zurbaran
Choses vues*
D'après nature , Nuit du 23 au 24 février
...Elle avait un collier de perles fines et un châle qui était un cachemire rouge d'une beauté étrange. Les palmes, au lieu d'être en couleur étaient brodées en or et en argent, et trainaient sur ses talons ; de sorte qu'elle avait le charmant à son cou et l'éblouissant à ses pieds, symbole complet de cette femme qui introduisait volontiers un poète dans son alcôve et laissait un prince dans son antichambre.
Elle entra, jeta son châle sur un canapé et vint s'asseoir à la table qui était toute servie près du feu. Un poulet froid, une salade et quelques bouteilles de vin de Champagne et de vin du Rhin.
Elle fit asseoir son peintre à sa gauche et, me montrant une chaise à sa droite :
- Mettez-vous là, me dit-elle, près de moi et ne me faites pas le pied ; il ne faut pas trahir ce bêta. Si vous saviez, c'est moi qui suis bête, je l'aime, vous le voyez, il est très laid.
En parlant ainsi elle regardait Serion avec des yeux enivrés.
- C'est vrai, reprit-elle, qu'il a du talent, un grand talent même, mais imaginez-vous qu'il m'a prise d'une drôle de façon. Depuis quelque temps je le voyais dans les coulisses rôder et je disait : " Qu'est-ce que c'est donc que ce monsieur qui est si laid ? je dis cela au prince Cafrasti, qui me l'amena un soir souper. Quand je le vis de près je dis : "C'est un singe ". Lui me regardait je ne sais pas comment. A la fin du souper je lui pressai la main en lui présentant une assiette. En prenant congé il me demanda très bas : - Quel jour voulez-vous que je revienne ?
- Bah ! - Je ne savais plus du tout où j'en étais. Monsieur, cela dure depuis trente-deux jours. Et figurez-vous que lui, il ne dort pas. Le matin je le chasse à grands coups de pied.
Elle se pencha vers lui et lui dit avec idolâtrie.
- Tu es vraiment trop laid, vois-tu, pour avoir une jolie femme comme moi. Au fait Monsieur, poursuivit-elle en se tournant de mon côté, vous ne pouvez pas me juger, ma figure est une figure chiffonnée voilà tout, mais j'ai vraiment de bien jolies choses. Dis donc Serio, veux-tu que je lui montre ma gorge ?
- Faites, dit le peintre.
- Faites, répondit Serio.
Sa voix était gutturale. Il était vert. Il souffrait horriblement. Elle éclata de rire.
- Tiens, dit-elle, quand il verrait ma gorge, Serio ! Tout le monde l'a vue. alice ozy par chasseriau
Et en même temps elle saisissait résolument sa robe des deux mains et, comme elle n'avait pas de corset, sa chemise fendue par-devant laissa voir une de ces admirables gorges que chantent les poètes et que les banquiers achètent. Danaé devait avoir cette posture et cette chemise ouverte le jour où Jupiter se métamorphosa en Rotschild pour entrer chez elle.
Eh bien ! en ce moment-là, je ne regardai pas Zubiri. Je regardai Serio.
Il tremblait de rage et de douleur. Tout à coup il se mit à ricaner comme un misérable qui a une agonie dans le coeur.
- Mais regardez-la donc, me dit-il. La gorge d'une vierge et le sourire d'une fille !
J'ai oublié de dire que pendant que tout cela se passait je ne sais lequel de nous avait découpé le poulet et nous soupions.
- Ah ! tu sais bien que je t'aime. Ne te fâche pas. Parce que tu n'as eu jusqu'à présent que des vieilles femmes, tu n'as pas accoutumé à nous autres. Pardi ! c'est tout simple, les vieilles elles n'avaient rien à montrer. C'est vrai mon pauvre garçon, tu n'as encore eu que des vieilles femmes. Tu es si laid ! Eh bien ! qu'est-ce que tu veux qu'elles montrent, ta princesse de Belle-Joyeuse ce spectre ! ta comtesse d'Agosta, cette sorcière ! et ton grand diable de bas-bleu de quarante-cinq ans, qui a des cheveux blondasses ! Voulez-vous bien vous cacher ! A propos Monsieur, vous n'avez pas vu mes jambes.
Et avant que Serio eût pu faire un geste, elle avait posé son talon sur la table et sa robe relevée laissait voir jusqu'à la jarretière. La plus jolie jambe du monde chaussée d'un bas de soie transparent.
Je me tournai vers Serio. Il ne parlait plus, il ne bougeait plus. Sa tête s'était renversée sur sa chaise. Il était évanoui.
Zubiri se leva ou plutôt se dressa debout. Son regard qui, la minute d'auparavant exprimait toutes les coquetteries, exprimait maintenant toutes les angoisses.
- Qu'a-t-il ? cria-t-elle, eh bien es-tu bête !
Elle se jeta sur lui, l'appela, lui frappa dans les mains, lui jeta de l'eau au visage ; en un clin d'oeil, fioles, flacons, cassolettes, élixirs, vinaigres couvrirent la table mêlé aux verres à moitié vides et au poulet à demi-mangé. Serio rouvrit lentement les yeux.
Zubiri s'affaissa sur elle-même et s'assit sur les pieds de Serio. En même temps elle prenait les deux mains du peintre dans ses petites mains blanches et qu'on eût dit modelées par Coustou. Tout en fixant sur les paupières de Serio qui se rouvraient des yeux éperdus, elle murmurait :
- Il répondit :
- Je t'écoute.
- Eh bien ! qu'est-ce que tu entends ?
- J'entends un hymne, dit Serio.
* Zabiri est Alice Ozy
Serio est le
peintre Chasseriau alice ozy peinture théophile gautier
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