dimanche 15 janvier 2012

Les recettes de cuisine d'Alfred Hitchcock

La sauce était presque parfaite 80 recettes d'après Alfred Hitchock Anne Martinetti François Rivière




(France éd Cahiers du Cinéma) - L'homme au chapeau rond, bedonnant, toujours vêtu de costumes foncés génial Alfred est né à Leytostone où ses parents tiennent une épicerie en gros. Il quitte parfois l'est de Londres, accompagne son père à Covent Garden au coeur des marchés de quatre saisons. Il n'a que 14 ans lorsque son père meurt.
Le livre n'est pas une biographie du cinéaste mais bourré de photos, d'extraits de films et de quelques dialogues hors les 80 recettes préférées heureusement cuisinées nous dit-on par Alma son épouse. La lecture des recettes est un plaisir "Breakfast Scotland Yard - Choux à la crème - Perdrix sauce ivoire - Spaghettis au chutney _ Birthday cake gateau rose présent dans le film Les Oiseaux - Bündnerfleisch au gratin - Smorgasbord n'oublions pas Les escargots à la française et le Plum Cake -et la purée de pommes de terre et les oignons frits de sa mère reproduits par Alma "
De fait le texte murmure aux côtés des images ( photographies Philippe Asset ) " Plutôt que de se lamenter, Hitch préféra rire de son image " Ce qui m'inquiète ce n'est pas mon poids mais mes dimensions. "
Ce joli livre plaisant en tout point s'adresse à ceux qui se laissent captiver par l'étrange humoriste, metteur en scène amoureux des déesses froides et blondes, des films d'espionnage et de meurtres, tout cela avec l'élégance toute british d'époque.
A Paris il fut " ... adulé par une jeune critique qui le considère comme un véritable génie. " Alfred Hitchock, né le 13 août 1899 il aimait le suspense, Chesterton...





mercredi 11 janvier 2012

Le chien et le flacon Charles Baudelaire ( petit poème en prose )

Baudelaire par Etienne CarjatLe chien et le flacon
 
 
                                       Mon beau chien, mon bon chien, mon cher toutou, approchez et venez respirer
                                       un excellent parfum acheté chez le meilleur parfumeur de la ville. "
                                       Et le chien, en frétillant de la queue, ce qui est, je crois, chez ces pauvres êtres,
                                       le signe correspondant du rire et du sourire, s'approche et pose curieusement
                                       son nez humide sur le flacon débouché ; puis, reculant soudainement avec effroi
                                       il aboie contre moi en manière de reproche.
                                       " - Ah! misérable chien, si je vous avais offert un paquet d'excréments, vous
                                       l'auriez flairé avec délices et peut-être dévoré. Ainsi, vous-même, indigne
                                       compagnon de ma triste vie, vous ressemblez au public, à qui il ne faut jamais
                                       présenter des parfums délicats qui l'exaspèrent, mais des ordures
                                       soigneusement choisies. "
 
 
 
                                       Charles Baudelaire

lundi 9 janvier 2012

Les Trois Dames de Paris ( extrait des Fabliaux )

          Les Trois Dames de Paris 

          Colin, Hauvis, Jetrut, Hersent autrefois avaient l'habitude de conter de belles histoires pour les fêtes et les veillées. Aujourd'hui partout à Paris, dans les maisons et dans les rues, on s'entretient de ce que firent il n'y a pas longtemps trois femmes. En quelques mots je le dirai si vous voulez bien m'écouter. Je ne ferai pas de mensonge : cette histoire est vérité pure ; jamais en nul pays du monde n'arriva pareille aventure.
          C'était en l'an 1320, au grand jour des rois de Cologne. Le matin, avant la grand-messe, la femme d'Adam de Gonesse et sa nièce Marion Clippe voulurent aller à la tripe et y dépenser deux deniers. Elles partent sans plus tarder pour aller chez Perrin du Terne : c'était un nouveau tavernier. Et comme elles pressaient le pas, impatientes d'arriver, il leur advint de rencontrer dame Tifaigne la coiffière qui dit :
          - Je sais vin de Rivière si bon que tel ne fut jamais. En boire, c'est la vraie santé, car c'est un vin clair et brillant, fort, fin, frais, friand sous la langue, doux et plaisant à avaler. Y resterait-on trois jours pleins, on ne saurait nous y trouver. L'hôte à chacune volontiers nous fera crédit de dix sous .
          - Que celle qui parla si bien ait le corps béni et absous, répondit Margue ; allons-y donc. S'il y fait bon, Dieu me conduise.
           Toutes trois prennent le chemin de la taverne des Maillets. Avec elles vint un valet ; c'était le fils Drouin Baillet ; grâce à lui, je connais l'histoire, car il leur servit à manger et leur apporta à leur gré tout ce qu'on peut trouver de bon. Il fallait les voir jouer des dents, emplir et vider les hanaps : en un rien de temps, je crois bien, quinze sous furent dépenseés.
          - Rien pour moi n'aura de saveur dans ce repas, dit Margue Clouve, si nous n'avons une oie bien grasse avec des aulx plein une écuelle.
          Drouin enfile la ruelle, va courant chez le rôtisseur. Il prend une oie, et puis des aulx de quoi remplir tout un grand plat, et pour chacune un gâteau chaud ; il ne s'attarda pas en route. Quel tableau de les voir tâter des aulx piquants et de l'oie grasse qui fut mangée en moins de temps qu'il n'en fallut pour la tuer ! Et Margue commence à suer , et boit à grandes hanapées. En un clin d'oeil furent vidées trois chopines dans son gosier.
          - Dame, j'en atteste Saint Georges, dit Maroclippe sa commère, ce vin me fait la bouche amère ; ce que je veux c'est du grenache. Me faudrait-il vendre ma vache, j'en aurai au moins un plein pot.
          Elle hèle à grands cris Drouin et lui dit :
          - Va nous apporter, pour nous ragaillardir la tête, trois chopines de bon grenache. Garde-toi de nous faire attendre. Apportes des oublies, des gaufres, amandes pelées, du fromage, des noix, du poivre, des épices, que nous en ayons à plenté pour florins et pour gros tournois.
          Drouin galope et elle entonne par jeu une chanson nouvelle !
          - " Commère, menons grande joie ! Le vilain paiera la dépense mais au vin ne goûtera pas ".
          Chacune ainsi prend du bon temps. Drouin apporte le grenache et le verse dans le hanaps :
          - Ma commère, buvons-en bien, dit Marie à dame Fresens. C'est du vin, pour garder sa tête, bien meilleur que le vin français.
          Chacune de lever son verre. Aussitôt, en un tournemain, tout fut lapé et englouti.
          - Ce méchant pot est trop petit, dit Marion, par saint Vincent, et vraiment nous n'avons pas peur de boire le quartier d'un cent. Je n'ai fait que goûter au vin. J'en veux encore, il est si bon. Va, Drouin - Dieu te vienne en aide ! -, et rapportes-nous-en trois quartes. Avant que tu partes d'ici tout sera lampé.
          Drouin court ; il revient le plus tôt qu'il peut et donne à chacune son pot.
          - Tiens, camarade bienvenu, mange un morceau et bois un coup. Cela vaut mieux que vin d'Arbois ou que vin de Saint-Emilion.
          - C'est bien vrai, répond Marion. Que mon pot soit plein jusqu'aux bords, bientôt il n'en restera goutte.
          - Que tu as la gorge gloutonne, dit Maroclippe, belle nièce ! Je ne le boirai pas d'un coup, mais le boirai à petits traits, pour mieux le garder sur la langue. Il est bon de faire un soupir un instant entre deux lampées : ainsi plus longtemps reste en bouche la douceur du vin et sa force.
          Chacune se met en devoir d'engloutir son pot de grenache et personne ne pourrait croire comment elles s'y employèrent. Du matin jusqu'à la mi-nuit elles menèrent vie joyeuse, ayant toujours le hanap plein.
          - Je voudrais m'en aller dehors, dit Margue Clippe, dans la rue danser sans que nul ne nous voie. Cela couronnera la fête. Nous nous découvrirons la tête et mettrons nos corps à l'air.
          - Vous laisserez ici vos robes, dit Drouin, en guise de gage.
          Et Drouin les pousse dehors chantant chacune à pleine voix :
          " Amour, au vireli m'en vais... "
          Leurs pauvres maris les croyaient toutes trois en pèlerinage...


