Bande dessinée déjantée écrite et dessinée à quatre mains par un couple libre dans ses expressions, ses attitudes, ses rages. Près de quarante ans de vie commune commencée en Californie où ils se rencontrent pour bientôt s'installer dans le sud de la France. 250 pages pour découvrir les désirs, les névroses et fantasmes d'Aline Kominsky et de Robert Crumb ( qui sont aussi les nôtres ). Rares sont les dessinatrices de BD et sans doute le seul couple. Ils racontent la vie quotidienne, leur vie sexuelle très imagée, le besoin forcené d'Aline de musculation, son fessier abondant et ferme réjouit beaucoup son époux, lunaire tranquille obsédé sexuel. Leur étonnement est grand devant des femmes françaises si maigres alors que la nourriture du côté de Nîmes et ailleurs est si délicieuse. Les vieux des villages provençaux assis sur des bancs, les files d'attente au bureau de poste villageois. Abondamment raconté et dessiné ce couple très attachant donne vie à une petite fille Soph. Que dira-t-elle lorsqu'elle découvrira la vie intime de ses parents ainsi exposée. Traits caricaturaux, planches parues dans le New Yorker, l'histoire relève les caractères compliqués d'Aline Kominsky juive newyorkaise et la sombre nature de Robert Crumb, chef du groupe des dessinateurs underground grand amateur de musique des années 20, il possède environ 5 000 disques et surtout des 78 tours, il joue du ukulele, et en France l'accordéon, amateur de musette. Auteur de Fritz the cat, il renie le dessin animé réalisé sans son accord. Ce gros album réjouissant qui réunit les comics parus au fil des ans est fascinant, drôle. Une thérapie pour public très averti.
jeudi 31 mai 2018
mardi 29 mai 2018
Le Chant du départ Michel Audiard ( Roman France )
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livre.fnac.com
Le Chant du Départ
A Paris, face au magnifique Lion de Belfort de Bertholdi, se retrouvent Adrienne, Michel Audiard, Vera Varlope et d'autres au Grand Vizir, café accueillant et bienveillant. Il y a Kim, l'ancien boxeur, celui qui revoit pour la douzième fois Autant en emporte le vent qu'il aime énormément, mais sa mémoire défaillante lui permet une redécouverte au petit cinéma tout proche, alors qu'Adrienne a des habitudes à l'hôtel Moderna entre ses commissions et son arrêt apéro où elle rejoint son compagnon. Audiard scénariste des inoubliables répliques des, entre autres Tontons Flingueurs, disparu à 65 ans en 1985, écrit "...... si nous n'appréhendions pas d'être engloutis, demain peut-être....... j'écrirais mes souvenirs. Pas les vrais bien sûr... Les souvenirs sunlight... le ciné-bastringue..........." Alors les larmes des uns, les amours dépassés, arrive un moment où, bien qu'ils se connaissent tous très intimement, une blessure appuie plus fort, telle pour Adrienne l'étrange comportement de son boxeur affublé de son porte-jarretelles... Véra Varlope, aux seins prodigieux, la console. Au milieu de cette parodie d'un milieu mi-bourgeois mi- populaire, Audiard raconte quelques moments de cinéma, le vrai. Ainsi l'étrange rencontre entre Jean-Paul Belmondo et Patrick Modiano. Fascinés par Mesrine, longuement raconté jusqu'à sa chute commentée. Belmondo avait acquis les droits des souvenirs, " l'Instinct de mort ", de l'aventurier et eut l'étonnante idée de demander l'adaptation du livre pour le cinéma à Patrick Modiano ce qui " ....... embrumerait deux cerveaux réputés agiles : celui de Patrick Modiano et le mien ". Passant du présent au passé, l'auteur traverse les années 40, et l'on imagine un peu ce qui est caché. " Pour ma part ? L'Hôtel du Parc...... un vieillard qui se promenait là-dedans........... " Personnalité croquée " Hâve, les joues mangées par les yeux, un peu boscotte, mais des mains sublimes, la petite dame à la fois déchiquetante demeure collée au tragique du temps. Quant à Edith ( qu'on appelait encore la môme Piaf........... Et cette voix, bon Dieu !...... c'était beaucoup plus qu'une voix, plutôt quelque chose comme une plainte née dans les rues d'avant, et qui retombait dans les rues d'alors............. " Puis, aux deux tiers des souvenirs, le réel. L'amitié qui a lié Jean Gabin, qu'il nomme Moncorgé jamais par son prénom Alexis, son vrai nom. Ils affectionnent, comme d'autres, le buffet de la Gare de Lyon. "...... Assis là, attablé devant des moules farcies - T'es sûr qu'elles sont fraîches ? demandait-il chaque fois avant de passer commande ....... " Gabin-Moncorgé toujours inquiet, le passé, l'avenir, interrogé sur son salaire "..... Si on touche autant, c'est parce qu'on fait un métier saisonnier......... ", propriétaire terrien, père de famille en vacances, ".....Les profils d'Alexis Moncorgé sont, en ma mémoire, aussi variés que les pommes de Cézanne....... " Audiard ne raconte pas les films et les livres qu'il a écrits, mais dans ce livre posthume, des souvenirs en vrac. Il y a ceux des années 65/66. A cette époque-là, ne grelottant pas encore sous les chagrins et passant volontiers de l'anorak au bermuda, je participais volontiers au carnaval des saisons. Aujourd'hui, j'enfile les mêmes frusques......... " Parmi les pittoresques personnages n'oublions pas les deux mademoiselle Agnès, l'une du faubourg et la roublarde soeur installée rue de la Paix. Difficile d'échapper au scénariste Audiard, films devenus cultes, et à ses fantaisistes souvenirs.
