jeudi 3 juin 2021

Le Journal du séducteur 18 Sören Kierkegaard ( Essai Danemark )





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            En tant qu'apparence, la femme est marquée par la virginité pure. Car la virginité est une existence qui, en tant qu'existence pour soi est, au fond, une abstraction et ne se révèle qu'en apparence. Abstraction aussi, l'innocence féminine, et c'est pourquoi on peut dire que la femme, dans cet état, est invisible. Il n'y avait d'ailleurs pas, comme on le sait, d'image de Vesta, la déesse qui, comme on le sait, représenta notamment la vraie virginité. Car cette existence est esthétiquement jalouse d'elle-même, comme Jahvé l'était éthiquement, et ne veut pas qu'il existe une image d'elle, ni même une représentation quelconque. 
            Il y a là une contradiction, ce qui est apparence n'existe pas et ne devient visible qu'en devenant apparent. Logiquement cette contradiction est tout à fait dans l'ordre et celui qui sait penser logiquement n'en sera pas gêné, mais s'en réjouira. Par contre, un esprit illogique s'imaginera que ce qui est apparence existe au sens fini, comme on peut le dire d'une chose particulière qui existe pour moi.
           Cette existence de la femme ( existence en dit déjà trop car elle n'existe pas, " ex " elle-même ) est correctement exprimée par le mot " grâce, qui rappelle la vie végétative. Elles ressemblent à une fleur comme les poètes aiment à le dire, et même la spiritualité a en elle un caractère végétatif. Elle se trouve tout à fait sous la détermination de la nature et n'est, par conséquent, qu'esthétiquement libre. En un sens plus profond elle ne devient libre que par l'homme, et c'est pourquoi l'homme demande sa main  et on dit qu'il la délivre. S'il ne se trompe pas d'adresse, on ne saurait parler d'un choix. Certes, la femme choisit, mais si son choix était le résultat de longues réflexions, il ne serait pas féminin. Et c'est pourquoi il est déshonorant d'être éconduit, parce que l'homme en question s'est surestimé, il a voulu délivrer une femme sans en être capable. 
            Une profonde ironie s'y révèle. L'apparence prend l'aspect d'être ce qui prédomine ; l'homme demande, la femme choisit. D'après le concept qu'on se fait d'eux, la femme est la vaincue, l'homme le vainqueur, et cependant le vainqueur s'incline devant ce qui a été vaincu, et c'est même tout naturel et il n'appartient qu'à la grossièreté, à la stupidité et à l'insuffisance du sens érotique de ne pas tenir compte de ce qui résulte ainsi du contexte. 
            On trouve aussi une raison plus profonde de cela, car la femme est substance, l'homme est réflexion. C'est pourquoi elle ne choisit pas sans plus, mais l'homme demande, elle choisit. Mais l'homme en demandant ne fait que poser une question, et le choix qu'elle fait, n'est en fait qu'une réponse. En un sens l'homme est plus que la femme, en un autre infiniment moins.
           Cette apparence est la pure virginité. Si elle essaie de se mettre elle-même en rapport avec une autre existence, qui est existence pour elle, le contraste apparaîtra dans la pruderie absolue qui, en sens inversé est invisible, comme l'abstraction contre laquelle tout se casse, sans qu'elle-même prenne vie. La féminité assume alors le caractère de la cruauté abstraite, qui est le sommet caricatural de la vraie pruderie virginale. Un homme ne peut jamais être aussi cruel qu'une femme. 
            Les mythologies, les contes, les légendes le confirmeront si on les consulte. S'il faut donner un exemple d'un principe naturel qui ne connaît pas de limites à sa rigueur impitoyable, on le trouvera dans un être virginal.
            On frémit en lisant l'histoire d'une jeune fille qui, froidement, laisse ses prétendants risquer leur vie, comme il est souvent dit dans les légendes populaires. Un Barbe-Bleue tue la nuit-même de ses noces toutes les jeunes filles qu'il a aimées, mais il ne prend pas plaisir à les tuer, au contraire, le plaisir a été pris d'avance, ce qui constitue la manifestation matérielle : ce n'est pas une cruauté pour la cruauté.
Un Don Juan les séduit et les lâche, mais tout son plaisir est de les séduire et non de les lâcher. Il ne s'agit donc pas du tout de cette cruauté abstraite. 
            Plus je réfléchis plus je m'aperçois de la complète harmonie qui existe entre ma pratique et ma théorie. Car dans ma pratique j'ai toujours eu la conviction qu'essentiellement la femme n'est qu'apparence. C'est pourquoi, à cet égard, l'instant a une importance capitale, car une apparence est toujours son affaire. Un temps plus ou moins long peut s'écouler avant que l'instant arrive mais, aussitôt arrivé, ce qui primitivement était apparence affecte une existence relative et, du même coup, tout est fini. Je sais bien que les maris disent parfois qu'en un autre sens aussi la femme est apparence : elle est tout pour eux pendant toute la vie. Enfin il faut le leur pardonner à ces maris car, au fond, n'est-ce pas quelque chose qu'ils désirent se faire accroire l'un à l'autre ?     
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            Dans ce monde toute profession a généralement certaines coutumes conventionnelles et surtout certains mensonges de convention parmi lesquels il faut compter cette grosse bourde. S'entendre à l'instant n'est pas une chose aisée et celui qui échoue aura naturellement un tel ennui à traîner avec lui pendant toute la vie. L'instant est tout, et dans l'instant la femme est tout, mais les conséquences dépassent mon intelligence, entre autres celle aussi d'avoir des enfants. Enfin, je me crois un penseur assez logique, mais même fou je ne serais pas homme à penser cette conséquence-là, je ne la comprends pas du tout, il y faut du mari.