          Jean Watriquet Brassenel

          MR




samedi 7 janvier 2012

Amour Guy de Maupassant Conte

            AMOUR

          Je viens de lire dans un fait divers de journal un drame de passion. Il l'a tuée, puis il s'est tué, donc il l'aimait. Qu'importe Il ou Elle ? Leur amour seul m'importe ; et il ne m'intéresse point parce qu'il m'attendrit ou parce qu'il m'étonne, ou parce qu'il m'émeut ou parce qu'il me fait songer, mais parce qu'il me rappelle un souvenir de ma jeunesse, un étrange souvenir de chasse où m'est apparu l'Amour comme apparaissaient aux premiers chrétiens des croix au milieu du ciel.
          Je suis né avec tous les instincts de l'homme primitif, tempérés par des raisonnements et des émotions de civilisé. J'aime la chasses avec passion ; et la bête saignante, le sang sur les plumes, le sang sur mes mains, me crispent le coeur à le faire défaillir.
          Cette année-là, vers la fin de l'automne, les froids de l'hiver arrivèrent brusquement, et je fus appelé par un de mes cousins, Karl de Rauville, pour venir avec lui tuer des canards dans les marais, au lever du jour.
          Mon cousin, gaillard de quarante ans, roux, très fort et très barbu, gentilhomme de campagne, demi-brute aimable, d'un caractère fort gai, doué de cet esprit gaulois  qui rend agréable la médiocrité,   habitait une sorte de ferme-château dans une vallée où coulait une rivière. Des bois couvraient les collines de droite et de gauche, vieux bois seigneuriaux où restaient des arbres magnifiques et où l'on trouvait les plus rares gibiers à plume de toute cette partie de la France. On y tuait des aigles quelquefois ; et les oiseaux de passage, ceux qui presque jamais ne viennent en nos pays trop peuplés, s'arrêtaient presque infailliblement dans ces branchages séculaires comme s'ils eussent connu ou reconnu un petit coin de forêt des anciens temps demeuré là pour leur servir d'abri en leur courte étape nocturne.
          Dans la vallée, c'étaient de grands herbages arrosés par des rigoles et séparés par des haies ; puis, plus loin, la rivière, canalisée jusque-là, s'épandait en un vaste marais. Ce marais, la plus admirable région de chasse que j'aie jamais vue, était tout le souci de mon cousin qui l'entretenait comme un parc. A travers l'immense peuple de roseaux qui le couvrait, le faisait vivant, bruissant, houleux, on avait tracé d'étroites avenues où les barque plates, conduites et dirigées avec des perches, passaient, muettes, sur l'eau morte,  frôlaient les joncs, faisaient fuir les poissons rapides à travers les herbes et plonger les poules sauvages dont la tête noire et pointue disparaissait brusquement.
          J'aime l'eau d'une passion désordonnée : la mer, bien que trop grande, trop remuante, impossible à posséder, les rivières si jolies, mais qui passent, qui fuient, qui s'en vont, et les marais surtout où palpite toute l'existence inconnue des bêtes aquatiques. Le marais, c'est un monde entier sur la terre, monde différent, qui a sa vie propre, ses habitants sédentaires, et ses voyageurs de passage, ses voix, ses bruits et  son mystère surtout. Rien n'est plus troublant, plus inquiétant, plus effrayant, parfois, qu'un marécage. Pourquoi cette peur qui   plane sur ces plaines basses couvertes d' eau? Sont-ce les vagues rumeurs des roseaux, les étranges feux follets, le silence profond qui les enveloppe dans les nuits calmes, ou bien les brumes bizarres, qui traînent sur les joncs comme des robes de mortes, ou bien encore l'imperceptible clapotement, si léger, si doux, et plus terrifiant parfois que le canon des hommes ou que le tonnerre du ciel, qui fait ressembler les marais à des pays de rêve, à des pays redoutables cachant un secret inconnaissable et dangereux.
          Non. Autre chose s'en dégage, un autre mystère plus profond, plus grave, flotte dans les brouillards épais, le mystère même de la création peut-être ! Car n'est-ce pas dans l'eau stagnante et fangeuse, dans la lourde humidité des terres mouillées sous la chaleur du soleil, que remua, que vibra, que s'ouvrit au jour le premier germe de vie ?

         
          J'arrivai le soir chez mon cousin. Il gelait à fendre les pierres.
          Pendant le dîner, dans la grande salle dont les buffets, les murs, le plafond étaient couverts d'oiseaux empaillés, aux ailes étendues, ou perchés sur des branches accrochées par des clous, éperviers, hérons, hiboux, engoulevents, buses, tiercelets, vautours, faucons, mon cousin pareil lui-même à un étrange animal des pays froids, vêtu d'une jaquette en peau de phoque, me racontait les dispositions qu'il avait prises pour cette nuit même.
          Nous devions partir à trois heures et demie du matin, afin d'arriver vers quatre heures et demie au point choisi pour notre affût. On avait construit à cet endroit une hutte avec des morceaux de glace pour nous abriter un peu contre le vent terrible qui précède le jour, ce vent chargé de froid qui déchire la chair comme des scies, la coupe comme des lames, la pique comme des aiguillons empoisonnés, la tord comme des tenailles, et la brûle comme du feu.
          Mon cousin se frottait les mains : " Je n'ai jamais vu une gelée pareille, disait-il, nous avions déjà douze degrés sous zéro à six heures du soir. "
          J'allai me jeter sur mon lit aussitôt après le repas, et je m'endormis à la lueur d'une grande flamme flambant dans ma cheminée.
          A trois heures sonnantes on me réveilla. J'endossai, à mon tour, une peau de mouton et je trouvai mon cousin Karl couvert d'une fourrure d'ours. Après avoir avalé chacun deux tasses de café brûlant suivies de deux verres de fine champagne, nous partîmes accompagnés d'un garde et de nos chiens : Plongeon et Pierrot.
          Dès les premiers pas dehors, je me sentis glacé jusqu'aux os. C'était une de ces nuits où la terre semble morte de froid. L'air gelé devient résistant, palpable tant il fait mal ; aucun souffle ne l'agite ; il est figé, immobile ; il mord, traverse, dessèche, tue les arbres, les plantes, les insectes, les petits oiseaux eux-mêmes qui tombent des branches sur le sol dur, et deviennent durs eux aussi, comme lui, sous l'étreinte du froid.
          La lune, à son dernier quartier, toute penchée sur le côté, toute pâle, paraissait défaillante au milieu de l'espace, et si faible qu'elle ne pouvait plus s'en aller, qu'elle restait là-haut, saisie aussi, paralysée par la rigueur du ciel. Elle répandait une lumière sèche et triste sur le monde, cette lueur mourante et blafarde qu'elle nous jette chaque mois, à la fin de sa résurrection.
          Nous allions côte à côte, Karl et moi, le dos courbé, les mains dans nos poches et le fusil sous le bras. Nos chaussures enveloppées de laine afin de pouvoir marcher sans glisser sur la rivière gelée ne faisaient aucun bruit ; et je regardais la fumée blanche que faisait l'haleine de nos chiens.
          Nous fûmes bientôt au bord du marais, et nous nous engageâmes dans une des allées de roseaux secs qui s'avançaient à travers cette forêt basse.
          Nos coudes, frôlant les longues feuilles en rubans, laissaient derrière nous un léger bruit, et je me sentis saisi, comme je ne l'avais jamais été, par l'émotion puissante et singulière que font naître en moi les marécages. Il était mort, celui-là , mort de froid, puisque nous marchions dessus, au milieu de son peuple de joncs desséchés.
          Tout à coup, au détour d'une des allées, j'aperçus la hutte de glace qu'on avait construite pour nous mettre à l'abri. J'y entrai, et comme nous avions encore près d'une heure à attendre le réveil des oiseaux errants, je me roulai dans ma couverture pour essayer de me réchauffer.
          Alors, couché sur le dos, je me mis à regarder la lune déformée, qui avait quatre cornes à travers les parois vaguement transparentes de cette maison polaire.
          Mais le froid du marais pelé, le froid de ces murailles, le froid tombé du firmament me pénétra bientôt d'une façon si terrible, que je me mis à tousser.
          Mon cousin Karl fut pris d'inquiétude : " Tant pis si nous ne tuons pas grand-chose aujourd'hui, dit-il, je ne veux pas que tu t'enrhumes ; nous allons faire du feu. " Et il donna l'ordre au garde de couper des roseaux.
          On en fit un tas au milieu de notre hutte défoncée au sommet pour laisser échapper la fumée ; et lorsque la flamme rouge monta le long des cloisons claires de cristal, elles se mirent à fondre, doucement, à peine, comme si des pierres de glace avaient sué. Karl, resté dehors, me cria : " Viens donc voir ! " Je sortis et je restai éperdu d'étonnement. Notre cabane, en forme de cône, avait l'air d'un monstrueux diamant au coeur de feu poussé soudain sur l'eau gelée du marais. Et dedans, on voyait deux formes fantastiques, celles de nos chiens qui se chauffaient.
          Mais un cri bizarre, un cri perdu, un cri errant, passa sur nos têtes. La lueur de notre foyer réveillait les oiseaux sauvages.
          Rien ne m'émeut comme cette première clameur de vie qu'on ne voit point et qui court dans l'air sombre, si vite, si loin, avant qu'apparaisse à l'horizon la première clarté des jours d'hiver. Il me semble à cette heure glaciale de l'aube, que ce cri fuyant emporté par les plumes d'une bête est un soupir de l'âme du monde !
         Karl disait : " Eteignez le feu. Voici l'aurore. "
          Le ciel en effet commençait à pâlir, et les bandes de canards traînaient  de longues taches rapides, vite effacées, sur le firmament.
          Une lueur éclata dans la nuit, Karl venait de tirer ; et les deux chiens s'élancèrent.
          Alors, de minute en minute, tantôt lui et tantôt moi, nous ajustions vivement dès qu'apparaissait au-dessus des roseaux l'ombre d'une tribu volante. Et Pierrot et Plongeon, essoufflés et joyeux, nous rapportaient des bêtes sanglantes dont l'oeil quelquefois nous regardait encore.
          Le jour s'était levé, un jour clair et bleu ; le soleil apparaissait au fond de la vallée et nous songions à repartir, quand deux oiseaux, le col droit et les ailes tendues, glissèrent brusquement sur nos têtes. Je tirai. Un d'eux tomba presque à mes pieds. C'était une sarcelle au ventre d'argent. Alors, dans l'espace au-dessus de moi, une voix, une voix d'oiseau cria. Ce fut une plainte courte, répétée, déchirante ; et la bête, la petite bête épargnée se mit à tourner dans le bleu du ciel au-dessus de nous en regardant sa compagne morte que je tenais entre mes mains.
          Karl, à genoux, le fusil à l'épaule, l'oeil ardent, la guettait, attendant qu'elle fût assez proche.
          - Tu as tué la femelle, dit-il, le mâle ne s'en ira pas.
          Certes il ne s'en allait point ; il tournoyait toujours et pleurait autour de nous. Jamais gémissement de souffrance ne me déchira le coeur comme l'appel désolé, comme le reproche lamentable de ce pauvre animal perdu dans l'espace.
          Parfois, il s'enfuyait sous la menace du fusil qui suivait son vol ; il semblait prêt à continuer sa route, tout seul à travers le ciel. Mais ne s'y pouvant décider il revenait bientôt pour chercher sa femelle.
          - Laisse-la par terre, me dit Karl, il approchera tout à l'heure.
          Il approchait, en effet, insouciant du danger, affolé par son amour de bête, pour l'autre bête que j'avais tuée.
          Karl tira ; ce fut comme si on avait coupé la corde qui tenait suspendu l'oiseau. Je vis une chose noire qui tombait ; j'entendis dans les roseaux le bruit d'une chute. Et Pierrot me le rapporta.
          Je les mis, froids déjà, dans le même carnier ...  et je repartis, ce jour-là pour Paris.
          