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Le Chant du Départ
A Paris, face au magnifique Lion de Belfort de Bertholdi, se retrouvent Adrienne, Michel Audiard, Vera Varlope et d'autres au Grand Vizir, café accueillant et bienveillant. Il y a Kim, l'ancien boxeur, celui qui revoit pour la douzième fois Autant en emporte le vent qu'il aime énormément, mais sa mémoire défaillante lui permet une redécouverte au petit cinéma tout proche, alors qu'Adrienne a des habitudes à l'hôtel Moderna entre ses commissions et son arrêt apéro où elle rejoint son compagnon. Audiard scénariste des inoubliables répliques des, entre autres Tontons Flingueurs, disparu à 65 ans en 1985, écrit "...... si nous n'appréhendions pas d'être engloutis, demain peut-être....... j'écrirais mes souvenirs. Pas les vrais bien sûr... Les souvenirs sunlight... le ciné-bastringue..........." Alors les larmes des uns, les amours dépassés, arrive un moment où, bien qu'ils se connaissent tous très intimement, une blessure appuie plus fort, telle pour Adrienne l'étrange comportement de son boxeur affublé de son porte-jarretelles... Véra Varlope, aux seins prodigieux, la console. Au milieu de cette parodie d'un milieu mi-bourgeois mi- populaire, Audiard raconte quelques moments de cinéma, le vrai. Ainsi l'étrange rencontre entre Jean-Paul Belmondo et Patrick Modiano. Fascinés par Mesrine, longuement raconté jusqu'à sa chute commentée. Belmondo avait acquis les droits des souvenirs, " l'Instinct de mort ", de l'aventurier et eut l'étonnante idée de demander l'adaptation du livre pour le cinéma à Patrick Modiano ce qui " ....... embrumerait deux cerveaux réputés agiles : celui de Patrick Modiano et le mien ". Passant du présent au passé, l'auteur traverse les années 40, et l'on imagine un peu ce qui est caché. " Pour ma part ? L'Hôtel du Parc...... un vieillard qui se promenait là-dedans........... " Personnalité croquée " Hâve, les joues mangées par les yeux, un peu boscotte, mais des mains sublimes, la petite dame à la fois déchiquetante demeure collée au tragique du temps. Quant à Edith ( qu'on appelait encore la môme Piaf........... Et cette voix, bon Dieu !...... c'était beaucoup plus qu'une voix, plutôt quelque chose comme une plainte née dans les rues d'avant, et qui retombait dans les rues d'alors............. " Puis, aux deux tiers des souvenirs, le réel. L'amitié qui a lié Jean Gabin, qu'il nomme Moncorgé jamais par son prénom Alexis, son vrai nom. Ils affectionnent, comme d'autres, le buffet de la Gare de Lyon. "...... Assis là, attablé devant des moules farcies - T'es sûr qu'elles sont fraîches ? demandait-il chaque fois avant de passer commande ....... " Gabin-Moncorgé toujours inquiet, le passé, l'avenir, interrogé sur son salaire "..... Si on touche autant, c'est parce qu'on fait un métier saisonnier......... ", propriétaire terrien, père de famille en vacances, ".....Les profils d'Alexis Moncorgé sont, en ma mémoire, aussi variés que les pommes de Cézanne....... " Audiard ne raconte pas les films et les livres qu'il a écrits, mais dans ce livre posthume, des souvenirs en vrac. Il y a ceux des années 65/66. A cette époque-là, ne grelottant pas encore sous les chagrins et passant volontiers de l'anorak au bermuda, je participais volontiers au carnaval des saisons. Aujourd'hui, j'enfile les mêmes frusques......... " Parmi les pittoresques personnages n'oublions pas les deux mademoiselle Agnès, l'une du faubourg et la roublarde soeur installée rue de la Paix. Difficile d'échapper au scénariste Audiard, films devenus cultes, et à ses fantaisistes souvenirs.
dimanche 27 mai 2018
Mémoires d'un estomac écrits par lui-même 6 fin extraits Sydney Whiting ( Roman Angleterre )
tumblr.com
Mémoires d'un estomac
écrits par lui-même
pour le bénéfice de tous ceux qui mangent et qui lisent
Il y avait un autre inconvénient dont je souffrais : c'est la disparité des goûts entre notre jeune épouse et moi. Elle, pauvre, délicat estomac, était incapable de jouir des plats plus sérieux d'un solide ordinaire, de sorte qu'on me persuadait, par des caresses, d'ingurgiter des friandises et d'insipides potages que j'abhorrais. Mais enfin cela n'arrivait qu'à l'occasion et, je trouvais la vie matrimoniale favorable à ma santé et à mon confort.
Sur ces entrefaites notre beau-père était devenu un grand personnage de la cité. Il était déjà membre de la corporation et, avec le temps, il avait la chance probable d'atteindre le sommet de son ambition, le trône civique, c'est-à-dire la dignité de Lord-Maire. Entre lui et mon entière personne, l'homme vivant et pensant dans l'intérieur de qui j'étais claquemuré, il n'y avait jamais eu cette cordialité parfaite qui doit exister entre parents et alliés. Les goûts de mon maître tournés vers les arts et la littérature répugnaient instinctivement à l'esprit du père de sa femme. Tous ces beaux sentiments qui s'épanchent sur le papier et trouvent leur refuge dans les livres ne s'accorderont jamais avec la profession dont la poursuite de l'argent est le but, et qui mettent en jeu des facultés toutes différentes. Cela est très naturel......... Le dédain que M. Ledger ( registre ) manifeste pour ce pauvre M. Bookworm ( bibliothèque ) prend parfois une forme proche du ridicule. Ces antipathies entre le père et le mari de la jeune femme n'avaient pas assez d'intensité pour détruire l'aménité des rapports de famille, et nos bombances civiques furent très nombreuses.
Ma conviction est que si je n'avais jamais passé les limites de Temple-Bar je serais maintenant de dix ans plus jeune, mais, pour le présent, ma constitution est minée et menace, non d'explosion, mais d'effondrement..........J'étais un véritable dromadaire pour le poids que je pouvais porter et, bien que je pensasse souvent qu'Aquare la dernière bouchée me ferait crever d'une manière ou d'une autre, tout cela se trouvait logé, par le tassement, comme des voyageurs serrés dans un omnibus. Je ne veux pas dire que je ne grommelais jamais car j'avais un grognement pour chaque paquet que je trouvais trop lourd. Tout ce que je gagnais c'était un coup d'aiguillon sous forme d'un verre d'arak, stimulant comme un coup de fouet. Après je ne manquais jamais de bouder ..........
