mercredi 25 avril 2012

Le Chat le Chardonneret et les Etoiles Pirandello ( nouvelle Italie )

Le Chat le Chardonneret et les Etoiles


            Une pierre. Une autre pierre. L'homme passe et les voit l'une à côté de l'autre. Mais cette pierre que sait-elle de la pierre d'à côté ? Et de la rigole; l'eau qui y coule ? L'homme voit l'eau et la rigole ; il entend l'eau couler et arrive même à imaginer qu'en passant, cette eau confie qui sait quels secrets à la rigole.
            Ah, quelle nuit d'étoiles sur les toits de ce pauvre hameau parmi les monts !
            A regarder le ciel du haut de ces toits, on jurerait que, cette nuit, les étoiles ne voit que cela, tant elles scintillent vivement au-dessus.
            Or les étoiles ignorent même la terre.
            Ces monts, est-il possible qu'ils ne se sachent pas appartenir à ce hameau perdu au milieu d'eux depuis presque mille ans ? Tout le monde connaît leur nom : le mont Corno, le mont Moro. et eux ne se sauraient même pas montagnes ? Et alors, la plus vieille maison du hameau ignorerait aussi qu'elle est là, au coin de cette rue, la plus vieille de toutes les rues ? Est-ce dieu possible ?
            Et alors ?

            Alors croyez tout de même, si cela vous chante, que les étoiles ne voient rien d'autre que les toits de votre hameau perdu parmi les monts.
           J'ai connu deux petits vieux qui avaient un chardonneret. Comment ce chardonneret, de ses yeux vifs et ronds, voyait leurs visages, la cage, l'appartement avec tous les vieux meubles, et ce que sa tête de chardonneret pouvait penser de tous les soins et attentions dont il était l'objet, ça non, certainement, cette question ne s'était jamais présentée à ces vieux tant ils étaient sûrs que lorsque le chardonneret venait se percher sur l'épaule de l'un ou de l'autre et se mettait à leur picoter la peau ridée du cou ou le lobe de l'oreille, il savait très bien que l'endroit où il se posait était une épaule, et ce qu'il picotait, un lobe d'oreille ; que de plus, l'épaule et l'oreille étaient celles du monsieur ou de la dame. Était-il possible qu'il ne les connût pas tous les deux ? Lui le pépé et elle la mémé ? Qu'il ne sût pas que si tous les deux l'aimaient tant  c'était qu'il avait été le chardonneret de leur petite-fille décédée qui l'avait si bien dressé à venir se poser sur l'épaule, à becqueter ainsi l'oreille, à voleter hors de la cage dans l'appartement ?
            Dans cette cage suspendue entre les rideaux dans l'embrasure de la fenêtre il ne restait que la nuit et, le jour, seulement de courts instants pour picorer son millet et boire une goutte d'eau avec mille courbettes minaudières. C'était là somme toute son palais royal et la maison, son vaste royaume. Et perché souvent sur l'abat-jour de la lampe à suspension, dans la salle à manger, ou sur le dossier du fauteuil du grand-père, il prodiguait ses gazouillis et aussi... bien sûr, un chardonneret.
            - Petit sale ! grondait la grand - mère en le voyant faire.
            Et son chiffon toujours en main, elle courait nettoyer comme s'il y avait eu un bébé dans la maison dont on ne pouvait encore prétendre qu'il eût le jugement de faire certainement choses dans les règles et là où il faut. Et elle se souvenait d'elle, la mémé, elle se souvenait de sa petite-fille qui, pendant plus d'une année, lui avait imposé cette corvée, la pauvre chérie, jusqu'à ce qu'enfin,en brave enfant...
            - Hein, tu te souviens ?
            S'il se souvenait. Il la voyait encore là, à trotter par la maison, toute minuscule, pas plus haute que ça!
Il hochait longuement la tête.
            Ils étaient demeurés seuls, deux petits vieux seuls avec cette orphelines qui avait grandi à leur foyer, qui allait être la joie de leur vieillesse, et au contraire à quinze ans... Mais le souvenir d'elle - trilles et envols - s'était conservé très vif en ce chardonneret. Et dire que d'abord ils n'y avaient pas pensé ! Dans l'abîme de désespoir où le malheur les avait précipités, comment penser à un chardonneret ? Mais sur leurs épaules courbées, soulevée de sanglots, le chardonneret - mais oui ! - était venu se poser de lui-même doucement, tournant la tête à gauche à droite, puis il avait allongé le cou et, de derrière, un petit coup de bec à l'oreille comme pour dire que...dire qu'il était une part d'elle bien vivante.Vivante, oui, encore vivante, et qui avait encore besoin et e leurs soins et de l'amour - le même amour - qu'ils avaient éprouvé pour elle.
            Oh avec quels tremblements ils l'avaient pris,le pauvre vieux,dans sa grosse main pour le montrer en sanglotant à sa pauvre vieille ! Que de baisers sur cette d'épingle, sur ce mignon bec ! Mais lui ne voulait pas être pris, emprisonné dans cette main. Il se débattait de la tête et des pattes et répondait par des coups de bec aux baisers des deux vieux.
            La grand-mère était sûre et certaine qu'avec ses gazouillis le chardonneret appelait encore sa jeune maîtresse et qu'en voletant de-ci de-là dans l'appartement, il la cherchait, ne cessait de la chercher sans relâche, incapable de se résigner à ne plus la trouver ; et que ses gazouillis sans fin étaient autant de discours pour elle ; des questions, oui, exactement, que les mots n'auraient pas mieux posés, répétées trois, quatre fois de suite, attendant une réponse et exprimant la colère de n'en pas recevoir.
            Mais comment cela, s'il était également sûr et certain que le chardonneret n'ignorait rien de la mort ? S'il savait : qui appelait-il ? De qui attendait-il qu'on répondît à ses questions, que les mots n'auraient pas mieux posées ? Eh mon Dieu, ce n'était au fond qu'un chardonneret ! Tantôt il l'appelait, tantôt il la pleurait. Était-ce possible de mettre en doute que par exemple, en ce moment, il pensait à la jeune morte, ainsi tout pelotonné sur le perchoir de sa cage, la tête rentrée, le bec en l'air, les yeux mi-clos ? A de tels moments, de loin en loin, il laissait échapper de brefs petits cris étouffés, preuve évidente qu'il pensait à elle, qu'il la pleurait et se lamentait. Un vrai déchirement, ces petits cris.