          MAUPASSANT

jeudi 5 janvier 2012

Le club des policiers yiddish Michael Chabon ( roman EtatsUnis )

Le Club des policiers yiddishLe Club des policiers yiddish


          En 1940  les EtatsUnis proposèrent aux juifs de fuir le nazisme et l'Alaska comme terre d'accueil. Le projet n'aboutit pas mais Michael  Chabon reprend l'idée et construit un roman autour d'une communauté et dans un environnement troublant par ses divisions. Ici ce sont les amérindiens, là les ultra-religieux. Pour mieux traduire les sentiments, les divergences de cette société il crée le personnage du policier Landsman, frère de Philippe Marlow, chapeau et boissons compris. Depuis neuf mois Meyer Landsman occupe la chambre 505 d'un hôtel miteux le Zamenhof sans s'être préoccupé de ses voisins. " Et maintenant quelqu'un a logé une balle dans la cervelle de l'occupant du 208, sur la table de chevet un jeu d'échecs. A Sitka la vie sociale est bien organisée, les clubs de joueurs d'échecs aussi. Le jeune homme assassiné peut-être fils du principal rabbin de la ville confiné dans son logement et de son épouse raffinée et intelligente qui vit selon le rituel des juifs orthodoxes. Un policier entre partout a une famille Berko par exemple immense fils d'une amérindienne et d'un policier juif, Bina son ex-épouse. Le jeune junkie était un enfant connu pour son intelligence et, qui sait, provocateur de miracles, le nouveau messie. L'auteur  aime Chandler et Dashiel Hammet mais aussi Philip K Dick, et nous quitterons avec regrets cette société car Meyer Landsman " ... sort son jeu d'échecs de poche ... saute de case en case à la poursuite de l'assassin... découvre qu'il connait déjà son identité... son rêve progresse selon la logique du cavalier... en fonction de l'éternel retour du juif, et comment celle-ci peut être évaluée seulement en fonction de l'éternel exil du juif... " Michael Chabon l'un des très bons écrivains américains reçut le prix Pulitzer pour Les Extraordinaires Aventures de Kavalier § Clay.

mardi 3 janvier 2012

Enivrez-vous Charles Baudelaire ( petits poèmes en prose )

Enivrez-vous


          Il faut être toujours ivre. Tout est là : C'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
          Mais de quoi ? De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.
          Et si quelquefois, sur les marches d'un palais, sur l'herbe verte d'un fossé, dans la solitude morne de votre chambre, vous vous réveillez, l'ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l'étoile, à l'oiseau, à l'horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez quelle heure il est ; et le vent, la vague, l'étoile, l'oiseau, l'horloge, vous répondront : " Il est l'heure de s'enivrer ! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. "


Charles Baudelaire        ( extrait des Petits Poèmes en prose )

vendredi 30 décembre 2011

Muse Joseph O'Connor ( roman Irlande )


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                                                     Muse                                                                       

                         - C'était en 1907 à Dublin, un poète irlandais lui aussi, Yeats, présente une jeune comédienne Marie O'Neill au poète dramaturge John Millington Synge. Elle joue au théâtre Abbey de Dublin. Elle a 19 ans est catholique, sa famille est modeste, il est riche, protestant et a 37 ans, devient le pygmalion de la jeune fille Molly Allgood, son nom de famille. Leur relation dure deux ans ( il meurt en 1909 ). Quelle Fut-elle ? Secrète, discrète, absolument refusée par les comédiens comme par les familles. Malade, vivement critiqué pour les idées qu'il impose dans sa célèbre pièce Le Balladin du Monde Occidental, ils se séparent. Joseph O'Connor décrit ici 24 heures de la vie d'une comédienne déchue et alcoolique un demi-siècle plus tard, dans un Londres d'après-guerre, immeubles en ruines aux fenêtres murées. Ce matin d'octobre 1952 " la nuit dernière une tornade a frappé Londres ". Un rêve éveille des souvenirs éloignés et Molly à 6h 43 ce matin-là remonte le fil de sa rencontre, de sa liaison avec Synge. Il écrivit 400 lettres à celle qu'il appelait " Mon enchanteresse ". Il lui en reste une qu'elle vendra peut-être au vieux libraire, pour se nourrir ou pour du cognac. Et elle interpelle, croyant apercevoir la silhouette de son " cher vagabond ". Ont-ils parcouru le Connemara ou les falaises des bords de mer, O'Connor précise qu'il s'agit d'une oeuvre d'imagination, mais il vécut à quelque cent mètres de la maison de la mère de Synge si dure. L' amour, le petit monde théâtral, les landes, le livre et son histoire nous enrobent. La langue propre à la famille de Molly puis celle policée et poétique de la famille Synge sont parfaitement retransmises. Suivre l'histoire douloureuse de ces deux êtres, ne pas oublier les petites supperstitions " quand un théâtre est fermé il faudrait toujours laisser une lampe allumée sur scène afin que les fantômes puissent jouer leurs propres pièces." Elle a 65 ans, est affamée, un peu ivre et sort pour un ultime enregistrement à la BBC, " on n'annule jamais une représentation ". Un très beau roman.

mardi 27 décembre 2011

La République et les lois Platon ( extrait )

La Démocratie

- Sous la plume de Platon 4 è sc avant notre ère. Lecture au XXI è sc.