Maintenant que j'ai vieilli et blanchi au service je ne puis que déplorer la folie de mon maître obstiné à éperonner ainsi une monture de bonne volonté par constantes applications d'alcool. Celles-ci contribuaient bien plus à me détraquer que la surcharge d'aliments et elles affectaient en M. Head de manière à me faire croire qu'il ne jouissait plus de sa raison.
Permettez-moi de vous le dire, quand il se trouve un fou au dernier étage de la maison il ne fait pas beau jeu pour les autres logeurs. La familiarité engendre le mépris............
D'abord des petites doses de liqueur stimulèrent et accrurent mon énergie, jusqu'à ce que j'en vinsse à m'accoutumer à leurs effets incendiaires. Alors on me les envoya plus fortes et plus fréquentes.
Au bout d'un certain temps je refusai net de travailler sans le coup de fouet spiritueux, et le mal prit de telles proportions que mon maître était devenu un fieffé ivrogne. Il fut préservé de ce malheur par un médecin hydromatique, mais il faillit mourir par ce retour aux lois de l'hygiène.
Aquarius n'y allait pas de main morte, et au lieu de m'amener doucement à son régime débilitant, il retrancha tout d'un coup ma ration d'eau-de-vie. Par réaction je tombai donc dans une inertie absolue, et j'imagine ce que mon entourage eut à en souffrir. Puis un traitement plus prudent me rendit lentement un peu de mes forces. Mais au moindre dérangement je soupirais derechef après la rasade alcoolique et menaçais une rechute.
Cependant le temps s'écoulait et M. Hosier, le bonnetier, devenu un honorable Lord-Maire....... alla rejoindre ses aïeux. Il laissa à sa fille, la femme de mon maître, un gros héritage.
Je vis alors ceux qui avaient blâmé le plus haut notre " mésalliance " être les premiers à nous faire leurs civilités et à nous envoyer leurs compliments de condoléance.........
Cette nouvelle bonne fortune tourna tout à mon profit. Je n'avais qu'à exprimer un désir pour qu'il fût satisfait. Toutefois une insurmontable envie d'eau-de-vie se montrait quelquefois, et cette inclinaison perverse causait à mon maître une profonde anxiété. D'un caractère assez décidé, il lutta en se tournant vers les discussions théologiques. disputes qui faisaient rage alors parmi les sectes religieuses. Ces passions farouches mirent un frein à mes appétits de spiritueux.........
Tant d'acrimonie bilieuse, tant de mauvais vouloir, d'ignorance, de superstition et de bigoterie caractérisait ces disputes qu'un estomac indifférent ordinairement, éprouvait du dégoût et du chagrin
Cela dura quelque temps, puis le flot des mauvaises passions s'apaisa de notre côté.........
De la particularité de ma position, tout à la fois comme écrivain, commentateur, acteur et viscère, on verra jaillir de tous ces faits, au moins je le pense, un intérêt indépendant du simple récit.
* Je me hâte d'en finir, pourtant je remplirais mal la tâche que je me suis imposée si, avant de prendre congé du lecteur, je ne m'efforçais de lui communiquer, aussi brièvement que possible, les connaissances que je possède sur les moyens de conserver par mon entremise, le corps tout entier en santé et bien-être, afin que, lorsque l'auteur souverain de la vie nous retirera celle-ci, le souvenir des faveurs passées parle éloquemment à notre coeur et que la reconnaissance et l'amour puissent détacher doucement l'esprit de ce corps avec lequel il composait la merveille de notre existence terrestre.
On reconnaîtra dans la narration précédente que j'ai passé par les vicissitudes communes de la vie, et que si ma carrière n'a point connu ces péripéties extraordinaires qui charment les amateurs de romans, cependant j'ai joui des agréments de la variété. J'ai eu, pour ainsi dire, le gras et le maigre des choses qui se consomment, salubres ou insalubres, vivant quelquefois comme un coq de combat et quelquefois comme un moineau de Londres...................
Je n'avais nulle idée du sombre spectre de la faim hormis ces petits retards de mes repas, et les légères irrégularités de ma pitance concernaient plus la qualité que la quantité des aliments.
J'ai dîné dans des gargotes dont les effluves....... me rendirent malade tout le jour suivant J'ai joui de la vie dans quelques-uns des premiers clubs de Londres, j'ai fait bombance dans plusieurs de meilleurs restaurants de l'Europe. J'ai descendu dans les hypocaustes de Fleet-Sreet et dîné dans des tavernes véritables cavernes, où je me prenais à désirer être cent milles au loin, lorsqu'on découvrait sur la table l'éternel roastbeef, j'ai été régalé à la table d'hôte des premiers hôtels de Londres et nos villes d'eaux où les garçons sont de beaux messieurs qui vous servent avec un air de condescendance magnifique, qui glissent sans bruit, comme de vrais disciples d'Harpocrate, sur le tapis doublé des parquets. Ils devraient en vérité porter des roses à leur boutonnière, avec leur cravate blanche comme la neige. Ils ont l'apparence de gentlemen loués pour dire les grâces et n'accepteront rien au-dessous d'une pièce d'argent pour leur pourboire.......... Quant à cette dernière liqueur j'en ai eu de toutes les espèces, depuis le Johannisberg, au cachet d'or et au Sherry appelé " Per Alta ", si je me rappelle bien, à quatre guinées la bouteille, jusqu'au pauvre Marsala à neuf pence l'humble demi-pinte. Les vins doux mais peu corsés d'Italie, les vins aigrelets de la Suisse, les vins légers mais aromatiques du Rhin et de la Moselle, les vins généreux de France, spécialement le rubis de Bourgogne qui a reçu les baisers du soleil, les vins puissants de l'Espagne, ceux astringents du Portugal, sans omettre les fortes boissons du Nouveau Monde. Il a été dans ma destinée de leur donner asile tour à tour, et je puis dire que j'ai fait de mon mieux pour les accueillir avec cet intérêt amical, chaleureux d'un estomac anglais.
