dimanche 20 janvier 2013

C'est tout à fait sûr - Demande à la marchande d'Amager - Le lin. Hans Christian Andersen ( Nouvelles Danemark )






                                                       C'est tout à fait sûr !
           
            - C'est une histoire affreuse ! dit une poule, et ce dans la partie du village où l'histoire ne s'était pas passée. Il y a eu une histoire affreuse dans le poulailler ! Je n'ose pas dormir toute seule cette nuit ! Heureusement que nous sommes beaucoup sur le perchoir !...
            Et elle raconta des choses qui firent que les plumes des poules se dressèrent et que la crête du coq s'affaissa. C'est tout à fait sûr !
            Mais commençons par le commencement, et c'était dans l'autre partie du village, dans un poulailler. Le soleil se coucha et les poules s'envolèrent. L'une d'entre elles qui avaient des plumes blanches et était courte de pattes pondait ses oeufs réglementaires et elle était respectable à tous égards en tant que poule. En arrivant sur le perchoir elle se nettoya les plumes avec son bec, et elle perdit une petite plume.
            - Tiens, elle est partie ! dit-elle. Plus je me nettoie les plumes, plus je deviens belle !
            Et elle dit cela en plaisantant, car elle était le boute-en-train des poules, mais comme nous le savons elle était au demeurant fort respectable. Et elle s'endormit.
            Tout autour il faisait sombre. Les poules étaient côte à côte et celle qui était la plus proche d'elle ne dormit pas. Elle entendit sans entendre comme il faut le faire dans ce monde si l'on veut garder sa sérénité. Mais il fallait bien qu'elle le dise à une autre voisine :
             - As-tu entendu ce qui a été dit ? Je ne nommerai personne, mais il y a une poule qui va se plumer pour avoir l'air belle ! Si j'étais coq, je la mépriserais !
             Et juste au-dessus des poules, il y avait la chouette avec monsieur Chouette et les enfants Chouette. Ils ont l'oreille fine, dans cette famille, ils avaient entendu toutes les paroles que la poule voisine avait dites et ils roulèrent des yeux et la maman chouette battit des ailes :
            - N'écoutez surtout pas ! mais vous avez certainement entendu ce qui a été dit ? Je l'ai entendu de mes propres oreilles, et les oreilles ne m'en tombent pas si facilement ! Une des poules a si bien oublié ce qui est convenable pour une poule qu'elle s'enlève toutes les plumes et laisse le coq regarder !
            - Prenez garde aux enfants ! dit le père Chouette en français, ce n'est pas pour les enfants.
            - Je vais tout de même le raconter à la chouette d'en face ! c'est une chouette très respectable en société !
            Et la mère s'envola.
            - Hou-ou ! hou-ou !, dirent-elles toutes les deux en hululant, de façon à être entendues par les pigeons dans le pigeonnier d'en face : Avez-vous entendu ça ! avez-vous entendu ça ! hou-ou ! il y a une poule qui s'est enlevé toutes les plumes à cause du coq ! elle va mourir de froid, si ça n'est pas déjà fait, hou-ou !
            - Où ça ? où ça ? roucoulètrnt les pigeons.
            - Dans la ferme d'en face ! Je l'ai pour ainsi dit vue mi-même ! C'est presque une histoire inconvenante ! Mais c'est tout à fait sûr !
            - Croyez, croyez chacune de ces paroles ! dirent les pigeons en roucoulant en direction de leur poulailler : il y a une poule, et certains disent même qu'il y en a deux qui s'est arraché toutes les plumes pour ne pas être comme les autres et pour attirer aussi l'attention du coq. C'est un jeu hasardeux, or on peut prendre froid  et mourir de fièvre, et elles sont mortes toutes les deux !
            - Réveillez-vous ! réveillez-vous ! chanta le coq en s'envolant sur la palissade, il avait encore les yeux pleins de sommeil, mais il chantait malgré tout : " Trois poules sont mortes parce qu'elles ont été malheureuses en amour avec un coq ! elles s'étaient arraché toutes les plumes ! c'est une histoire terrible, je ne veux pas la garder pour moi, qu'on se le dise !
            - Qu'on se le dise ! continuèrent les chauves-souris, pendaient que les poules caquetaient et que le coq chantait.  Qu'on se le dise ! qu'on se le dise ! et l'histoire passa alors de poulailler en poulailler et pour finir, elle revint à l'endroit d'où elle était partie.
            - Il y a cinq poules, disait-on, qui ont toutes arraché leurs plumes pour montrer qui d'entre elles était devenue la plus maigre à la suite de son chagrin d'amour avec le coq, et puis elles sont battues jusqu'au sang à coups de bec et elles sont tombées mortes, à la grande honte de leur famille et en faisant subir une lourde perte à leur propriétaire !
            Et la poule qui avait perdu la petite plume tombée toute seule ne reconnut évidemment pas sa propre histoire, et comme c'était une poule respectable, elle dit :
            - Je méprise ces poules ! mais il y en a d'autres de la même espèce ! Il ne faut pas cacher ces choses-là, et je vais faire ce qu'il faut pour qu'on parle de cette histoire dans le journal, comme cela elle parcourra tout le pays. Ces poules l'ont bien mérité, et la famille aussi !
            Et on en parla dans le journal et cela fut imprimé et c'est tout à fait sûr : une petite plume peut fort bien se transformer en cinq poules !