          Dès qu'un État devenu démocratique, brûlant de la soif de liberté, a trouvé dans ses magistrats des échansons imprudents, qui lui ont versé toute pure la liqueur fatale dont il s'est enivré alors, s'ils ne sont pas toujours faibles, s'ils n'offrent pas au peuple la pleine coupe, le peuple les accuse et les châtie comme des traîtres qui aspirent à la gouverner. Ose-t-on leur obéir encore, on est méprisé comme un ami de la servitude dont le sort est de ramper sous un maître. Il faut s'assimiler partout à des inférieurs, rivaliser avec des supérieurs pour être loué, pour être honoré. Est-il possible qu'une telle république ne se précipite pas dans toutes les folies de l'indépendance ? Je vois déjà l'intérieur des familles en proie à cette insolente égalité. Tout jusqu'aux animaux semble respirer l'anarchie. Déjà le père s'accoutume à regarder et à respecter son fils comme un égal ; le fils à ne plus l'honorer ni le craindre pour dire : "Je suis libre ", les anciens et les nouveaux venus à confondre tous les droits ; les étrangers même à s'égaler aux citoyens. Mais descendons jusqu'aux moindres rapports de la société : voilà le précepteur qui craint et flatte son disciple et le disciple qui méprise son gouverneur et son maître ; voilà les jeunes gens qui marchent de pair avec les vieillards, qui agissent, qui parlent comme eux, et les vieillards qui redevenus jeunes affectent les grâces et la frivolité toujours en garde contre un air morose et despotique. Enfin ce qui me semble le dernier excès de la liberté dans tous les rangs, les esclaves des deux sexes ne sont pas moins libres que celui qui les achète, car les femmes aussi veulent être libres ; l'égalité est aussi pour les femmes. Je l'avais presque oublié.

dimanche 25 décembre 2011

Le vilain ânier ( fabelet )

          Le vilain ânier

          Il arriva à Montpellier qu'un vilain avait l'habitude de ramasser, avec deux ânes, du fumier pour fumer sa terre. Un jour, ayant chargé ses bêtes, il entre bientôt dans la ville, poussant devant lui les deux ânes, souvent contraint de crier : " Hue ! " Il arrive enfin dans la rue où sont les marchands épiciers : les garçons battent les mortiers. Mais sitôt qu'il sent les épices, lui donnât-on cent marcs d'argent qu'il n'avancerait plus d'un pas. Il tombe aussitôt évanoui, si bien qu'on peut le croire mort. A cette vue, on se désole ; des gens disent : " Mon Dieu, pitié ! Voyez ici cet homme mort. " Mais aucun n'en sait le pourquoi. Les ânes restent arrêtés bien tranquillement dans la rue ; car l'âne n'a guère coutume d'avancer qu'on ne l'y invite. Un brave homme du voisinage, s'étant trouvé là par hasard, vient et demande aux gens qu'il voit : " Qui veut faire guérir cet homme  ? Je m'en chargerais pour pas cher. " Alors un bourgeois lui répond : " Guérissez-le-moi tout de suite ; vous aurez vingt sous de ma poche " ; et l'autre dit : " Bien volontiers ! " Avec la fourche que portait le vilain en poussant ses ânes, il prend un paquet de fumier et va le lui porter au nez . Humant le parfum du fumier, l'homme oublie l'odeur des épices : il ouvre les yeux et se dit tout à fait guéri ; et, bien content, de déclarer : " Je n'irai plus jamais par là, si j'arrive à passer ailleurs. "
Je veux montrer par cet exemple que n'a ni bon sens ni mesure qui veut renier sa nature ; chacun doit rester ce qu'il est.


                       MR



jeudi 22 décembre 2011

L'Etranger Charles Baudelaire extrait du Spleen de Paris Petits Poèmes en prose

  1. En 1862 Charles Baudelaire a déjà publié la 2è édition des Fleurs du mal, par ailleurs il a lu Gaspard de la nuit d'Aloysius Bertrand , qui lui plaît énormément. Il décide alors une autre approche de l'écritu-
re et écrit à Arsène Houssaye "...qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une prose poétique, musicale, sans rythme et sans rime..." L'Etranger paraît donc parmi 14 autres Petits Poèmes en prose dans la Presse, les 26 et 27 août. Mis en musique, Léo Ferré chante ce merveilleux texte.


          L'Etranger

          - Qui aimes-tu le mieux, homme énigmatique, dis ? ton père, ta mère, ta soeur ou ton frère ?

          - Je n'ai ni père, ni mère, ni soeur, ni frère.

          - Tes amis ?

          - Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est resté jusqu'à ce jour inconnu.

          - Ta patrie ?

          - J'ignore sous quelle latitude elle est située.

          - La beauté ?

          - Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.

          - L'or ?

          - Je le hais comme vous haïssez Dieu.

          - Eh ! qu'aimes-tu donc , extraordinaire étranger ?

          - J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... les merveilleux nuages !


          CB


http://www.youtube.com/watch?v=g5DwhD3ZOu4

dimanche 18 décembre 2011

Brunain la vache au prêtre de Jean Bodel ( France )

Les contes appelés fabelets, fableaux enfin fabliaux apparaissent aux environs du 12è siècle. Petites
scènes, comédies en vers et en prose. Voici l'un d'eux extrait d'un recueil de fabliaux.

          C'est d'un vilain et de sa femme que je veux vous conter l'histoire. Pour la fête de Notre-Dame, ils allaient prier à l'église. Avant de commencer l'office, le curé vint faire son prône ; il dit qu'il était profitable de donner pour l'amour de Dieu et que Dieu au double rendait à qui le faisait de bon coeur.
" Entends-tu ce que dit le prêtre ? fait à sa femme le vilain. Qui pour Dieu donne de bon coeur recevra
de Dieu deux fois plus. Nous ne pourrions mieux employer notre vache, si bon te semble, que de la donner au curé. Elle a d'ailleurs si peu de lait. - Oui, sire, je veux bien qu'il l'ait, dit-elle, de cette façon." Ils regagnent donc leur maison, et sans en dire davantage. Le vilain va dans son étable ; prenant
la vache par la corde, il la présente à son curé. Le prêtre était fin et madré : " Beau sire, dit l'autre,
mains jointes, pour Dieu je vous donne Blérain. " Il lui a mis la corde au poing, et jure qu'elle n'est plus
sienne. " Ami, tu viens d'agir en sage, répond le curé dom Constant qui toujours est d'humeur à prendre ;
si tous mes paroissiens étaient aussi avisés que tu l'es, j'aurais du bétail à plenté. " Le vilain prend congé du prêtre qui commande, sans plus tarder, qu'on fasse, pour l'accoutumer, lier la bête du vilain
avec Brunain, sa propre vache. Le curé les mène en son clos, les laisse attachées l'une à l'autre. La vache du prêtre se baisse, car elle voulait pâturer. Mais Blérain ne veut l'endurer et tire la corde si fort qu'elle entraîne l'autre dehors et la mène tant par maisons, par chenevières et par prés qu'elle revient enfin chez elle, avec la vache du curé. Le vilain regarde, la voit ; il en a grande joie au coeur. " Ah !
dit-il alors, chère soeur, il est vrai que Dieu donne au double. Blérain revient avec une autre : c'est
une belle vache brune. Nous en avons donc deux pour une. Notre étable sera petite ! "
          Ce fabliau veut nous montrer que fol est qui ne se résigne. Le bien est à qui Dieu le donne et
non à celui qui l'enfouit. Nul ne doublera son avoir sans grande chance, pour le moins. C'est par chance que le vilain eut deux vaches, et le prêtre aucune. Tel croit avancer qui recule.

          Jean Bodel

samedi 26 novembre 2011

Jirô Taniguchi - Masayuki Kusumi - Le gourmet solitaire.