Je crois pouvoir dire que je connais toutes les nuances chromatiques du goût, depuis les notes délicates de l'alto, jusqu'à celles plus robustes mais moins savoureuses de la basse. ladyphoto.canalblog.com
Tout alla de travers avec l'introduction de ce " maudit esprit " aussi appelé " eau de feu ", qui avait aidé à exterminer ces pauvres Indiens. Sitôt qu'il eût franchi le seuil de ma porte, tout alla de travers, mais il avait un tel pouvoir de fascination que sa présence me charmait toujours. Pour leurs bienfaits, leurs mérites, ces articles de consommation quotidienne, le café, le thé, la bière, le cacao, le chocolat, lorsqu'ils étaient de bonne qualité méritaient de ma part une réception polie...............
Les questions les plus puériles peuvent embarrasser le plus savant Hipporate :
Pourquoi l'opium, par exemple, agit-il d'une manière diamétralement opposée sur deux constitutions différentes ? Pour l'un il est un sédatif et pour l'autre un excitant...........
Pourquoi la morsure d'un cobra tue-t-elle un homme ?
Qu'est-ce que l'Hydrophobie ?
Pourquoi l'écorce du Pérou, dans la plupart des cas, guérit-elle la fièvre intermittente ? Pourquoi le mercure produit-il la salivation ?
Pourquoi l'iode agit-il sur les glandes ?
Dîtes-nous même pourquoi les sels d'Epsom sont cathartiques ?
La Faculté entière est en querelle sur beaucoup des plus simples questions en médecine. De même qu'avant Sir Isaac Newton les gens voyaient tomber les pommes sur le sol sans en connaître la raison, ainsi les médecins ont reconnu certains phénomènes ou résultats patents à tous les yeux, sans en connaître le pourquoi et le comment..............
Je suis bien loin, humble estomac que je suis, d'attacher le moindre degré de culpabilité à ce genre d'ignorance.....................
La résolution des nébuleuses dans les mondes lointains du système de l'univers n'est pas plus merveilleuse que les secrets que nous peut révéler encore l'inspection minutieuse de la matière.........
Un estomac condamne la profession qui inonde les gens de drogues et de nostrums, prescrits en hiéroglyphes dignes tout au plus des tablettes de quelque astrologue du vieux temps.
Est-ce que la nécessité du gain est au fond de tout cela ?.........
Existerait-il entre le médecin et le pharmacien-préparateur un pacte tacite, si compliqué et si mêlé aux intérêts de l'un et de l'autre, qu'une réforme médicale fût impossible ? Nos praticiens de premier ordre sont peut-être, à tout prendre, la classe de citoyens la plus humaine, abstraction faite de leurs médecines, bien entendu, et la plus utile qui existe. La nature de leurs études affranchit leurs esprits et bien qu'ils tâtonnent en ce qui concerne la matière médicale, ils s'initient nécessairement aux mystères des sciences collatérales et acquièrent un degré d'instruction qui rend leur compagnie la plus agréable du monde.................
La règle que je recommande ensuite à l'attention du valétudinaire c'est le Choix judicieux du Régime à Suivre.........La régularité des repas est un autre point essentiel, car je puis travailler avec beaucoup de vigueur quand je suis appelé à le faire à des intervalles fixes et convenablement espacés.
L'exercice est une condition " sine qua non ". La machine s'embarrasse à moins qu'une salutaire dépense, la marche par exemple, ne soit produite.
J'ai toutefois horreur de l'excès de fatigue, car alors mon attention est distraite de mes devoirs particuliers. pinterest.fr
La mastication est un autre item d'une haute importance et les organes dentaires peuvent être considérés comme les pointes de cette merveilleuse meule intérieure........ Ce procédé préliminaire de broyer l'aliment de le mêler avec la salive est pour moi l'objet d'un intérêt profond, car mon travail propre est considérablement accru ou diminué selon qu'elle est bien ou mal exécutée. Mieux les dents remplissent leur rôle, meilleure est mon humeur pendant la digestion..........
A l'occasion, pendant le dîner, je me sentais soudainement secoué par un piètre éclat de rire, sans savoir de quelle plaisanterie il s'agissait......... Je n'aime pas un rire sournois, à moitié honteux de lui-même, mais donnez-moi une bonne et robuste octave de notes joyeuses. Même un " sourire " franc et de bon aloi répand une sorte de lumière dans mon intérieur, et me réchauffe comme un cordial.....................
Comme l'office de sermonneur de l'humanité n'est pas le rôle qui m'a été attribué, je m'abstiendrai d'infliger au lecteur l'ennui d'une digression sur des matières obscures.
Toutefois, je puis dire ceci, c'est que l'estomac d'une vache digère d'une manère particulière, admirablement adaptée aux besoins d'une vache. Un gésier remplit la fonction masticatoire ou triturante dans presque toute la tribu des oiseaux. L'appareil digestif du boa constricteir, dont le travail est si lent et si puissant, est excellemment adapté à cet aimable animal, et l'intérieur de beaucoup d'insectes est aussi compliqué que leur mode de vie est varié...........
Or l'estomac d'un être humain est également conforme à la nature de l'homme et plus ses facultés intellectuelles sont élevées, plus délicate et plus sensible est son organisation intérieure. La structure du corps est, comme de raison, la même chez tous les hommes......... mais le consensus des énergies nerveuses marque ici la subtile différence.
J'affirme donc ici que le moral agit sur le physique, et vice et versa, par les plus délicates sympathies et les lois les plus admirables.
