mardi 20 février 2018

Le Bourgeois de Paris - Bribri et Mabiche suite et fin Dostoïevski ( extrait nouvelle Russie )

                                                                                                                                                                                                                                                     wamiz.com                                                                                                                                                      
                                                         
                                      Bribri et Mabiche
                                                Le Bourgeois de Paris                                                                                                                                                                                                                                                                                      
            Et les épouses ? Les épouses prospèrent, c'est déjà dit. A propos, pourquoi me demanderez-vous, ai-je écrit " épouses " au lieu d'écrire " femmes " ? C'est le grand style, messieurs, voilà pourquoi. Le bourgeois s'il se met à parler élégamment dit toujours " mon épouse ". Et bien que dans d'autres classes de la société on dise simplement, comme partout ailleurs " ma femme ", il vaut mieux suivre l'esprit national de la majorité et du grand style. C'est plus caractéristique. D'ailleurs il y a encore d'autres noms. Lorsque le bourgeois s'attendrit et qu'il veut tromper sa femme il l'appelle toujours " Ma biche ". Et inversement, la femme       aimable, dans un accès de gracieuse folâtrie appelle son gentil bourgeois " Bribri
", ce dont le bourgeois est très content de son côté. Bribri et Mabiche ont fleuri  de tout temps, et maintenant plus que jamais. D'une part on a convenu à notre époque troublée, et presque sans discours préalable, de faire de Mabiche et de Bribri les modèles de la vertu, de la bonne entente et de l'état paradisiaque de la société pour les opposer aux rêveries abominables des absurdes vagabonds communistes, d'autre part Bribri devient de plus en plus complaisant et accommodant dans les rapports conjugaux. Il comprend que, quoi qu'on dise, de quelque manière que l'on s'arrange, il est impossible de retenir Mabiche, que la Parisienne est créée pour l'amant, que le mari ne peut presque pas se passer de coiffure. Et il se tait. Bien entendu s'il n'a pas encore amassé beaucoup d'argent et s'il n'a pas encore beaucoup d'objets. Quand ceci et cela se sont réalisés Bribri devient, en général, plus exigeant parce qu'il commence à s'estimer terriblement. Et alors il commence à regarder Gustave d'un autre oeil, si celui-ci est un déguenillé et s'il n'a pas beaucoup d'objets. En général un Parisien qui a de l'argent et qui veut se marier choisit une épouse ayant aussi de l'argent. Mais ce n'est pas tout. On commence par faire le compte et s'il apparaît que les francs et les objets sont équivalents de part et d'autre, on s'unit. C'est partout ainsi. Mais ici la loi de l'égalité des poches est devenue une coutume particulière. Si, par exemple, la fiancée est d'un sou plus riche, on ne la donnera plus à tel prétendant qui a moins, et l'on cherchera un Bribri plus convenable. En outre les mariages d'amour deviennent de plus en plus impossibles, et on les considère presque comme indécents. Cette raisonnable coutume de l'égalité absolue des poches et du mariage des capitaux est très rarement violée, et je pense bien plus rarement ici qu'ailleurs. Le bourgeois a très bien organisé pour son avantage personnel la possession de l'argent de sa femme. Voilà pourquoi il est prêt, en diverses occasions, à être très indulgent pour les exploits de Mabiche et à ne pas remarquer certaines choses fâcheuses, car dans ce cas-là, c'est-à-dire en cas d'une brouille, le problème de la dot peut être soulevé d'une manière désagréable. En plus, si Mabiche va un peu trop loin, Bribri ne dira mot, bien qu'il ait tout vu. Sa femme lui demandera moins pour ses parures.                                                                                                                                                                                                                                                         