Le traducteur conseille : " faites yoyû " en lisant. De fait cette histoire pour solitaire amateur de dégustation silencieuse et aux papilles en alerte se lit au même rythme que certains romans de Duras, avec lenteur

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Jirô Taniguchi - Quartier lointain



400x564 - Quartier lointain 1.  Tome 1Voyage à l’envers. Rêve. Cauchemar. Réalité. Problème de résilience ? Peut-être. Et toujours les traits tout raides, tout droits, même plats du dessinateur. Troublant

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vendredi 25 novembre 2011

L'appartement de Kang Do-Young



AppartementA l'inverse de La bicyclette rouge dont je vous parle plus haut, L'appartement vous apporte stress, angoisse. Et pourtant, avare de texte, dessins simplifiés mais tout à fait expressifs nous enferment dans l'atmosphère des appartements des grands immeubles - barres de banlieue. Cette effroyable aventure aurait pu aussi bien être dépeinte dans le cadre de Paris, Londres, New-York ou autres mais c'est Séoul. Sanglant, angoissant, ajouter les problèmes de solitude, tout est bon dans cette manhwa aux couleurs gris, jaunes, rouges. " Ne me regardez pas dans les yeux " dit le héros, oui vraiment.

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La bicyclette rouge de Kim Dong - hwa.


 
En ces temps de stress, de course contre la montre plongez dans cette manhwa délicieuse. La campagne coréenne, est-ce réaliste peu importe l'auteur l'a vue ainsi, les dessins simples et doux, de jolies couleurs, et nous suivons la vie d'un couple de paysans éloignés de Séoul. Le facteur est là un lien précieux le amis sont des "potes " malgré leur âge. La culture du concombre, la jalousie drôlement amenée entre ces personnes âgées, et leur petite fille, adulte, venue en visite apporte la vie de la capitale. ( 3 volumes )

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AYA Conseillère culinaire, ISHIKAWA SABURÔ, scénario Aouchi Akio supervision Kobayakawa Yôsei


Cette jolie manga conte l'histoire tokyoïte de transmission du goût dans les familles de grands chefs, de repreneurs des restaurants. Aya, jolie calculatrice recherche les bons sentiments, les valeurs avec peut-être une arrière-pensée. Dessins propres aux mangas, mais les histoires assez fortes retiennent bien l'attention. Avec quelques recettes.

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mercredi 23 novembre 2011

Un loup à ma table Auguten Burrougs


Augusten Burroughs fils de la poétesse Margaret Robison se penche à nouveau sur son passé.

Un loup à ma tablePeu scolarisé, les crises de colère du père professeur de philosophie, obligeaient la mère à les éloigner de leur maison. Tout petit il essaie vainement d'attirer quelque marque de tendresse, repoussé violemment il se confectionne un papa à l'aide de vêtements bourrés de vêtements qui portent l'odeur paternelle.

L'adulte est à la recherche de chaque senteur, de goût, très sensible il détaille ses premiers pas de bébé, et revient à ce père assis à la table de la cuisine apparemment inactif, le regard fixé sur la télévision éteinte. Pourquoi ne répond-il pas à ses questions d'enfant ? Parce qu'il est occupé ne le voit-il pas.

Puis voici la réalité de l'homme souriant et affable hors du foyer, haineux, cruel avec le cochon d'inde, ses fils, sa femme. Atteint de psoriasis, sur le corps, les mains déformées, la bouche, les dents, pervers, psycopathe. La mère, fume, fume, tape à la machine des textes poétiques, se rend 4 fois par semaine chez son psychiatre à qui elle finira par confier Augusten. Habile, elle coud ses robes, dessine, peint.

Burrougs dépeint avec minutie les affres que vit le couple, joli enfant blond aux cheveux longs troublant.

Tout le livre est une interrogation, son père pourrait-il tuer, et lui possède-t-il les gênes qui le pousseraient à assassiner cet homme destructeur ? Il aime désespérément un homme qu'il voudrait tuer ou appeler papa sans crainte. Après Déboire et Courir avec les oiseaux cruel parcours d'un homme qui a malgré tout une réussite professionnelle.

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mardi 22 novembre 2011

Paradise Kiss ( 1er vol.) de Aï Yazawa


Voici une jolie manga pour jeunes teenagers peu attirés par certains sujets assez brutaux de cette collection. Dessins ravissants, des personnages troubles. Etudiants à l'université, d'autres déjà prêts à entrer dans le milieu de la mode. 

Les scènes se passent dans le quartier Shibuya mais pourquoi pas à Londres. Aï (Amour) mangaka très douée nous offre là une histoire simple ( 4 volumes suivent ) de gracieux dessins, une shöjo manga.

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dimanche 20 novembre 2011

Bienvenue dans le Marais de Hugues Barthe


Bande dessinée pour Adultes - Si vous avez aimé "le petit Lulu" vous retrouverez la même simplicité dans ce dernier opus: cases peu chargées, dessin simplissime, sujet et images ne sont donc pas indigestes. Les personnages, notamment Hugo admis aux Arts Déco qui quitte St Romain le Duc se rend à Paris où il est hébergé par son cousin Manu, vivent plaisamment leurs vies de garçons. Entraîné par son cousin, Hugo découvre le Marais, quartier chic devenu repaire des homosexuels. Loin d'afficher la même liberté que Manu pour entrer en contact avec l'un ou l'autre des garçons Hugo se défie puis se défoule. Découverte des bars, saunas et autres backrooms. Son goût pour l'homme à petit bedon étonne. L'inquiétante maladie est effleurée. Mais tous veulent retrouver la nature, et en définitive vivre entourés de poules, de dindons.

"Bienvenue n'est pas la 1è bande dessinée de Barthe sur le sujet. Son style et son dessin bien personnels, affirmés, cette BD est réussie.

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Une sacrée mamie


Saburo Ishikawa ( Japon manga ) 

L'autobiographie de Yoshichi Shimada a trouvé son public, le manga mis en dessin par Saburo Ishikawa renouvelle le livre et trouve un public sous le charme d'un petit garçon et de sa délicieuse grand'mère.

Une jubilation, pourtant : Tokunaga habite Hiroshima avec sa mère et son frère. Son père est mort des suites nucléaires qui ont touchées la ville. Le travail et les charges trop lourdes obligent la maman à se séparer de l'un des deux enfants. Ce sera le cadet. Direction Saga, la maison la plus petite et la plus pauvre du village. Voir les dessins. Pleurs, tristesse des premiers moments mais, les copains, le maître d'école les jeux, Tokunaga s'habitue vite à la philosophie souriante d'une sacrée mamie. Si les dieux ont leur place, il arrive que le garde-manger soit complètement vide. Surtout en hiver lorsque la rivière est gelée car le garde-manger se trouve être la rivière. Un peu en amont les marchands jettent à l'eau les légumes tâchés, cabossés, biscornus. Il y en a parfois en abondance. Et alors délices, radis au vinaigre ou jours exceptionnels du riz à l'oeuf. La poule refuse de pondre bon ce sera du riz à l'oeuf sans oeuf.
Vie rurale. Vie et moeurs du Japon et d'ailleurs. Les 10 volumes se lisent avec un grand plaisir, comme parfois lorsque les auteurs content une vie quotidienne vécue au plus près.

Pour tous dès sept ans et sans limite d'âge.

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Gainsbourg Hors Champ de Joann Sfar


(roman-conte dessiné France)
Ce grand et fort volume peut se feuilleter comme le story-board du film que l'auteur du Chat du Rabbin a réalisé. A chacun son rêve : l'époque, les chansons, les humeurs, les musiques de Gainsbourg. A partir des dessins, aquarelles, feutres, encre de chine, des conversations de Serge perplexe avec le rat, la Gueule qui le suit, le poursuit, son fantôme. Gainsbourg, Vie Héroïque, qui enfant alors que les rafles des années 40 décimaient la population juive prit l'étoile jaune " - Tu es pressé de la porter ton étoile ? - Ce n'est pas mon étoile, c'est la vôtre "
Le père est pianiste, l'argent manque souvent à la maison. Serge aime la  peinture mais c'est en musique, en chansons qu'il poursuivra une vie accompagnée de jolies femmes, de Bardot à Birkin, d'alcool et de cigarettes. Papa de Charlotte et de Lucien ( le vrai prénom de Serge ), il pleure, il aime.