                                chat et oiseau PAUL KLEE

                 Le vieux grand-père ne contredisait pas sa mémé.Lui aussi en était si sûr !Il n'en montait pas moins tout doucement sur une chaise comme pour chuchoter de tout près un ou deux mots de réconfort à cette pauvre petite âme en peine et en même temps, comme à son propre insu, il rouvrait la porte à ressorts de la cage qui s'était fermée.
            - Le voilà qui s'échappe, le voilà qui s'échappe, le coquin ! s'écriait-il en se retournant sur sa chaise et en le suivant des yeux, le regard rieur, les deux mains écartées devant son visage comme pour se protéger.
            Là-dessus le pépé et la mémé de se quereller: combien de fois le lui avait-elle répété qu'il fallait le laisser tranquille lorsqu'il était ainsi et ne pas l'importuner à vouloir le tirer de son chagrin. Tiens, il l'entendait, maintenant ?
            - Il chante, disait le vieux.
            - Ça, chanter ? répliquait-elle en haussant les épaules. Il t'en dit de toutes les couleurs. Fou de rage, qu'il est. !
            Elle accourait pour le calmer. Peine perdue ! Il sautillait par-ci, il sautillait par-là, fâché pour tout de bon ; et non sans raison car à ces moments-là, devait-il lui sembler,il aurait mérité plus de considération.
             Et le plus beau, c'est que le pépé non seulement acceptait tous ces reproches sans dire à la mémé que la porte à ressorts était fermée et que c'était sans doute pour cela que le chardonneret piaulait si lamentablement, mais il pleurait en entendant parler de la sorte sa vieille compagne à la poursuite du chardonneret,il pleurait et s'avouait à lui-même, hochant la tête, le visage en larmes :
             - Il a raison, le pauvre... Le pauvre, il a raison.Il ne se sent pas considéré. Il le savait bien, en effet, ne pas se sentir considéré. Pauvres vieux qu'ils étaient tous les deux, personne ne les considérait ; ils étaient la risée publique depuis qu'ils ne vivaient plus que pour ce chardonneret et se condamnaient à demeurer perpétuellement toutes fenêtres closes, le pépé également ne mettant plus le nez dehors parce qu'il était vieux, oh oui, et il pleurait là, chez lui, comme un gosse, mais les nasardes, il ne les  avait  jamais tolérées et si quelqu'un dans la rue avait eu la fâcheuse inspiration de le tourner en ridicule il aurait joué sa vie ( de quel prix était-elle désormais pour lui ? ), comme rien qu'il l'aurait jouée. Parfaitement, pour ce chardonneret-là, si quelqu'un avait eu la fâcheuse inspiration de lui dire quelque chose. Trois fois dans sa jeunesse il s'était trouvé à deux doigts de... oui : la vie ou la liberté ! Ah il lui en fallait peu,à lui, pour voir rouge !Chaque fois que ces intentions belliqueuses lui allumaient le sang, le vieil homme se levait avec souvent le chardonneret sur l'épaule et il allait jeter par la fenêtre des regards féroces sur les fenêtres des maisons d'en face. Que ce fussent-là des maisons, là en face, des fenêtres avec vitres enchâssées, barres d'appui, vases à fleurs et tout ; que les choses au-dessus fussent des toits avec cheminées, tuiles, gouttières, le pépé ne pouvait en douter, et il savait également à qui elles appartenaient, qui y habitait, comment on y vivait. Le malheur, c'est qu'il ne lui venait pas à l'esprit de s'interroger sur ce qu'étaient sa maison et ces autres maisons en face pour le chardonneret en boule sur son épaule ; et ce qu'elles étaient aussi pour ce magnifique gros chat de gouttière blanc qui se tenait tout pelotonné sur le rebord de la fenêtre d'en face à se prélasser au soleil, paupières closes. Des fenêtres ? Des vitres ? Des tuiles ? Ma maison ? Ta maison ? Pour ce gros chat blanc qui dormait là au soleil, ma maison ou ta maison ? Mais s'il pouvait s'y introduire, toutes les maisons étaient à lui ! Des maisons ? Tu parles ! Des lieux où chaparder, où dormir plus ou moins commodément. Ou faire semblant de dormir.
            Croyaient-ils vraiment, ces deux vieux, qu'en tenant toujours portes et fenêtres fermées, d'empêcher un chat, s'il le voulait de trouver un autre chemin pour venir dévorer ce chardonneret ?
            Et n'était-ce pas trop prétendre que d'attendre du chat qu'il sût que ce chardonneret était toute la vie de ces deux vieux pour avoir appartenu à la petite-fille décédée qui l'avait si bien dressé à voleter hors de sa cage dans l'appartement ? Qu'il sût encore que le pépé une fois qu'il l'avait surpris derrière une des fenêtres à épier de tous ses yeux à travers la vitre le vol insouciant du chardonneret, la pièce s'était rué chez sa maîtresse l'avertissant furieusement que gare ! gare ! s'il le surprenait une seconde fois... Le surprendre là ? Quand ? Comment ? Sa maîtresse... Ces deux vieux... la fenêtre... le chardonneret... Quoi ?
            Et un jour, il se l'envoya - mais oui, ce chardonneret qui pour lui pouvait tout aussi bien être un autre - il se l'envoya en pénétrant qui sait comment, qui sait par où dans la maison des deux vieux. La mémé, la nuit était sur le point de tomber - entendit tout juste à côté comme un léger cui-cui, un gémissement ; survenant, le pépé entr'aperçut une forme blanche qui s'esquivait par la cuisine et, éparses sur le sol, quelques petites plumes de la gorge, les plus douces, qui dans le courant d'air que son entrée provoquait palpitèrent légèrement sur le carreau. Quel cri ! Retenu en vain par sa compagne,il prit une arme, se précipita comme un fou chez la voisine. Non, ce n'était pas la voisine, mais le chat qu'il voulait tuer, ce chat, oui, sous ses yeux à elle ; et il tira dans la salle à manger lorsqu'il le vit tout tranquille assis sur le dressoir. Il tira un, deux, trois coups, fracassant la vaisselle, jusqu'au moment où lui aussi, une arme à la main, le fils de la voisine accourut et tira sur le vieillard.
            Une tragédie.Au milieu des cris et des pleurs, le pépé fut transporté chez lui auprès de sa vieille mémé, blessé à la poitrine, moribond.
            Le fils de la voisine s'était enfui dans la campagne. La ruine dans deux maisons et le hameau sens dessus dessous pour une nuit entière.
            Et le chat ? Sûr qu'il ne s'en souvenait pas, à peine un moment plus tard, de s'être envoyé le chardonneret, un chardonneret quelconque , sûr qu'il n'avait pas compris que c'était sur lui que le vieux tirait. Au bruit du coup, il avait fait un beau saut, pris la fuite et maintenant - regardez-le - il était là, bien sage, tout blanc sur le toit noir à regarder les étoiles qui des sombres profondeurs de la nuit sans lune ne voyaient absolument pas - on peut en être sûr et certain - les pauvres toits de ce hameau parmi les monts, mais elles scintillaient si vivement au-dessus qu'on aurait juré qu'elles ne voyaient que cela, cette nuit-là.


