dimanche 17 mars 2019

Anecdotes et Réflexions d'hier pour aujourd'hui 93 Samuel Pepys ( Journal Angleterre )

         
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                                                                                                                         16 mai 1663

            Levé de bonne heure inquiet et hanté par mes soupçons.
            Je mériterais d'être battu pour cela, si ma femme ne me fait pas ce que je crains d'être, d'autant plus que Dieu sait que je ne trouve pas dans mon propre coeur tant de droiture, et qu'à la moindre tentation je pourrais lui être infidèle et, par conséquent, ne devrais pas attendre d'elle plus de vertu. Mais que Dieu pardonne mon péché et ma folie !
            A mon bureau réunion toute la matinée, à midi dîner à la maison. Après retour de Pembleton. Comme j'étais de mauvaise humeur je refusai de le voir, prétextant du travail. Mais Seigneur ! avec quelle jalousie j'arpentai mon cabinet de travail, l'oreille tendue pour entendre s'ils dansaient et ce qu'ils faisaient. Nonobstant le fait, confirmé par la suite, et que je croyais vrai alors, que Miss Ashwell était avec eux. Puis un peu à mon bureau et, toujours sous l'empire de ma jalousie, je rentrai à la maison et, non que j'y prisse le moindre plaisir, mais pour cette seule raison, je montai les rejoindre pour m'exercer. Je finis d'apprendre La Duchesse et je pense qu'avec un peu d'effort je devrais très bien la danser. Puis il partit.
            Ensuite, le capitaine Cocke vint me parler de l'apparente discourtoisie dont j'aurais fait preuve à son égard lors de l'affaire de son chanvre, je l'emmenai au bureau où nous devisâmes longuement et je crois qu'il fut satisfait.
            Puis écrivis des lettres, entre autres, jusqu'à une heure avancée de la soirée, puis à la maison, souper et, au lit, l'esprit un plus en paix, car j'ai résolu d'empêcher autant que faire se peut qu'il arrive quoi que ce soit à l'avenir, puisqu'il ne sert à rien de me tourmenter pour ce qui s'est déjà passé, et dont ma propre folie avait fourni l'occasion.


                                                                                                                    17 mai
                                                                                               Jour du Seigneur
            Lever et à mon cabinet de travail toute la matinée à préparer mes grandes lettres à mon père, où je lui présente la description complète de l'état de notre domaine. Ma femme et Miss Ashwell à l'office, et après dîner elles y retournèrent et je passai tout l'après-midi à terminer le travail du matin
que j'achevai vers le soir, et devisai avec ma femme jusqu'après le souper, ensuite au lit, après une autre petite querelle. J'étais tourmenté par un accès de ma jalousie habituelle à l'endroit de son maître à danser, mais je suis bien sot de m'être emporté. Puis au lit alors qu'il faisait encore jour. J'ai un très gros rhume et je doute que je pourrai parler demain à notre réunion avec le Duc, tant je suis déjà enroué.


                                                                                                                                                   18 mai
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Portrait Of An Unidentified Young Lady de Thomas Hudson (1701-1779, United Kingdom) | Reproductions D'art Sur Toile | WahooArt.com            Lever et après avoir pris congé de sir William Batten, parti aujourd'hui pour Portsmouth - Dieu sait qu'il n'y fera pas grand-chose - pour visiter l'arsenal, retour à la maison où passai la matinée à danser. A midi, après dîner............ en fiacre à Westminster et laissai me femme chez Mrs Clarke et moi à St James. Comme le Duc a descendu le fleuve aujourd'hui avec le roi, je me rendis aux appartements de lord Sandwich où je me promenai un moment avec Mr Howe et, alors que je traversais le jardin en direction de Whitehall, le Dr Clarke et Creed me hélèrent depuis l'autre côté du jeu de boules, je les rejoignis, restai un peu avec eux et montai chez Mrs Clarke qui était en train de s'habiller pour sortir avec ma femme. Mais Seigneur ! sa plus belle pièce et les choses qui l'entourent étaient dans un si piètre état, en dépit de toutes les apparences qu'elle se donne et de toutes les manières qu'elle fait, que je vois bien qu'elle est exactement comme Mrs Pearse, contrairement à ce que je croyais, au point que cela me dégoûte et me désole de voir cela.
            Je sortis et pendant une heure Creed et moi nous promenâmes jusqu'à Whitehall puis nous entrâmes dans le parc et vîmes la reine et les dames d'honneur traverser le palais pour entrer dans le parc. Vraiment, la beauté de Mrs Stuart surpasse celle de toutes les autres, et l'on dit à présent qu'elle est une maîtresse attitrée du roi, comme l'est milady Castlemaine. Ce qui est bien regrettable.
            Pris ensuite un fiacre et passai chez Mrs Clarke pour l'emmener avec ma femme, Miss Ashwell et un Français, qui chante bien. De là à la maison nous aussi et causâmes longuement du pauvre ameublement de Mrs Clarke et de tout le bruit qu'elle fait dans le monde, et qui n'est que façade. Et je suis plus satisfait de ma propre maison et de ma façon de vivre que je ne l'ai jamais été, en voyant que je vis tellement mieux et plus richement que les autres.
            Puis souper et, au lit.


                                                                                                               19 mai

            Levé de très bonne heure, mais je remarque que de danser et d'avoir dormi un matin ou deux plus tard que d'habitude à cause de mon rhume, font qu'il m'est difficile de me lever comme à l'accoutumée ou de m'occuper de mon travail comme d'habitude.
            A mon cabinet de travail pour terminer les papiers que je dois envoyer ce soir par la poste à mon père, et en faire des copies, ce qui représentait beaucoup de travail, mais j'en vins à bout ce matin, puis à mon bureau. Me rendis ensuite à la Tour, avec sir John Mennes, où Mr Slingsby et Mr Hoare, le contrôleur de la Monnaie, nous montrèrent, du début jusqu'à la fin, comment l'on fabrique les nouvelles pièces. Cela est si admirable que je pris des notes sur chaque opération et les ai recopiées à part, afin de pouvoir m'en souvenir. Quand nous eûmes terminé, il était l'heure de dîner, et le contrôleur insista pour nous inviter à manger avec lui et ses compagnons, car le roi leur donne à dîner chaque jour. Ce fut très gai et nous devisâmes agréablement de l'affaire qui nous avait occupés. Puis nous nous rendîmes au bureau des essais où nous vîmes comme l'on essaie l'or et l'argent et comment un mélange d'or et d'argent fondus ensemble se sépare à nouveau quand on le place dans l'eau-forte, car l'argent se transforme en eau tandis que l'or reste entier dans la forme exacte qu'il avait lorsqu'il était mélangé avec l'argent, ce qui est un miracle, comme de ne pas voir la moindre trace d'argent, celui-ci s'étant changé en eau. Mais on peut l'extraire de cette eau et le rendre à sa nature première.
            Et là on m'exposa en détail tout ce qui concerne le titre des métaux, et j'ai noté ces explications à la suite de mes autres observations sur le sujet.
            A table on nous parla, entre autres, de deux fraudeurs, les meilleurs dont j'ai jamais entendu parler. La première histoire était celle d'un ouvrier dont on découvrit qu'il emportait les rognures d'argent des pièces de un et trois pence en les avalant, de sorte qu'on ne pouvait le découvrir, bien que tous les ouvriers soient bien évidemment fouillés. Mais comme ils avaient des raisons de le soupçonner, ils l'amenèrent par des menaces et des promesses à avouer, et trouvèrent en une fois pour sept livres de métal dans sa maison.
            L'autre histoire est celle d'un homme qui avait trouvé une façon de fabriquer de la monnaie aussi bonne, acceptable et de la même taille que la monnaie authentique, mais gardait 50 pour cent pour lui. Il s'était procuré des moules pour frapper des pièces imitant les vieilles pièces de quatre pence si parfaitement, et j'ai demandé qu'on m'en donnât deux que je garde comme curiosité, qu'il n'en est pas de meilleures au monde. Et elles sont aussi bonnes, ou plutôt meilleures que celles qui ont officiellement cours, et c'est là l'unique détail qui fit douter de leur authenticité, outre le nombre de ces pièces que l'homme mettait en circulation. Et quand le contrôleur de la Monnaie les eut devant lui il ne put, disais-je, trouver d'autres motifs de soupçon que leur forme d'une rondeur parfaite, ou presque, chose que moi je n'aurais jamais trouvée suspecte. Le fraudeur ne fut ni pendu ni condamné au bûcher, car on le trouva d'une merveilleuse ingéniosité, et c'était la première fois qu'on l'attrapait, de plus il n'avait quasiment lésé personne, car sa monnaie était aussi bonne que celle qui avait cours légal.
            Au bureau jusqu'au soir, réunion puis traversâmes la Tamise en barque, avec Pembleton, pour nous rendre à la taverne de la Demi-Étape, où nous jouâmes aux quilles. Et ma damnée jalousie s'embrasa, car lui et ma femme étaient du même côté et je lui vis lui prendre la main par jeu. Cependant je pense, à présent, qu'il l'a fait seulement en passant et pour s'amuser.
           Retour à la maison et, comme il était plus de 10 heures je dus accoster de l'autre côté de l'hôtel des douanes et rentrer à pied à la maison. Puis à mon bureau et, après avoir envoyé par la poste mes lettres importantes à mon père, dont je conserve des copies pour pouvoir les montrer et mieux m'en souvenir, je rentrai à la maison, souper et, au lit, car il était tard.                                    pinterest.fr
Résultat de recherche d'images pour "jalousie en peinture dessins "            Les choses les plus remarquables que j'aie observées aujourd'hui sont les étapes de la fabrication de la monnaie.
            1- Avant tout on essaie le métal. Cela se fait dans le cas de l'or, en prenant un poids égal d'or et d'argent, une petite quantité de chaque, estimée à 6 ounces ou une demi-livre en poids que l'on enveloppe dans une mince feuille de plomb.
            S'il s'agit d'argent on utilise la même quantité de ce métal seul que l'on enveloppe de plomb. On les met ensuite dans de petits godets en terre cuite faits de la même matière que les pipes à tabac, et que l'on place dans un fourneau brûlant, au bout d'un moment tout le métal est fondu, et à la fin le plomb, dans les deux cas, se mêle à la substance du godet entraînant avec lui tout le cuivre et les impuretés et il ne reste plus que le mélange pur d'or et d'argent............  La façon dont on extrait l'argent de l'eau est tout aussi étrange.
            Mais voici en quoi consiste l'essai.
            Si le morceau d'or qui entre dans le fourneau pèse 12 ounces et ressort en 11 ounces, et si le morceau d'argent pèse à l'entrée 12 ounces et à la sortie 11 ounces et 2 grains le titre de ces métaux est exactement conforme aux normes d'Angleterre. Si l'or en pèse plus de 11 ( ce qui arrive parfois ) ou l'argent plus de 11 et 2 grains ( l'argent fin pèse parfois ounces et 10 grains ou plus à la sortie ), ils sont d'autant au-dessus de la norme. On sait ainsi quelle quantité d'or ou d'argent de qualité inférieure il faut ajouter à une quantité donnée de métal pour l'amener aux normes exactes. Et au contraire si les échantillons ressortent plus légers, alors un tel poids est au-dessous de la norme et requiert donc qu'une proportion donnée de métal fin soit rajoutée au lingot pour atteindre le titre légal. Et voilà ce qui différencie le bon aloi du mauvais, le titre supérieur et le titre inférieur à la norme et aussi les titres officiels, celui de Séville étant le plus élevé et celui du Mexique le plus bas. Et je crois que l'on m'a dit que seul celui de Séville est supérieur au nôtre.
            2 - On fond le métal pour en faire de longues lames, et si le moule prend l'air, alors cette lame n'est pas d'un poids égal partout, comme cela arrive souvent.
            3 - On étire ces lames entre des cylindres..........
            4 - Elles passent ensuite entre une autre paire de cylindres, c'est ce que l'on appelle l'ajustage.........
            5 - On les découpe en morceaux circulaires, ce qui se fait avec la facilité, la rapidité et la précision les plus grandes du monde.
            6 - On pèse ces rondelles et celles trop lourdes sont limées ; on dit alors qu'on les égalise, si elles sont trop légères on les met de côté. Cela n'arrive que fort rarement et leur poids est parfaitement juste..................
            7 - Comme ces rondelles ont été découpées dans les lames qui sont gauchies par leur passage dans les laminoirs elles sont parfois un peu tordues, ou présentent des bosses ou des creux, pour y remédier on les enfourne par cent ou deux cents dans une machine qui, au moyen d'une vis appuie si fort qu'elles en ressortent aussi plates qu'il est possible.
            8 - On les blanchit.
            9 - On y marque les lettres sur la tranche par une méthode dont Blondeau garde le grand secret........
            10 - On les frappe, en d'autres termes on les marque des deux côtés à la fois, avec une grande précision et une grande rapidité, et la pièce est achevée......................
            On dit que cette méthode coûte plus cher au roi que l'ancienne. Mais elle est plus précise et fait qu'il est plus difficile de rogner ou contrefaire les pièces, car il est impossible de graver les mots sur la tranche sans une machine si coûteuse et bruyante que nul faux-monnayeur ne pourrait payer le prix, ni ne se risquerait à l'utiliser. Et elle emploie autant d'hommes que l'ancienne, tout en étant plus rapide
            On frappe à présent des pièces de 16 000 à 24 000 livres par semaine.
            Au dîner nos hôtes nous ont dit des choses fort intéressantes sur la probabilité qu'il y ait une grande quantité d'argent cachée dans le pays en se fondant sur les frais suivants :
            A l'époque du roi Charles on a frappé pour près de 10 millions de livres, ce à quoi il faut ajouter l'argent en circulation frappé sous le roi Jacques et la reine Elisabeth, dont une bonne partie existe encore aujourd'hui. 
            Il n'a été frappé que 750 000 livres de monnaie marquée de la croix et de la harpe dont
500 000 ont été rapportées à la banque lorsque les pièces furent retirées de la circulation et l'on a de très bons arguments pour penser qu'il ne peut y en avoir moins de 100 000 en Écosse et en Irlande, de sorte qu'il ne manque pas plus de 150 000 livres sur lesquelles on suppose qu'il ne doit pas rester plus plus de 50 000 livres, soit fondues, soit cachées, perdues ou thésaurisées en Angleterre, il ne restera donc que 100 000 livres dont on pense qu'elles sont sorties du pays.....................
            Maintenant il est évident que d'après leurs calculs la plus grande partie de cette somme doit être cachée, comme le montre la pénurie qui a immédiatement suivi le retrait de la monnaie de la République......... Il était impossible de se procurer de l'argent dans la Cité, ce qui d'après leurs observations et ce qu'ils savent, est exact. Et donc, quoique je ne puisse le confirmer moi-même, je ne mets pas ce point en doute.


