lundi 4 juin 2018

Le Piéton de Paris Feu Montmartre Léon-Paul Fargue extraits ( Nouvelles France )

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                                                    Le Piéton de Paris

                                                          Par ailleurs

            Souvent, je vois entrer dans ma chambre, encore éventée de ces lueurs spectrales et de ces grappes de tonnerres qu'échevèlent dans Paris les camions des Halles, je vois entrer, et pas plus tard qu'hier, quelque camarade ou quelque collègue, journaliste ou poète, qui me demande, qui me somme parfois de lui donner quelques lumières sur ma façon de travailler. Singulière question. Du moins, pour moi. Pour cet homme encore errant parmi les draps et les songes, étayé de fantômes, jouant à saute-mouton avec des vies antérieures, que je suis au matin. Ma méthode de travail ? Quelle serait-elle ? Et d'abord, en aurais-je une ? Serais-je l'esclave de quelque discipline régulière ? Serait-il vrai que je retrouve, pour sortir de la forêt, toujours le même sentier, que mes pas se posent sur les mêmes feuilles ?                                                                                 p.giroud.free.fr
Image associée            La question me redescend vers le rêve. Je comprends qu'elle contienne, pour " certains, certaines " doses d'intérêt. Ne sommes-nous pas.......... gens d'encre, semblables aux prestidigitateurs dont on aimerait de savoir comment ils s'y prennent pour faire sortir des truites de leur canotier ?
            - Voyons, Monsieur, me disait un jour une belle femme avide de s'instruire. Nous voici ensemble devant ce canal Saint-Martin pour lequel vous professez une passion maladive. Nous nous penchons ensemble sur cette eau immobile et sombre. Aucune voix ne monte pour moi de ce spectacle qui vous dit tant de choses. Demain, cependant, je lirai sous votre signature, dans quelque revue, des observations qui me frapperont par leur justesse ou leur poésie. Comment faites-vous ? 
            .......................... Il y a dans l'Art et dans le Sport, des questions de chambre noire et d'alembic qui passionnent les foules. Et je me mets à leur place. Quand j'étais jeune, je rêvais des minutes entières sur une image............... Il y avait là pour moi une série de mystères admirables, d'enchaînements et de lois où je voyais souvent quelque clef du monde.
            Mais que répondre aujourd'hui au collègue.............. Je ne sais. Ou plutôt je sais que je n'ai pas de méthode. Ce n'est pas qu'une force obscure et malicieuse me rende somnambule tout à coup et m'oblige à poser les deux coudes sur la table. Je ne tiens guère à l'inspiration.                 
            Qu'on veuille bien m'excuser de risquer ici quelques semble-paradoxes auxquels je tiens comme à la racine de mes yeux. Je ne me fie pas trop à l'inspiration. Je ne me vois pas tâtonnant parmi les armoires et les chauves-souris de ma chambre , à la recherche de cette vapeur tiède qui, paraît-il, fait soudain sourdre en vous des sources cachées d'où jaillit le vin nouveau. L'inspiration, dans le royaume obscur de la pensée, c'est peut-être quelque choses comme un jour de grand marché dans le canton. Il y a réjouissance en quelque endroit de la matière grise......... on entend galoper les lourdes carnes des idées ; les archers et les hussards de l'imagination chargent le papier net. Et voici que ce papier se couvrirait, comme par opération magique, et comme si, à de certaines heures, nous sentions, sur cette plage qui va d'une tempe à l'autre, le crépitement 
d'une mitrailleuse à écrire ?........                                                             pinterest.fr 
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            J'aime, moi, une certaine plastique des états de l'âme. Ne me confondez pas, s'il vous plaît, avec les Parnassiens, que, d'ailleurs, j'admire, ayant un faible pour les orfèvres contre les quincailliers. Les Parnassiens étaient hallucinés par le bas-relief. Moi, je me suis laissé appeler par les géographies secrètes......... les ombres, les chagrins, les prémonitions, les pas étouffés, les douleurs qui guettent sous les portes, les odeurs attentives et qui attendent, sur une patte, le passage des fantômes......... et des cendres de mémoire..................
            L'écrivain ne m'excite que s'il me décèle un principe physique......... que s'il me montre le sentiment " du concret individuel ". S'il ne donne pas à son ouvrage un caractère d'objet, d'objet rare, il ne m'intéresse qu'à la cantonnade....................
            Si j'avais quelque jeune disciple à former, je me contenterais probablement de lui murmurer ces seuls mots : 
            "  Sensible... s'acharner à être sensible, infiniment sensible, infiniment réceptif. Toujours en état d'osmose. Arriver à n'avoir plus besoin de regarder pour voir............. Il s'agit de devenir silencieux pour que le silence nous livre ses méthodes, douleur pour que les douleurs se glissent jusqu'à nous, attente pour que l'attente fasse enfin jouer ses ressorts. Ecrire c'est savoir dérober des secrets qu'il faut encore savoir transformer en diamants. "............