                                                                                  ( 1è publication 5 avril 1852 )
           

                                                                ***************


                                                     Demande à la marchande d'Amager !

            Il y avait une très vieille carotte.
            Biscornue, bien grosse et bien lourde.
            Elle avait un courage terrible.
            Elle voulait se marier avec une jeune,
            Une ravissante jeune petite carotte
            Du sang le plus noble par ses racines.                                       
            Et les noces eurent lieu.
            Le banquet fut d'une qualité inappréciable,
            Il ne coûta pas un sou ;
            Ils léchèrent le clair de lune et burent de la rosée,
            Prirent le pollen des fleurs
            Tel qu'il arrivait des champs et des prairies.
            La vieille carotte salua en faisant la révérence,
            Et parla à n'en plus finir.
            Ses paroles gargouillaient en faisant glouglou ;
            La jeune carotte ne pipa pas un mot,
            Resta sans faire un sourire, ni pousser un soupir,
            Jeune et belle.
                               Si tu ne le crois pas
                               Demande à la marchande d'Amager !
           Une tête de chou rouge fut leur pasteur,
           Et les filles d'honneur étaient des navets ;
           Les concombres et les asperges  étaient invités d'honneur,
           Les pommes de terre chantaient en choeur.                                                
           Et petits et grands dansèrent.
           Demande à la marchande d'Amager !
           La vieille carotte sautait sans bas ni chaussures,                                     
           Ho ! hé ! Elle se fendit dans le dos,
           Et elle était morte, elle ne pouvait plus pousser.
           La jeune carotte rit.
           C'est étrange comme la chance peut tourner,
           Elle était devenue veuve, elle était joyeuse,
           Maintenant, elle pouvait vivre comme bon lui semblait,
           Pouvait, comme demoiselle, nager dans la soupière,
           Jeune et joyeuse.
                         Si tu ne le crois pas,
                         Demande à la marchande d'Amager !


                                                                                ( 1è publication 1er octobre 1871 )

