samedi 23 juin 2018

Jardin des Plantes Halle aux Vins 7 extraits in Le PIéton de Paris Léon-Paul Fargue ( Nouvelles France )

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                                                   Jardin des Plantes
                                                                                      Halle aux Vins
                                                                    in
                                                     Le Piéton de Paris

            Que de présence accumulée, que de présence spirituelle, que de fantômes dans ce quadrilatère parisien dont le Jardin des Plantes constitue en quelque sorte la Capitale ! Des médecins, des savants, des écrivains, ont travaillé, ont médité là : ......... Buffon, Bernardin de Saint-Pierre, Lamarck l'aveugle, Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire les Jussieu de Lyon, Daubenton qui, en bon républicain n'admettait pas le " roi " des animaux, Claude Bernard, La Bruyère, Michelet, Balzac, les Goncourt,
Bourget... Peu d'endroits gardent le souvenir de tant d'hommes. On est en droit de préférer Berlin, Batoum, Hambourg, Cadix à notre institution républicaine, modeste, assez peu gâtée par les pouvoirs publics, mais combien " excitante " pour l'esprit, selon le mot de Barrès ! On ne saurait oublier que le Jardin des Plantes de Paris a une galerie d'ancêtres comme personne au monde, et des souvenirs de science, de dévouement, de passion, qui en font autre chose qu'un square organisé militairement et privé de charme, comme sont beaucoup d'établissements étrangers.
            Le Jardin des Plantes............. est l'oeuvre de deux médecins du XVIIè siècle, Hérouard et Gui de la Brosse. Les lettres patentes qui lui confèrent une existence officielle et autonome sont de 1635, un an avant le Cid, une grande année, comme on dirait pour un vin... Mais le projet pour un jardin parisien est beaucoup plus ancien. Au XVè siècle , Houel rêvait déjà d'un jardin d'apothicaires. Par la suite, on parla du Jardin des Simples, du Jardin aux plantes médicinales. Enfin sous le règne de
Louis XIII, l'idée d'un établissement scientifique permanent prit corps. Gui de la Brosse créa les premières chaires d'enseignement. Fagon, médecin de Louis XIV, Tournefort, Vaillant et les deux Jussieu se succédèrent à la chaire de botanique. Buffon, à qui ce jardin allait comme un gant, lui fit fait en avant un mouvement considérable. Geoffroy Saint-Hilaire mit sur barreaux la ménagerie. Mais, depuis le XVIIè siècle, quelle que soit la branche que l'on examine, c'est partout, en botanique, en histoire naturelle, en minéralogie, une complète lignée de savants, de directeurs illustres que Paris, trop comblé sur trop de points, méconnaît : Chavreul, Milne-Edwards, Edmond Perrier, Mangin...
Image associée  *         Aujourd'hui, avec ses salles de cours et ses laboratoires, ses galeries de collections, ses dessins d'histoires, ses galeries de collections, d=ses dessins d'histoire naturelle de 1630 à nos jours; ses caméléons arlequines, ses phyllies, feuilles ambulantes, ses phasmes, bâtons du diable; ses poissons aveugles, ses araignées de la taille d'une main de gloire, ses dioramas d'animaux dans des paysages polaires, son cèdre de 1735, ses insectes mimétiques, le Jardin des Plantes est un jardin de rêverie et d'amour, une curiosité incomparable de Paris, un lieu de rendez-vous pour philosophes. On aime que ce cadre éloquent, tout frémissant de rêves de crocodiles, de contorsions majuscules de serpents, de bâillements de tigres et de chuchotements de plantes rares, ait été celui de deux romans : Le Père Goriot et Le Disciple.
            Mais, à côté de ces deux récits connus, que d'aventures s'ébauchent et se défont dans cet endroit de Paris si accueillant ! J'ai beaucoup fréquenté, avant la guerre, deux amoureux qui se retrouvaient chaque nuit dans un restaurant de la rue des Fossés-Saint-Bernard. Tous deux s'étaient connus sur les chevaux de bois de la place Valhubert et tenaient depuis ce jour à passer pour ce qu'ils n'étaient pas. Lui, un grand gaillard à lunettes, faisait régulièrement le mur de l'Ecole Polytechnique, décrochait un feutre de mauvais goût chez un copain de la place Maubert, et se donnait pour un artiste désoeuvré et anarchiste. Elle, venait de la place Victor Hugo, descendait au coin du Pont Sully, se faisait une beauté de barrière en longeant la Halle aux Vins, jouissait dans le bistrot d'un prestige de môme de Paname, auprès du jeune homme qu'une acné traditionnelle rendait plus timide et plus rougissant encore. Nous goûtions ensemble aux spécialités du Mâconnais que le cafetier étalait sous nos yeux. L'odeur du marché public aux vins  et spiritueux répandait dans la nuit d'été un remugle de carnage qui finissait par griser ceux qui n'avaient pas l'habitude de ces ruelles. Des employés du Museum, de ceux que Balzac appelle les casquettifères, terminaient de lentes manilles sous le gaz. Un rugissement de lion ébranlait parfois le hall d'air dans lequel le quartier semblait s'être glissé avec ses tonneaux, ses chimpanzés et ses hydrophiles...
            J'observais les deux amoureux qui n'avaient pas l'air très catholique. Tous deux parlaient avec beaucoup de circonspection, comme deux illustres escrocs qui craindraient d'être pris en faute. Ils avaient mutuellement peur de se déplaire. Lui s'efforçait d'entretenir une conversation en émaillant ses monologues de vers de Bruant relatifs à la prison de Mazas, nom d'un brave donné à l'ancienne prison de la Nouvelle Force :                                                                      ouest-france.fr