                                                                                                                 20 mai
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Image associée            Levé et à mon bureau. Vers midi à la maison voir danser ma femme avec Pembleton, puis j'allai dîner à Trinity House, et retour à la maison où je retrouvai Pembleton qui, apparemment, avait dîné avec ma femme, ce qu'elle dit trouver tout naturel. Est-ce calcul de sa part ou crainte de me déplaire, je ne sais, mais cela me causa de nouveau un grand trouble, de sorte que je ne pouvais rien remarquer qui ne me contrariât. Je persistai cependant dans ma résolution de descendre par le fleuve à Woolwich et emmenai ma femme et miss Ashwell. En sortant rencontrai Mr Howe. Nous mîmes son cheval à l'écurie et l'emmenâmes avec nous, mais la marée était contraire et j'accostai dans Greenwich d'abord, où mis des choses en ordre à l'arsenal afin que l'on commence la construction du nouveau yacht par Christopher Pett, puis à Woolwich où les autres m'attendent dans une taverne. Nous embarquâmes ensuite de nouveau. Il faisait froid et j'étais en nage d'avoir marché, une très agréable promenade au milieu des prés verts et des pois. Nous chantâmes durant le trajet, lui et moi, et mangeâmes de la viande froide que nous avions apportée et rentrâmes fort contents à la maison, puis il repartit à cheval. Pembleton arriva et nous dansâmes une ou deux danses campagnardes, puis nous interrompîmes et, au lit, l'esprit tourmenté et peu susceptible de retrouver la paix tant qu'elle prendra des leçons de danse. Dieu pardonne ma folie !


                                                                                                               21 mai 1663

            Lever, mais je ne parviens pas à me lever aussi tôt que d'habitude, ni à fixer mon esprit sur mon travail comme je le devrais et comme je le faisais avant ces leçons de danse. Néanmoins à mon bureau où passai la plus grande partie de la matinée à parler avec le capitaine Cox de Chatham du différend qui l'oppose à l'arsenal tout entier, à Mr Barrow le garde-magasin. A ce sujet je lui dis clairement ma pensée, à savoir qu'il serait soutenu contre les machinations de quiconque voudrait sa perte, car nous sommes tous persuadés, sauf sir William Batten, son ennemi mortel, que le roi n'a pas de meilleur serviteur que lui dans l'arsenal.
            Après maints bons conseils et autres conversations, à la maison où je dansai avec Pembleton, et me fis ensuite raser par le barbier, puis dîner et me querellai avec ma femme à propos de ses leçons de danse, au point que je quittai la table et fis le serment de ne plus m'opposer à elle ni de la blâmer ou de la contredire d'aucune façon à ce sujet jusqu'à la fin du mois de leçons, sous peine de payer une amende de 2 shillings et 6 pence à chaque fois. Et je m'y tiendrai, si Dieu m'assiste, car cette friponnerie a davantage troublé mon ménage que quoi que ce fût d'autre depuis bien longtemps.
            Après dîner à mon bureau où restai tard, puis à la maison et, comme Pembleton était de nouveau là, nous dansâmes une ou deux danses campagnardes, puis souper et, au lit. Mais au cours du souper ma femme dit une chose qui me fit la contredire, et elle employa le mot " diable ", ce qui m'irrita, Je dis, entre autres, que je ne tolérerais pas qu'elle employât ce mot, et là-dessus elle me répondit avec grand dédain. Et je ne sais plus maintenant comment la gourmander devant Miss Ashwell et tout le monde, alors qu'avant je l'aurais frappée pour moins que cela. Et donc je crains, si je n'y prends garde d'arriver bien près de perdre mon autorité sur elle. Et rien n'y contribue tant que cette occasion que je lui ai donnée de danser et de se divertir d'autre façon, ce qui détourne son esprit de son devoir et lui fait découvrir d'autres agréments que le souci de me plaire et a pour effet de ne plus du tout prendre plaisir en ma compagnie ni à s'efforcer de me plaire comme auparavant. Si seulement son mois de leçons était terminé ( comme le mien depuis ce soir. J'ai réglé à Pembleton le prix de toutes mes leçons ) ! Quand il le sera j'espère la ramener sans trop d'efforts à ses dispositions de naguère.
            Aujourd'hui, comme Susan, notre ancienne servante a perdu sa place, et c'est je crois une fille bien simple, ma femme la prend à son service quelque temps, à l'essai, au moins jusqu'à son départ pour la campagne. A ce propos je ne crois pas qu'il soit bon pour moi de l'y envoyer, car je crains que loin de ma tutelle, elle ne s'émancipe plus encore, avant que j'aie pu la ramener à de bonnes dispositions.


                                                                                                              22 mai
                                                                                                                             magasindesenfants.hypotheses.org
Résultat de recherche d'images pour "désir en peinture dessins"            Levé de très bonne heure, et suis, je l'espère, redevenu moi-même et m'applique de nouveau à mon travail après m'être un peu laissé aller, car il m'apparaît que mon crédit et mon profit augmentent chaque jour, Dieu en soit loué et me rappelle à mon devoir.
            A mon bureau. J'apprends que Rundell, le charpentier de Deptford, m'a apporté un beau merle. Il me dit que quelqu'un lui en a offert 20 shillings, tant il siffle bien.
            A mon bureau occupé toute la matinée, entre autres, essayé de comprendre le mouvement des marées. Je crois y être maintenant parvenu.
            A midi visite de Mr Creed, et nous rendîmes à la Bourse où m'entretins longuement avec plusieurs négociants, puis avec lui dîner à la maison, et ensuite en barque à Greenwich où, après m'être arrêté à la petite taverne au bout de la ville pour entourer d'un torchon mon petit orteil gauche que la marche rendait douloureux, nous fîmes un agréable trajet jusqu'à Woolwich et entendîmes en chemin chanter les rossignols. Après des affaires réglées à l'arsenal et m'être préparé à une dispute avec sir William Penn au sujet de l'affaire de l'étamine dans laquelle il est coupable de corruption au détriment du roi, nous retournâmes à pied sans avoir rien bu. C'est une chose que je ne fais jamais parce que je ne voudrais déranger personne par ma venue, ni ne voudrais devenir trop l'obligé de quiconque. En chemin nous fûmes rattrapés par Mr Steventon, commissaire de marine et oncle de Will, mon commis. Il me dit avoir été lésé par sir John Mennes lorsque l'on a apuré ses compte, et dans une telle mesure que j'ai honte de l'entendre et suis résolu à arranger l'affaire si je le puis, même si le pauvre homme a renoncé. Cependant je suis assez content que d'autres que moi remarquent sa sottise et son radotage, quoiqu'au fond de moi je pense que l'homme a de bonnes intentions. Embarquai à Greenwich et à Deptford rencontrai Davies, le garde-magasin, qui est un fripon et coupable de malhonnêteté dans l'affaire de l'étamine...........A pied jusqu'à Rotherhite et bûmes à la taverne de la Demi-Étape. A pied et en barque à Whitehall. A l'aller et au retour durant le temps passé sur le fleuve lu un petit livre censé avoir été écrit par une personne de qualité suivant laquelle il est préférable d'appartenir à la gentry anglaise plutôt que de se voir conférer honneurs et titres. Mais il ne s'agit là que de ridicules fadaises, dépourvues de sens..........
            A Whitehall je ne pus trouver sir George Carteret, m'en retournai presque aussitôt, à la maison par le fleuve et, au lit.