            Hier, Cordélia et moi avons été voir une famille à la campagne. On est surtout resté au jardin où on passait le temps à toutes sortes d'exercices physiques, entre autres à jouer aux grâces. Je profitai de l'occasion où un partenaire de Cordélia l'avait quittée pour le remplacer. Quels charmes elle déployait !
l'effort embellissant du jeu la rendait plus séduisante encore ! Quelle harmonie pleine de grâce dans les mouvements si inconséquents ! Quelle légèreté, on dirait qu'elle dansait sur les prés ! Malgré l'absence de toute résistance, qu'elle vigueur à s'y méprendre jusqu'à ce que l'équilibre explique tout, un dithyrambe dans l'attitude, et quelle provocation dans son regard ! Le jeu même avait un intérêt naturel pour moi, mais Cordélia n'y semblait pas prêter attention. Une allusion que je fis à l'une des personnes présentes sur le bel usage d'échanger des anneaux tomba comme un éclair dans son âme.
            Dès ce moment une lumière spéciale illumina toute la situation, l'imprégnant d'une signification plus profonde et une énergie accrue échauffa Cordélia. Je retins les deux anneaux sur ma baguette, m'arrêtai un instant et échangeai quelques mots avec les gens qui nous entouraient. Elle comprit cette pause, je lui relançai les anneaux. Peu après, elle les saisit tous deux sur sa baguette. Comme par inadvertance elle les jeta d'un coup verticalement en l'air, et il me fut naturellement impossible de les rattraper. Elle accompagna ce jet d'un regard plein d'une audace inouïe.
             On raconte qu'un soldat français qui faisait la campagne de Russie fut amputé d'une jambe gangrenée. A l'instant même où cette opération pénible fut terminée, il saisit la jambe par le pied et la jeta en l'air, s'écriant : " Vive l'Empereur ". Ce fut avec un même regard qu'elle aussi, plus belle que jamais, lança les deux anneaux en l'air, disant tout bas : " Vive l'amour ! " Je jugeai cependant imprudent de la laisser s'emballer dans cette disposition, et de la laisser seule en présence d'elle de peur de la fatigue qui, si souvent, en résulte. Je restai donc tout calme et, grâce à la présence des autres je la forçai à continuer le jeu comme si je n'avais rien remarqué. Une telle conduite ne peut qu'accroître son élasticité.
                                                                                                                       wikipedia.fr
            Si de nos jours on pouvait espérer trouver un peu de sympathie pour ces sortes d'enquêtes, j'offrirais un prix pour la meilleure réponse à la question suivante : au point de vue esthétique, qui est la plus pudique, une jeune fille ou une jeune femme, celle qui ne sait pas ou celle qui sait, et à laquelle des deux peut-on accorder le plus de liberté ? Mais ces questions-là ne préoccupent pas notre époque sérieuse. Une telle enquête aurait attiré l'attention générale en Grèce, tout l'Etat s'y serait intéressé et surtout les jeunes filles et les jeunes femmes. On ne le croirait pas de nos jours, mais on ne croirait pas non plus l'histoire de la querelle bien connue entre deux jeunes filles grecques et l'enquête fort scrupuleuse, car en Grèce on ne traitait pas ces problèmes avec légèreté, et pourtant tout le monde sait que Vénus porte un surnom en raison de cette querelle et que l'image de Vénus qui l'a immortalisée est universellement admirée.
            La vie d'une femme a deux périodes intéressantes : sa toute première jeunesse, et enfin quand elle a beaucoup vieilli. Mais elle a aussi, il n'y a pas à dire, un moment où elle est plus charmante encore qu'une jeune fille et où elle commande encore plus le respect, mais c'est un moment qui n'arrive que rarement dans la vie, c'est une image visionnaire qui n'a pas besoin d'être vue et qu'on ne voit peut-être jamais. Je me la figure alors saine, florissante, aux formes épanouies, elle tient un enfant sur son bras, il a toute son attention, elle est perdue dans sa contemplation. C'est une vision, dont il faut l'avouer, on ne trouvera pas la pareille pour la grâce, c'est un mythe de la nature qu'on ne doit contempler que du point de vue artistique, non comme une réalité. Il n'y faut non plus d'autres figures, ni d'entourage qui ne feraient que troubler la vision. Si par exemple on se rend dans une église, on a bien souvent l'occasion de voir paraître une mère avec son enfant sur son bras. Mais, ne serait-ce que l'inquiétant cri d'enfant et les pensées anxieuses des parents au sujet des perspectives d'avenir du petit, basées sur ce cri, l'entourage déjà nous dérange tellement que l'effet serait perdu, tout le reste fût-il parfait. On voit le père, ce qui est une grosse faute, parce que cela supprime le mythe, l'enchantement, et on voit, " horrenda refero, le chœur solennel des parrains, et on voit... mais rien du tout. 
            Comme vision imaginaire il n'y a rien de plus charmant. Je ne manque ni de hardiesse, ni de cran, ni de témérité pour oser une attaque, mais si, dans la réalité, une telle vision apparaissait devant mes yeux, je serais désarmé.


                                                          à suivre....... suite et fin dans le prochain post











                                       

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