                                                                 ***************


                                                                    Le lin

            Le lin était en fleur. Il a de charmantes fleurs bleues aussi douces que les ailes d'une mite, mais bien plus délicates encore... Le soleil brillait sur le lin et les nuages de pluie l'arrosaient, et cela lui faisait autant de bien que lorsqu'on lave les petits enfants et que leur maman leur donne un baiser ; cela les rend beaucoup plus charmants. Et c'est ce qui se passait avec le lin.
            " Les gens disent que j'ai une superbe allure ! dit le lin, et que mes tiges seront bien longues, il sortira une magnifique de toile de moi ! Oh! comme je suis heureux ! Je suis certainement le plus heureux de tous ! Je vais très bien, et je vais devenir quelque chose ! Comme ce soleil ragaillardit et comme cette pluie a bon goût et comme elle rafraîchit ! Rien ne manque à mon bonheur, je suis le plus heureux !
             - Oui, oui, oui ! dirent les pieux de la clôture. Vous ne connaissez pas le monde, alors que nous, nous le connaissons, nous avons des noeuds ! et ils craquèrent lamentablement :
                                                                F-i, fi, n-i, ni,
                                                                Tirez le rideau
                                                                 La chanson est finie !
            " Non, elle n'est pas finie ! dit le lin. Le soleil brillera demain, la pluie me fait tant de bien, je m'entends grandir, je sens que j'ai des fleurs ! je suis le plus heureux ! "
            Mais un jour des gens vinrent, ils saisirent le lin par le haut et l'arrachèrent avec ses racines, cela lui fit mal, et on le mit dans l'eau comme si on avait voulu le noyer, et puis il fut mis sur du feu, comme si on avait voulu le rôtir, c'était épouvantable !
            " Ça ne peut pas toujours aller bien, dit le lin, il faut passer par des épreuves, et comme ça on sait quelque chose ! "
            Mais ce fut vraiment dur. Le lin fut brisé et broyé, teillé et peigné, il ne savait même pas comment on appelait tout cela ; il fut mis sur le rouet, vroum, vroum! Il était incapable de rassembler ses idées.
            " J'ai été extrêmement heureux ! pensait-il au milieu de tous ses tourments. Il faut être content du bien qu'on a eu ! Content, content, oh !... "  Et il disait encore cela quand il fut mis sur le métier à tisser... et il devint ensuite une superbe grande pièce de toile. Tout le lin, chacun des pieds, se transforma en cette unique pièce !
            " Eh bien ! C'est extraordinaire ! Je ne l'aurais jamais cru ! Oh ! comme j'ai de la chance !Les pieux de la clôture étaient vraiment bien informés avec leur
                                                                   F-i, fi, n-i, ni,
                                                                   La chanson est finie !
            " La chanson n'est pas du tout finie ! Elle ne fait que commencer ! C'est extraordinaire ! Si j'ai souffert, je suis tout de même devenu quelque chose, je suis le plus heureux de tous!... Je suis si fort, si doux, si blanc et si long ! C'est autre chose que de n'être que des plantes, même si on porte des fleurs ! On est laissé sans soins, et on n'a de l'eau que quand il pleut. Maintenant on s'occupe de moi ! La servante me retourne tous les matins et tous les soirs, je suis inondée de pluie avec l'arrosoir ; la femme du pasteur en personne a fait un discours sur moi en disant que j'étais la plus belle pièce de la paroisse. Je ne peux pas devenir plus heureux ! "
            Et puis la toile arriva dans une maison, et elle passa sous les ciseaux. Comme on la coupa, comme on la tailla, comme on la piqua avec des aiguilles à coudre, car c'est bien ce qu'on fît : Ça n'avait rien de plaisant. Mais la toile se transforma en douze de ces vêtements dont on ne parle pas mais que tout le monde doit porter ; ils étaient au nombre de douze.
            " Eh bien ! Ce n'est que maintenant que je suis devenu quelque chose ! C'était donc à cela que j'étais destiné ! Mais c'est excellent ! Maintenant je suis utile dans le monde, et c'est cela qu'il faut, c'est cela qui fait vraiment plaisir. Nous sommes devenus douze pièces, mais nous somme malgré tout une seule et même chose, nous sommes une douzaine ! Quel bonheur extraordinaire ! "
            Et des années passèrent... et puis elle n'y tint plus.
            " Il faut bien que cela finisse un jour, dit chaque pièce, j'aimerais bien tenir encore un peu, mais il ne faut pas demander l'impossible ! " Et elles furent alors déchirées, transformées en chiffons, elles crurent que tout était définitivement terminé, car elles furent hachées et broyées et bouillies, elles ne savaient pas elle-même à quoi s'en tenir... et puis elles devinrent du beau papier blanc et fin !
            " Eh bien ! quelle surprise ! Et c'est une surprise agréable ! dit le papier. Je suis maintenant plus fin qu'avant, et on va écrire sur moi ! On va pouvoir en écrire des choses ! C'est tout de même un bonheur extraordinaire ! " Et on écrivit sur lui  les plus belles histoires, et les gens entendirent ce qui était écrit, et c'était très juste et bon, cela rendit les gens beaucoup plus sages et bien meilleurs ; c'est une grande bénédiction qui avait été donnée à ces papiers sous forme de mots.
