abord, à pied ou en voiture, les rues de NewYork, la beauté, à ses yeux, des immeubles l'émeut, le métro et... le manque de toilettes publiques, en nombre insuffisant, ce qui sera la cause d'un incident, analysé. Freud "...... savais que l'Amérique était gigantesque...... compris que c'était une gigantesque erreur..... " Il était accompagné de Jung, Ferenczi. Parmi ses hôtes certains acceptent ses théories, d'autres le traiteront de charlatan, ainsi d'Abraham Biju dont l'épouse aussi richissime que lui, se décrira comme " une automate ". Automate des mondanités, avec ses enfants, son mari, de plus embarrassée par son argent. Mais Frinck, venu, sur ordre, accueillir Sigmund Freud à sa descente du paquebot jusqu'à son hôtel, ne fut jamais invité à assister à ses conférences. Qui est donc Frinck ? Les auteurs passent alors à la description de ce jeune américain qui connut de grandes tristesses, des parents attachés aux petites mondanités, une mère frivole, Frinck et son frère finalement élevés par un grand-père chirurgien, à la suite d'événements que le lecteur découvrira dans cette jolie BD bien dessinée, dessins simplissimes, crayonnages, tout est gris et blanc. Et l'amour, et la sexualité ? Une place principale, des pages remplies d'angoisse, de questionnements. Et Doris ? Doris est l'amie d'enfance, devenue la mère, l'amante, la compagne de Frick devenu psychanalyste, mais qui commit l'erreur de coucher avec sa principale patiente. Ce qui est, en principe, contraire à la déontologie de la Société des Psychanalystes, mais règle pas du tout suivie par Jung et plusieurs connus ou pas. Angelica décide, son argent le lui permet, de consulter le grand Viennois, et Horace Frinck et elle seront psychanalysés par Freud. La solution proposée et suivie ne fera pas vraiment le bonheur des uns, mais sûrement provoquera colère et misère. Frinck et son père, Frinck et la désinvolture de sa mère, Frinck et son grand-père déçu de ne le voir pas prendre sa succession, et Doris et les enfants. On ne sait trop qui du dessin ou du texte l'emporte, mais l'un entraînant l'autre l'histoire de ce voyage d'un Viennois, Freud, d'un Suisse, Jung et d'un Hongrois, Ferenczi, aux EtatsUnis au début du siècle dernier est pleine d'intérêt et se lit facilement. Bonne BD et bonne lecture. 






















 



                                                                        


Un homme passe portant un pain sur l'épaule César Vallejo ( Poème Pérou )




 




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                             Un homme passe portant un pain sur l'épaule

          Un homme passe portant un pain sur l'épaule
          Vais-je écrire, ensuite, sur mon double ?

            Un autre s'assoit, se gratte, extirpe de son aisselle un pou, le tue
            Avec quel courage parler de psychanalyse ?

            Un autre est venu dans ma poitrine un bâton à la main
            Va-t-on parler ensuite de Socrate au médecin ?

            Un boiteux passe donnant la main à un enfant
            Vais-je lire, après, André Breton ?

            Un autre grelotte de froid, tousse, crache le sang
            Pourra-t-on jamais faire allusion au Moi profond ?

            Un autre cherche dans la fange des os, des pelures
            Comment écrire, ensuite, sur l'infini?

            Un maçon tombe d'un toit, meurt et ne déjeune plus
            Réinventer ensuite le trope, la métaphore ?

            Un commerçant en pesant, vole un gramme à un client
            Et parler, après, de quatrième dimension ?                                               pinterest.com

            Un banquier falsifie son bilan
            Quel air prendre pour pleurer au théâtre ?

            Un paria dort, un pied dans le dos
            Comment parler, ensuite, à quiconque de Picasso ?

            Quelqu'un suit un enterrement en sanglotant
            Comment, après, entrer à l'Académie ?

            Quelqu'un fourbit un fusil dans sa cuisine
            Avec quel courage parler de l'au-delà ?

            Quelqu'un passe en comptant sur ses doigts
            Comment parler du non-moi sans pousser un cri ?

                                                           5 Nov. 1937

                             César Vallejo