                                                                                                                     23 mai

            Réveillé ce matin entre 4 et 5 heures par mon merle. Il siffle mieux qu'aucun que j'aie jamais entendu. Il connaît bien le début de beaucoup d'airs mais pas plus. Puis lever et à mon bureau, réunion. Ai eu une altercation avec sir John Mennes en prenant la défense de mon commis Will dans une affaire où le vieux fat voulait lui imputer une faute dont Jack Davis était responsable, une véritable filouterie consistant à établir deux billets de solde et à se faire régler les faux, tandis que le second était payé à qui de droit. Mais il est apparu très clairement aux membres du conseil que Will n'avait rient à se reprocher.
            Dîner à la maison et ensuite en barque au quartier du Temple où allai chercher mon cahier de musique pour viole de gambe, relié, avec des pages blanches pour les nouveaux morceaux. Puis chez Greatorex. Voyant passer sir John Mennes et sir William Penn en voiture je montai avec eux pour aller avec eux à Whitehall..................wahooart.com
            Retour chez Greatorex qui me montra un vernis de son invention qui me paraît en tout point aussi bon, sur un bâton qu'il a enduit, que le vernis indien, bien qu'il n'ait pas fait très bel effet sur mon papier à musique, car il a été absorbé et ne brille pas Puis à la maison par le fleuve et, après une danse avec Pembleton, à mon bureau. Écrivis une lettre à sir William Batten à Portsmouth, je lui demande d'être de retour mercredi prochain, le jour de notre procès contre Field à l'Hôtel de Ville. Que Dieu fasse qu'il se termine à notre avantage ! Puis à la maison, souper et, au lit.


                                                                                                                      24 mai
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            Comme j'avais pris une des pilules de Mr Hollier hier soir, j'ai eu une selle ou deux ce matin, de sorte que je m'abstins d'aller à l'office et restai à la maison étudier mes papiers sur l'affaire Tom Trice. A midi dîner et comme ma femme me raconta qu'une jolie femme accompagnait Peg Penn à l'office aujourd'hui, j'eus envie, contrairement à mes premières intentions, de me rendre à l'office pour la voir. Ce que je fis, et elle est en effet fort jolie.
            Mais en face de notre galerie j'avisai Pembleton et vis qu'il lorgnait ma femme durant tout le sermon. Je faisais comme si je ne le voyais pas, et ma femme qui lui rendait ses regards. Et je remarquai qu'elle lui fit une révérence en sortant sans rien m'en dire. Cela ajouté au fait qu'elle a tenu ces deux derniers dimanches à aller à l'office, le matin et l'après-midi, me fait réellement soupçonner qu'il y a quelque chose d'extraordinaire, quoique je répugne à envisager le pire.
            Nonobstant, cela me jeta dans une grande confusion, où je suis encore, et me fait maudire le jour où j'ai consenti à ces leçons de danse, et plus encore de les avoir prolongées d'un second mois, alors qu'elle n'en désirait pas tant et que je n'avais que trop vu comme elle se conduisait avec lui.
            Mais je dois m'armer de patience et l'envoyer à la campagne, ou du moins mettre un terme à ces leçons de danse dès que possible.
            Après le sermon, chez sir William Penn avec sir John Mennes pour travailler un peu et envoyer ce soir notre réponse à Mr Coventry. Puis à la maison et descendis avec ma femme et Miss Ashwell au jardin, nous promenant un grand moment et nous demandant qui cette belle fille pouvait bien être d'après son ajustement et son maintien. D'après Mrs Penn elle pourrait être sa dame de compagnie, si ce n'est qu'elle était assise sur leur banc avec Peg, chose qu'à mon avis il ne permettrait pas si c'était le cas.
            Puis à la maison où je lus à ma femme une ou deux fables dans l'Esope, puis d'Ogilby. Puis souper, prières et, au lit.
            Ma femme a parlé ce soir de se faire faire des vêtements pour la campagne, ce à quoi je me suis opposé, disant que je n'avais point d'argent, mais j'en suis content dans une certaine mesure, car ainsi je l'éloignerai de ce gredin et retrouverai ma liberté pour m'occuper de mon travail plus que je ne l'ai fait depuis quelque temps. Prières et, au lit.
            Ce matin, il semble que Susan qui, je crois n'a plus toute sa raison, ou du moins a appris à boire depuis qu'elle nous a quittés, et sort deux ou trois fois de la maison sans permission pour se rendre à la taverne, soit sortie avant 5 heures aujourd'hui, obligeant Griffith à se lever vêtu de sa seule chemise afin de lui ouvrir pour se rendre à la taverne, pour se réchauffer, disait-elle. Mais sa maîtresse l'a querellée à ce sujet, et l'a chassée ce matin. La voilà partie comme une souillon et une paresseuse. J'ai encore pris une pilule ce soir.


                                                                                                                 25 mai

            Lever et, ma pilule ayant fait un peu d'effet, je restai à la maison la plus grande partie de la matinée Arrivèrent le barbier et Sarah Kite, ma cousine. La pauvre femme est venue pour m'emprunter 40 shillings, me promettant de me les rendre à la Saint-Michel. J'étais content qu'elle ne demandât pas davantage, car il m'est indifférent qu'elle me les rembourse ou pas, mais ça sera une bonne raison pour ne plus rien lui donner ou lui prêter. Je m'exécutai donc de bon gré, sans me faire prier et rajoutai même une couronne pour acheter quelque chose à son enfant, car cette malheureuse a un bon naturel et est diligente, et j'aimerais lui venir en aide, dans la mesure de mes possibilités, mais sans qu'elle devint une charge. Ma femme n'était pas prête et à cause de l'heure très matinale elle ne l'a pas vue, ce dont je suis content.
            Après son départ, je montai pour apprendre que ma femme et sa servante, Miss Ashwell, avait  trouvé le moyen de renverser le pot de chambre plein de pisse et merde, sur le sol, la chaise percée, et Dieu sait quoi encore, et s'employait fort joyeusement à tout nettoyer. Je me contentai d'en rire.
             Miss Ashwell vint ensuite me transmettre une commission de la part de ma femme qui désirait de l'argent afin de s'acheter des vêtements pour la campagne. Je lui donnai donc 4 livres et suis persuadé qu'il m'en coûtera 4 de plus pour l'équiper de pied en cap. Mais je suis prêt à employer tous les moyens pacifiques et honorables pour garder les rênes et conserver mon pouvoir sur elle.
            Puis à mon bureau pour retourner bientôt à la maison où ma femme et son maître dansaient. Je restai donc dans mon cabinet de travail jusqu'à ce qu'ils eussent fini et jouai un peu de la viole de gambe. J'avais bien perdu la main mais la retrouvai aisément. Un peu plus tard dîner et emmenai ma femme et Miss Ashwell à St James, mais ne trouvai pas la personne susceptible d'aller voir le Duc......
..... remontai dans le fiacre. Nous fîmes monter avec nous le tailleur de ma femme car il pleuvait fort et je descendis......... chez milord le chancelier tandis que les autres continuaient vers Pater Noster Row. Je restai parler avec milord Sandwich et rencontrai Mr Lewis Phillips de Brampton qui me dit, de même que d'autres ensuite, que l'on a appris hier à la Cour que le roi de France est malade d'une fièvre éruptive mais que les boutons ont disparu, et cet après-midi milord Mandeville est parti sur ordre du roi pour lui rendre visite, ce qui fera grand bruit à travers toute l'Europe. ( nte de l'éd. Louis XIV avait attrapé la rougeole )                                                                                                                              pinterest.fr
Résultat de recherche d'images pour "oiseaux peinture"             Conversai un grand moment avec milord Sandwich à propos de ses émoluments............
           Puis retour à la maison où je trouve Pembleton et montai donc avec eux pour danser jusqu'au soir. Arrivèrent Mr Alsop, le brasseur du roi, et Lanyon de Plymouth. Mr Alsop me dit qu'un de ses chevaux, après avoir souffert 4 jours a récemment évacué par le fondement 4 pierres plus grosses que celle dont j'ai été opéré, fort lourdes et contenant chacune en leur milieu un morceau de fer ou de bois. Le roi en a deux dans son cabinet, et une troisième a été donnée au collège des médecins qui la conserve comme curiosité, et sur ordre du roi il fait chaque jour fouiller le crottin du cheval pour en trouver d'autres.............   


                                                                                                             26 mai
       
           Grasse matinée à causer et prendre mon plaisir avec ma femme. Puis lever, un moment à mon bureau et retour à la maison où je trouve Pembleton et de nombreux détails m'amènent à conclure qu'il y a quelque chose qui n'est pas innocent entre eux. Cela me tourmente au point que je sais à peine si je sais, à la minute où j'écris ceci, ce que j'écris, ce que je fais, ni comment en user avec ma femme, car je répugne autant à lui en parler de crainte de querelles et autres désagréments, qu'à laisser faire de peur qu'elle ne continue à m'offenser et que la situation empire. De sorte que je souffre jusqu'au plus profond de mon coeur, un sentiment pourtant fort déraisonnable.
            J'ai dîné avec Mr Creed et le capitaine Grove, et avant devisai longuement dans mon cabinet de travail avec Mr Deane, charpentier de marine de Woolwich, sur la construction des vaisseaux, mais rien ne pouvait me sortir cette affaire de l'esprit, et je craignais....... qu'elle ne lui eût donné rendez-vous.
            Voilà bien ma jalousie diabolique ! Fasse le ciel qu'il n'en soit rien, mais ces pensées jettent mon esprit dans les tortures de l'enfer ! Que le Dieu du ciel m'en délivre, où je serai fort malheureux ! Puis réunion au bureau.
            Un peu plus tard, l'esprit tourmenté, je rentrai à la maison voir comment allaient les choses et trouve, comme je le craignais, Mr Pembleton avec ma femme, sans personne d'autre dans la maison, ce qui me rendit presque fou. Je montai dans mon cabinet de travail et, après m'être promené un moment de long en large, je ressortis et appelai quelqu'un, prétextant des affaires de bureau que je laissai dans ma petite pièce près de la porte ( c'était le Hollandais, capitaine de l'un des bateaux de plaisance........ ) à qui je dis que j'allais revenir lui parler de son affaire. Puis, au supplice et dévoré de soupçons, au bureau...... J'expédiai rapidement nos affaires et demandai à pouvoir m'absenter, prétendant aller dans le quartier du Temple, mais en réalité à la maison. Montai dans mon cabinet de travail et si, comme je le crois, ils avaient de mauvaises intentions, j'empêchai qu'il se passât quoi que ce fût à ce moment. Mais je demeurai dans mon cabinet toujours fâché et irrité jusqu'à son départ. Il prétendit bien haut, pour que je l'entendisse, qu'il ne pouvait pas rester et, comme Miss Ashwell était absente, ils ne danseraient pas.
            Mais Seigneur ! quand je pense que ma jalousie me travaille au point que je suis monté m'assurer qu'aucun des lits n'était défait ! Aucun ne l'était, mais cela ne m'apaisa point, et je passai toute la soirée à marcher de long en large. Ma femme vint bientôt me trouver désirant me parler de quelque chose, mais je pris cela pour pure impudence et, quoique ayant le coeur prêt d'éclater, je continuai de me taire, ne sachant quel parti choisir.
            La nuit tombée je laissai tout le monde aller se coucher, me mis au lit à une heure avancée, fort mécontent, et m'endormis.


                                                    à suivre.......

                                                                                                    27 mai 1663
                 Puis, vers 3 heures du matin............
           


                     

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mercredi 13 mars 2019

Le poète Alexandre Pouchkine ( Poème Russie )

Alexandre Pouchkine dans un parc
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                              Le Poète


            Le poète qu'Apollon n'appelle
            à son service divin
            reste plongé lamentablement
            dans les vains soucis du monde.
            Sa lyre sacrée demeure muette.
            Habité de songes glacés,
            des pauvres gens que nous sommes
            il est le plus misérable.

