mercredi 2 mai 2018

La femme de l'autre et le mari sous le lit 3 Fiodor Dostoïevski ( nouvelle Russie )


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                                                      La femme d'un autre et
                                                                          le mari sous le lit      

            - Je vous en prie...
            - Très, très, très content d'avoir fait votre connaissance.
            Le monsieur au raton s'installa dans la voiture ; la voiture démarra, le jeune homme resta sur place, et rempli de perplexité il suivit la dame du regard.

                                                 
                                                                              II -

            Il y avait le lendemain soir une représentation aux Italiens. Ivan Andréiévitch s'engouffra  dans la salle comme une bombe. Jamais encore on n'avait remarqué en lui une telle Furore, une telle passion pour la musique. On savait du moins positivement qu'Ivan Andréiévitch adorait ronfler une heure ou deux aux Italiens, il avait même affirmé à maintes reprises que c'était à la fois agréable et suave. " Et la Prima Donna, avait-il coutume de dire à ses amis, telle une petite chatte blanche  vous miaule une berceuse. " Mais il y avait longtemps qu'il le disait, cela datait de la saison précédente. Maintenant hélas, Ivan Andréiévitch ne dormait même pas chez lui la nuit. Il s'était malgré tout engouffré comme une bombe dans la salle archi-bondée. Même l'ouvreur des loges l'avait regardé avec une certaine méfiance et  aussitôt louché vers sa poche de côté, absolument persuadé qu'il allait apercevoir le manche d'un poignard dissimulé au cas où... Remarquons que deux partis prospéraient alors, chacun défendant sa prima donna. Les uns s'appelaient " les...sistes " les autres les "...nistes". Ces deux partis aimaient la musique au point que les ouvreurs de loges en étaient arrivés a craindre dramatiquement quelque manifestation très dramatique d'amour pour tout le beau et le sublime enfermés chez les deux prime donne. C'est pourquoi voyant une entrée aussi fracassante dans la salle du théâtre, digne d'un adolescent, alors qu'il s'agissait  d'un vieillard aux cheveux argentés, pas tout à fait argentés d'ailleurs, mais disons d'une cinquantaine d'années, à la calvitie naissante, homme en général à la robuste constitution, l 'ouvreur de loge se souvint malgré lui des paroles sublimes de Hamlet, prince de Danemark :
                        Quand la vieillesse tombe si épouvantablement
                        Qu'est-ce que la jeunesse ?....
 et comme il a été dit plus haut il loucha sur la poche de côté  de son habit, dans l'espoir d'y voir le manche d'un poignard. Mais il n'y avait qu'un portefeuille, et rien de plus.
            Ayant pénétré dans le théâtre en un instant, Ivan Andréiévitch parcourut du regard toutes les loges de deuxième série et, ô terreur, son coeur se figea. Elle était là ! Elle était dans une loge. S' y trouvait également le général Polovitdsyne avec son épouse et sa belle-soeur, il y avait aussi l'aide de camp du général, un jeune homme extrêmement habile, il y avait également un conseiller d'Etat... Ivan Andréiévitch concentra toute son attention, toute la finesse de sa vue mais, ô terreur !... le conseiller d'Etat s'était traîtreusement dissimulé derrière l'aide de camp et restait dans les ténèbres de l'inconnu.
            Elle était ici alors qu'elle avait dit qu'elle n'y serait pas du tout !
            C'était cette équivoque qui se manifestait depuis un certain temps à chaque pas que faisait Glavira Pétrovna qui accablait Ivan Andréiévitch. C'est ce jouvenceau de conseiller d'Etat qui l'avait finalement jeté dans le désespoir le plus complet. Il s'affala dans son fauteuil complètement abattu. A quoi bon semblait-il ? L'affaire était très simple...
            Notons que le fauteuil d'Ivan Andréiévitch était situé juste à côté des baignoires, et de plus, la loge traîtresse de deuxième série était située juste au-dessus de son fauteuil de sorte qu'il ne pouvait absolument pas remarqué ce qui se tramait au-dessus de sa tête, chose fort désagréable pour lui. En revanche il était furieux et il bouillait comme un samovar. Tout le premier acte se déroula s'en qu'il s'en aperçut, c'est-à-dire qu'il n'entendait pas la moindre note. On dit que la musique a ceci de bien que l'on peut accorder les impressions musicales à n'importe quelle sensation. Un homme qui se réjouit trouvera dans les sons de la joie, un homme triste de la tristesse. Aux oreilles d'Ivan Andréiévitch c'est toute une tempête qui s'était mise à hurler. Pour parfaire son dépit, devant lui et à côté de lui des voix si terribles vociféraient que son coeur se déchira. Enfin, l'acte prit fin. Mais à
l'instant où le rideau tomba, il advint à notre héros une aventure telle qu'aucune plume ne saurait la décrire.