Enfin, le mariage étant le plus souvent un mariage de capitaux et qu'on se soucie fort peu de l'inclination mutuelle, Bribri lui aussi est prêt à chercher autre chose que Mabiche. Et c'est pourquoi il vaut mieux ne pas se gêner l'un l'autre. A la maison il y a ainsi plus d'accord et le tendre balbutiement de ces tendres noms, Bribri et Mabiche, s'entend de plus en plus souvent entre les époux. Et enfin, pour tout dire Bribri, même en cette occasion, à réussi à se garantir de manière excellente. Le commissaire de police est toujours à sa disposition.                                   
            Il en est ainsi d'après les lois qu'il a faites lui-même. Au cas extrême, s'il trouve les amants " en flagrant délit ", il peut bien les tuer tous les deux, il n'a pas à répondre de son action.
            Mabiche le sait, et elle trouve que c'est juste. Par une longue surveillance on l'a amenée à ne pas se révolter et elle ne rêve pas, comme dans d'autres pays barbares et ridicules, d'étudier à l'université et de figurer dans les clubs et à la chambre des députés. Elle préfère rester dans l'état actuel aérien, et pour ainsi dire, canaréen.On la pare, on la gante, on l'emmène promener. Elle danse, elle mange des bonbons. Extérieurement on lui fait les honneurs d'une reine et en apparence
devant elle l'homme n'est plus que poussière.
            Cette forme des rapports est étonnamment réussie et convenable. En un mot les rapports chevaleresques sont observés, que faut-il de plus ? Car on ne lui ôtera pas son Gustave. Dans la vie elle n'a pas besoin d'idéals, de buts vertueux, supérieurs etc... Au fond elle est aussi capitaliste et grippe-sou que son mari.                                                                     animogen.com                                       
Le canari (Serinus canaria)
            Ainsi passent les années de canari. On arrive au point où l'on ne peut plus se tromper et se considérer comme un canari, où la possibilité d'un nouveau Gustave devient décidément une absurdité, même pour l'imagination la plus égoïste. Alors Mabiche se transforme vite et d'une façon détestable. Sa coquetterie, ses parures, ses folâtreries disparaissent. Elle devient en général si méchante, si économe ! Elle fréquente les églises, amasse de l'argent avec son mari, et un certain cynisme se fait jour de toutes parts. Soudain apparaissent la fatigue, le dépit, les instincts grossiers, la vie sans but, la conversation cynique. Certaines d'entre elles deviennent même négligées.
            Il est vrai que toutes ne sont pas ainsi. Il est vrai que l'on trouve des cas plus réjouissants. Il est vrai que les relations sociales sont les mêmes partout, mais... ici c'est plus dans la nature des choses, c'est plus original, plus profond, plus plein, ici c'est plus national. Ici c'est le germe et la semence de cette forme sociale bourgeoise qui règne maintenant chez tous ceux qui imitent cette grande nation.
            Oui, en apparence, Mabiche est une reine. Il est difficile même d'imaginer la délicatesse raffinée, l'attention vigilante qui l'entourent partout dans le monde et dans la rue. Équivoque sans égale et qui parfois pourrait devenir insupportable à une âme honnête. La ruse visible du simulacre l'aurait profondément offensée.
            Mais elle, Mabiche, est une grande friponne et, c'est justement ce qu'elle veut ! Elle aura toujours son compte et elle préfère l'avoir par ruse plutôt que de prendre le droit chemin, l'honnête et droit chemin. D'une part elle atteint ainsi le but avec plus de certitude, d'autre part il y a plus de jeu. Et le jeu, l'intrigue, c'est tout pour Mabiche, c'est là l'important. Par contre, comme elle s'habille, comme elle marche dans la rue !                                                                                                               
            Mabiche est maniérée, prétentieuse, toute artificielle, mais c'est justement ce qui séduit surtout les gens blasés et en partie dépravés, qui ont perdu le goût d'une beauté fraîche, naturelle.
            Mabiche a l'esprit peu développé, elle a une petite intelligence et un petit coeur d'oiseau. En revanche, elle est gracieuse, elle possède tant de tours secrets et de petites inventions que vous vous soumettez enfin et que vous la suivez comme une nouveauté piquante.