            Mais à peine le verbe divin
            effleure-t-il sa fine ouïe
            que, telle une aigle qui s'éveille,
            l'âme du poète frémit.
            Les amusements du monde l'assomment.
            Et les rumeurs le laissent froid.
            Il n'incline plus sa tête fière
            devant les idoles de la foule,
            mais il fuit, austère et farouche,
            empli d'émotions et de sons
            vers des rives aux vagues désertes
            et de bruissantes chênaies.


                                   Pouchkine 

                                                 ( 13. 08. 1827 )

                                                      ( in L'heure de la nuit ed. bilingue )
         


mardi 12 mars 2019

Incidents Daniil Harms extraits 2 ( Nouvelles Russie )



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                                                             I N C I D E N T S

                                                                   ( extraits 2 ) 

                                                                  Quand deux personnes jouent...

            Quand deux personnes jouent aux échecs j'ai comme l'impression que l'une va se faire voler par l'autre. Surtout si elles jouent pour de l'argent.
            D'une façon générale je déteste qu'on joue pour de l'argent. J'interdis de le faire en ma présence.
            Les joueurs de cartes je les ferais fusiller. C'est sans conteste la meilleure méthode pour éradiquer les jeux de hasard.
            Plutôt que de taper le carton, ils feraient bien mieux de se réunir pour se faire mutuellement la morale.
            Du reste, rien de plus ennuyeux que la morale. Faire la cour aux femmes est plus passionnant.
            Les femmes n'ont jamais cessé d'être l'objet de mon intérêt. J'ai toujours été ému par une paire de jambes, particulièrement au-dessus du genou.
            Nombreux sont ceux qui tiennent les femmes pour des créatures vicieuses. Selon moi, c'est absolument faux ! Au contraire, il y a chez elles quelque chose de foncièrement agréable.
            Une jeune femme bien potelée en quoi peut-elle être vicieuse ? Inconcevable !
            Les enfants, c'est tout autre chose.. On les dit innocents. Moi j'estime que même s'ils sont innocents rien n'est plus répugnant qu'eux, surtout quand on les fait danser. Je m'empresse de quitter tout endroit où il y a des enfants.
            Léonide Savéliévitch les abomine aussi, non sans mon influence d'ailleurs..
            En général, tout ce qui sort de la bouche de Léonide Savéliévitch, c'est d'abord moi qui l'ai dit un jour ou l'autre.
            Et pas seulement lui. Tout le monde est prêt à me voler ne serait- ce que des bribes d'idées.     appa.aix.free.fr                                          C'est franchement marrant.
            Hier, par exemple, ne voilà-t-il pas qu'Oleïnikov accourt pour m'annoncer qu'il est empêtré dans les problèmes de la vie. Je lui ai donné deux ou trois conseils et il reparti rayonnant de bonheur.
            On recherche mon aide, on répète partout mes paroles, on s'étonne de mes faits et gestes. Sans que personne ne me paie quoi que ce soit.
            Sots que vous êtes ! Apportez-moi le plus d'argent possible et vous verrez comme je serai aux anges.


                                                           **********************ù**

                                                Il y a eu comme un craquement...

            Il y a eu comme un craquement dans l'horloge, et j'ai reçu la visite de messagers. Je n'ai pas tout de suite compris que c'étaient des messagers. J'ai d'abord cru que l'horloge était cassée, mais voyant que les aiguilles continuaient de trembler et que l'heure indiquée était manifestement la bonne, j'ai pensé qu'il y avait un courant d'air dans la pièce, puis aussitôt je me suis dit : " quel est donc ce phénomène qui pourrait avoir pour cause aussi bien le dérèglement d'une horloge que l'irruption d'un courant d'air ? Assis sur la chaise à côté du divan, je réfléchissais tout en observant l'horloge. L'aiguille des minutes était pointée sur le 9, celle des heures abordait le 4, il devait donc être quatre heures moins le quart. Sous l'horloge il y avait un grand calendrier dont les feuilles s'agitaient comme sous l'effet d'une brise traversant la pièce. Mon coeur battait la chamade, j'avais peur de perdre connaissance.
            " Faut que je boive de l'eau ", me dis-je. Une carafe était posée sur la table près de moi. Je  tendis la main et la pris.                                                                             funfou.com
            " L'eau peut me faire le plus grand bien ", pensai-je en fixant l'eau de la carafe.
            A ce moment je compris que des messagers étaient entrés chez moi, sans que pourtant je puisse les distinguer de l'eau. Et je craignais de la boire cette eau, parce que j'aurais aussi pu avaler un messager par erreur. Qu'est-ce que ça pouvait bien vouloir dire ? Cela n'avait aucun sens. On ne peut boire que quelque chose de liquide, or les messagers sont-ils liquides ? Non, bien sûr. Donc, je pouvais boire sans crainte cette eau. Mais l'eau avait disparu, pas moyen de la retrouver. Je me mis à la chercher dans toute la pièce. J'essayai de boire ma ceinture, mais elle n'était pas liquide. Je mis le calendrier dans ma bouche. Ce n'était pas de l'eau non plus.
            Envoyant l'eau au diable j'entrepris de chercher les messagers. Mais comment les reconnaître? A quoi ressemblaient-ils ? Je me souvins qu'il m'avait été impossible de les distinguer de l'eau et que, par conséquent ils devaient lui ressembler.
            Mais l'eau elle-même à quoi ressemble-t-elle ? Cela demandait réflexion.
            Je ne sais combien de temps je suis resté debout à réfléchir, mais j'eus soudain comme une révélation qui me fit tressaillir :
            " La voici l'eau ! "
            Hélas, ce n'était pas l'eau, simplement une oreille qui me démangeait.
            J'allai fouiller derrière l'armoire et sous le lit dans l'espoir d'y trouver de l'eau ou un messager. Mais derrière l'armoire, au milieu de la poussière, je n'ai trouvé qu'une balle rongée par un chien, et sous le lit il n'y avait que des débris de verre.
            Sous une chaise j'ai aperçu les restes d'une boulette de viande. Je les ai mangés sans que cela m'aide à éclairer l'esprit. La brise avait presque cessé de souffler dans la pièce, l'horloge faisait calmement tic-tac en marquant l'heure exacte : quatre heures moins le quart.
            " Bon, les messagers sont certainement repartis " pensai-je. Et je me rhabillai pour rendre visite à des amis.


                                                             ************************


                                                     Le Cahier bleu ciel
                                       ............

            23 août 1936                                                                          images.n3po.com

            1 - Voici brièvement ce que je pense des voyages :
                 " Quand tu voyages ne t'aventure pas trop loin, sinon tu risques de voir quelque chose que tu ne pourras plus jamais oublier. Or, quand quelque chose s'obstine à siéger dans la mémoire, on commence à se sentir mal, puis il devient tout à fait difficile de garder l'esprit en alerte.

            2 - C'est ainsi, par exemple, que le camarade Bedayev, horloger de son état, ne parvenait pas à oublier cette phrase qu'il avait ouïe un jour :
            " Si le ciel était courbe, il n'en serait pas plus bas pour autant. "
            Cette phrase, le camarade Bedayev n'y avait pas compris grand-chose, elle l'irritait infiniment et il la trouvait absurde, dénuée de sens, voire nuisible, parce que ce qu'elle affirmait était manifestement incorrect. Le camarade Bedayev sentait au fond de lui qu'un physicien aurait su répliquer au sujet de la hauteur du ciel et n'aurait certainement pas laissé passer ce ciel courbe.
            Le camarade Bedayev ne doutait pas que si Perlman était tombé sur cette phrase il l'aurait déchirée en morceaux, comme un chiot déchiquette des pantoufles, franchement hostile à la pensée européenne courante. Si par contre l'affirmation de cette phrase s'avérait fondée ce serait une vérité trop insignifiante et mesquine pour qu'elle mérite qu'on en parle. De toutes façons quiconque l'avait entendue devait l'oublier à l'instant même. Mais c'est précisément ce que le camarade Bedayev ne réussissait pas à faire. Il se rappelait sans cesse cette phrase, et en souffrait terriblement.



...................        ................            ..................              ................            .................          ...............


            10 - Il y avait un homme roux privé d'yeux et d'oreilles. Il n'avait pas non plus de cheveux, en sorte que le qualifier d'homme roux était tout relatif. Il lui était impossible de parler car il n'avait pas non plus de bouche, pas plus que de nez. Il n'avait même ni bras, ni jambes, ni l'ombre d'un ventre ou d'un dos, pas la moindre trace de vertèbres et d'entrailles.
            Il n'avait rien de rien.
            On ne sait même pas de qui il peut s'agir.
            Alors, ne parlons plus de lui, cela vaut mieux.


                                                                         .................................

                                                                                                                       
            7 janvier 1937                                                                                                                                                                                                                                                      narwhaler.com
http://i.imgur.com/uhUoV.jpg
            11 - Une mémé n'avait plus que quatre dents, trois en haut et une en bas.
                   La mémé ne pouvait pas s'en servir pour mâcher quoi que ce soit et, à vrai dire, ces dents lui étaient parfaitement inutiles.
                   Or donc elle décida de se faire arracher ses quatre dents et de faire poser à leur place un tire-bouchon dans la gencive inférieure et une petite pince dans celle du haut.
                  La mémé buvait de l'encre, mangeait des betteraves toutes molles, et se curait les oreilles avec des allumettes.
                  La mémé avait quatre lièvres. Trois lièvres en haut et un autre en bas. Elle les avait attrapés à la main et enfermés dans de petites cages. Les lièvres pleurnichaient et se grattaient les oreilles avec leurs pattes de derrière. Les lièvres buvaient de l'encre et mangeaient des betteraves toutes molles.
                 Parfaitement ! Les lièvres buvaient de l'encre et mangeaient des betteraves !



                                               Daniil Hams

                                                                  .............................................


                                               
            

jeudi 7 mars 2019

Incidents Daniil Harms extraits ( nouvelles Russie )




                                                      I N C I D E N T S
                                                             

            Daniil Harms auteur russe est mort à 36 ans en 1942 dans un hôpital psychiatrique où il avait été interné, considéré comme anti-soviétique. Depuis réhabilité en 1956 ses textes paraissent en Russie et sont traduites dans plusieurs langues. Les membres de l'Oulipo ne le renieraient sans doute pas. Absurdité des petits ou grands moments du quotidien, très courts textes parfois. Extraits d'Incidents.


                                                                    ***
                                                                    
                                                               Alter Ego

                                                       La période d'incubation

            Je suis resté quatre mois dans la couveuse. La seule chose dont je me souvienne, c'est qu'elle était en verre, transparente, avec un thermomètre. J'étais assis à l'intérieur sur un coussin d'ouate. Je ne me rappelle plus rien d'autre.
            Au bout des quatre mois on m'a sorti de la couveuse. C'était justement le 1er janvier 1906,.....
Et c'est le 1er janvier qu'on a pris l'habitude de fêter mon anniversaire..