                                                                                          Luigi Pirandello
                                                                         ( première parution dans Penombra 1917 )
                                                                               
           


        


mardi 24 avril 2012

Natures mortes au Vatican Michèle Barrière ( policier France )

NATURES MORTES AU VATICANNatures mortes au Vatican
                                                                         Roman noir et gastronomique en Italie
                                                                                        à la Renaissance

            En ce temps-là bien manger, bien vivre, bien cuisiner, le tout dans la joie étaient dangereux. Scappi est cuisinier d'un pape très peu désireux d'agapes et qui réduisait chaque jour le nombre de plats, à la grande tristesse de Bartolomeo qui se consolait en compilant dans un livre mille recettes. Son titre, Opéra.
Son secrétaire n'était autre que François Savoisy, arrivé à Rome pour fuir ses mésaventures françaises ( voir précédent volume ). Mais François bon vivant fréquentait des peintres, des dessinateurs et les belles romaines. Il était aussi bavard. Invité à se présenter devant le cardinal de Granvelle proche de l'Inquisition. Interrogé sur ses activités François se laissa aller et dévoila le titre et l'état d'avancement du volume. François ignorait que le Cardinal était un grand collectionneur ce dernier exigea que lui soit remis le manuscrit qui serait parrainé par son maître à lui Philippe d'Espagne. Menacé de mort François participait cependant aux fêtes parfois sanglantes. Puis il apprit que le peintre Arcimboldo était à Rome et choisissait des oeuvres d'art pour l'empereur Maximilien et son fils Rodolphe " dévoreur d'objets précieux ". Le peintre officiel à la cour des Habsbourg un jour disparut.
Entre l'enquête et les recettes - fèves au safran - pigeons à la sauge - purée de carottes et de coings - rôti de thon farci au thon etc... environ 25 recettes en fin d'ouvrage - l'auteur nous raconte l'histoire, la vraie, et c'est agréable. Nombre de personnages ont vraiment vécu tels Scappi, Arcimboldo... Une courte visite à Naples qui fut espagnole. 1570 la campagne italienne est couverte d'arbres fruitiers, d'herbes et de légumes prêts à combler les voyageurs. Se distraire en apprenant, agréable.
                                                                        

lundi 23 avril 2012

Lettres à Madeleine 32 Apollinaire



HEBE par Carrier Belleuse

            ( Longues Lettres les 7 et 8 octobre. Apollinaire lui fait part de sa tristesse à l'annonce de la mort de Rémy de Gourmont "... qui était mon ami et m'avait amené au Mercure. C'est un grand esprit qui disparaît. Ses jugements allaient parfois de travers quand l'intérêt lui dictait mais au reste c'était un puits de connaissances littéraires et qui sait même biologiques. Défiguré par la lèpre ( disait-on, en tout cas il avait la face violette et comme brûlée ) il était persécuté par les Choses de l'amour et en parlait beaucoup - il y avait en lui de l'esprit de Pierre Bayle du dictionnaire, cet homme chaste qui écrivit pour réclamer le droit aux écrivains d'écrire des obscénités sans être pour cela appelés corrupteurs... et lui parle surtout de son amour de ses désirs et la voit comme Hébé. Son côté pratique revient... ici les allumettes sont rares.  On se sert de boîtes d'allumettes pr les envois parce qu'on n'a pas d'autres boîtes... Notre sotte diplomatie a laissé s'accomplir aux Balkans une comédie qui allonge la guerre, qui peut dire de combien... cette lettre s'achève sur un poème triste Plainte. )

                                                Lettre à Madeleine

                                                                                                                   9 8bre 1915

            Ci-inclus dix francs pour le contenu le couteau, les ciseaux, la lime.

            Mon amour adoré, Madeleine ma chère extase, Madelon mes délices. Roselys de toute pureté et de
toute volupté. Tu ne me dis pas ce qu'est, ce que fait la jeune femme à qui tu donnes des leçons - J'ai reçu les trois lettres du 31 8bre du 1er et du 2. Je les aime beaucoup. Toutefois, tu redeviens excessivement pudique avec moi et je veux que tu perdes cela avec moi complètement quitte à le redevenir sur mon ordre quand je jugerai que tu m'appartiens non seulement corps et âme comme tu m'appartiens mais même dans l'impondérable subtilité de tout ton être. Jµe veux que tu sois avec moi impudique comme la femelle avec le mâle, de même que je veux que ton esprit s'élève avec le mien aux plus hautes conceptions esthétiques, métaphysiques, religieuses et morales. Je veux que nous ne fassions qu'un et si ton cerveau m'obéit, si ton corps le fait aussi il y a encore des régions obscures de ton être où tu n'es pas devenue tout à fait ma Madeleine. Ta pudicité doit grandir et devenir infiniment farouche à l'égard de tout ce qui n'est pas moi elle doit au contraire tomber complètement ardemment devant moi; Pour l'exprimer en-dehors des actes il n'y a que les mots et le verbe situe donne une réalité à l'acte, c'est pourquoi le verbe est si important. Peu de gens se sont aimés ou ceux qui l'ont fait, ont agi illégitimement et dans le vice. Il importe que deux esprits comme nous agissent dans la vertu mais d'une façon aussi complète aussi passionnée que ceux qui sont dans le vice. Lis la vie des grandes Saintes et vois comme l'amour divin qui les enflamme leur faisait perdre toute pudicité. Ce n'était pas vice, c'était vertu et combien il faut plaindre ceux qui trouvent à redire à l'admirable passion qui palpite impudiquement dans les oeuvres de Ste Thérèse d' Avila. Je te préviendrai quand il faudra de nouveau être pudique tout ton esprit étant devenu mien ainsi que le consentement ainsi que le consentement de ton corps avant que j'aie son don véritable ô mon amour - Ce n'est pas la panthère que je préfère en toi je t'aime toute ma Roselys mais c'est la panthère que je veux connaître entièrement avec tout ce qui peut éveiller en elle l'amour qui se dévoile devant ses yeux. Pendant quelques jours, j'ai senti ton effort il se relâche maintenant. Encore un effort mon esclave ! et ferme à jamais l'admirable chaîne de mes sens à l'adorable enchaînements des tiens.
                                                      