Le texte, les dessins décrivent les hésitations, les reculs avant les prises de vue
et aussi l'admiration d'un créateur pour un autre et qui ont les mêmes affinités, origines, slaves, juives et un père musicien. Besoin d'amour ?

Sfar perdit sa mère très jeune, Gainsbourg fut le fils chargé des tendresses de ses parents. Gainsbourg citoyen tapageur réécrit la Marseillaise sur un rythmes reggaë. Alcool et cigarettes ont eu raison du foie du poinçonneur des lilas.

Un volume épais où chaque planche nous ramène à nos souvenirs.

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"La Ficelle" de Guy de Maupassant

Conte. 1è parution dans Gil Blas le 25 nov. 1883 puis dans le recueil  " Miss Harriet " en 1884.
Maupassant né en Seine Maritime élevé ainsi que son frère à Etretat par sa mère après la séparation de ses parents dépeint ici le monde rural qu'il connait.

     Sur toutes les routes autour de Goderville, les paysans et leurs femmes s'en venaient vers le bourg ; car c'était le jour de marché. Les mâles allaient, à pas tranquilles, tout le corps en avant à chaque mouvement de leurs longues jambes torses, déformées par les rudes travaux, par la pesée sur  la charrue qui fait en même temps monter l'épaule gauche et dévier la taille, par le fauchage des blés qui fait écarter les genoux pour prendre un aplomb solide, par toutes les besognes lentes et pénibles de la campagne. Leur blouse bleue, empesée, brillante, comme vernie, ornée au col et aux poignées  d'un petit dessin de fil blanc, gonflée autour de leur torse osseux, semblait un ballon prêt à s'envoler, d'où sortaient une tête, deux bras et deux pied.
    Les uns tiraient au bout d'une corde une vache, un veau. Et leurs femmes, derrière l'animal, lui fouettaient les reins d'une branche encore garnie de feuilles, pour hâter sa marche. Elles portaient au bras de larges paniers d'où sortaient des têtes de poulets par-ci, des têtes de canards par-là. Et elles marchaient d'un pas plus court et plus vif que leurs hommes, la taille sèche, droite et drapée dans un petit châle étriqué, épinglé sur leur poitrine plate, la tête enveloppée d'un linge blanc collé sur les cheveux et surmonté d'un bonnet.
    Puis, un char à bancs passait, au trot saccadé d'un bidet, secouant étrangement deux hommes assis côte à côte et une femme dans le fond du véhicule, dont elle tenait le bord pour atténuer les durs cahots.
    Sur la place de Goderville, c'était une foule, une cohue d'humains et de bêtes mélangés. Les cornes de boeufs, les hauts chapeaux à longs poils des paysans riches et les coiffes des paysannes émergeaient à la surface de l'assemblée. Et les voix criardes, aigues, glapissantes, formaient une clameur continue et sauvage que dominait parfois un grand éclat poussé par la robuste poitrine d'un campagnard en gaieté, ou le long meuglement d'une vache attachée au mur d'une maison.
    Tout cela sentait l'étable, le lait lait et le fumier, le foin et la sueur, dégageait cette saveur aigre, affreuse, humaine et bestiale, particulière aux gens des champs.

    Maître Hauchecorne, de Bréauté, venait d'arriver à Goderville, et il se dirigeait vers la place, quand il aperçut par terre un petit bout de ficelle. Maître Hauchecorne, économe en vrai normand, pensa que tout était bon à ramasser qui peut servir ; et il se baissa péniblement, car il souffrait de rhumatismes. Il prit, par terre, le morceau de corde mince, et il se disposait à le rouler avec soin, quand il remarqua, sur le seuil de sa porte, maître Malandain, le bourrelier, qui le regardait. Ils avaient eu des affaires ensemble au sujet d'un licol, autrefois, et ils étaient restaient fâchés, étant rancuniers tous deux. Maître Hauchecorne fut pris d 'une sorte de honte d'être vu ainsi, par son ennemi, cherchant dans la crotte un bout de ficelle. Il cacha brusquement sa trouvaille sous sa blouse, puis dans la poche de sa culotte ; puis il fit semblant de chercher encore par terre quelque chose qu'il ne trouvait point, et il s'en alla vers le marché, la tête en avant, courbé en deux par ses douleurs.
    Il se perdit aussitôt dans la foule criarde et lente, agitée par les interminables marchandages. Les paysans tâtaient les vaches, s'en allaient, revenaient, perplexes, toujours dans la crainte d'être mis dedans, n'osant jamais se décider, épiant l'oeil du vendeur, cherchant sans fin à découvrir la ruse de l'homme et le défaut de la bête.
    Les femmes, ayant posé à leurs pieds leurs grands paniers, en avaient tiré leurs volailles qui gisaient par terre, liées par les pattes, l'oeil effaré, la crête écarlate.
    Elles écoutaient les propositions, maintenaient leurs prix, l'air sec, le visage impassible, ou bien tout à coup, se décidant au rabais proposé, criaient au client qui s'éloignait lentement :
    - C'est dit, maît' Anthime. J'vous l'donne.
    Puis, peu à peu, la place se dépeupla, et l'Angélus sonnant midi, ceux qui demeuraient trop loin se répandirent dans les auberges.
    Chez Jourdain, la grande salle était pleine de mangeurs, comme la vaste cour était pleine de véhicules de toute race, charrettes, cabriolets, chars à bancs, tilburys, carrioles innommables, jaunes de crotte, déformées, rapiécées, levant au ciel, comme deux bras, leurs brancards, ou bien le nez par terre et le derrière en l'air.
    Tout contre les dîneurs attablés, l'immense cheminée, pleine de flamme claire, jetait une chaleur vive dans le dos de la rangée de droite. Trois broches tournaient, chargées de poulets, de pigeons et de gigots ; et une délectable odeur de viande rôtie et de jus ruisselant sur la peau rissolée, s'envolait de l'âtre, allumait les gaietés, mouillait les bouches.
    Toute l'aristocratie de la charue mangeait là, chez maît' Jourdain aubergiste et maquignon, un malin qui avait des écus.
    Les plats passaient, se vidaient comme les brocs de cidre jaune. Chacun racontait ses affaires, ses achats et ses ventes. On prenait des nouvelles des récoltes. Le temps était bon pour les verts, mais un peu mucre pour les blés.
    Tout à coup, le tambour roula, dans la cour, devant la maison. Tout le monde aussitôt fut debout, sauf quelques indifférents, et on courut à la porte, aux fenêtres, la bouche encore pleine et la serviette à la main.
    Après qu'il eut terminé son roulement, le crieur public lança d'une voix saccadée, scandant ses phrases à contretemps :
    - Il est fait assavoir aux habitants de Godervlle, et en général à toutes - les personnes présentes au marché qu'il a été perdu ce matin, sur la route de Beuzeville, entre - neuf heures et dix heures, un portefeuille en cuir noir, contenant cinq cents francs et des papiers d'affaires. On est prié de le rapporter - à la mairie incontinent, ou chez maître Fortuné Houlebrèque, de Mannerville. Il y aura vingt francs de récompense.
    Puis l'homme s'en alla. On entendit encore une fois au loin les battements sourds de l'instrument et la voix affaiblie du crieur.
    Alors on se mit à parler de cet évènement en énumérant les chances qu'avait maître Houlbrèque de retrouver ou de ne pas retrouver son portefeuille.
    Et le repas s'acheva.
    On finissait le café, quand le brigadier de gendarmerie parut sur le seuil.
    Il demanda
 - Maître Hauchecorne, de Bréauté, est-il ici ?
Maître Hauchecorne, assis à l'autre bout de la table, répondit :
- Me v'là.
    Et le brigadier reprit :
    - Maître Hauchecorne, voulez-vous avoir la complaisance de m'accompagner à la mairie. M. le maire voudrait vous parler.
    Le paysan surpris, inquiet, avala d'un coup son petit verre, se leva et, plus courbé encore que le matin, car les premiers pas après chaque repos étaient particulièrement difficiles, et il se mit en route en répétant :
    - Me v'là, me v'là.
 Et il suivit le brigadier.
    Le maire l'attendait, assis dans un fauteuil. C'était le notaire de l'endroit, homme gros, grave, à phrases pompeuses.   
    - Maître Hauchecorne, dit-il, on vous a vu ce matin ramasser, sur la route de Beuzeville, le portefeuille perdu par maître Houlbrèque, de Manneville.
    Le campagnard, interdit, regardait le maire, apeuré déjà par ce soupçon qui pesait sur lui, sans qu'il comprit pourquoi.
    - Mé, mé, j'ai ramassé çu portefeuille ?
    - Oui, vous-même.
    - Parole d'honneur, je n'en ai point eu connaissance.
    - On vous a vu.
    - On m'a vu, mé ? Qui ça qui m'a vu ?
    - M. Malandain, le bourrelier.
    Alors le vieux se rappela, comprit et, rougissant de colère :
    - Ah ! I m'a vu, çu manan ! Im'a vu ramasser c'te ficelle-là, tenez, m'sieur le maire.
    Et, fouillant au fonde de sa poche, il en retira le petit bout de corde.
    Mais le maire, incrédule, remuait la tête.
    - Vous ne me ferez pas accroire, maître Hauchecorne que M. Malandain, qui est un homme digne de foi, a pris ce fil pour un portefeuille.
    Le paysan, furieux, leva la main, cracha de côté pour attester son honneur, répétant :
    - C'est pourtant la vérité du bon Dieu, la sainte vérité, m'sieur le maire. Là, sur mon âme et mon salut, j'le répète.
    Le maire reprit :
    Après avoir ramassé l'objet, vous avez même encore chercher longtemps dans la boue, si quelque pièce de monnaie ne s'en était pas échappée.
    Le bonhomme suffoquait d'indignation et de peur.
    - Si on peut dire !... Si on peut dire... des menteries comme ça pour dénaturer un honnête homme ! Si on peut dire !...
    Il eut beau protester, on ne le crut pas.
    Il fut confronté avec M. Malandain, qui répéta et soutint son affirmation. Ils s'injurièrent une heure durant.
    On fouilla, sur sa demande, maître Hauchecorne. On ne trouva rien sur lui.
    Enfin, le maire, fort perplexe, le renvoya en le prévenant qu'il allait aviser le parquet et demander des ordres.

