Basile Giambattista Lettre à Madeleine
(lettre écrite sur une feuille d'emballage du Mercure de France )
6bre 1915
On parle mon amour de partir demain on n'irait pas loin. Comme on vient de rentrer à notre ancien corps d'armée , on garderait peut-être le secteur 138 que nous avons réintégré. Mais tout ça n'est pas sûr. Avant tout pardonne-moi d'avoir trouvé quelque chose à redire à tes lettres d'hier exquises. Mais j'étais si mal disposé à ce moment que ta retenue me blessait comme une défection et pourtant tes lettres étaient merveilleuses. Je t'envoie les vers que j'ai faits après t'avoir écrit et ils te donneront la mesure de mon état splénétique d'hier soir. Aujourd'hui beaucoup travaillé, attaque dit-on demain, après quoi j'espère bien qu'on ira prendre position au-delà des lignes boches - Aujourd'hui ta lettre du 29 est venue me faire plaisir. Parmi les bagues d'un des paquets je ne sais lequel, tu as dû trouver une bague faite avec un clou de maréchal j'y tiens - t'en ai-je parlé ? - Tu peux porter les bagues que tu veux . Renvoie-moi la mesure de ton annulaire. Je vais tenter de faire deux alliances de fiançailles en aluminium boche, je t'enverrai les deux et tu embrasseras celle que tu me renverras. C'est aujourd'hui ta première lettre me parlant des communiqués auxquels j'ai participé, mon amour, comme combattant. J'ai vu une image annonçant que les habitants d'un village près duquel nous sommes - tu as dû maintenant en voir les photos - était de nouveau habité. Je me demande par qui et où on a photographié les paysannes. C'est sur la ligne de feu et c'est se moquer du public que lui raconter de telles balivernes. D'ailleurs il n'y a plus de maisons - Ton second encrier revenu hier parce que trop lourd est reparti aujourd'hui - s'il revient j'y renonce - S'il est parti je t'enverrai demain d'une part son couvercle et de l'autre 2 chargeurs vidés de leur poudre et complètement inoffensifs car la capsule a été tirée - une boucle de ceinturon complète ( en 2 morceaux ) avec Gott mit uns et un morceau de pain de soldat boche on appelle ça du Pumpernikel - ce n'est pas le pain K.K. qu'en Bochie on appelle je crois d'ailleurs du pain Kappa - Tu me dis être heureuse que je trouve tes lettres jolies. Elles sont plus que jolies et tu as bien du talent outre l'amour que tu y mets - Il y a peu d'écrivains actuels qui écrivent mieux que toi, mon amour. A ce propos, il y a un recueil de contes de fées - le Pentaméron de Basile ( 16è siècle je crois ) écrit en dialecte napolitain. J'aurais voulu le traduire. J'en ai une édition, mais cela dépasse ma science linguistique et ne vaut pas la peine ( comme gain ) d'une étude approfondie de l'ancien dialecte parthénopéen. Cependant il a été traduit en anglais, une édition illustrée pr la jeunesse, que j'ai vue je ne sais plus où. Si tu avais le temps tu le traduirais, ça t'exercerait en ton anglais et je le remettrais au point au moyen de ma rare édition ancienne de l'original. J'aime beaucoup les contes de fées. Enfant Perrault fut ( avec Robinson et Racine ) ma principale lecture. Les contes de Perrault sont pleins d'anciennes vérités mythiques venues d'Asie par tradition. Or Naples ou Parthénope est un des lieux de passage de ces fables d'où le très grand intérêt du Pantaméron de Basile qui n'a jamais été traduit en français - On m'a dit que Lucie Felix-Faure Goyau en parlait dans un ouvrage qu'elle a fait sur les conte de fées, mais je n'ai pas lu ce livre et ne sais ce qu'elle dit à propos du Pantaméron - Ma chérie, tu es ma mignonne et j'ai été délicieusement troublé par tout ce que tu me dis de ton amour et aussi par l'allusion que tu fais d'hoirs à naître, ô mon amour. Je baise ton giron et tes seins. Ce que tu me dis du voyage de Nice m'a aussi troublé et j'en ai été bien heureux aussi. Il est certain que ma volonté t'avait envoûtée dès le premier regard que je t'eus jeté. Je savais bien que tu serais mienne. Je t'ai follement désirée sans penser à des désirs physiques certes, mais dans ces hautes régions du désir, le physique et le spirituel ne se séparent point, ils ne font qu'un.