             Il est même rare qu'elle soit jolie. Il y a quelque chose de méchant dans son visage, mais cela ne fait rien, ce visage est mobile, enjoué et il possède parfaitement le secret de feindre le sentiment, de contrefaire la nature. Peut-être n'est-ce pas précisément cette contrefaçon si parfaite de la nature que vous aimez, mais la manière dont elle s'y prend, son art, qui vous séduit.
             Pour un Parisien l'amour vrai ou une bonne contrefaçon de l'amour est chose indifférente dans la plupart des cas. Peut-être même est-ce la contrefaçon qu'il préfère. Une façon de voir toute orientale se fait de plus en plus jour à Paris. Le camélia est de plus en plus à la mode.
            " - Prends l'argent mais trompe bien, c'est-à-dire contrefais bien l'amour. "
            Voilà ce qu'on exige du camélia. On ne demande presque rien de plus à l'épouse, du moins on se contente même de cela. Et c'est pourquoi on admet même tacitement et complaisamment les Gustave. De plus le bourgeois sait que Mabiche une fois vieille comprendra ses intérêts et sera sa meilleure complice quand il s'agira d'amasser de l'argent. Même jeune elle l'aide extraordinairement. Parfois elle dirige tout le commerce, elle séduit les acheteurs. En un mot, c'est la main droite, le vendeur en chef.  Comment après cela ne pas excuser un Gustave.                               wikipedia.org                                            
            Dans la rue la femme est inviolable, personne ne l'offensera, tous lui feront place, non pas comme chez nous où la femme, si elle n'est pas très âgée, ne peut pas faire deux pas dans la rue sans rencontrer quelque individu à l'air conquérant, ou flâneur qui la regarde sous le chapeau et lui propose de faire connaissance.                                                                          
            ....... Naïf Bribri explique à Mabiche pourquoi les fontaines lancent leurs jets en hauteur...... Dans sa ruse Mabiche est elle aussi assez tendre pour son mari, et non par contrefaçon mais par tendresse désintéressée, même si elle a coiffé son époux.
            Mais encore deux mots sur Gustave.... c'est la même chose que le bourgeois, soit un employé, un marchand, un homme de lettres, un officier. Gustave n'est pas un mari, mais il est encore le même Bribri.... de quoi se pare-t-il.... Gustave se transforme selon les époques et se reflète toujours au théâtre. Le bourgeois aime surtout le vaudeville, mais plus encore le mélodrame.
            Le vaudeville modeste et gai, la seule oeuvre d'art qu'il soit impossible de transporter sur un autre sol et qui ne puisse vivre qu'au lieu de sa naissance, à Paris.
            .... Malgré tout le bourgeois le considère comme rien. Il lui faut de la noblesse haute, inexprimable, il lui faut de la sentimentalité, et le mélodrame contient tout cela.... Le mélodrame ne mourra pas tant que le bourgeois vivra.... Et il aime surtout la paix politique et le droit d'amasser de l'argent dans le but d'organiser son foyer le plus tranquillement possible....
            .... ( Gustave confronté à diverses sociétés, pauvre poète ou militaire ... )
            Gustave ne veut pas se marier. Gustave fait l'entêté, Gustave lance les jurons les plus abominables il faut qu'il crache sur le million, sans cela le bourgeois ne lui pardonnera pas, il n'y aura pas assez d'inexprimable noblesse.... mais ne vous inquiétez pas : le million ira immanquablement au couple heureux, à la fin il vient toujours récompenser la vertu.... L'important, l'important le million...;             
            .... Bribri et Mabiche sortent du théâtre tout à fait contents, tranquilles et consolés.
                                    " Tout va comme il faut ".
                                                                                                                                                                                                               
* Tableau Klimt femme au chapeau et au boa



                                                                                                                           Fedor Dostoïevski

                   ( post 29/11/13 - 14.57 )             






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