    La nouvelle s'était répandue. A sa sortie de la mairie, le vieux fut entouré, interrogé avec une curiosité sérieuse ou goguenarde, mais où n'entrait aucune indignation.
    Et il se mit à raconter l'histoire de la ficelle. On ne le crut pas. On riait.
    Il allait, arrêté par tous, arrêtant ses connaissances, recommençant sans fin son récit et ses protestations, montrant ses poches retournées, pour prouver qu'il n'avait rien.
    On lui disait :
    - Vieux malin, va !
    Et il se fâchait, s'exaspérant, enfiévré, désolé de n'être pas cru, ne sachant que faire, et contant toujours son histoire.
    La nuit vint. Il fallait partir. Il se mit en route avec trois voisins à qui il montra la place où il avait ramassé le bout de corde ; et tout le long du chemin il parla de son aventure.
    Le soir, il fit une tournée dans le village de Bréauté, afin de la dire à tout le monde. Il ne rencontra que des incrédules.
    Il en fut malade toute la nuit.
    Le lendemain, vers une heure de l'après-midi, Marius Paumelle, valet de ferme de maître Breton, cultivateur à Ymauville, rendait le portefeuille et son contenu à maître Houlbrèque, de Manneville.
    Cet homme prétendait avoir, en effet, trouvé l'objet sur la route ; mais, ne sachant pas lire, il l'avait rapporté à la maison et donné à son patron.
    La nouvelle se répandit aux environs. Maître Hauchecorne en fut informé. Il se mit aussitôt en tournée et commença à narrer son histoire complète du dénouement. Il triomphait.
    - C'qui m'faisait deuil, disait-il, c'est point tant la chose, comprenez-vous ; mais c'est la menterie. Y a rien qui vous nuit comme d'être en réprobation pour une menterie.
    Tout le jour il parlait de son aventure, il la contait sur les routes aux gens qui passaient, au cabaret aux gens qui buvaient, à la sortie de l'église le dimanche suivant. Il arrêtait des inconnus pour la leur dire. Maintenant, il était tranquille, et pourtant quelque chose le gênait sans qu'il sût au juste ce que c'était. On avait l'air de plaisanter en l'écoutant. On ne paraissait pas convaincu. Il lui semblait sentir des propos derrière son dos.

    Le mardi de l'autre semaine, il se rendit au marché de Goderville, uniquement poussé par le besoin de raconter son cas.
    Malandain, debout sur sa porte, se mit à rire en le voyant passer. Pourquoi ?
    Il aborda un fermier de Cliquetot, qui ne le laissa pas achever et, lui jetant une tape dans le creux de son ventre, lui cria par la figure ; " Gros malin, va ! " Puis il tourna les talons.
    Maître Hauchecorne demeura interdit et de plus en plus inquiet. Pourquoi l'avait-on appelé "gros malin" ?
    Quand il fut assis à table, dans l'auberge de Jourdain, il se remit à expliquer l'affaire.
    Un maquignon de Montivilliers lui cria :
    - Allons, allons, vieille pratique, je la connais ta ficelle !
    Hauchecorne balbutia :
    - Puisqu'on l'a retrouvé,çu portefeuille !
    Mais l'autre reprit :
    - Tais-té, mon pé, y en a un qui trouve et y en a un qui r'porte. Ni vu ni connu, je t'embrouille.
    Le paysan resta suffoqué. Il comprenait enfin. On l'accusait d'avoir fait reporter le portefeuille par un compère, par un complice.
    Il voulut protester. Toute la table se mit à rire.
    Il ne put achever son dîner et s'en alla, au milieu des moqueries.
    Il rentra chez lui, honteux et indigné, étranglé par la colère, par la confusion, d'autant plus atterré qu'il était capable, avec sa finauderie de Normand, de faire ce dont on l'accusait, et même de s'en vanter comme d'un bon tour. Son innocence lui apparaissait confusément comme impossible à prouver, sa malice étant connue. Et il se sentait frappé au coeur par l'injustice du soupçon.
    Alors il recommença à conter l'aventure, en allongeant chaque jour son récit, ajoutant chaque fois des raisons nouvelles, des protestations plus énergiques, des serments plus solennels qu'il imaginait, qu'il préparait dans ses heures de solitude, l'esprit uniquement occupé de l'histoire de la ficelle. On le croyait d'autant moins que sa défense était plus compliquée et son argumentation plus subtile.
    - Ca, c'est des raisons d'menteux, disait-on derrière son dos.
    Il le sentait, se rongeant les sangs, s'épuisait en efforts inutiles.
    Il dépérissait à vue d'oeil.
    Les plaisants maintenant lui faisaient conter " la Ficelle " pour s'amuser, comme on fait conter sa bataille au soldat qui a fait campagne. Son esprit, atteint à fond, s'affaiblissait.
    Vers la fin de décembre, il s'alita.
    Il mourut dans les premiers jours de janvier, et, dans le délire de l'agonie, il attestait son innocence, répétant :
    - Une 'tite ficelle... une 'tite ficelle... t'nez, là voilà, m'sieur le maire.

lundi 14 novembre 2011

William Faulkner de Michel Mohrt pour le texte et l'iconographie ( Album Pléiade Gallimard France )


Falkner William devenu *Faulkner* nait un 25 septembre 1897 aux Etats-Unis dans le Deep South qu'il dépeindra dans tous ses livres et où il vivra et mourra. Le Mississipi est le décor des Sartoris et autres Lumière d'août.

Aîné des trois frères, il passera à 20 ans pour le bon à rien de la famille. Poète il écrit des textes, accumule les petits jobs, déçu de ne mesurer que 1m68, "... il regrettera toute sa vie de n'être pas aussi grand que son aïeul... " le Colonel aux multiples activités et auteur d'un roman. L'homme au sourire rare, bouche close, lèvres serrées surmonte des déceptions amoureuses, mais rêve de piloter un avion. Lors de la 1ère guerre mondiale et par un subterfuge, éloigné de Jackson il racontera avoir été abattu avec son engin et blessé, stick à l'appui. Son mensonge fut si bien accepté qu'il lui fallut beaucoup d'énergie pour effacer cet épisode d'une biographie qui lui était consacrée.

Premiers textes parus dans la presse, premiers livres. Faulkner part à Hollywood, une prison, où il écrit des scénarios, des dialogues parfois repris pour des films moyens et mal rémunérés. Toujours imaginatif il invente le Yoknapatawpha au Sud et la Tallahatchie, copies collées des comtés de Lafayette d'Oxford, du Mississipi. Des cartes et les lieux où vivent les familles, nombreuses photos d'Oxford, de la cueillette du coton, des habitants des années 20-40. Puis le succès arrive, devant ses textes rassemblés il s'étonne de la plénitude de l'oeuvre accomplie.