                                                              ***********

                                                     Je suis né au milieu des joncs

            Je suis né au milieu des joncs. Comme une souris. Ma mère m'a accouché puis elle m'a laissé dans l'eau. Et l'eau m'a entraîné. Un poisson quatre fois moustachu n'arrêtait pas de tourner autour de moi. Je me suis mis à chialer. Le poisson pleurait aussi comme une madeleine. Tout à coup nous avons vu du gruau qui flottait sur l'eau. Nous l'avons mangé et, ensuite, nous avons éclaté de rire. On s'amusait comme des fous. Emportés par le courant nous avons rencontré un crabe. Un crabe énorme, et très vieux, qui tenait une hache entre ses pinces. Et, derrière le crabe, il y avait une grenouille, toute nue.
            - Pourquoi est-ce que tu te balades toujours à poil ? lui a demandé le crabe Tu devrais avoir honte !
            - Et pourquoi ça ? a répondu la grenouille. Pourquoi devrions-nous avoir honte de ce corps si beau que nous a donné la nature, alors que nous n'avons jamais honte de toutes les saletés que nous commettons dans la vie ?
            - Tu as certainement raison, a dit le crabe, et je ne sais pas quoi te répondre. Posons la question à un homme, si tu es d'accord, parce que les hommes en savent beaucoup plus que nous. Nous autres nous ne sommes intelligents que dans les fables qu'ils écrivent sur nous. Si bien que même là l'intelligent c'est lui, l'homme, mais pas nous.
            C'est alors que le crabe m'a aperçu, et il s'est exclamé :                

            - Pas besoin d'aller chercher loin, en voici justement un d'homme !
            Le crabe m'a demandé, en s'approchant de moi :
            - Est-ce qu'il faut avoir honte de son corps nu ? Réponds-nous, puisque tu es un homme.
            - Je suis un homme, c'est vrai, et je vais vous répondre tout de suite : il ne faut pas avoir honte de son corps nu.

 ..................................

                                                      Cher Sacha, dans celle-ci...

           Cher Sacha, dans celle-ci ( je dis " dans celle-ci " par concision, mais je sous-entends " dans cette lettre " ) je ne vais t'entretenir que de moi-même. A proprement parler, je voudrais te décrire mon existence. Vraiment dommage que je ne t'aie pas écrit ma précédente lettre, car je t'y aurais raconté tout ce que j'ai dû omettre ici.
            Essayons de procéder par comparaison. Mettons que tu vis là-bas, à Achkhabad, de telle ou telle façon. Pour faire bref, disons que tu vis " comme cela ". Et moi je vis ici, disons pour abréger
" comme ceci et cela ". C'est moi qui ai choisi cette façon de désigner l'une et l'autre chose, afin que cela soit plus commode d'en parler par la suite. Si tu juges que les expressions " comme cela " et
" comme ceci et cela " sont peu commodes, on peut dire ainsi : tu vis d'une certaine façon, moi je vis aussi d'une certaine façon mais autrement. Si tu veux, restons-en à cette dernière formule.
            Supposons que je ne vive pas " d'une certaine façon mais autrement ", mais que je vive plutôt de la même manière que toi. Que s'ensuit-il ? Imaginons, et pour simplifier les choses oublions tout de suite ce que nous venons d'imaginer. Voyons maintenant ce qui en résulte. Ah, j'ai failli oublier de te dire que j'ai acheté un manteau qui m'est tout à fait inutile. Du reste il vaut mieux que je te le raconte une autre fois. Igor est venu en visite.

                                                               ..........................

                                               Nous logions dans deux pièces...

  
            Nous logions dans deux pièces. Mon ami occupait la plus petite, l'autre était plus spacieuse, avec trois fenêtres. Mon ami restait dehors des journées entières, ne rentrait que pour dormir. Je passais au contraire tout mon temps dans la chambre et, s'il m'arrivait de sortir ce n'était que pour aller à la poste ou pour m'acheter quelque chose à manger. En outre j'avais attrapé une pleurésie sèche, ça ne faisait que me clouer davantage à la maison.
            J'aime être seul. Mais au bout d'un mois j'en eus assez de cette solitude. Aucun livre ne pouvait me distraire, et je restais longtemps assis à ma table sans tracer une seule ligne. Je reprenais un livre, et le papier restait vierge. Et puis, cette fichue maladie ! Bref, je commençais à m'ennuyer ferme.
            La ville où je vivais à cette époque ne me plaisait pas le moins du monde. Elle se dressait sur une grande colline et on y avait de partout des vues de cartes postales. Moi, ces vues me donnaient la nausée, si bien que j'étais content de rester enfermé chez moi. D'ailleurs, à part le bureau de poste, le marché et le magasin d'alimentation, je ne vois pas où j'aurais pu aller.
            Donc, j'étais chez moi comme dans une geôle.
            Certains jours je restais même sans manger. Alors, je faisais tout pour me mettre de bonne humeur. Je m'allongeais sur le lit et je souriais. Je souriais pendant une vingtaine de minutes d'affilée, mais mon sourire se transformait tout à coup en bâillement. C'était vraiment désagréable. J'ouvrais la bouche juste assez pour un sourire, mais elle s'élargissait d'elle-même jusqu'à me faire bâiller. Je me mettais aussitôt à rêver.
            Je voyais devant moi une cruche remplie de lait et des morceaux de pain blanc. Et je me voyais aussi à la table en train d'écrire rapidement. Sur la table, sur les chaises et sur le lit, des tas de feuilles noircies. Je continuais d'écrire en faisant parfois des clins d'oeil et en souriant à quelque pensée secrète. C'était agréable d'avoir près de moi ce pain et ce lait, et une boîte en noyer pleine de tabac !
            J'ai ouvert la fenêtre et contemplé le jardin. Des fleurs jaunes et violettes poussaient juste devant la maison. Plus loin, c'étaient des fleurs de tabac et un grand marronnier d'allure martiale. Et au-delà il y avait un verger.
            Il se faisait un grand silence interrompu seulement par les trains qui chantaient au pied de la colline.
            Ce jour-là je n'ai rien pu faire, je ne pouvais que déambuler dans la pièce, puis je m'asseyais à la table, mais c'était pour me lever tout de suite et aller m'asseoir dans le fauteuil à bascule. Je prenais un livre et le lâchais aussitôt, puis je recommençais à faire les cent pas.
            Il me sembla soudain que j'avais oublié quelque chose, un incident ou un mot important.
            Je voulais à tout prix retrouver ce mot, et je commençais même à croire que la première lettre était un M. Non, pas un M, plutôt un R.
            Raison ? Rabat-joie ? Rame ? Râteau ? Ou bien Mentalité ? Martyr ? Matière ?
            Non, la lettre R, bien sûr, à condition qu'il s'agisse d'un mot !
            Je me suis fait du café en chantant des mots en R. Oh, combien de mots j'ai trouvés qui commençaient par cette lettre ! Peut-être celui que je cherchais était-il parmi eux, sauf que je ne l'ai pas reconnu, croyant qu'il était comme tous les autres. Ou peut-être ce mot n'existe même pas.


.......................................

                                                       J'ai entendu cette expression...    
          

            J'ai entendu cette expression : " Saisis l'instant au vol ! "                 

            Facile à dire, pas facile à faire. A mon avis, cette expression n'a pas de sens. On ne peut pas, en effet, appeler à faire l'impossible.
            Je dis cela avec certitude parce que j'ai pu en faire moi-même l'expérience. J'ai essayé de saisir l'instant au vol, mais je n'ai rien saisi, et n'ai fait que casser ma montre. Je sais maintenant que c'est impossible.
            De même il est impossible de " saisir l'époque ", parce que c'est aussi un instant, sauf qu'il est un peu plus long.
            Autre chose est de dire : " Fixez ce qui se passe à cet instant ", c'est tout à fait autre chose.
            Voyez par exemple : un, deux, trois ! Rien ne s'est produit ! Et c'est justement cet instant où rien ne s'est produit que j'ai fixé et gravé en moi.
            Je l'avais dit à Zabolotski. Ça lui a beaucoup plu, tellement même qu'il est resté assis toute la journée à compter : un, deux, trois ! En constatant que rien ne s'était produit.
            Schwartz a surpris Zabolotski en train de s'adonner à cette occupation. Et lui aussi s'est intéressé à cette façon originale de fixer ce qui se produit à notre époque, vu que l'époque est toute constituée d'instants.
            J'attire toutefois votre attention sur le fait que l'inventeur de cette méthode, c'est moi. Encore moi ! toujours moi ! Étonnant n'est-ce pas ?
            Ce que les autres font avec le plus grand mal, j'y parviens sans la moindre peine.
            Je sais même voler. Mais je ne vais pas vous le raconter parce que, de toute façon, personne ne voudra me croire.


                                                                                   Daniil Harms
                                                                                      
                                                                                    ( extraits 1 de Incidents )

 
                                             
         



    

mercredi 6 mars 2019

Vie et Mort de Michael Jackson Marc Lambron ( Document France )


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                                                            Vie et Mort de Michael Jackson

            Michel Jackson, huitième enfant sur 10 monta très tôt sur scène. Le père ouvrier sidérurgiste, la mère travaille dans une chaîne de magasins. Joe Jackson joue de la guitare parfois " dans un combo de rhythm and blues.... " Le père use d'une autorité de fer pour dresser ses enfants, c'est-à-dire la voix. Il les met sur scène très tôt, 1965, les Jackson 5. Nés dans l'Indiana, ils tournent dans le Middle West. Tandis que Michael et ses frères parcourent les routes et gagnent un trophée cachant sous le sourire, la dureté de leur père, à Hollywood une vedette-enfant, Shirley Temple, petite fille aux multiples boucles, tourne des films, très encadrée, un temps pour l'étude puis les jeux ( elle finit ambassadrice à l'ONU ). Et les Jackson 5 passent sous la coupe de Tamla Motown qui dirige une écurie de jeunes chanteurs qui chantent des oeuvres bien huilées...... " les Jackson 5 sont immédiatement équarris en produits.......... Celui que l'on appelait Bambi durant ses trois ans de tournées a maintenant 11 ans et est le leader du groupe. Il perdit alors un peu pied, écrit Marc Lambron, se voyant dans un toon. Chanteurs, danseurs, l'auteur renvoie à You-tube pour voir le numéro dansé "...... Michael Jackson ! Effilé, longues jambes, avec l'aileron de cygne de pattes d'eph; il déréalise la pesanteur......."
Un film avec Diana Ross dirigé par Sydney Lumet, qui fit un flop, permit la rencontre de Quincy Jones et.... se brisa les os du nez, dont les effets furent remarqués. Fred Astaire après avoir assisté au tournage du clip Thriller "..... lui adressa alors ce télégramme : " Je suis un vieil homme. J'attendais la relève. Merci. " Quincy Jones produit trois albums, ".......... incrustait une touche de hard rock dans un écrin d'ivoire...... " Au musicien s'ajoute le réalisateur John Landis, clip de Thriller, Lambron note au passage que " .... Quincè Jones avait été l'élève à Paris de Nadia Boulanger..... " Un chanteur né la même année commence à se faire connaître, Prince, deux mois les séparent, Mais leur sexualité différait, et les démêlés de Michael Jackson sont exposés avec tentative d'explications par l'auteur. Michael père de deux enfants portés par mères porteuses. Marc Lambron déroule la vie et la musique d'une époque, trente ans de vie musicale et s'interroge. Prince mourut peu de temps plus tard. ", Bambi aussi appelé Wacko Jacko, né le 29 août 1958 ....... Disparaissant à cinquante ans, il fut conséquent avec lui-même en s'épargnant les sagesses et les tourments de la maturité. La mort vous évite des questions quand elle survient à la fin de l'enfance...."
Marc Lambron est membre de l'Académie française.