Mais c'est de toi qu'il faut parler pour me montrer la profondeur de tes possibilités sensuelles. Je sais que tu es ardente. Je veux savoir combien par toute ton imagination dévoilée sans restriction de façon à ce que ton corps m'appartienne magnifiquement comme un champ fertile où je puisse moissonner. J'aime tes airs de volupté. Ils sont certainement de toi car je ne t'en ai pas parlé et me livrent une partie de ta vraie nature,ma Madeleine adorée. Il est vrai que nous nous aimerons magnifiquement. Il est vrai que tu es moi et que je te donne toutes tes pensées, n'oublies pas que tu dois me donner toutes les miennes et que je serai toi aussi complètement que tu seras moi. Remarque bien que je ne fais pas de reproche parce que je sais bien que tu m'appartiens de plus en plus mais j'ai remarqué que tu es un peu moins charnelle sans l'avoir encore été complètement  et que je veux pénétrer entièrement ta puissance charnelle et qu'il y a comme un retour de pudeur à mon égard dans ces restrictions verbales dont je ne veux pas. Tu es à moi comme une femelle à son mâle et je veux toute ton impudeur tout ton désordre toute ta folie, je veux pouvoir faire de toi ce que je veux sans que jamais tu te sentes avilie les mots non plus ne doivent pas t'avilir ils nous appartiennent mais le reste du monde n'a plus droit qu'à notre mépris amusé et à notre majesté cruelle. Songe que ce n'est pas pour rien que je t'ai dit que s'il me plaît je veux pouvoir fouailler ta chair, je veux que ma domination sur toi soit entière et que la schlague même si je te la donnais ne te rende que plus voluptueuse. Tu penses bien que je n'ai pas l'intention de te brutaliser, tu le penses bien, j'ai pour toi l'amour le plus tendre et je t'admire en ta beauté en ton esprit en tout toi, je t'aime plus que moi. Aussi je te veux à moi absolument. Ma Madeleine adorée, tu me donnes bien de la joie par les sensations fortes et subtiles que tu décris si admirablement. Tu m'aimes comme je veux et souffre, amour, que je réchauffe encore par mon autorité violente l'ardeur infinie de notre amour. Oui je suis aussi ta chose, mais toi tu es ardemment, infiniment, follement pas modiquement mon esclave. Je peux déchirer ta peau si je veux, zébrer de coups tes jambes et ta croupe de Bacchante et tu m'adores comme une idole adorablement cruelle. Et si je veux je peux te baigner avec une caresse infinie dans un fleuve de baume plus doux que tous les paradis. Après tout j'aime mieux que tu aies peu lu d'auteurs modernes. C'est moi qui te ferai lire. D'ailleurs moi aussi j'ai peu lu d'auteurs modernes. Je t'adore. Tu es exquise, tu es mon amour que j'adore et je mange ton ventre sucré comme un rayon de miel. Tu m'honores infiniment en me comparant à Racine. Pour toi il n'y a pas de femme à qui tu sois comparable tu es sans rivale. C'est curieux je trouve Bordeaux malsain  ( le peu que j'en ai lu ) c'est médiocre et jésuitiquement sensuel et vicieux, pouah ! Je te montrerai comment et tu comprendras bien toi qui es saine et honnête.Ton jugement sur Richepin est juste, j'ai lu La Mer aussi amplification de rhétoriqueur sur le thème marin. Cependant tu as gardé ton naturel à cause de ta famille exquise d'âme d'après ce que j'en sais, mon amour. Ce que tu m'as raconté des travaux de ton papa et de la grâce de ta maman m'a ravi. La fermeté de ton corps est une merveilleuse qualité de ta belle jeunesse. Je t'adore et te dévore toute. Oui l'hymen est une membrane, mais je ne sais pas si ça ressemble au tympan car je ne suis pas bien fort sur l'anatomie. Je ne sais pas de quel autre sang tu parles. Je ferai couler la première fois le sang de la déchirure, oh pas beaucoup et aussi l'humide radical de ta jouissance dont l'épanchement se renouvellera à chaque volupté. J'adore ton odeur exquise. La caresse secrète de la 9è porte te trouble violemment et je t'adore d'avoir honte, amour, et je comprends que ton trouble le plus précis soit celui de notre baiser parce que tu l'imagines plus facilement. Oui, c'est merveilleux que tu apprennes tout de moi. Je t'adore pour ta douceur exquise et j'adore ton baiser sur mon être intime jusqu'à ce que je te désires follement. Je comprends bien qu'il ait fallu du temps pour que tu comprennes et encore maintenant tu ne peux pas tout comprendre entièrement mais cela se précisera peu à peu. Tu as raison les pratiques solitaires sont vicieuses et il faut les éviter autant que possible. Nos filles seront élevées sainement et ne seront pas pensionnaires. Tu as bien raison de tout me dire, amour, et tu penses bien que je ne pense pas à ta petite aventure de train. Oui, j'adorerais que tu sois mon professeur d'amour que tu inventes, que nous inventons tous deux. Je te donne la caresse de ma langue qui te fait évanouir et après mes caresses, j'irai me reposer sur ton sein. J'aime comme tu me piges et tu me comprends merveilleusement ma Madeleine adorée, viens que je te donne l'étreinte profonde qui te fait vibrer comme un violon de Crémone.
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            Oui le hargneux auteur du Racine ignoré, s'appelait Masson Forestier, j'ai même écrit un article contre lui dans l'Intransigeant ; il est mort il y a environ deux ans. Oui il y a une merveilleuse poésie si loin de la poésie conventionnelle dans l'amour exquis qui est le nôtre. Je suis content que tu veuilles être une jolie maman, je suis passionnément heureux que tu aies le bassin large et non pas vilainement étroit comme beaucoup de Parisiennes qui ne peuvent supporter l'amour. Toi, tu répondras superbement à mes étreintes et je t'adore ma lionne, ma chère impératrice. Je t'adore. Je prends tes dents ta langue et tout toi. Dis amour parfois, l'hiver on fera un grand feu, on brûleras de l'encens et du benjoin et toutes portes closes on s'aimera à la folie, nu et nue dans la lumière dont tu parles en lisant des vers pr se reposer en buvant des liqueurs douces en mangeant des fruits. Ce sera une grande fête à notre cour et non seulement nous nous aimerons divinement, mais encore nous deviserons adorablement. Je t'adore et je prends ta bouche en te serrant adorablement  contre moi et je mets un baiser sur la touffe exquise de ta toison.