On ne reparle plus de permission de notre côté et j'imagine qu'on n'en aura pas de sitôt du moins par ici - A partir d'aujourd'hui je t'enverrai des poèmes que je te prierai de me recopier quand il y en aura assez et me les renvoyer pour que je les donne à une revue. Je prends ta bouche je sens ton corps enroulé à moi, tes jambes m'enlacent dans la plus pure des ( ..... ? ), ta croupe s'agite de désirs fous - Je prends ta bouche ma langue la parcourt, tes belles touchent les miennes. Je baise ta bouche, mon amour.
DÉSIR
Mon désir est la région qui est devant moi
Derrière les lignes boches
Mon désir est aussi derrière moi
Après la zone des armées
°°
Mon désir c'est la butte de Tahure
Mon désir est là sur quoi je tire
De mon désir qui est au-delà de la zone des armées
Je n'en parle pas aujourd'hui mais j'y pense
°°
Butte de Tahure je t'imagine en vain
Des fils de fer, des mitrailleuses, des Boches trop sûrs d'eux
Trop enfoncés sous terre déjà enterrés
°°
Ca ta clac, des coups qui meurent en s'éloignant
°°
En y veillant tard dans la nuit
La decauville qui toussote
La tôle ondulée sous la pluie
Et sous la pluie ma bourguignote
°°
Entends la terre véhémente
Vois les lueurs avant d'entendre les coups
Et tel obus siffler de la démence
Ou le tac tac tac monotone et bref plein de dégoût.
°°
Je te vois Main de Massiges
Si décharnée sur la carte
°°
Le boyau Goethe où j'ai tiré
J'ai tiré même sur le boyau Nietzsche
Décidément je ne respecte aucune gloire
°°
Nuit violente et violette et sombre et pleine d'or par moments
Nuit des hommes seulement
Nuit du 24 septembre 1915
Demain l'assaut
Nuit violente, ô nuit dont l'épouvantable cri profond devenait
plus intense de minute en minute
Nuit des hommes seulement
Nuit qui criait comme une femme qui accouche.
Gui
DÉSIR
Mon désir est la région qui est devant moi
Derrière les lignes boches
Mon désir est aussi derrière moi
Après la zone des armées
°°
Mon désir c'est la butte de Tahure
Mon désir est là sur quoi je tire
De mon désir qui est au-delà de la zone des armées
Je n'en parle pas aujourd'hui mais j'y pense
°°
Butte de Tahure je t'imagine en vain
Des fils de fer, des mitrailleuses, des Boches trop sûrs d'eux
Trop enfoncés sous terre déjà enterrés
°°
Ca ta clac, des coups qui meurent en s'éloignant
°°
En y veillant tard dans la nuit
La decauville qui toussote
La tôle ondulée sous la pluie
Et sous la pluie ma bourguignote
°°
Entends la terre véhémente
Vois les lueurs avant d'entendre les coups
Et tel obus siffler de la démence
Ou le tac tac tac monotone et bref plein de dégoût.
°°
Je te vois Main de Massiges
Si décharnée sur la carte
°°
Le boyau Goethe où j'ai tiré
J'ai tiré même sur le boyau Nietzsche
Décidément je ne respecte aucune gloire
°°
Nuit violente et violette et sombre et pleine d'or par moments
Nuit des hommes seulement
Nuit du 24 septembre 1915
Demain l'assaut
Nuit violente, ô nuit dont l'épouvantable cri profond devenait
plus intense de minute en minute
Nuit des hommes seulement
Nuit qui criait comme une femme qui accouche.
Gui
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