Des avis si simples ressemblent à des truismes portant avec eux leur évidence. Mais pourquoi les néglige-t-on si constamment ? La plus grande partie des maux est occasionnée par des erreurs d,s le régime. Et, quoiqu'il existe des maladies héréditaires dans lesquelles je ne suis absolument pour rien, mais sont uniquement dues à mes ancêtres, cependant ces maladies peuvent être mitigées et, dans le cours d'une ou deux générations, complètement déracinées par une attention scrupuleuse à ce qui passe des lèvres à l'intérieur................
La création est un tout, et l'homme ne peut savoir si son esprit n'est pas prédestiné à habiter un de ces mondes lointains qui, vus de notre planète, nous apparaissent comme de petites étincelles dans la vaste étendue de l'éther. Il est possible qu'ici-bas il prépare, en quelque sorte qu'il façonne, son sort futur dans l'un de ces mondes................... artetpatrimoinepharmaceutique.fr
Dans les siècles passés, quand la science cherchait à sortir de ses langes entre les mains des astrologues et des alchimistes, ceux-ci avaient une si haute idée du principe vital de l'homme, qu'ils plaçaient la matière animale sur le même trône que son esprit et son âme..............
Au risque de paraître traiter un sujet au-dessous du commun des lecteurs, je prendrai congé d'eux en soumettant à leur considération un petit tableau diététique approprié aux besoins de mes frères de toutes les classes mais surtout aux friands et aux difficiles.
Dans mon esquisse d'un petit dîner on peut m'objecter qu'il serait impossible à la moitié des gens de se procurer les délicatesses dont je parle. A ceux-là je réponds : " choisissez parmi mes règles celles qui conviennent à votre inclination et à votre bourse. "
Je parle aussi d'une tranche de roastbeef ou d'aloyau, malgré les anathèmes lancés contre les grosses pièces de tout genre, mais je ne faisais allusion qu'à leur disgracieux abus, alors que, servies seules, elles forçaient le repas à 'être composé que de ces énormes quartiers de viande..................
Voici ce que j'ai l'honneur de proposer :
Règles spéciales et pratiques
de la
COUR DE SANTE
1 - Levez-vous suffisamment matin et faites vos ablutions avec de l'eau tiède. Essuyez-vous bien sec et frictionnez-vous vivement à devenir rouge comme un homard bouilli. Marchez ensuite d'un pas gaillard pendant 1/2 heure. Si l'estomac crie la faim, grignotez un biscuit sec pendant votre promenade................
II - Pour déjeuner prenez une grande tasse d'infusion de thé noir avec beaucoup de lait et très peu de sucre. Le café est plus échauffant mais extraordinairement sain s'il est fait à la française, c'est-à-dire si une petite quantité de la vraie essence de café est coupée de bon lait bouillant de manière à avoir trois parties de lait et une partie de café. Le cacao et le chocolat peuvent être pris, si on y a goût, et pourvu qu'ils ne produisent pas d'éructations. Mais l'huile concrète, beurre de cacao qu'ils contiennent est pour moi difficile à digérer. Le thé noir, fort, est en principe mon breuvage préféré.
Un petit pain français grillé et qu'on a laissé refroidir, ou du pain bien fermenté et convenablement cuit, avec une tranche de jambon, sont les solides que j'approuve le mieux.
** Mais le déjeuner est le repas où l'on doit prendre le plus de liquides, jamais, toutefois, au-delà d'une pinte..........
III - Un léger lunch au milieu du jour me va bien, car les absorbants ont aidé à la diffusion nutritive de mes recettes du matin. Une côtelette de mouton ou un sandwich sans beurre, un seul verre d'ale amer ou un simple verre de sherry peuvent et doivent être pris, car il est nécessaire d'éloigner une faim excessive jusqu'à un dîner un peu tardif........ Notez que si une personne peut jeûner depuis le matin jusqu'à six sept heures le soir sans éprouver le besoin de nourriture, ne pas s'inquiéter.
IV - Avant tout, attrapez à la course, c'est-à-dire gagnez votre dîner. Ce repas, le principal de la journée, réclame toute votre attention, non pour satisfaire la gourmandise mais pour adapter sa quantité et sa qualité à ma puissance pour le digérer. Comme je l'ai déjà dit, la variété est essentielle. Il n'est cependant pas bon de commencer par la " soupe " ! Quand l'estomac est armé de pied en cap, et prêt au combat, il demande quelque chose de solide sur lequel il puisse exercer sa force, et il fait la grimace aux liquides. En premier, donc, il aime un petit morceau de poisson bouilli, avec une petite quantité de beurre fondu et quelques gouttes de sauce aux anchois. Après cela il reçoit complaisamment un verre de sherry. Il est alors tout attention, ayant une oreille pour un peu conversation agréable, en même temps qu'il a l'oeil à ses devoirs. Ensuite, il aimera une portion de quelques entremets français, pourvu qu'ils aient été préparés par un adepte. Autour ou à l'intérieur de ce plat il pourra se trouver une agréable variété de légumes choisis et bien accommodés. Ou, si sa composition ne le permet pas, une simple purée de pommes de terre formera une couche douce et molle, préparée pour recevoir ce mets friand, quand il arrivera à sa destination comme un passage de l'intérieur. Pas mal de pain cuit de la veille est ce que notre estomac attend avec confiance à cette partie intéressante du repas. Un autre verre de sherry, un rire franc, un petit speech où brille l'humour ou quelque piquant on-dit., lui plairont beaucoup....... Ensuite une tranche ou deux d'aloyau avec abondance de jus de rôti et il se peut que l'addition d'un peu de céleri cuit à l'étuve ou d'un artichaut de Jérusalem bien bouilli reçoive son entière approbation. Vienne un autre verre de sherry, il l'accueillera à bras ouverts avec un doux sourire, et commencera à se sentir extrêmement confortable.