            Il arrive parfois qu'un programme tombe des galeries de loges supérieures.Quand la pièce est ennuyeuse et que les spectateurs bâillent c'est pour eux toute une aventure. On regarde avec un particulier intérêt le vol plané de ce papier extrêmement mou de la galerie supérieure et on trouve un certain agrément à suivre son voyage zigzaguant jusqu'au fauteuil où il va inévitablement se poser sur la tête d'une personne pas du tout préparée à cet événement. Il est effectivement très curieux d'observer la confusion de cette tête, parce qu'elle est inévitablement confuse. Je crains toujours moi-même les lorgnettes des dames, fréquemment posées sur le rebord des loges. Il me semble toujours qu'elles vont tomber et se retrouver sur la tête de quelqu'un qui ne s'y attend pas. Mais je vois que j'ai fait, mal à propos, une remarque tragique, et c'est pourquoi je vais l'envoyer aux feuilleton de ces journaux qui nous préservent des tromperies, de la mauvaise foi, des cafards si vous en avez chez vous, en vous recommandant un certain Signor Principe, adversaire et ennemi juré de tous les cafards non seulement russes, mais même étrangers, prussiens ou autres.
            Ivan Andréiévitch eut une aventure que l'on n'a jusqu'à présent décrite nulle part. Ce n'est pas un programme qui arriva sur sa tête assez dégarnie, comme l'on sait, j'avoue même avoir mauvaise conscience de vous dire ce qui lui tomba sur la tête, parce que j'ai effectivement mauvaise conscience de vous déclarer que sur sa tête respectable et dénudée, en partie privée de cheveux, sur la tête de ce jaloux et de cet ombrageux Ivan Andréiévitch tomba un objet aussi immoral qu'un billet amoureux, parfumé en l'occurrence. Du moins, le pauvre Ivan Andréiévitch qui n'était absolument pas préparé à cette affaire imprévisible et scandaleuse, tressaillit comme s'il avait reçu une souris sur la tête où je ne sais quelle autre bête sauvage.
            Il était impossible de se méprendre sur le fait que le billet avait un contenu amoureux. Il était écrit sur du papier parfumé, absolument comme les billets que l'on écrit dans les romans, et il était plié de façon traîtreusement minuscule pour pouvoir être dissimulé sous un gant de dame. Il était probablement tombé par hasard au moment de sa transmission. Pour une raison ou une autre on demandait le programme par exemple et le billet était habilement glissé dans ce programme, était déjà transmis entre certaines mains, mais le temps d'un instant peut-être, d'un malencontreux coup d'épaule de l'aide de camp qui s'était excusé avec une extrême habileté de son inhabilité, et voilà le billet qui s'était échappé d'une petite main toute tremblante de désarroi, et le Jouvenceau d'Etat qui a déjà tendu sa main impatiente, reçoit soudain au lieu du billet un programme dont il ne sait absolument pas que faire. La chose est désagréable, étrange. C'est parfaitement vrai, mais reconnaissez vous-même, c'était encore plus désagréable pour Ivan Andréiévitch.
            - Prédestiné, chuchota-t-il, en se couvrant de sueur froide et en serrant le billet dans ses mains. Prédestiné ! La balle trouvera le coupable, songea-t-il. Non, ce n'est pas cela, en quoi suis-je coupable ? Mais il y a un autre dicton sur le pauvre Makar, etc... 
                                                                                                mikhailovsky.ru
Image associée            Mais sait-on jamais ce qui va se mettre à carillonner dans  une tête abasourdie pour un événement aussi soudain. Ivan Andréiévitch était engourdi sur sa chaise, plus mort que vif comme on dit. Il était sûr que son aventure avait été remarquée de toutes parts, bien que ce fût à ce moment précisément que la salle fut devenue tumultueuse et rappelait la chanteuse. Il demeurait si confus, si rouge et n'osait pas lever les yeux, comme s'il subissait un brusque désagrément, une dissonance au sein d'une belle et grouillante société. Enfin il se décida à lever les yeux.
            - Elle a chanté agréablement,, fit-il remarquer au gandin assis à sa gauche.