  

mardi 5 mars 2019

Le Caucase Pouchkine ( Poème Russie )



griffa.com


                                              Le Caucase

            Sous mes pieds, le Caucase. Et seul sur les hauteurs
            au-dessus des neiges, je côtoie le précipice.
            Un aigle parti de quelque sommet lointain
            plane, immobile, juste à mon niveau.
            De là je vois le surgissement des torrents,
            le départ des avalanches dévastatrices.

            Tranquillement, sous moi cheminent les nuages,
            on entend au travers le fracas des chutes d'eau ;
            au-dessous viennent les masses lisses des parois
            et plus bas un maigre lichen, des buissons secs ;
            mais tout au fond déjà les bosquets, les prés verts
            où gazouillent les oiseaux et bondissent les cerfs.                                                                   
                                                                                                                                                 

Portrait de Pouchkine par Jean Cocteau            Ici, dans la montagne, les hommes font leur gîte,                       
            les troupeaux de brebis flânent sur les pentes grasses
            et le pâtre descend vers les vertes vallées
            où se rue l'Aragva entre des rives ombreuses.
            Un pauvre cavalier disparaît dans la gorge
            où le joyeux Terek se lance, impétueux

            et mugit et s'ébat ainsi qu'un jeune fauve
            qui, de sa cage de fer aperçoit une proie,
            dans sa rage inutile se jette contre les rives
            et lèche les parois d'une lame affamée.
            En vain ! Il n'y aura pour lui ni proie ni joie,                             
            car les masses muettes l'enserrent férocement.

            Ainsi les lois brisent-elles la fougueuse liberté,
             Ainsi la tribu sauvage soupire-t-elle sous le joug,
            Ainsi le Caucase muet se dresse-t-il aujourd'hui,
            Quand, de même, l'étranglent les puissances étrangères.

culture.gouv.fr

                           Pouchkine
                                        
                                              - 20 septembre 1829 -
                                              ( in L'heure de la nuit - éd. bilingue -


samedi 2 mars 2019

Les livres tiennent tout seuls sur leurs pieds ( extraits ) Virginia Woolf ( Document Angleterre )





                                                   Les livres

                           TIENNENT TOUT SEULS SUR LEURS PIEDS

            Dans la préface l'auteur et traducteur, Micha Venaille, cite Virginia Woolf parlant des critiques-essais qu'elle a consacrés à des centaines de livres, et elle ne se voulait d'ailleurs pas
critique, mais lectrice simplement :
            " ......... avec les livres...... nous avons l'impression d'être plus vigilants. Plus conscients de toutes les subtilités des relations. "
            En fin de volume on trouve les sources qui ont fourni la matière à ce livre. En Post-Scriptum :
            " - Est-ce que l'on écrit et publie trop de livres ?
               - Je ne pense que du bien du développement des livres. Car, au 18è sc, seule la middle class bien éduquée en écrivait. L'aristocratie estimait que c'était au-dessous d'elle, la classe ouvrière, au-dessus d'elle. Conséquence, la littérature était devenue le monopole d'une seule classe, elle reflétait ses goûts, flattait ses opinions. "
            A propos de David Copperfield -
            " De même que les fraises ou les pommes arrivent un jour à maturité, et que rien n'est jamais figé dans la nature, de nouvelles éditions de Dickens, pas chères, d'aspect agréable, bien imprimées, sont mises régulièrement au monde, et elles ne méritent pas plus qu'on les signale que l'arrivée de la saison des prunes et des fraises, sauf si, par chance, la publication d'un chef-d'oeuvre dans sa belle reliure toute neuve suggère que l'on pourrait s'engager dans une entreprise vraiment très particulière, avoir à lire David Copperfield pour la 2è fois...... Car Robinson Crusoe, les Contes de Grimm, Mr Pickwick ou David Copperfield ne sont pas de vrais livres mais des histoires qui ont fait leur chemin toutes seules depuis l'enfance, dans ces années de pure tendresse marquées par la rencontre de la réalité et de la fiction, elles font partie de l'univers des souvenirs et des mythes, et n'on rien d'une expérience esthétique........... Personne n'a jamais lu Dickens comme il aime Shakespeare........ Il a vraiment toutes les qualités que l'on attribue communément au mâle : il est autoritaire, égoïste, indifférent aux autres, énergique jusqu'à l'extrême...........Dickens peut devenir un immense buisson de personnages très différents............... "
             Auteur elle parle vocabulaire dans Les mots -
             " ........ Il est écrit que métier a deux sens, d'abord fabriquer des objets utiles, faits d'une matière solide, par exemple une cruche, une chaise, une table. Mais c'est également savoir-faire qui peut signifier cajoleries, belles paroles..........
            Pour Un roman freudien -
            " ...La .......... Un patient qui n'a jamais entendu un canari chanter sans s'évanouir peut désormais traverser une rue remplie de cages sans ressentir la moindre émotion, depuis qu'il a fait le lien avec sa mère l'embrassant dans son berceau.............. Les personnages de chair et de sang, en devenant des cas, ils ont cessé d'être des individus. "
            Le crocus, Virginia Woolf, le futur écrivain et le lecteur dans Le mentor et le crocus -
            " ......... Et assurez-vous d'avoir choisi le bon mentor, alors que c'est le fond du problème. Car tout livre est écrit pour que quelqu'un le lise, et comme ce mentor est non seulement le payeur, mais aussi, de manière très subtile et insidieuse, celui qui va vous inspirer, vous servir de déclic....... Mais qui est-il, ce protecteur, cet acheteur qui va contribuer à faire naître ce qu'il y a de meilleur dans le cerveau de l'auteur, afin qu'il mette au monde la progéniture la plus riche et variée qui soit ?........ "
            A propos de L'artiste et la politique -
            " ...... Pourquoi l'artiste d'aujourd'hui s'intéresse activement et sincèrement à la politique......... L'historien d'aujourd'hui n'écrit pas sur la Grèce et la Rome du passé mais sur l'Allemagne et l'Espagne........ Le poète introduit le communisme et le fascisme dans ses vers..........."
            De La poésie à La géographie dans la littérature Virginia Woolf inspecte les pensées de quelques littérateurs comme Jane Austen l'apprentie.
            Est-ce que l'on publie trop de livres ? - A cela répond Leonard Woolf -
            La fabrication des livres est devenu un marché, ou plutôt une industrie. Et à mon avis elle n'est pas en très bonne santé, presque aussi mauvaise que l'industrie minière........... On a changé d'époque c'est le triomphe de la mécanique........... " Suit une discussion avec Virginia Woolf            Lire; écrire...... Ecrire, lire.........      
            

         
         



mercredi 27 février 2019

Les Méfaits du Tabac monologue Anton Tchekhov ( Théâtre Russie )

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franceculture.fr



                                         Les Méfaits du Tabac


                                    Scène-monologue en un acte

            Le personnage :
                                       Ivan Ivanovitch Nioukhine, mari de la femme, directrice d'une école de musique et d'un pensionnat pour jeunes filles 
            Décor :
                        L'estrade d'un cercle provincial.

            Nioukhine, longs favoris, pas de moustache, vêtu d'un vieil habit râpé.
                                
                                 Il entre avec majesté, salue et arrange son gilet.