................ C'est le moment pour l'homme sage de considérer si son bien-être intérieur n'a point atteint le point culminant, s'il croit qu'il en est ainsi, qu'il se dise :
" - Arrête, c'est assez ! "
Mais s'il sent qu'il n'a pris qu'avec une discrète mesure de chaque plat jusque-là servi et qu'il a encore une petite niche qu'on puisse judicieusement remplir, alors l'estomac, avec un sourire caressant, se comportera de manière à recevoir cordialement une aiguillette ou deux de la poitrine d'un canard sauvage, assaisonnées de quelques gouttes de jus de citron. ( A ce propos, n'oubliez jamais de prendre un peu d'un acide quelconque avec votre dîner. Au lieu de ce plat de grâce, l'estomac accepte avec courtoisie la patte et l'aile, non divorcées, d'une perdrix assaisonnées de sauce au pain , pour adoucir les angoisses de l'opération subie par la pauvre bête, quand on la découpait. En l'absence de cette aimable volaille, une bécasse ou une bécassine la remplaceront admirablement, ou même une tranche d'une poule faisane bien grasse, quoique les chasseurs en pensent, ou un pluvier, ou une caille dodue. Mais, malheur à l'indiscret qui ose faire suivre ces mets, aussi bienvenus qu'ils sont délicats, d'aucune espèce de pâtisserie quelconque. Le fromage lui-même sera dédaigné et, après un soupçon de céleri ( ne l'avalez pas ) pour éclaircir et parfumer le palais, il vaudra beaucoup mieux terminer ici la cérémonie.................. Le fruit est excellent dan s la saison, mais non après un repas copieux.......................... Quant à moi je ne digérais jamais si bien que lorsque, après un léger dîner j'étais transporté au salon aussitôt que l'étiquette anglaise le permettait et qu'on laissait descendre dans mon intérieur une tasse de moka sans lait. Pendant ce temps l'aimable babil des langues féminines, ou un peu de musique, pas trop savante., une partie d'échecs ou de whist, ou quelqu'autre amusement sociable, occupaient agréablement la soirée.......................
VI - Supposons que la soirée s'est passée gaiement et que votre lever a été matinal, il n'y a aucune difficulté à ce que vous alliez vous coucher de bonne heure, et surtout abstenez-vous d'un souper quelconque. Il est vrai que l'activité de l'esprit la nuit se manifestera quelquefois désagréablement par l'insomnie, à moins que ces préoccupations ne soient détournées par un léger exercice de ma part. A ceux incommodés de la sorte il est bon d'avoir en réserve un biscuit auprès du lit. Si avant d'y entrer vous avez le courage de boire un grand verre d'eau froide, tant mieux pour vous, car l'eau est un excellent dissolvant et son usage modéré, à l'extérieur ou à l'intérieur est de la plus grande valeur......................
Et maintenant, cher lecteur, après avoir veillé à votre table pendant le jour, après vous avoir consigné, comme je l'espère, à des songes heureux où la forme des objets aimes flotte dans le vague charmant autour de vous,
Je vous fais ma révérence, et vous tire mon chapeau, d'une manière digne, je m'en flatte, de l'estomac d'un CHESTERFIELD
* deco-coq.com
** memphis.typepad.com
Sydney Whiting
1è édition en Angleterre 1853
en France 1874
samedi 26 mai 2018
Restif communiste Sa vie pendant la Révolution ( nouvelle Gérard de Nerval extrait de Les Confidences de Nicolas )
Restif communiste
Sa vie pendant la Révolution
On sait maintenant sur la vie de Restif tout ce qu'il faut pour le classer assurément parmi ces écrivains que les Anglais appelent excentriques. Aux détails caractéristiques indiqués çà et là dans notre récit, il est bon d'ajouter quelques traits particuliers. Restif était d'une petite taille, robuste et quelque peu replet. Dans ses dernières années on parlait de lui comme d'une sorte de bourru, vêtu négligemment et d'un abord difficile. Le chevalier de Cubières sortait un jour de la Comédie Française, en chemin il s'arrêta chez la veuve Duchesne pour acheter la pièce à la mode. Un homme se tenait au milieu de la boutique avec un grand chapeau rabattu qui lui couvrait la moitié de la figure. Un manteau de gros drap noirâtre lui descendait jusqu'à mi-jambe ; il était sanglé au milieu du corps, avec quelque prétention sans doute à diminuer son embonpoint. Le chevalier l'examinait curieusement. Cet homme tira de sa poche une petite bougie, l'alluma au comptoir, la mit dans une lanterne, et sortit sans regarder ni saluer personne. Il demeurait alors dans la maison
- Quel est cet original ? demanda Cubières.
- Eh quoi ! vous ne le connaissez pas ? lui répondit-on, c'est Restif de la Bretonne.
Pénétré d'étonnement à ce nom célèbre, le chevalier revint le lendemain, curieux d'engager des relations amicales avec un écrivain qu'il aimait à lire. Ce dernier ne répondit rien aux compliments que lui fit l'écrivain musqué si chéri dans les salons du temps. Cubières se borna à rire de cette impolitesse. Ayant eu plus tard occasion de rencontrer Restif chez des amis communs, il vit en lui un tout autre homme plein de verve et de cordialité. Il lui rappela leur première rencontre.
- Que voulez-vous, dit Restif, je suis l'homme des impressions du moment ; j'écrivais alors Le hibou nocturne et, voulant être un hibou véritable, j'avais fait voeu de ne parler à personne.
