La petite baronne
Un soir du mois dernier, à l'heure du dîner, je rencontrai sur le boulevard
des Italiens, mon ami Raoul : poignée de main, banalités d'usage !
- Comment va la baronne ? lui dis-je.
- La petite baronne ? Je n'en sais rien. Ce n'est plus à moi qu'il faut
demander de ses nouvelles.
- Comment donc ?
- Je l'ai vue hier pour la dernière fois. Ouf !
- Bah ! Est-ce sérieux ?
- Très sérieux.
- Et le motif ?
- Le motif ? Parbleu, il est bien simple. Elle commençait à m'ennuyer, à
m'agacer, à m'exaspérer.
- Fat !
- Fat tant que tu voudras ! Mais qu'est-ce que tu veux, si tu savais ce que
c'est qu'un amour qu'on ne partage plus, je ne connais pas de pire supplice.
Et quel amour que le sien, bon Dieu ! Encore si cette femme se contentait
de vous aimer ! Mais pas du tout ! Elle vous adore, elle vous idolâtre, elle
vous a des sentiments d'une élévation !... Des fureurs inquiétantes, une
jalousie toujours en éveil, enfin tout le bagage de la passion classique.
Voilà, elle a tâché que ce fut très beau, ça été seulement très ennuyeux !
- Ingrat !
- Ingrat, c'est possible, mais en amour la reconnaissance, qui est-ce qui
pratique ça, voyons, franchement ? On aime ou on n'aime pas.
remplacera.auprès d'elle...
- Mon Dieu oui, c'est peut-être la seule chose qui me tourmente un peu...
Je ne sais pourquoi, par exemple !
- Oh ! Tu vas devenir jaloux ! C'est bien fait !
- Allons donc !
Et il se mit à rire aux éclats pendant que nous entrions chez Peter's.
- Allons donc !
Et il se mit à rire aux éclats pendant que nous entrions chez Peter's.
Nous nous mîmes gaiement à table et Raoul continua ses confidences sur un ton moitié gai moitié sérieux. Mais au dessert il s'assombrit, il se mit à
boire à petits coups fréquents d'un air mélancolique.
- Qu'as-tu ?
- Moi ? Rien... Ou bien, si. Je veux être sincère jusqu'au bout. Je l'ai quittée, n'est-ce pas ? rien de mieux... Mais je crains d'avoir agi un peu brutalement.
Pauvre petite baronne.
- Tu as la naïveté d'avoir des torts ?
- Il faut que je répare tout ça. Il est trop tard ce soir, mais demain ! Je retournerai
chez elle, et... oui, c'est ça.
Nous nous séparâmes. Il était minuit. En quittant Raoul, le voyant toujours
rêveur je lui dis :
- Mais dépêche-toi donc d'y aller ce soir, il n'est jamais trop tard.
- Peuh, dit-il.
Je passai un grand mois sans le rencontrer.
Hier, au bois, dans un coupé discret, que vois-je ? Raoul et la petite baronne.
Deux tourtereaux !
Le lendemain matin Raoul était chez moi.
- Nous sommes raccommodés à perpétuité, s'écria-t-il joyeusement. Tu nous a
vus, n'est-ce pas ?
- Oh ! Raconte-moi tout ça.
- Eh bien, je m'étais trompé. Je l'aimais.
- Ah !
- Oui, sans le savoir.
- Et de qui l'as-tu appris ?
- Voici. Le lendemain de notre dîner je cours chez elle. Une petite fille de chambre
effrontée m'arrête au passage : " - Monsieur, vient pour Madame, sans doute,
Madame est partie. "
- Partie ! Qu'est-ce à dire ?
Et croyant à une mystification je poussai d'autorité la première porte qui se
trouvait devant moi, et pénétrai jusque dans la chambre à coucher, au grand
ébahissement de deux domestiques qui, en l'absence de la maîtresse, causaient
et riaient très haut, en s'étirant dans les fauteuils.
Je mis un louis dans la main de la fille de chambre.
- Où Madame est-elle allée ?
- Elle a dit : " Gare de Lyon ! " Je n'en sais pas plus long.
Je compris qu'il était inutile d'insister : il n'y avait pas de temps à perdre. Après
avoir fait quelques préparatifs en grande hâte, je volai vers Lyon.
Je m'étais pris subitement d'une telle fièvre, d'un tel désir de la revoir que, malgré
les loisirs du wagon, je ne pensais pas à analyser ce qui se passait en moi.
Était-ce regret ? Était-ce dépit ? Etait-ce autre chose ? Je ne le savais pas, je ne
voulais pas le savoir, je voulais la revoir, voilà tout.
A Lyon je parcourus toute la ville. J'entrai dans tous les hôtels. Pas de baronne.
Je me rappelai qu'elle avait à Grenoble des parents dont elle parlait quelques fois.
Je pris le train de Grenoble.
A Grenoble, personne encore. Alors je me mis à faire le tour de la France, allant, courant, tournant sous le fouet de ce désir implacable, que je commençai cependant à m'expliquer.
J'allai à Bordeaux qu'elle aimait beaucoup, j'allai à Bagnières où elle avait passé
la dernière saison, à Nice, sa ville favorite après Paris. Je déjeunais ici, je dînais
là, je ne couchais pas toujours où j'avais dîné. Pendant un mois les hôtels de
mainte et mainte cité eurent le spectacle d'un homme qui entrait d'un air sombre,
faisait des questions mystérieuses, ne mangeait pas du même appétit que les
autres voyageurs, et s e promenait à grand bruit dans sa chambre au lieu de
dormir. Car je l'aimais, je le comprenais enfin, éperdument.