            - Mesdames... et, en quelque sorte, messieurs... ( Il lisse ses favoris ) On avait demandé à ma femme que je fasse une conférence sur un sujet ou un autre, et dans un but de bienfaisance. Et donc, pour une conférence, en ce qui me concerne, cela m'est bien égal. Evidemment je ne suis pas professeur, loin de moi tout titre scientifique, nonobstant voilà trente ans déjà que je travaille on peut dire sans discontinuer et au détriment de ma santé, etc., sur des questions de caractère strictement scientifique. J'y réfléchis et j'écris, imaginez-vous, des articles scientifiques, c'est-à-dire non, pas vraiment scientifiques mais, passez-moi l'expression, comme qui dirait scientifiques. Ces jours-ci j'ai, entre autres, écrit un immense article intitulé : " Sur la nocivité de certains insectes. " Mes filles l'ont beaucoup apprécié et, en particulier, la partie où il est question de punaises. Mais moi, après l'avoir lu je l'ai déchiré.
            De toute façon, et quoi qu'on écrive, on ne peut se passer de poudre insecticide.
            Chez nous, il y a des punaises jusque dans le piano...
            Aujourd'hui, le sujet de ma conférence sera le danger que représente pour l'humanité l'usage du tabac.
            En ce qui me concerne je fume, mais ma femme m'a dit de faire ma conférence sur les méfaits du tabac, alors il n'y a plus à discuter.                                                          enerzine.com
Image associée            Va pour le tabac, cela m'est bien égal. Quant à vous, chers Messieurs, je vous proposerai d'écouter la-dite conférence avec tout le sérieux qui s'impose, sans quoi, on ne sait jamais.
            Ceux qu'i craignent la sécheresse d'un exposé scientifique, ceux qui n'aiment pas ça, peuvent ne pas m'écouter et sortir.
            ( Il arrange son gilet ).
            Je m'adresse tout particulièrement aux médecins ici présents, je leur demande toute leur attention, car il pourrait glaner dans ma conférence des renseignements utiles, le tabac, en dehors de ses méfaits s'employant aussi en médecine. Ainsi, par exemple, si on enfermait une mouche dans une tabatière, il se pourrait qu'elle y crève de dépression nerveuse.
            Le tabac c'est principalement une plante...
            Lorsque je fais une conférence, j'ai habituellement l'oeil droit qui se met à cligner, n'y faites pas attention, c'est l'émotion. Je suis un homme très nerveux en général, et je me suis mis à cligner de l'oeil en 1889, le 13 septembre, le jour même où ma femme a, en quelque sorte, donné le jour à ma quatrième fille, Varvara. Mais ( il regarde sa montre ) comme je n'ai que peu de temps ne dévions pas du sujet de la conférence. J'attire votre attention sur le fait que ma femme dirige une école de musique et un pensionnat pour jeunes filles, c'est-à-dire, pas vraiment un pensionnat, mais tout comme.
            Entre nous, ma femme aime pleurer misère, mais en fait elle a mis de côté un petit magot de quarante ou cinquante mille roubles, tandis que moi je n'ai pas un sou vaillant... enfin, que voulez-vous... Je suis l'économe du pensionnat. J'achète les provisions, je surveille les domestiques, je marque les dépenses, je confectionne les cahiers, je fais la chasse aux punaises, je promène le petit chien de ma femme, j'attrape les souris... Hier soir j'ai pesé la farine et le beurre pour la cuisinière car on devait faire des crêpes. Bref, aujourd'hui, quand les crêpes étaient prêtes, ma femme est venue à la cuisine annoncer que trois de ses pensionnaires souffrant des amygdales ne mangeraient pas de crêpes. C'est pourquoi nous avions quelques crêpes de trop. Que fallait-il en faire ? Ma femme a tout d'abord donné l'ordre de les mettre à la cave,mais, après réflexion, elle a changé d'avis et dit :
            - Mange-les toi-même, espèce d'empaillé.
            Quand elle est de mauvaise humeur elle me traite d'empaillé, ou de monstre, ou de démon. Qu'est-ce que j'ai de démoniaque, pourtant ? Elle est toujours de mauvaise humeur. Et ces crêpes, je ne les ai pas mangées, mais avalées sans mastiquer, parce que j'ai toujours faim. Hier, par exemple, elle ne m'a pas permis de dîner :                                                                   fabricademagie.ro
            - Il n'y a pas de raison de te nourrir, espèce d'empaillé...
            Mais ( il regarde sa montre ) nous bavardons, nous              bavardons et nous nous sommes un peu éloignés du sujet. Continuons. Bien que vous auriez sûrement préféré entendre une romance ou, comme qui dirait, une symphonie, un air d'opéra... ( Il chante )
            " Au coeur du combat nous ne cillerons pas... "
            Je ne me rappelle plus d'où ça sort... A propos j'ai oublié de vous dire qu'à l'école de musique de ma femme, en dehors de mes obligations domestiques, je suis également chargé d'enseigner les mathématiques, la chimie, la géographie, l'histoire, le solfège, la littérature, etc. Pour les leçons de chant, de danse, de dessin, ma femme fait payer un supplément, bien que ce soit également moi qui enseigne. Notre école de musique est située dans l'impasse des Cinq-Chiens, au numéro 13, et notre maison a 13 fenêtres... que voulez-vous... Enfin, pour tous renseignements adressez-vous à ma femme que vous trouverez chez elle à n'importe quelle heure. Quant au programme de l'école, vous pouvez, si vous le désirez, vous le procurer chez le concierge, à raison de 30 kopeks l'exemplaire.
            ( Il sort de sa poche quelques brochures )
            Je peux vous en céder quelques-uns moi-même. 30 kopeks l'exemplaire ! Personne n'en veut?
           ( Une pause )
           Personne ? Bon, 20 kopeks pièce !
           ( Une pause )
           Tant pis. Oui, nous habitons au numéro 13. Je ne réussis jamais rien, j'ai vieilli, je suis abruti.
           Me voilà en train de faire une conférence, et j'ai l'air content comme ça quant, en réalité, j'ai envie de hurler ou de me trouver à mille lieues d'ici. Et personne à qui vider mon coeur... c'est à pleurer... Vous me direz, vos filles... Les filles ? Quand je leur en parle ça les fait rire, et c'est tout... Ma femme a sept filles... Non, excusez-moi, six, si je ne me trompe...
            ( Vivement )
           Sept ! L'aînée, Anna, a vingt-sept ans, la plus jeune en a dix-sept. Messieurs... Mesdames...
           ( Après un coup d'oeil vers la coulisse )
           Je suis malheureux, je ne suis plus qu'un abruti, qu'un minus, mais, en fait, vous avez devant vous le plus heureux des pères. En fait, cela devrait être ainsi et je ne saurais dire autre chose. Si vous saviez ! J'ai vécu avec ma femme trente-trois ans, et je dois dire que c'étaient là les années les plus heureuses de ma vie. Pas vraiment les plus heureuses, mais je parle en général. Elles se sont évanouies comme un seul, bref instant de bonheur, que le diable les emporte.
            ( Un coup d'oeil vers la coulisse )
            Mais je crois bien qu'elle n'est pas encore arrivée, elle n'est pas là et je peux dire tout ce que bon me semble... J'ai horriblement peur, peur de son regard. Oui, c'est bien comme je le dis : mes filles ne se marient pas, parce qu'elles sont timides et parce que les hommes ne les voient jamais. Ma femme ne veut pas donner de soirées, elle n'invite jamais personne à un repas. C'est une dame très avare, hargneuse et méchante, c'est pourquoi personne ne vient jamais nous voir, mais... je vais vous le dire sous sceau du secret...
            ( Il s'approche de la rampe )
            On peut rencontrer les filles de ma femme lors des grandes fêtes de l'année chez leur tante, Nathalia Semionovna, celle qui a des rhumatismes et porte une sorte de robe jaune à dessins noirs, à croire qu'elle est couverte de cafards. Chez elle on sert des hors-d'oeuvre, et quand ma femme n'y est pas, on peut même se permettre de...
            ( Il fait le geste de boire )
            Il faut vous dire qu'il me suffit d'un petit verre pour être ivre, et cela me fait chaud au coeur, et en même temps ça me rend si triste que je ne saurais même pas l'exprimer. Soudain, on ne sait trop pourquoi, votre jeunesse vous remonte et, on ne sait trop pourquoi, on a envie de prendre la fuite. Ah ! si vous saviez comme on peut en avoir envie !
   chantalserriere.blog.lemonde.fr                                                          ( Il s'enflamme )
tolstoi.1272643847.jpg             Fuir, laisser tomber tout ça et fuir sans se retourner... où ? N'importe où, pourvu qu'on se sorte de cette sale petite vie sordide, de cette vie au rabais qui a fait de moi un vieil imbécile pitoyable, un pitoyable vieil idiot, fuir cette bonne femme avare, sotte, mesquine, méchante, méchante, méchante, fuir ma femme qui m'a tourmenté pendant trente-trois ans, fuir la musique, la cuisine, l'argent de ma femme, fuir toutes ces sottises, toute cette vulgarité... et s'arrêter quelque part, très, très loin, au milieu d'un champ, rester debout, comme un arbre, un poteau, un épouvantail de potager, sous un grand ciel et, toute la nuit, contempler au-dessus de sa tête, le croissant de lune calme et serin, et oublier, oublier... Oh ! comme j'aurais aimé ne plus me souvenir !... Comme j'aurais voulu m'arracher ce sale habit râpé, que je portais à mon mariage, il y a trente ans...
            ( Il arrache  son habit )
            Que je porte toujours quand je fais des conférences dans un but de bienfaisance... Tiens, voilà pour toi !
            ( Il piétine son habit )
            Voilà pour toi !. Je suis vieux, pauvre, minable comme ce gilet avec son dos usé, élimé...
             ( Il montre son dos )
            Je ne demande rien ! Je suis au-dessus de tout cela, plus propre que ça,. Il fut un temps j'étais jeune, intelligent, je faisais mes études à l'Université, je rêvais, je me considérais comme un être humain.. . Maintenant, je ne demande plus rien ! Rien que le repos... que le repos.
            ( Il jette un coup d'oeil vers la coulisse et remet rapidement son habit )
            Cependant, voilà ma femme qui arrive dans les coulisses... Elle y est, elle m'y attend...
            ( Il regarde sa montre )
           Il est l'heure... Si elle vous demandait quelque chose, dites-lui, je vous prie, que la conférence a eu lieu... que l'espèce d'empaillé, c'est-à-dire moi, s'est tenu convenablement/
            ( Il jette un coup d'oeil dans la coulisse, s'éclaircit la voix )
            Elle regarde par ici.
            ( Il élève la voix )
            A partir de la donnée que le tabac contient le poison terrible dont je viens de vous parler, il découle qu'il ne faut fumer sous aucun prétexte, et je me permettrai, en quelque sorte, d'espérer que la conférence sur " les méfaits du tabac " que je viens de faire, aura eu son utilité. C'est tout ce que j'avais à dire. Dixit et  animam levavi !

                                                             ( Il salue et sort avec majesté )

                                                      Anton Tchekhov

                                                                     ( 1902 )   
                                                  


                               


                              

samedi 23 février 2019

Palimpsestes Alexandra Lun ( Roman Belgique )


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                                                      Palimpsestes

            Czeslaw Przesnicki se définit comme un écrivain antarctique ( ! ), écrivain raté ( il n'a vendu que 6 exemplaires de son premier roman Wampir ), mais écrivain aussi a-t-il commencé à écrire son second roman Kaskader sur les vieilles feuilles du journal Standaard, enfermé dans la salle de bains de l'hôpital psychiatrique, à Liège, où il est momentanément interné, en très bonne compagnie. Son compagnon de chambre, le père Kalinowski arrivé de Pologne pour d'obscures raisons, insomniaque il prie et parle au pape et bénit son voisin. Mais " .......... je ne pouvais lutter contre la pulsion créatrice dans un lieu aussi lié à la folie et à la littérature......... " Car dans ce lieu circulent assez librement des grands noms de littérature et lors de la visite quotidienne à la doctoresse qui prétend soigner ses étonnants et intelligents patients avec des soins bartlebiens. 
            Sous l'apparent ridicule du sujet et des situations, scènes et propos récurrents d'un chapitre l'autre, le livre court est drôle et les pensées profondes abondent.
            Un jour notre héros s'aperçoit qu'il ne se souvient plus de certains adjectifs de sa langue maternelle, l'antarctique, par contre il n'a pas oublié les moments passés avec Hemingway. De son rêve de vétérinaire à la pratique des langues étrangères " ........ Les langues, à l'exception de notre langue maternelle, sont comme les chats. Pour comprendre pourquoi je ne compare pas les langues étrangères aux chiens............. Les chiens sont l'image stéréotypée de la fidélité......... Ni un chat, ni une langue étrangère ne perd son temps avec quelqu'un qui ne lui voue pas un culte quotidien, et seuls les langues maternelles et les chiens peuvent défier l'oubli............. "
            Dans le cabinet de la doctoresse, Czeslaw croise Nabokov agité crie ;
            " - Et qu'allez-vous faire de nous les immigrants littéraires ? Nous expulser de votre pays d'écrivains natifs ?.......... Parce que nous sommes des écrivains illégaux ?................ Passer du russe à l'anglais comme langue d'écriture a été une expérience très douloureuse. Comme si j'avais dû réapprendre à m'emparer des objets......... Ma tête parle anglais et mon coeur, russe ! et mon ouïe, français !.................."
            Dans le cabinet de la doctoresse l'auteur ( c'est écrit à la 1re personne ) croise Conrad qui interpelle comme dans ses livres, en marin, Cioran, l'écrivain roumain qui écrit en français :
            " - ............ Il m'a été difficile d'écrire en français...... parce que par tempérament cette langue ne me convient pas. Il me faut une langue sauvage, une langue d'ivrogne. Le français a été pour moi une camisole de force........... "
            " Samuel Becket pour vous servir....... " Formule répétée  plusieurs fois.
            Que dire à une femme qui a déjà combattu un lion, écrit en anglais ".... parce que ça lui rapporte davantage....... " Karen Blixen.
             Ionesco, père roumain et mère française, et d'autres internés provisoires seront peut-être membres de l'association qui veut protéger les auteurs de langues maternelles, de langues marâtres.
             Alexandra Lun, née en Pologne, vit en Belgique, écrit en Espagnol, publie en France ce premier roman.
           







            

mardi 19 février 2019

Mozart Lettres à sa soeur ( extraits ) 5 ( Correspondance Allemagne )


cineclubdecaen.com

                                   Leopold Mozart à Lorenz Hagenauer à Salzbourg

                                   Vienne, le 29 juin 1768

            .......................
            J'aurais bon nombre de choses à vous raconter au sujet des complots les plus perfides et des persécutions les plus cyniques dont nous sommes l'objet, mais je suis trop fatigué pour y réfléchir et préfère me réserver pour " une conversation de vive voix qui ne saurait tarder ".
            ..................
            Nous sommes, Dieu merci, en bonne santé, même si les envieux nous attaquent de tous côtés. Vous le savez je m'en tiens à ma vieille maxime : " in te Domine speravi, etc., fiat voluntas tua, etc." Ma femme, Wolfgang, Nannerl et moi vous faisons à tous nos compliments et espérons bientôt recevoir de vos nouvelles, sinon nous viendrons les chercher nous-mêmes. Nos compliments à tous nos bons amis et amies, et je suis le vieux...



                                      Leopold Mozart à id..