En 1950 il reçoit le prix Nobel et se rend avec sa fille unique en Suède. Il voyage. Salué en France par Malraux, Sartre, Camus qui fit l'adaptation et mit en scène Requiem pour une nonne, Gaston Gallimard son éditeur. De passage à Oxford, (EU) il donne des conférences dans les Universités.

Ethylique depuis son jeune âge, victime de malaises il meurt d'une thrombose coronaire en juillet 1962, reconnu comme l'un des plus grands écrivains américains qui a dépeint la société qu'il connaissait le mieux, le sud profond, comme le fit Balzac qu'il avait lu, avec la Comédie humaine.

Plus de 300 photos dans ce passionnant ouvrage.
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dimanche 13 novembre 2011

La Confession John Grisham


(Roman Thriller USA) - Un lundi 5 novembre Keith Schroeder pasteur luthérien à Topéka Kansas reçoit à l'église St Mark la visite de Travis Boyette. La semaine sera rude pour l'ecclésiastique et sa famille. L'homme visiblement très affaibli souhaite se confesser du meurtre de Nicole jeune étudiante et pom-pom girl à Slone petite ville pas très éloignée de Dallas au Texas et perpétré neuf ans plus tôt.

Le corps jamais retrouvé n'empêcha pas les policiers, juges, procureur et autres membres d'un jury blanc de condamner à mort Donté Drumm membre de l'équipe de football de l'université. Son avocat très attaché à sa cause, sûr de son innocence tant l'enquête est incohérente, se bat farouchement pour ce cas désespéré. Le jeudi 8 novembre Donté Dumm sera exécuté à 18 heures précises à la prison de Huntsville.

L'avocat acceptera-t-il de rencontrer Boyette accompagné du pasteur qui, lui, serait en effraction, légère sans doute avec son ministère, 800 kilomètres séparent le Kansas du Texas. Il faut traverser l'Oklahoma, et Boyette est en liberté conditionnelle, condamné dans plusieurs états pour agressions sexuelles. A Slone " Il restait peu de travail juridique à faire... "

Travis parait profondément atteint, en phase terminale dit-il, d'une tumeur au cerveau qu'il décrit grosse comme un oeuf. Mais l'équipe de Robbie Flak sait que "... plus le dossier est vide, plus il faut brailler... " Le pasteur interroge Robbie l'avocat " Comment condamne-t-on un homme pour meurtre quand il n'y a pas de cadavre ? " L'auteur né et élevé dans le Mississipi décrit la société, des blancs, des noirs, des croyants des diverses églises, baptiste, luthérienne, de la rage de la jeune population. Des flash backs nous reportent aux différents stades de la procédure, aux discussions qui mènent à des accusations sans preuve pour se débarasser d'un procès encombrant.

Le Texas est toujours favorable à la peine de mort. La politique et la justice sont toujours étroitement liées. Le roman lent dans la 1ère partie ne se lâche plus à partir du moment où commencent les recherches du corps dans le Missouri. Livre pour tout public.

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Underground Julian Assange Suellette Dreyfus


(Australie Document) - En 1997 Swellette Dreyfus journaliste croise la route de Julian Assange à Melbourne. Ce dernier a 22 ans et déjà une vie derrière lui. Enfant de parents séparés, inscrits dans de multiples écoles, à 16 ans jeune mari d'une jeune fille également surdouée, père divorcé 5 ans plus tard, arrêté, inculpé, relâché avec mise à l'épreuve il raconte dans un livre écrit avec la journaliste et paru sans succès il y a une quinzaine d'années et réactualisé aujourd'hui la vie des trois premiers hackers, jeunes adolescents asociaux australiens, géniaux informaticiens de 14 à 19 ans.

Wikileaks va prendre naissance et le livre raconte " ... cette fascinante contre-culture du hacking... revendications identitaires, candeur anarchiste et maîtrise redoutable et redoutée des outils..."

Dans les années 80 les connexions téléphoniques étaient très longues et onéreuses, les jeunes gens réussirent à capter les lignes téléphoniques d'inconnus, puis ils entrèrent dans les comptes de la Nasa, de banques et tirèrent quelque argent à partir de cartes bleues piratées appartenant à des clients suffisamment riches pour ne pas être embarrassés, ils visitent des universités. Amitiés virtuelles internationales, du Texas au Canada à la Suisse, ils n'éprouvent qu'une immense curiosité drogués par leur facilité à entrer toujours plus avant dans des univers dangereux. Dotés de surnom Mandax (serait Julian Assange), Pad, Anthrax, Electron. Ce dernier arrêté "... le juge lui accorde la liberté sous caution. Consigné à la maison... accepter qu'il doit définitivement abandonner le hacking... il tombe dans la drogue." Prime Suspect rare utilisateur de drogues par manque de temps "... a eu son lot de problèmes... Danser sur de la musique techno lui fait du bien... la techno est un nihilisme musical... rapide, répétitive avec des rythmes informatiques... "

Si le ver nommé Wake est dépassé "... Ver d'attaque extrêmement sophistiqué, Stuxnet... est programmé pour surveiller, contrôler et reprogrammer des procédés industriels très particuliers... "

Certains hackers ont disparu, d'autres travaillent dans des services secrets civils, autres.

Le livre fascine le béotien et tous les accros aux petites machines électroniques ravageuses, devenues indispensables, indiscrètes. Passionnant.

Ma vie dans la CIA de Harry Mathews

(France roman traduit de l'anglais par l'auteur avec la complicité de Marie Chaix éd. P.O.L)

New Yorkais diplômé d'art musical à Harvard, Harry Mathews est en France membre de l'Oulipo, auteur de romans et de Perverbes ( Le Savoir des Rois ), on le crut riche, mais il avait travaillé sur deux films et hérité d'une jolie somme de son grand-père, puis il voyagea au Laos, puis un jour de retour à Paris installé rue de Varenne, séparé de son épouse Niki de Saint-Phalle, il apprend qu'à la suite d'un quiproquo il est admis même parmi ses amis qu'il est un espion de la CIA. 

" Vous êtes bien américain ?... " Il dément vigoureusement, ses interlocuteurs sourient. Alors il va jouer le jeu " ... un agent officieux doit fournir une couverture plausible." S'il revient fréquemment sur la vie politique mondiale des années 60 c'est en 1973, année de la guerre du Vietnam, du Watergate, de la mort d'Allende et de l'arrivée de Pinochet , qu'il crée son agence de voyages, qui lui permet d'organiser des circuits qui pense-t-il seront la marque de son esprit tortueux d'espion. La Sibérie. 

Rencontres de personnages mystérieux, d'une femme et de l'amour tantrique, qui lui fait monter les larmes aux yeux, Georges Pérec dont il a traduit un roman en anglais abandonne son scepticisme et l'accompagne dans son mensonge sans y participer, il monte son film et use des lieux telle la place Saint Sulpice . Mélange étrange de poésie et d'espions venus du froid. Vrai ou faux l'auteur voyage et de jolies descriptions de la faune et de la flore. Il possède une maison isolée au-dessus de Villars-de-Lans "Il n'y avait pas de jardin... un climat montagnard... des heures de travail... forcer les pissenlits... poursuivre l'ansérine... extraire les réseaux sournois de vesce de dessous les ancholies et les digitales... 

Mélancholie, les enfants sont partis " Ma maison est un mausolée ".  Marcheur à la cîme du Moucherotte, bien au-dessus de Grenoble à 2000m "... des fleurs tardives... mille-feuilles, casse-lunettes... " .

Toutefois des espions ? hommes malintentionnés le poursuivent il doit abandonner sa maison aux loirs habitués de son grenier qui jouent au ballon avec des noix, et part sur les routes en compagnie d'un berger, de ses 400 moutons, de Madeleine, le cheval, aide-soignant, dormant sous les étoiles. Transhumance et routes de Provence. 

Mais qui est vraiment Mathews Oulipien américain ? La question se pose encore à la dernière ligne de ce faux-vrai roman d'espionnage par un auteur de l'Ouvroir de littérature potentielle. Sourirs, souvenirs, plaisirs, agréable lecture.

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