                                                                                                                          Gui
                     ( à suivre ) .........



samedi 21 avril 2012

Pensées d'hier pour aujourd'hui La Bruyère La Rochefoucauld et les autres



                 HUGO                      Choses vues (  extraits )

                                                                                                             Avril 1849

            Tout se heurte et se mêle dans l'étrange moment que nous traversons. Le haut et le bas de la société
demandent aident à la fois. De là des rencontres inouïes des personnes les plus diverses frappant aux mêmes
portes. L'autre matin j'ai reçu dans l'espace de deux heures M Taylor, qui est réduit à vendre ses livres et qui demande la direction du Théâtre-Français, Alphonse Esquiros qui se cache étant poursuivi comme insurgé de Juin et qui venait me demander si je pensais qu'il dût se présenter au conseil de guerre, Mlle Georges, qui est sans pain et qui sollicite une pension, M. l'amiral de Mackau qui est inquiété dans son bâton de maréchal de France, et Vidocq, qui venait me remercier d'avoir aidé à son élargissement dans l'affaire Valançay.


                                                                 °°°°°°°°


                                                                                                            Avril 1849

            Un matin, au milieu de la tranquillité en apparence la plus profonde, Paris apprenait en s'éveillant que les troupes étaient restées sur pied toute la nuit dans les casernes avec ordre de se tenir prêtes à marcher  deux heures du matin.
            Un jour, vers la mi-avril Hello rencontrait Gouache, ancien rédacteur en chef de la Réforme. C'était
rue de Tournon, près du logis de Ledru-Rollin.
            " Hé bien, disait Gouache, cette fois ça va.
            - Quoi ?
            - La bataille.
            - Quand ?
            - Vous verrez.
            - Est-ce sûr ?
            - C'est décidé. Je viens d'en prévenir Ledru.
            - D'ici à deux ou trois mois ?
            - D'ici à quinze jours.
            - Et pourquoi ?
            - Nous ne voulons pas des élections. Nous aimons mieux nous battre dans la rue que dans une boîte
            - Et que ferez-vous ?
            - Ceci, je ne le dis pas. Pour le reste, quant à la résolution prise, je vous recommande l'indiscrétion. Je le dirais à Rébillot lui-même.
            - Combien êtes-vous ?
            - Soixante mille.
            - Mais enfin sera-ce des barricades, la nuit ? Sera-ce le massacre à domicile ? Sera-ce l'incendie ?
            - Tout ce que je puis vous dire " c'est que juin sera une farce."
            Voilà au milieu de quelles anxiétés nous vivions.


                                                                                                   Victor Hugo
           

                                                                                                           

vendredi 20 avril 2012

Pensées d'hier pour aujourd'hui La Bruyère La Rochefoucauld et les autres



Oiseau d'Ego  Guiotto

                                                                                                       13 octobre 1915
                                                                                                         journal

                                Pour moi, le grand mal c'est de vivre en société. Le mensonge est une nécessité sociale.
                               On ne peut pas être soi au milieu des hommes. Ils vous engagent, vous enrégimentent,
                               vous solidarisent, mettent la main sur votre liberté intérieure et extérieure. Toutes les
                               institutions font main basse sur le moi humain.


                                                                          °°°°°°°

                                                                                                        17 avril 1928
                                                                                                            journal

                              Qu'est-ce que le parti radical ? Qu'est-ce qu'un socialiste ? Qu'est-ce que le
                              communisme ? Qu'est-ce que le collectivisme ? J'ai trop vécu en-dehors des
                              questions politiques et sociales, très différent en cela des romantiques que
                              j'aimais. Sand, Hugo, Lamennais. Goethe lui n'a pas l'air de se soucier de la
                              politique. Radicalisme, " socialisme précisé " dit Herriot. Dans tout cela je sens
                              le besoin de changer, de bouleverser ce qui existe. On est mécontent de la
                              planète, de la situation qu'on y occupe, du pain qu'on y mange.


                                                                                       
                                                                                               Abbé Mugnier
                              

                           


                                                                                                                                               
  

                                                                                                                                                                                 

Le galant Tireur Baudelaire ( le spleen de paris )

     Le galant Tireur


            Comme la voiture traversait le bois, il la fit arrêter dans le voisinage d'un tir, disant qu'il lui serait agréable de tirer quelques balles pour tuer le Temps. Tuer ce monstre-là, n'est-ce pas l'occupation la plus ordinaire et la plus légitime de chacun ? - Et il offrit galamment la main à sa chère, délicieuse et exécrable femme, à cette mystérieuse femme à laquelle il doit tant de plaisirs, tant de douleurs et peut-être aussi une grande partie de son génie.
            Plusieurs balles frappèrent loin du but proposé ; l'une d'elles s'enfonça même dans le plafond ; et comme la charmante créature riait follement, se moquant de la maladresse de son époux, celui-ci se tourna brusquement vers elle et lui dit : " Observez cette poupée, là-bas, à droite, qui porte le nez en l'air et qui a la mine si hautaine. Eh bien ! cher ange, je me figure que c'est vous. " Et il ferma les yeux, et il lâcha la détente. La poupée fut nettement décapitée.
             Alors s'inclinant vers sa chère, sa délicieuse, son exécrable femme, son inévitable et impitoyable Muse, et lui baisant respectueusement la main , il ajouta : " Ah! mon cher ange, combien je vous remercie de mon adresse ! "