                                      Vienne, le 30 juillet 1768

            ....................... En ce qui concerne notre si long séjour à Vienne, nous sommes extrêmement mécontents. Oui, seul notre honneur nous retient ici, sinon nous serions depuis longtemps de retour à Salzbourg. Voudriez-vous en effet que tout Vienne dise que Wolfgang n'a pas été capable de terminer l'opéra, ou qu'il était si mauvais qu'il ne put être mis en scène, ou encore qu'il ne l'avait pas composé lui-même mais que son père l'avait écrit, etc. Voudriez-vous que nous attendions de sang-froid que l'on répande de telles calomnies dans le monde entier ?...........
            Je ne peux ici qu'esquisser brièvement l'affaire, car il est impossible de la décrire dans tous ses détails, mais vous allez comprendre. Si j'avais su tout ce que je sais maintenant et si j'avais pu me douter de ce qui allait se passer, Wolfgang n'aurait pas écrit une seule note et serait depuis longtemps à la maison.
            Le théâtre est donné en bail ou plutôt livré à un certain Affligio. Celui-ci paye quelques milliers de florins à des gens que la cour devrait sans cela rémunérer, et l'empereur et la famille impériale ne paient rien pour leurs loges. Par suite la cour n'a pas un mot à dire dans les affaires de cet Affligio, du fait que l'entreprise est à ses risques et périls et qu'il risque vraiment de courir à sa perte, comme vous allez bientôt l'apprendre.                                                                     repro-tableaux.com
            Sa Majesté avait demandé à notre Wolfgang s'il voulait écrire un opéra, et dit qu'il aimerait le voir diriger lui-même au clavecin. Sa Majesté en fit prévenir Affligio qui se mit d'accord avec nous pour nous verser 100 ducats. L'opéra devait être écrit pour Pâques, mais le poète fut le premier à l'empêcher en tardant toujours plus à apporter les modifications nécessaires ici ou là, de sorte qu'à Pâques nous n'avions reçu de lui que deux airs corrigés. On remit alors à la Pentecôte.......  C'est alors que les masques tombèrent. Car entre temps tous les compositeurs, Glück en particulier avaient tout mis en oeuvre pour empêcher l'opéra d'avancer. On embobina les chanteurs, on ameuta l'orchestre et l'on fit tout pour bloquer sa mise en scène. Les chanteurs qui savent de toute façon à peine lire leurs notes et dont certains doivent apprendre d'oreille leurs rôles, ont dû affirmer qu'ils ne pouvaient pas chanter leurs airs alors qu'ils les avaient auparavant entendus chez nous, les avaient approuvés, applaudis et dit qu'ils leur convenaient. L'orchestre ne voulait plus être dirigé par un enfant, et cent objections de ce genre.
            Entre temps, certains firent courir le bruit que la musique ne valait pas un clou, d'autres affirmèrent qu'elle ne suivait pas les paroles ni la prosodie car l'enfant ne comprenait pas suffisamment l'italien.
            Dès que j'entendis cela je me mis à apporter la preuve, dans divers endroits bien en vue, que le père de la musique, Hasse et le grand Metastasio avaient déclaré que les calomniateurs n'avaient qu'à venir les trouver pour entendre de leur bouche que 30 opéras étaient donnés à Vienne qui ne valaient pas celui du petit garçon, et qu'ils avaient tous deux la plus grande admiration pour lui.
            On dit alors que ce n'était pas l'enfant qui avait composé l'opéra, mais le père.
            Mais ici les calomniateurs perdirent tout crédit......... et s'assirent dans la moutarde.
            Je fis prendre le premier volume venu des oeuvres de Metastasio, fis ouvrir le livre et présenter à Wolfgang............ il prit la plume et, sans trop réfléchir, et devant de nombreuses personnes de qualité, il composa à une vitesse étonnante la musique de cet air et un accompagnement de nombreux instruments..........
            Cent fois j'ai voulu faire mes malles et m'en aller, si cet opéra avait été un " opéra seria " .......... mais comme c'est un opéra buffa...........
Nous sommes des gens honnêtes qui font connaître au monde pour la gloire de leur prince..... un miracle que Dieu a fait naître à Salzbourg. Je dois cette reconnaissance à Dieu, sinon je serais la personne la plus ingrate qui soit..............
            Vous voyez comme nous devons nous battre en ce monde. Si l'homme n'a aucun talent, il est suffisamment malheureux, mais s'il en possède un les envieux le poursuivent en proportion de son talent...........



                                               Leopold Mozart à id.

 repro-tableaux.com                                               Vienne, le 6 août 1768

            ;.............................. Avez-vous entendu parler du succès de l'innoculation de la variole ?
            A Meidling, près de Schönbrunn, l'impératrice a mis une maison à la disposition des enfants traités par " l'inoculateur anglais ".
            Il s'agit d'enfant pauvres  qui reçoivent chacun, ou plutôt leurs parents, un ducat à leur admission.
            40 ont déjà été inoculés avec succès. L'empereur et l'impératrice viennent presque chaque jour leur rendre visite et soutiennent de toutes leurs forces cette entreprise.
            En revanche, presque tous les médecins sont furieux.
            Ce n'est pas étonnant, cette maladie et le traitement rapportaient généralement gros, quelle qu'en soit l'issue.
            Dieu merci, notre inoculateur était " le meilleur ".



                                              Leopold Mozart à id..
        
                                              Vienne, le 14 septembre 1768

            ... En ce qui concerne l'opéra de Wolfgang, je ne puis en bref rien vous dire d'autre, si ce n'est que tout l'enfer musical s'est déchaîné pour empêcher que soit constaté le talent d'un enfant. Je ne peux faire pression pour que l'on monte l'opéra, car si cela devait être, on m'a juré qu'il serait interprété de manière misérable afin qu'il échoue. Je dois attendre l'arrivée de l'empereur, sinon la bataille aurait commencé depuis longtemps. Je ne laisserai rien passer, croyez-moi, qui puisse sauver l'honneur de mon enfant. Je le savais depuis longtemps, mais je le redoutais depuis longtemps encore. Je l'ai d'ailleurs déjà dit à Son Excellence le comte von Zeil qui croyait pourtant tous les musiciens prévenus en faveur de Wolfgang, car il portait son jugement sur les apparences et ignorait la méchanceté de ces animaux. Patience, le temps éclairera cette affaire et Dieu ne permet rien en vain
            Adieu, je suis le vieux.



                                            Species Facti de Leopold Mozart

                                            Vienne, le 21 septembre 1768

            Species Facti                                                                                                jaime.litalie.free.fr
            Après que la noblesse viennoise se fut convaincue du talent extraordinaire de mon fils, tant par les nouvelles reçues de l'extérieur que par ses propres investigations et après l'avoir mis à l'épreuve, on fut généralement d'avis qu'il serait merveilleux qu'un enfant de 12 ans écrivit un opéra et le dirigeât lui-même, ce qui ne s'est jamais vu, ni actuellement ni dans le passé. Un article paru dans une revue scientifique de Paris renforça cette opinion car, après une description détaillée du génie de mon fils, l'auteur affirme ; " je ne désespère pas qu'avant qu'il ait atteint l'âge de 12 ans il n'ait déjà fait jouer un opéra sur quelque théâtre d'Italie ", et chacun croyait qu'il devait réserver une telle gloire à sa patrie.......... Le ministre hollandais, le comte von Degenfeld,fut le premier a en faire la proposition à l'imprésario Affligio........... le chanteur Caratoli fut le second à en parler à Affligio, et l'affaire fut conclue avec l'imprésario chez le médecin Laugier............
            Je demandai à Caratoli de venir l'entendre......... il vint et son admiration fut telle qu'il revint le lendemain en compagnie de Garibaldi..............
L'opéra était donc fini depuis quelques semaines............. mon fils avait à diverses occasions interprété au piano devant la noblesse l'un ou l'autre air...... à l'émerveillement de tous................
            Seulement, comment aurais-je pu l'imaginer !, c'est alors que commencèrent les persécutions  contre mon fils......................
            Mais ici,...........  les chanteurs n'avaient pas encore suffisamment appris leurs rôles et n'avaient eu aucune répétition au piano, n'avaient pas étudié ensemble les " finali ", et pourtant on fit une répétition du premier acte avec tout l'orchestre, pour conférer dès le début un aspect confus et amoindri de cette oeuvre.............
            Après la répétition Affligio me dit : " que c'était bien, mais.......... il convenait d'y apporter quelques modifications........... "
            On modifia donc............ Finalement le terme était passé et j'entendis dire qu'Affligio avait fait distribuer aux chanteurs les parties d'un autre opéra. On dit même qu'Affligio n'avait pas l'intention de monter l'opéra et qu'il avait laissé entendre que les chanteurs n'étaient pas en mesure de le chanter, alors que ces derniers l'avaient approuvé auparavant et en avaient chanté les louanges.
            Pour assurer ma position contre ces racontas mon fils interpréta tout l'opéra au piano devant........ des mélomanes. Tous s'étonnèrent........ ils ne comprenaient pas cette attitude méchante, fausse et peu chrétienne.............. qu'au lieu d'encourager un talent surnaturel, il était étonnant de découvrir une cabale dont le seul but était d'empêcher un enfant innocent d'acquérir la gloire et l'honneur qu'il mérite.
            Je me rendis chez l'imprésario pour essayer d'apprendre la vérité. Il me dit :
            " Qu'il n'avait jamais été contre la mise en scène de l'opéra, mais que je ne pouvais lui tenir rigueur s'il voyait d'abord ses intérêts. On lui avait fait part de quelques doutes quant au succès qu'il pourrait remporter, qu'il donnait actuellement la Cecchina........qu'après il ferait tout de suite donner l'opéra de l'enfant........... il aurait au moins deux opéras à proposer............. "
            Mais les ennemis du pauvre enfant, quels qu'ils soient, ont une fois de plus contrecarré le plan. Je voulus m'en assurer et je me rendis chez lui et il me confirma la chose suivante
           " Il avait convoqué les chanteurs, ceux-ci avaient certes reconnu que la musique de l'opéra était incomparable, mais qu'elle manquait de caractère théâtral et qu'ils ne pouvaient donc pas le jouer
            Je ne compris absolument rien à ce discours............ Je lui répondis " qu'il ne pouvait exiger que l'enfant se soit donné pour rien la peine de composer un opéra. Je lui rappelai son accord et lui fis comprendre qu'il nous avait tenus en haleine pendant quatre mois, ce qui avait entraîné des frais........"
            Devant mes exigences bien justifiées, il me donna une réponse incroyable qui prouve bien son embarras à se sortir, je ne sais comment, de toute cette affaire et prit congé de moi avec des mots méchants et scandaleux, disant que " si je voulais prostituer mon enfant, il ferait huer et siffler l'opéra." 
            Coltellini en est témoin. Telle serait donc la récompense proposée à mon fils pour la peine qu'il s'est donné d'écrire un opéra ( son manuscrit comporte 558 pages) pour le temps perdu............ Quelles que soient ces balivernes et ces contradictions elles pourraient s'évanouir en fumée, à la honte des diffamateurs envieux et déshonorants, si l'on soumettait à un examen minutieux les facultés musicales de mon fils, ce que je demande humblement de faire entreprendre à l'occasion afin de rétablir son honneur.
            Chacun pourra alors constater qu'il ne s'était agi que de persécuter, dans la capitale de sa patrie allemande, et de faire le malheur d'une créature à laquelle Dieu a conféré un talent extraordinaire, que d'autres nations ont admiré et encouragé.


                                                                    à suivre................