Il me semblait toujours la voir s'envoler ironiquement devant moi, en tournant
la tête d'un air qui disait : " Imbécile ! Mérite-moi maintenant ! "
Je revins à Paris sans l'avoir retrouvée, triste, affreusement résigné à attendre son
retour. Alors, par hasard, j'appris qu'elle était depuis quelques jours à Nice.
Je me hâtai d'y retourner. Quand je me présentai chez elle, je devais être fort
pâle, car elle sourit. Je lui dis simplement :
- " M'aimez-vous encore ? "
Elle me regarda avec la joie contenue des triomphateurs. Puis :
- " Et vous, commencez-vous à m'aimer un peu ?
- Ne voyez-vous pas, méchante ? Pourquoi partir ainsi, pourquoi ?...
- Oh ! Parce que !... "
Et elle sourit malicieusement. Je baissai les yeux.
- " Et cela vous apprendra à vous ennuyer avec moi, reprit-elle. Surtout ne
recommencez pas, je ne ferai plus de grâce ! "
Embarrassé, plein de remords et d'espérances, je ne savais plus quelle
contenance tenir.
Elle se jeta à mon cou.
Germain Nouveau
boire à petits coups fréquents d'un air mélancolique.
- Qu'as-tu ?
- Moi ? Rien... Ou bien, si. Je veux être sincère jusqu'au bout. Je l'ai quittée, n'est-ce pas ? rien de mieux... Mais je crains d'avoir agi un peu brutalement.
Pauvre petite baronne.
- Tu as la naïveté d'avoir des torts ?
- Il faut que je répare tout ça. Il est trop tard ce soir, mais demain ! Je retournerai
chez elle, et... oui, c'est ça.
Nous nous séparâmes. Il était minuit. En quittant Raoul, le voyant toujours
rêveur je lui dis :
- Mais dépêche-toi donc d'y aller ce soir, il n'est jamais trop tard.
- Peuh, dit-il.
Je passai un grand mois sans le rencontrer.
Hier, au bois, dans un coupé discret, que vois-je ? Raoul et la petite baronne.
Deux tourtereaux !
Le lendemain matin Raoul était chez moi.
- Nous sommes raccommodés à perpétuité, s'écria-t-il joyeusement. Tu nous a
vus, n'est-ce pas ?
- Oh ! Raconte-moi tout ça.
- Eh bien, je m'étais trompé. Je l'aimais.
- Ah !
- Oui, sans le savoir.
- Et de qui l'as-tu appris ?
- Voici. Le lendemain de notre dîner je cours chez elle. Une petite fille de chambre
effrontée m'arrête au passage : " - Monsieur, vient pour Madame, sans doute,
Madame est partie. "
- Partie ! Qu'est-ce à dire ?
Et croyant à une mystification je poussai d'autorité la première porte qui se
trouvait devant moi, et pénétrai jusque dans la chambre à coucher, au grand
ébahissement de deux domestiques qui, en l'absence de la maîtresse, causaient
et riaient très haut, en s'étirant dans les fauteuils.
Je mis un louis dans la main de la fille de chambre.
- Où Madame est-elle allée ?
- Elle a dit : " Gare de Lyon ! " Je n'en sais pas plus long.
Je compris qu'il était inutile d'insister : il n'y avait pas de temps à perdre. Après
avoir fait quelques préparatifs en grande hâte, je volai vers Lyon.
Je m'étais pris subitement d'une telle fièvre, d'un tel désir de la revoir que, malgré
les loisirs du wagon, je ne pensais pas à analyser ce qui se passait en moi.
Était-ce regret ? Était-ce dépit ? Etait-ce autre chose ? Je ne le savais pas, je ne
voulais pas le savoir, je voulais la revoir, voilà tout.
A Lyon je parcourus toute la ville. J'entrai dans tous les hôtels. Pas de baronne.
Je me rappelai qu'elle avait à Grenoble des parents dont elle parlait quelques fois.
Je pris le train de Grenoble.
A Grenoble, personne encore. Alors je me mis à faire le tour de la France, allant, courant, tournant sous le fouet de ce désir implacable, que je commençai cependant à m'expliquer.
J'allai à Bordeaux qu'elle aimait beaucoup, j'allai à Bagnières où elle avait passé
la dernière saison, à Nice, sa ville favorite après Paris. Je déjeunais ici, je dînais
là, je ne couchais pas toujours où j'avais dîné. Pendant un mois les hôtels de
mainte et mainte cité eurent le spectacle d'un homme qui entrait d'un air sombre,
faisait des questions mystérieuses, ne mangeait pas du même appétit que les
autres voyageurs, et s e promenait à grand bruit dans sa chambre au lieu de
dormir. Car je l'aimais, je le comprenais enfin, éperdument.
Il me semblait toujours la voir s'envoler ironiquement devant moi, en tournant
la tête d'un air qui disait : " Imbécile ! Mérite-moi maintenant ! "
Je revins à Paris sans l'avoir retrouvée, triste, affreusement résigné à attendre son
retour. Alors, par hasard, j'appris qu'elle était depuis quelques jours à Nice.
Je me hâtai d'y retourner. Quand je me présentai chez elle, je devais être fort
pâle, car elle sourit. Je lui dis simplement :
- " M'aimez-vous encore ? "
Elle me regarda avec la joie contenue des triomphateurs. Puis :
- " Et vous, commencez-vous à m'aimer un peu ?
- Ne voyez-vous pas, méchante ? Pourquoi partir ainsi, pourquoi ?...
- Oh ! Parce que !... "
Et elle sourit malicieusement. Je baissai les yeux.
- " Et cela vous apprendra à vous ennuyer avec moi, reprit-elle. Surtout ne
recommencez pas, je ne ferai plus de grâce ! "
Embarrassé, plein de remords et d'espérances, je ne savais plus quelle
contenance tenir.
Elle se jeta à mon cou.
Germain Nouveau
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