                                                                              
                                                                                               Charles Baudelaire

jeudi 19 avril 2012

Pensées d'hier pour aujourd'hui La Bruyère La Rochefoucauld et les autres



Epictète ( 50- 125/130 ? )

                                           Quelqu'un t'a été préféré dans un festin, dans un conseil, dans une visite. Si ce sont là des biens, tu dois te réjouir de ce qu'ils sont arrivés à ton prochain. Et si ce sont des maux, ne t'afflige point de ce que tu en es exempt. Mais souviens-toi que, ne faisant pas, pour obtenir les choses qui
ne dépendent point de nous, les démarches que font ceux qui les obtiennent, il est impossible que tu en sois également partagé. Car comment celui qui ne va jamais à la porte d'un grand seigneur en sera-t-il aussi bien traité que celui qui y est tous les jours ? Celui qui ne l'accompagne point quand il sort, que celui qui l'accompagne ? Celui qui ne le flatte ni ne le loue, que celui qui ne cesse de le flatter et de le louer ? Tu es donc injuste et insatiable si, ne donnant point les choses avec lesquelles on achète toutes ces faveurs, tu veux les avoir pour rien. combien vend-on les laitues au marché ? Une obole. Si donc ton voisin donne une obole et emporte sa laitue, et que toi, ne donnant point ton obole, tu t'en retournes sans laitue, ne t'imagine point avoir moins que lui ; s'il a sa laitue toi tu as ton obole, que tu n'as pas donnée. Il en est de même ici. Tu n'as pas été invité à un festin ? C'est que tu n'as pas payé au mâître du festin le prix auquel il le vend. Ce prix c'est une louange, une visite, une complaisance, une dépendance. Donne donc le prix, si la chose t'accommode. Mais si sans donner le prix tu veux avoir la marchandise tu es insatiable et injuste. N'as-tu donc rien qui puisse tenir la place de ce festin où tu n'as point été ? Tu as certainement quelque chose qui vaut mieux que le festin, c'est de n'avoir pas loué celui que tu n'aurais pas voulu louer et de n'avoir pas souffert à sa porte son orgueil et son insolence.


                                                                     °°°°°°

                                         S'il y a un art de bien parler il y a aussi un art de bien entendre.



                                                                                               Epictète
                                                                                               ( Maximes )
            

Le souhait contrarié ( fabliau )