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                                                              Feu Montmartre
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            J'ai trouvé, me disait récemment un Anglais, pourquoi les Parisiens ne voyageaient pas : ils avaient Montmartre....... Patrie des Patries nocturnes. Un grand romancier disait un jour que les quatre forteresses du monde occidental étaient le Vatican, le Parlement Anglais, Le Grand Etat-Major
Allemand, l'Académie Française. Il oubliait Montmartre.......... bénéficiera certainement d'un renouveau de poésie quand le monde aura changé, comme on dit aujourd'hui. On écrira des vers et on fera de la peinture dès qu'on parlera moins de politique............
            La terre à chansonniers et à caricaturistes devient stérile......... Cela serre le coeur des vieux Parisiens.......... Pour un vieux Parisien, espèce très rare et qui tend à disparaître ( j'en ai connu un, et célèbre, qui prétendait que french-cancan était un mot français ), pour un vieux Parisien, Montmartre, le vrai, était celui des cabarets et des poètes, à commencer par le Lapin à Gill, on écrira Agile que plus tard....... on parle aujourd'hui de communisme, de stratosphère et de radiophonie dans les taximètres................. Le Sacré-Coeur se dresse entre le Moulin de la Galette et le Moulin Rouge..............
            Le Moulin de la Galette où, il n'y a pas si longtemps, on débitait encore de la galette, et le Moulin Rouge avant leur colonisation......... par des peintres sans talent, ni palette ni chevalet, des politiciens sans parti et des voyous sans occasions, ont été réellement habités par des artistes, au premier rang desquels il faut mettre Lautrec, et Maurice Utrillo, un des imagiers les plus vrais de Montmartrre, le peintre d'histoire de cette Butte............ Il y a un Montmartre qui ne cédera qu'à la demande de la dynamite : la Place du Tertre et son Coucou................les restaurants et les terrasses de ce paysage à la fois artistique, alpin......... où tous les Européens célèbres sans exception ont au moins pris un verre. Léon Daudet a bien raison d'écrire que Montmartre est un Paris dans Paris dont Clémenceau fut le maire. Un jour que je cheminais rue Lamarck, d'où l'on aperçoit tout le puzzle de la capitale, avec un ami du Tigre qui avait fait le coup de feu pendant la Commune, nous fûmes abordés par un grand personnage de la République qui se trouvait à Montmartre en voyage officiel.
            - Voyage officiel ? demanda l'ami de Clémenceau. Vous venez inaugurer une statue, créer une Loge ou décorer un peintre mort ?                                                                             hoocher.com
Aristede Bruand at His Cabaret: 1893            - Pas du tout, je viens faire une démarche auprès d'un indigène qui ne se dérange pas. Montmartre a des parties communes avec l'Olympe, et c'est ici que je me suis créé mes plus belles relations : Zola, Donnay, Capus, Picasso, Utrillo, Max Jacob et même Vaillant...
            Et le haut personnage nous entraîna sur la Butte chez Steinlen, qui vivait avec presque autant de chats que Léautaud. Steinlen était venu à Paris avec une lettre de recommandation pour un peintre inconnu dont on savait seulement qu'il vivait à Montmartre......... déniché dans l'ombre du Moulin de la Galette. Séduit par le décor, grisé par le charme de la population, par la couleur de la Montagne sacrée, Steinlen n'en voulut plus jamais " redescendre ". A quelque temps de là, bien avant la création de la Commune libre de la Butte, de la Vache enragée et autres corps constitués du dix-huitième arrondissement, Steinlen fut sacré citoyen de Montmartre. Il couchait jadis au Chat Noir avec Bruant et Jules Jouy, car le Chat Noir était connu à cette époque comme asile de nuit autant que comme cabaret.                                                                                                           
            Aujourd'hui Capitale des boîtes de nuit, Montmartre a été longtemps la plus charmante colonie de cafés que l'on puisse imaginer..............
Image associée            Un ministre peut-il habiter rue Lepic ? Un consulat accepterait-il de s'installer rue Damrémont ? C'est douteux..................
            L'influence de l'histoire et des légendes montmartroises est si forte, si lente à disparaître, que les commerçants eux-mêmes de ce quartier privilégié ont un parler, une âme différente, un regard délicieusement mystérieux et supérieur qui les distinguent de leurs collègues de la Place de l'Opéra ou du Rond-Point des Champs-Elysées. Je ne sais plus quel est le dessinateur qui me disait, un jour de lyrisme, alors que nous achevions sur un banc de la place du Tertre une nuit de printemps :
            - Ce quartier-là n'est pas seulement la fleur à la boutonnière de Paris, mais l'honneur de l'humanité !

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                                                          à suivre.................

                                                    Les Cafés de Montmartre
                                                                              
                                                                                          L. P. Fargue




            

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