Image associée                         " Vrai, j'm'enfil'rais ben un' bouteille ;   
                            à présent qu' t'es sortie d' là-bas ;'
                            envoy'moi donc un peu d'oseille :
                            à Mazas... "
            La jeune femme s'y laissait prendre et croyait avoir affaire à mylord l'Arsouille en personne. Ravie de passer pour une vamp dangereuse aux yeux d'un inconnu qu'elle prenait pour un mec à la redresse, elle raffinait sur le vulgaire et faisait de son mieux pour manger avec ses doigts.
            En réalité, elle était affectée de quelques millions et ne savait comment employer le plus agréablement son temps.
            Ces deux gosses, car ils étaient jeunes, s'aperçurent de leur supercherie réciproque un jour où s'éleva entre eux une discussion un peu vive à propos de quelques détails concernant le Jardin des Plantes. Piqué au vif, le polytechnicien donna brusquement la traduction exacte de la devise qui orne la coupole du Belvédère : " Horas non numero nisi serenas... "  Puis il s'empara du menu de la boutique et, crayon en main, expliqua le mécanisme de l'appareil que M. de Buffon avait établi sur ce Belvédère, et qui sonnait régulièrement et exactement le milieu du jour...
            La jeune femme comprit alors qu'elle avait affaire à un fort en thème et qui s'était joué d'elle. A partir de ce jour, mes deux amis, dont j'avais pour ma part respecté l'anonymat, ne songèrent plus à s'embrasser. Elle, du moins, était redevenue mondaine, un peu femme savante. Je ne les entendis bientôt plus parler que de l'arbre aux Quarante Ecus, ou Ginko Biloba, des albums de fleurs de Van Spaendock, ou de la première girafe qui vint en France en 1827, et que MM. Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire ainsi que tous les membres de l'Administration du Museum présentèrent au Roi de France à Saint-Cloud, comme nous ferions aujourd'hui pour une cousine du Négus, un cheval de course ou une reine de beauté...
            Un beau matin, à l'occasion d'un procès, si j'ai bonne mémoire, le polytechnicien apprit par les journaux que sa " môme " était riche de trente ou quarante millions. Par pudeur, par discrétion aussi, peut-être par amour, elle ne se montra pluts dans la rue des Fosses-Saint-Bernard. Le jeune homme fut tué quelque part en novembre 1914. Quant à la demoiselle, il lui fut impossible de s'arracher aux fantômes du Jardin des Plantes. Elle s'est mariée, et chasse, dit-on... Peut-être envoie-t-elle quelque mammifère d'espèce assez peu répandue au quartier parisien où se déroulèrent ses premières amours...
            ................... L'autobus Place Pigalle-Halle aux Vins dépose, dans ce silence tout provincial, des gars de Montmartre en vadrouille sentimentale et des bourgeois de la rue des Martyrs qui veulent changer d'air.
            La plupart de ces touristes sont attirés ici par des promesses de vins de choix. Il est assez curieux que l'Entrepôt occupe aujourd'hui l'emplacement qui fut autrefois réservé, par définition, aux édifices religieux. On peut même se demander ce que fait tout ce liquide dans un quartier que tout semblait disposer à l'austérité : l'Abbaye de Saint-Victor, où fréquentèrent Pierre Abélard, Saint Bernard et Saint Thomas de Cantorbéry, un couvent de Bernardins devenu caserne de sapeurs-pompiers, une chapelle dédiée à Saint-Ambroise. Autrefois, on chantait à cet endroit de la Seine des hymnes dont la plupart furent composées par le chanoine Santeuil. C'est peut-être le couplet qui a rendu possible la transition de la période religieuse à la période bachique.
            Si les tonneliers, marchands, dégustateurs, limonadiers et rats de cave se taisent, ce sont les rues de la Cité du Vin qui sont éloquentes aujourd'hui : rue de Bordeaux, de Champagne...........
Résultat de recherche d'images pour "jardin des plantes"  **        L'Entrepôt se trouve partagé dans toute sa longueur par la rue de la Côte d'Or, donnant ainsi la préférence aux vins de Bourgogne, une des spécialités les plus authentiquement, les plus parfaitement françaises, et qui méritent partout le coup de chapeau. Les acheteurs au détail de nos grands crus, les chauffeurs des énormes camions Grutli, les plongeurs ou sommeliers de Paris constituent une sorte de Bourse à part, dont la rumeur et les parfums dépassent de beaucoup l'atmosphère des Bourses abstraites, où l'on ne se grise que de chiffres...
            La Halle aux Vins, contrairement à ce que l'on pourrait croire, est un des endroits les plus silencieux de Paris. Tout le quartier a d'ailleurs conservé, depuis que les Sciences Naturelles, le vignoble et le pressoir ont pris la place des couvents, une tranquillité religieuse. Le voyou y est rare, le comptable poli, le badaud respectueux. Pendant que les charretiers font manoeuvrer leurs chevaux dans les allées de l'Entrepôt, les épouses et les enfants vont rêver devant les arbres du Jardin des Plantes étiquetés comme des coureurs................
            N'oublions pas que l'endroit est fortement mêlé aux caprices de l'Histoire de France, et que c'est la Convention qui donna le nom de Museum au Jardin des Plantes.     


*            chicaboom.fr
**         /voyages.michelin.fr      



                                                                   Léon-Paul Fargue
                                                                           in Le Piéton de Paris

                                                                                      ( à suivre )

                                                                        

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