Il y avait bien aussi quelque affectation dans ce rôle de bourru, renouvelé de Jean-Jacques. Cela excitait la curiosité des gens du monde, et les femmes du plus haut rang se piquaient d'apprivoiser l'ours. Alors il redevenait aimable ; mais ses galanteries à brûle-pourpoint, son audace renouvelée de l'époque où il jouait le rôle d'un Faublas de bas étage, effrayaient parfois les imprudentes, forcées tout à coup d'écouter quelque boutade cynique. forumfr.com
Un jour il reçut une invitation à déjeuner chez M. de Senac de Meillan, intendant de Valenciennes, avec quelques bourgeois provinciaux qui désiraient voir l'auteur du Paysan perverti. Il y avait là en outre des académiciens d'Amiens, et le rédacteur de La feuille de Picardie. Restif se trouva placé entre une Mme Denys, marchande de mousseline rayée, et une autre dame modestement vêtue qu'il prit pour une femme de chambre de grande maison. En face de lui était un jeune provincial plaisant qu'on appelait Nicodème, puis un sourd qui amusait la société en parlant çà et là de choses qui n'avaient aucun rapport avec la conversation. Un petit homme propret, affublé d'un habit en camelot blanc, faisait l'important et traitait de fariboles les idées politiques et philosophiques qu'émettait le romancier. Une Mme Laval, marchande de dentelles de Malines, le défendait au contraire et lui trouvait " du fonds ". On était alors en 1789, de sorte qu'il fut question pendant le repas de la nouvelle constitution du clergé, de l'extinction des privilèges nobiliaires et des réformes législatives. Restif se voyant au milieu de bonnes gens bien ronds, et qui l'écoutaient en général avec faveur, développa une foule de systèmes excentriques. Le sourd les hachait de coq-à-l'âne d'une manière fort incommode, l'homme en camelot blanc les perçait d'un trait vif ou d'une apostrophe pleine de gravité. On finit selon l'usage d'alors, par des lectures. Mercier lut un fragment de politique, Legrand d'Aussy une dissertation sur les montagnes d'Auvergne. Restif développa son système de physique, qu'il proclamait plus raisonnable que celui de Buffon, plus vraisemblable que celui de Newton. On se jeta à son cou, on proclama le tout sublime. Le surlendemain l'abbé Fontenai, qui s'était trouvé aussi au déjeuner, lui apprit qu'il avait été victime d'un projet de mystification dont le résultat, du reste, avait tourné à son honneur. La marchande de mousseline était la duchesse de Luynes, la marchande de dentelles était la comtesse de Laval, la femme de chambre était la duchesse de Mailly ; le " Nicodème ", Matthieu de Montmorency ; le sourd, l'évêque d'Autun ; l'homme en camelot, l'abbé Sieyès qui, pour réparer la sévérité de ses observations, envoya à Restif la collection de ses écrits. On avait voulu voir le Jean-Jacques des halles dans toute sa fougue et dans toute sa désinvolture cynique. On ne trouva en lui qu'un conteur amusant, un utopiste quelque peu téméraire, un convive assez peu fait aux usages du monde pour s'écrier que c'était la première fois qu'il mangeait des huîtres, mais prévenant avec les dames et s'occupant d'elles presque exclusivement. Si en effet quelque chose peut atténuer les torts nombreux de l'écrivain, son incroyable personnalité et l'inconséquence continuelle de sa conduite, c'est qu'il a toujours aimé les femmes pour elles-mêmes avec dévouement, avec enthousiasme, avec folie. Ses livres seraient illisibles autrement.
Mais bientôt nous voici en pleine Révolution. Le philosophe qui prétendait effacer Newton, le socialiste dont la hardiesse étonnait l'esprit compassé de Siyès, n'était pas un républicain. Il lui arrivait, comme aux principaux créateurs d'utopies, depuis Fénelon et Saint-Pierre jusqu'à Saint-Simon et Fourier, d'être entièrement indifférent à la forme politique de l'Etat. Le communisme même, qui formait le fond de sa doctrine, lui paraissait possible sous l'autorité d'un monarque, de même que toutes les réformes du Gyrographe lui semblaient praticables sous l'autorité paternelle d'un bon lieutenant de police. Pour lui comme pour les musulmans, le prince personnifiait l'Etat propriétaire universel. En tonnant contre l'infâme propriété ( c'est le nom qu'il lui donne mille fois ), il admettait la possession personnelle, transmissible à certaines conditions, et jusqu'à la noblesse, récompense des belles actions, mais qui devait s'éteindre dans les enfants, s'ils n'en renouvelaient la source par des traits de courage ou de vertu.
Dans le second volume des Contemporaines Restif donne le plan d'une association d'ouvriers et de commerçants qui réduit à rien le capital : c'est la banque d'échange dans toute sa pureté. Voici un exemple :
" 20 commerçants ouvriers eux-mêmes, habitent une rue du quartier Saint-Martin. Chacun d'eux est le représentant d'une industrie utile. L'argent manque par suite des inquiétudes politiques et cette rue, autrefois si prospère, est attristée de l'oisiveté forcée de ses habitants. Un bijoutier-orfèvre qui a voyagé en Allemagne, qui y a vu les " hernutes ", conçoit l'idée d'une association analogue des habitants de la rue ; on s'engagera à ne se servir d'aucune monnaie et à tout acheter ou vendre par échange, de sorte que le boulanger prenne sa viande chez le boucher, s'habille chez le tailleur et se chausse chez le cordonnier, tous les associés doivent agir de même. Chacun peut acquérir ou dépenser plus ou moins, mais les successions retournent à la masse, et les enfants naissent avec une part égale dans les biens de la société ; ils sont élevés à frais communs, dans la profession de leur père, mais avec la faculté d'en choisir une autre en cas d'aptitude différente ; ils recevront du reste une éducation semblable. Les associés se regarderont comme égaux, quoique quelques-uns puissent être de professions libérales, parce que l'éducation les mettra au même niveau. Les mariages auront lieu de préférence entre des personnes de l'association, à moins de cas extraordinaires. Les procès seront soutenus pour le compte de tous ; les acquisitions profiteront à la masse et l'argent qui reviendra à la société par suite de ventes faites en-dehors d'elle sera consacrée à acheter les matières première en raison de ce qui sera nécessaire pour chaque état. "
Tel est ce plan, que l'auteur n'avait pas du reste l'idée d'appliquer à la société entière, car il donne à choisir entre différentes formes d'association, laissant à l'expérience les conditions de succès de la plus utile qui absorberait naturellement les autres. Quant à la vieille société, elle ne serait point dépouillée, seulement elle subirait forcément les chances d'une lutte qu'il lui serait impossible de soutenir longtemps.