            " C'est mieux que ce dont je rêvais quand j'étais une petite fleur bleue dans le champ  ! Comment aurais-je pu penser que j'apporterais de la joie et des connaissances aux hommes. Je ne peux pas le comprendre moi-même ! Mais il en va pourtant vraiment ainsi ! Notre-Seigneur sait que je n'ai moi-même rien fait d'autre que ce que mes faibles moyens  m'imposaient de faire pour exister. Et il me transporte ainsi de joie en joie et d'honneurs en honneurs ; à chaque fois que je pense : " La chanson est finie! ", elle se transforme justement en quelque chose de plus élevé et de meilleur  ; maintenant je vais sans doute partir en voyage, on va m'envoyer dans le monde entier, pour que tous les homme puissent me lire ! C'est ce qu'il y a de plus raisonnable ! Avant j'avais des fleurs bleues, maintenant à la place de chacune de mes fleurs, j'ai les pensées les plus belles  ! Je suis le plus heureux ! "
            Mais le papier ne partit pas en voyage, il alla chez l'imprimeur, et là,  tout ce qui avait été écrit sur lui fut imprimé et on en fit un livre, et même des centaines de livres, car cela pouvait ainsi réjouir infiniment plus de gens et leur profiter, que si le seul papier sur lequel on avait écrit avait fait le tour du monde, et avait été complètement usé à mi-chemin.
            " Oui, c'est bien ce qu'il y a de plus raisonnable ! pensa le papier sur lequel on avait écrit. Je n'y avais pas du tout pensé ! Je vais rester chez moi et on m'honorera comme un vieux grand-père ! C'est sur moi qu'on a écrit, les mots sont sortis de la plume et sont entrés directement en moi. Je reste et les livres vont courir partout ! Il va y avoir vraiment à faire, maintenant ! Oh comme je suis content, comme je suis heureux ! "
            Puis on entassa le papier et on le mit sur une étagère. " Cela fait du bien de se reposer une fois le travail accompli", dit le papier. Il est tout à fait juste de se concentrer et de réfléchir à ce qu'on a en soi. Ce n'est que maintenant que je sais vraiment ce qui est en moi ! et se connaître soi-même voilà le vrai progrès. Que va-t-il se passer maintenant, ça va avancer, ça avance toujours !... "
            Un jour, tout le papier fut mis dans la cheminée, on voulait le brûler, car on ne voulait pas qu'il soit vendu au charcutier pour emballer le beurre et le sucre en poudre. Et tous les enfants de la maison l'entouraient, ils voulaient le voir prendre feu, ils voulaient voir dans la cendre les nombreuses étincelles qui semblaient partir en courant et s'éteindre, l'une après l'autre, si rapidement... Ce sont les enfants qui vont à l'école, et la toute dernière étincelle est le maître d'école ; on croit souvent qu'il est parti, mais il arrive souvent un peu après tous les autres.
            Et tout le papier était en tas sur le feu. Oh ! comme il s'enflamma. " Oh ! " fit-il, et au même moment il se transforma en une flamme qui monta plus haut que le lin aurait jamais pu élever sa petite fleur bleue, et il brilla plus fort que la pièce de toile blanche aurait jamais pu briller ; toutes les lettres de l'alphabet qui avaient été écrites devinrent en un instant toutes rouges, et tous les mots et toutes les pensées s'évanouirent dans les flammes. 
            " Maintenant je vais monter jusqu'au soleil " entendit-on dans la flamme, et c'était comme si des milliers de voix disaient toutes la même chose, et la flamme sortit tout en haut de la cheminée... et, plus fins que la flamme, tout à fait invisibles aux yeux des hommes, de tout petits êtres flottaient, aussi nombreux que les fleurs que le lin avait eues. Ils étaient encore plus légers que la flamme qui les portait, et quand elle s'éteignit et qu'il ne resta du papier que la cendre noire, ils passèrent encore une fois en dansant au-dessus d'elle et aux endroits qu'ils touchaient on voyait les traces de leurs pas, c'étaient les étincelles rouges ! " Les enfants ont quitté l'école et le maître d'école était le dernier " ; c'était un plaisir de voir ça et les enfants de la maison chantaient devant la cendre morte :
                                                                  F-i, fi, n-i, ni,
                                                                  Tirez le rideau
                                                                   La chanson est finie !
            Mais chacun des petits êtres invisibles disait ; " La chanson n'est jamais finie ! C'est ce qu'il y a de plus beau dans tout cela ! Je le sais ! Et c'est pour cela que je suis le plus heureux ! "
            Mais cela les enfants ne pouvaient ni l'entendre, ni le comprendre, et il ne le fallait pas d'ailleurs, car les enfants ne doivent pas tout savoir.


                                                                                            ( 1è parution 3 avril 1849 )


                                                                                            Hans Christian Andersen    



           
          




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