 Le souhait contrarié

            Je vais vous dire en quelques mots une aventure que je sais, car on me l'a contée à Douai, celle d'une femme et d'un homme, une femme honnête. Quel était leur nom, je l'ignore ; mais je puis bien vous affirmer qu'ils s'aimaient beaucoup l'un et l'autre. Le prudhomme un jour s'en alla hors du pays pour son commerce ; il acheta des marchandises et fut trois mois loin de sa terre. Ne supposez pas que sa femme fut chagrinée de le revoir. Elle fit fête à son seigneur, comme le voulait son devoir, et n'eut jamais de joie plus grande. L'ayant étreint et embrassé, pour qu'il soit à l'aise elle avance un siège bas et confortable. Un repas était préparé ; quand bon leur sembla ils mangèrent sur un coussin devant le feu qui était clair et sans fumée et qui brillait d'un vif éclat. On leur servit viande et poisson, et vin d'Auxerre et de Soissons, bonne chère sur nappe blanche. La dame apportait tous ses soins à gâter son seigneur et maître, lui donnant les meilleurs morceaux, lui versant, à chaque bouchée du vin pour lui être agréable. Elle avait un très grand désir de tout faire selon son gré car elle attendait la pareille et comptait sur la récompense. Mais elle fut mal avisée : elle le poussa tant à boire qu'il fut assommé par le vin et quand il vint se mettre au lit il oublia l'autre plaisir. Sa femme ne l'oubliait pas en allant se coucher vers lui. Inutile de l'inviter : elle était prête à la besogne. Lui n'avait cure de sa femme qui eût bien attendu un peu sans dormir pour goûter au jeu. N la croyez pas enchantée de voir son mari endormi. " Ah ! comme il se conduit ! dit-elle ; on croirait un vilain puant. Il devrait veiller et il dort ! Cela me fait beaucoup de peine, car il y a trois mois déjà que je n'ai couché avec lui. Mais les diables l'ont endormi ; je le leur laisse de bon coeur. " Et sans en dire davantage, elle pense à ce qui l'excite, se gardant bien de le secouer pour le tirer de son sommeil : il la croirait dévergondée ! Elle finit par renoncer au désir qu'elle avait de lui et s'endort pleine de dépit.
            En dormant elle fit un rêve que je vous dirai sans mensonge. elle était dans un grand marché comme on n'en vit jamais de te. Il n'y avait étal ni aune, ni baraque ni magasin ni table où l'on vendît fourrures, toile de lin, tissus de laine, alun, brasil ou cochenille ou autre denrée, croyait-elle. On ne vendait que vits et couilles : il y en avait à foison. Les boutiques en étaient pleines et les chambres et les greniers. Sans cesse arrivaient des porteurs avec chariots chargés de vits. Ils avaient beau être nombreux, ils n'étaient pas venus pour rien, car chacun vendait bien les siens. Un beau vit valait trente sous, et vingt sous un vit bien tourné. On offrait vits pour pauvres gens ; ils en emportaient un petit pour dix sous, pour neuf ou pour huit. On vendait en gros, en détail. La dame a regardé& partout et s'est donné beaucoup de peine. En arrivant près d'un étal, elle en vit un long et dodu, gros par-derrière et gros partout. Le museau en était énorme et pour dire la vérité on pouvait lui jeter dans l'oeil une cerise de plein vol sans que rien ne vînt l'arrêter et sans qu'elle n'allât tout droit au fond du sac qui était tel que la palette d'une pelle ; jamais on n'en vit de pareil. La dame, voulant marchander, demanda le prix au vendeur : " Même si vous étiez ma soeur, j'en voudrais pour le moins deux marcs. Il est loin d'être méprisable, car c'est le meilleur de Lorraine, excellent pour la mise en perce. Prenez-le donc, je vous en prie, et, ce faisant, vous serez sage. - A quoi bon de longs marchandages ? Si vous estimez n'y rien perdre, j'en donnerai cinquante sous. Jamais vous n'en n'aurez autant ; J'ajoute le denier à Dieu, afin que Dieu m'en donne joie. - C'est un cadeau que je vous fais ; je ne veux rien vous refuser et je suis sûr qu'un jour prochain, quand vous en aurez fait l'essai, vous viendrez pour m'en reparler. J'espère qu'en reconnaissance vous direz encore pour moi beaucoup d'oraisons et de psaumes. " La dame alors lève la main et l'abat de toute sa force , pensant lui frapper dans la paume, mais cinglant la joue de son mari où les cinq doigts restent écrits. Le coup le secoue et le cuit, de la barbe jusqu'à l'oreille. Voilà qu'en sursaut il s'éveille ; la dame s'éveille à son tour ; elle eût bien dormi plus longtemps car son plaisir se tourne en peine : elle dit adieu à la joie dont elle était maîtresse en rêve.
            " Soeur, lui demande son mari, dites-moi à quoi vous pensiez pour m'avoir donné un tel coup. Dormiez-vous ? Ne dormiez-vous pas ? - Je ne vous ai pas frappé, sire ; gardez-vous bien de le prétendre. - Par notre amour et sans querelle, par la foi que vous me devez, dites-moi à quoi vous rêviez et ne dissimulez rien. " Sans attendre, sachez-le bien, elle commence son histoire et très volontiers lui raconte - ou volontiers ou malgré elle - comment elle rêva aux vits, comme ils étaient mauvais et bons, comment elle acheta le sien, le plus gros et le mieux rempli, cinquante sous et un denier. " Sire, voilà ce qu'il advint. Il fallait toper pour conclure ; je pensais frapper dans la main : c'est votre joue que j'ai frappée. J'ai agi en femme endormie ; ne vous mettez pas en colère si j'ai commis une folie ; je suis coupable, je le sais, et vous prie de me pardonner. - Je vous pardonne, belle soeur, et que Dieu vous pardonne aussi. " Il lui saute au cou et l'embrasse ; il lui baise sa bouche tendre et son vit commence à se tendre, car elle l'échauffe et l'enchante. Il le lui planta dans la main ; quand il fut à peu près à point : " Dieu vous accorde son amour ! Par la foi que vous me devez, soeur, qu'aurait valu à la foire celui que vous avez en main ? - Sire, puissé-je voir demain, qui en aurait eu un plein coffre de pareils n'eût jamais trouvé personne pour lui faire une offre ou lui donner un peu d'argent. Même les vits des pauvres gens étaient tels qu'un seul en vaudrait au moins deux comme celui-ci. Personne, de près ni de loin, ne lui eut jeté un coup d'oeil. - Soeur, lui répondit-il, peu importe ; prends celui-ci, laisse les autres avant qu'on puisse trouver mieux. " Ainsi fit-elle, ce me semble, et c'est fort agréablement qu'ils passèrent la nuit ensemble.
            Le mari était un bavard ; il raconta partout l'histoire si bien que l'apprit Jean Bodel, qui compte des fabliaux ; cette histoire lui parut bonne : il la mit à son répertoire.


                                                                                                        Jean Bodel  ( in fabliaux )      

lundi 16 avril 2012

Lettres à Madeleine 31 Apollinaire

Giambattista Basile.jpg
Basile Giambattista                      Lettre à Madeleine
                                           (lettre écrite sur une feuille d'emballage du Mercure de France )