A ce moment, que la partie fut achevée ou non, il se levait silencieusement et sortait. Où allait-il ? Les Nuits de Paris nous l'apprennent ; il allait errer quelque temps qu'il fît, le long des quais, surtout autour de la Cité et de l'île Saint-Louis ; il s'enfonçait dans les rues fangeuses des quartiers populeux, et ne rentrait qu'après avoir fait une bonne récolte d'observations sur les désordres et les scènes sanglantes dont il avait été le témoin. Souvent il intervenait dans ces drames obscurs, et devenait le Don Quichotte de l'innocence persécutée ou de la faiblesse vaincue. Quelquefois il agissait par la persuasion ; parfois aussi son autorité était due au soupçon qu'on avait qu'il était chargé d'une mission de police.
Il osait davantage encore en s'informant auprès des portiers ou des valets de ce qui se passait dans chaque maison, en s'introduisant sous tel ou tel déguisement dans l'intérieur des familles, en pénétrant le secret des alcôves, en surprenant les infidélités de la femme, les secrets naissants de la fille, qu'il divulguait dans ses récits sous des fictions transparentes. De là des procès et des divorces. Un jour il faillit être assassiné par un certain E..., dont il avait fait figurer la femme dans ses Contemporaines. C'était habituellement le matin qu'il rédigeait ses observations de la veille. Il ne faisait pas moins d'une nouvelle avant le déjeuner. Dans les derniers temps de sa vie, en hiver, il travaillait dans son lit faute de bois, sa culotte par-dessus son bonnet, de peur des courants d'air. Il avait aussi des singularités qui variaient à chacun de ses ouvrages et qui ne ressemblaient guère aux singularités en manchettes d'Haydn et de M. de Buffon. Tantôt il se condamnait au silence comme à l'époque de sa rencontre avec Cubières, tantôt il laissait croître sa barbe, et disait à quelqu'un qui le plaisantait :
- Elle ne tombera que lorsque j'aurai achevé mon prochain roman.
- Et s'il a plusieurs volumes ?
- Il en aura quinze.
- Vous ne vous raserez donc que dans quinze ans ?
- Rassurez-vous, jeune homme, j'écris un demi-volume par jour.
Quelle fortune immense il eût faite de notre temps en luttant de vitesse avec nos plus intrépides coureurs de feuilleton et de fougue triviale avec les plus hardis explorateurs des misères de bas étage ! Son écriture se ressent du désordre de son imagination ; elle est irrégulière, vagabonde, illisible ; les idées se présentent en foule, pressent la plume, et l'empêchent de former les caractères. C'est ce qui le rendait ennemi des doubles lettres et des longues syllabes, qu'il remplaçait par des abréviations. Le plus souvent, comme on sait, il se bornait à composer à la casse son manuscrit. Il avait fini par acquérir une petite imprimerie où il " casait " lui-même ses ouvrages, aidé seulement d'un apprenti.
La révolution ne pouvait lui être chère d'aucune manière, car elle mettait en lumière des hommes politiques fort peu sensibles à ses plans philanthropiques, plus préoccupés de formules grecques et romaines que de réformes fondamentales. Babeuf aurait pu seul réaliser son rêve ; mais, découragé de ses propres plans à cette époque, Restif ne marqua aucune sympathie pour le parti du tribun communiste. Les assignats avaient englouti toutes ses économies qui ne se montaient pas à moins de soixante-quatorze mille francs, et la nation n'avait guère songé à remplacer, pour ses ouvrages, les souscriptions de la cour et des grands seigneurs dont il avait usé abondamment. Toutefois, Mercier, qui n'avait pas cessé d'être son ami, fit obtenir à Restif une récompense de deux mille francs pour un ouvrage utile aux moeurs, et le proposa même pour candidat à l'Institut national. Le président répondit dédaigneusement :
- Restif de la Bretone a du génie, mais il n'a point de goùt.
- Eh ! messieurs, répliqua Mercier, quel est celui de nous qui a du génie !
On rencontre dans les derniers livres de Restif plusieurs récits des événements de la révolution. Il en rapporte quelques scènes dialoguées dans le cinquième volume du Drame de la vie. Il est à regretter que ce procédé n'ait pas été suivi plus complètement. Rien n'est saisissant comme cette réalité prise sur le fait. Voici, par exemple, une scène qui se passe devant le café Manoury.
Un homme, des femmes. - Lambesc ! Lambesc !.. On tue aux Tuileries !
Une marchande de billets de loterie. - Où courez-vous donc ?
Un fuyard. - Nous remmenons nos femmes.
La marchande. - Laissez-les s'enfuir seules, et faites volte-face.
Son futur. - Allons ! allons, rentrez.
Il n'y a rien de plus que ces cinq lignes ; on sent la vérité brutale, les dragons de Lambesc qui chargent au loin ; les portes qui se ferment, une de ces scènes d'émeute si communes à Paris.
Plus loin Restif met en scène Collot d'Herbois et le félicite de son Paysan magistrat ; mais Collot n'est préoccupé que de politique.
- Je me suis fait jacobin, dit-il, pourquoi ne l'êtes-vous pas ?
- A cause de trois infirmités très gênantes...
- C'est une raison. Je vais me livrer tout entier à la chose publique, et je ne perdrai ni mon temps ni mes peines. D'abord je veux m'attacher à Robespierre ; c'est un grand homme.
- Oui, invariable.
Collot continue :
- J'ai l'usage de la parole, j'ai le geste, la grâce dans la représentation... J'ai une motion à faire trembler les rois. Je viens de faire l'Almanach du père Gérard, excellent titre. Je tâcherai d'avoir le prix pour l'instruction des campagnes ; mon nom se répandra dans les départements , quelqu'un d'eux me nommera...
La silhouette de Collot d'Herbois n'est-elle pas là tout entière ? Mais l'auteur ne s'en est pas toujours tenu à ces portraits rapides et, à côté de ces esquisses fugitives, on trouve des pages qui s'élèvent presque à l'intérêt de l'histoire, comme celles qu'il consacre à Mirabeau, et que cette grande figure semble avoir illuminées de son immense reflet.
* .pariszigzag.fr
Gérard de Nerval
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