                                                                                                                 6bre 1915
           
            On parle mon amour de partir demain on n'irait pas loin. Comme on vient de rentrer à notre ancien corps d'armée , on garderait peut-être le secteur 138 que nous avons réintégré. Mais tout ça n'est pas sûr. Avant tout pardonne-moi d'avoir trouvé quelque chose à redire à tes lettres d'hier exquises. Mais j'étais si mal disposé à ce moment que ta retenue me blessait comme une défection et pourtant tes lettres étaient merveilleuses. Je t'envoie les vers que j'ai faits après t'avoir écrit et ils te donneront la mesure de mon état splénétique d'hier soir. Aujourd'hui beaucoup travaillé, attaque dit-on demain, après quoi j'espère bien qu'on ira prendre position au-delà des lignes boches - Aujourd'hui ta lettre du 29 est venue me faire plaisir. Parmi les bagues d'un des paquets je ne sais lequel, tu as dû trouver une bague faite avec un clou de maréchal j'y tiens - t'en ai-je parlé ? - Tu peux porter les bagues que tu veux . Renvoie-moi la mesure de ton annulaire. Je vais tenter de faire deux alliances de fiançailles en aluminium boche, je t'enverrai les deux et tu embrasseras celle que tu me renverras. C'est aujourd'hui ta première lettre me parlant des communiqués auxquels j'ai participé, mon amour, comme combattant. J'ai vu une image annonçant que les habitants d'un village près duquel nous sommes - tu as dû maintenant en voir les photos - était de nouveau habité. Je me demande par qui et où on a photographié les paysannes. C'est sur la ligne de feu et c'est se moquer du public que lui raconter de telles balivernes. D'ailleurs il n'y a plus de maisons - Ton second encrier revenu hier parce que trop lourd est reparti aujourd'hui - s'il revient j'y renonce - S'il est parti je t'enverrai demain d'une part son couvercle et de l'autre 2 chargeurs vidés de leur poudre et complètement inoffensifs car la capsule a été tirée - une boucle de ceinturon complète ( en 2 morceaux ) avec Gott mit uns et un morceau de pain de soldat boche on appelle ça du Pumpernikel - ce n'est pas le pain K.K. qu'en Bochie on appelle je crois d'ailleurs du pain Kappa - Tu me dis être heureuse que je trouve tes lettres jolies. Elles sont plus que jolies et tu as bien du talent outre l'amour que tu y mets - Il y a peu d'écrivains actuels qui écrivent mieux que toi, mon amour. A ce propos, il y a un recueil de contes de fées - le Pentaméron de Basile ( 16è siècle je crois ) écrit en dialecte napolitain. J'aurais voulu le traduire. J'en ai une édition, mais cela dépasse ma science linguistique et ne vaut pas la peine ( comme gain ) d'une étude approfondie de l'ancien dialecte parthénopéen. Cependant il a été traduit en anglais, une édition illustrée pr la jeunesse, que j'ai vue je ne sais plus où. Si tu avais le temps tu le traduirais, ça t'exercerait en ton anglais et je le remettrais au point au moyen de ma rare édition ancienne de l'original. J'aime beaucoup les contes de fées. Enfant Perrault fut ( avec Robinson et Racine ) ma principale lecture. Les contes de Perrault sont pleins d'anciennes vérités mythiques venues d'Asie par tradition. Or Naples ou Parthénope est un des lieux de passage de ces fables d'où le très grand intérêt du Pantaméron de Basile qui n'a jamais été traduit en français - On m'a dit que Lucie Felix-Faure Goyau en parlait dans un ouvrage qu'elle a fait sur les conte de fées, mais je n'ai pas lu ce livre et ne sais ce qu'elle dit à propos du Pantaméron - Ma chérie, tu es ma mignonne et j'ai été délicieusement troublé par tout ce que tu me dis de ton amour et aussi par l'allusion que tu fais d'hoirs à naître, ô mon amour. Je baise ton giron et tes seins. Ce que tu me dis du voyage de Nice m'a aussi troublé et j'en ai été bien heureux aussi. Il est certain que ma volonté t'avait envoûtée dès le premier regard que je t'eus jeté. Je savais bien que tu serais mienne. Je t'ai follement désirée sans penser à des désirs physiques certes, mais dans ces hautes régions du désir, le physique et le spirituel ne se séparent point, ils ne font qu'un.
            On ne reparle plus de permission de notre côté et j'imagine qu'on n'en aura pas de sitôt du moins par ici - A partir d'aujourd'hui je t'enverrai des poèmes que je te prierai de me recopier quand il y en aura assez et me les renvoyer pour que je les donne à une revue. Je prends ta bouche je sens ton corps enroulé à moi, tes jambes m'enlacent dans la plus pure des ( ..... ? ), ta croupe s'agite de désirs fous - Je prends ta bouche ma langue la parcourt, tes belles touchent les miennes. Je baise ta bouche, mon amour.
                                                                                                                                                                         
                     

                                                                      
                                                                            DÉSIR

                                     Mon désir est la région qui est devant moi
                                     Derrière les lignes boches
                                     Mon désir est aussi derrière moi
                                     Après la zone des armées
                                                                            °°
                                     Mon désir c'est la butte de Tahure
                                     Mon désir est là sur quoi je tire
                                     De mon désir qui est au-delà de la zone des armées
                                     Je n'en parle pas aujourd'hui mais j'y pense
                                                                             °°
                                     Butte de Tahure je t'imagine en vain
                                     Des fils de fer, des mitrailleuses, des Boches trop sûrs d'eux
                                     Trop enfoncés sous terre déjà enterrés
                                                                              °°
                                    Ca ta clac, des coups qui meurent en s'éloignant
                                                                              °°
                                    En y veillant tard dans la nuit
                                    La decauville qui toussote
                                    La tôle ondulée sous la pluie
                                    Et sous la pluie ma bourguignote
                                                                              °°
                                    Entends la terre véhémente
                                    Vois les lueurs avant d'entendre les coups
                                    Et tel obus siffler de la démence
                                    Ou le tac tac tac monotone et bref plein de dégoût.
                                                                               °°
                                    Je te vois Main de Massiges
                                    Si décharnée sur la carte
                                                                              °°
                                    Le boyau Goethe où j'ai tiré
                                    J'ai tiré même sur le boyau Nietzsche
                                    Décidément je ne respecte aucune gloire
                                                                               °°
                                    Nuit violente et violette et sombre et pleine d'or par moments
                                    Nuit des hommes seulement
                                    Nuit du 24 septembre 1915
                                    Demain l'assaut
                                    Nuit violente, ô nuit dont l'épouvantable cri profond devenait
                                             plus intense de minute en minute
                                    Nuit des hommes seulement
                                    Nuit qui criait comme une femme qui accouche.

                                                                                                                        Gui
                                                                    


dimanche 15 avril 2012

Pensées d'hier pour aujourd'hui La Bruyère La Rochefoucauld et les autres

 
     

                                                                                                  7 juin 1912

            Chez Madame Germain, on a parlé du mauvais effet moral produit par ces ventes de tableaux
             qui atteignent des prix fous. Empêchez donc, après cela, l'impôt sur le revenu.

                                                                    ====      
                                                             20 juin 1914
Cocteau par Marie Laurencin

            Vu Jean Cocteau qui m'a fait des confidences. Il aimait une jeune fille de vingt ans qui vient de mourir
             Elle avait essayer en venant à lui d'oublier une autre affection. Et il s'est trouvé que cette dernière
            s'est réveillée plus forte. Elle était Américaine. Il ne peut pas l'oublier. Il porte en lui son visage.
Il a  donc     
             éprouvé ce premier chagrin. Il en a éprouvé un second. Un ami sur lequel il comptait pour le soutenir
             dans cette épreuve a invoqué des excuses pour ne pas venir, au moment même où l'on avait besoin
             de lui. Et Cocteau de citer le mot de Michelet sur la paonne qui appelle le paon et celui-ci arrive du
             bout du monde.
                       Cocteau ne peut pas pleurer. Il boit ses larmes. Cette jeune fille ne voulait pas qu'on pleurât.
             Il a pris d'elle cette habitude qui lui pèse maintenant. Il me parlait de la solitude où il se trouve. On
             vient à lui et on ne reste pas. Il m'a dit des mots charmants. Je cite : " On voudrait s'ouvrir aux
             êtres, comme une grenade." Et moi je lui disais l'impossibilité de la chose. " Il n'y a que le désir,
             ajoutai-je, parce que dans le désir, il n'y a que soi tandis que dans la possession, on est deux.
             C'est le pluriel qui est l'obstacle.


                                                                                            Abbé Mugnier