            Le gandin qui se trouvait au degré ultime de l'enthousiasme et qui battait des mains, mais qui faisait plutôt fonctionner ses pieds, jeta un coup d'oeil rapide et distrait sur Ivan  Andréiévitch et ayant aussitôt fait un écran de ses mains au-dessus de sa bouche afin qu'on l'entendît mieux, il hurla le nom de sa cantatrice. Ivan Andréiévitch qui n'avait jamais encore entendu pareil gosier fut transporté d'enthousiasme.
            " Il n'a rien remarqué, " songea-t-il en se retournant derrière lui. Mais le gros monsieur qui était assis derrière lui avait à son tour fait pivoter son arrière-train dans sa direction pour lorgner les loges. Et tant mieux, pensa Ivan Andréiévitch. Devant lui on n'avait rien vu bien sûr. Mû par un espoir joyeux il tourna timidement son regard vers la baignoire près de laquelle se trouvait son fauteuil, et un sentiment fort désagréable le fit tressaillir. Une belle dame s'y trouvait, et couvrant sa bouche avec un mouchoir elle était renversée sur le dossier et riait comme une forcenée.
             " Ah, encore ces femmes ", chuchota Ivan Andréiévitch qui prit le chemin de la sortie en marchant sur les pieds des spectateurs.
            Je propose maintenant aux lecteurs de décider eux-mêmes:  je leur demande de me faire part eux-mêmes de leur opinion concernant Ivan Andréiévitch.  Est-il possible qu'il ait eu raison à cet instant ? Le Grand Théâtre, comme l'on sait, comprend quatre rangées de loges et une galerie de cinquième balcon. Pourquoi supposer nécessairement  que le billet était tombé justement d'une certaine loge, précisément de celle-la et non de quelque autre, voire, par exemple, du cinquième balcon où se trouvent également des dames ? Mais la passion est exclusive, et la jalousie est la passion la plus exclusive qui soit au monde.
            Ivan Andréiévitch se précipita dans le foyer, se planta près d'une lampe, brisa le cachet et il lut:                                                                                                                travel365.it
Image associée            " Aujourd'hui juste après le spectacle rue G-vaia à l'angle du passage ...ski dans la maison K...! au deuxième étage à droite de l'escalier entrée sur la rue. Soyez-y  sans faute je vous en prie. "
            Ivan Andréiévitch ne reconnut pas l'écriture mais il n'y avait pas de doutes. C'était un rendez-vous. Saisir,attraper et fustiger le mal à son tout début, telle fut la première idée d'Ivan Andréiévitch. Il eut l'intention de le dénoncer dès maintenant, ici même. Mais comment faire ? Ivan Andréiévitch monta même en courant vers le deuxième balcon, mais rebroussa chemin judicieusement. Il ne savait absolument pas où courir. Ne pouvant rien faire, il se précipita de l'autre côté et regarda vers le côté opposé à travers la porte ouverte d'une loge occupée par des inconnus. C'était bien cela ! Aux cinq balcons, selon un axe vertical, se trouvaient des jeunes dames et des jeunes gens. Le billet avait pu tomber de chacun de ces cinq balcons, parce qu'Ivan Andréiévitch les soupçonnait absolument tous d'un complot contre lui, mais rien ne le mit sur la bonne voie, rien d'évident. Il parcourut tous les couloirs durant tout le deuxième acte, mais nulle part il ne retrouva sa tranquillité d'esprit. Il fut sur le point d'aller mettre le nez dans la caisse du théâtre dans l'espoir d'apprendre du caissier le nom des personnes qui avaient loué les loges des quatre balcons, mais la caisse était fermée. Enfin des explications frénétiques et des applaudissements retentirent. La représentation était terminée. Les rappels commençaient et deux voix se firent particulièrement entendre depuis le poulailler, celles des meneurs des deux camps. Mais Ivan Andréiévitch n'en n'avait rien à faire. Il entrevit déjà l'idée de sa conduite à venir. Il mit son paletot et partit rue G-vaia, afin d'y trouver, d'y dévoiler, d'y dénoncer et, d'une manière générale, d'agir un peu plus énergiquement que la veille. Il trouva rapidement la maison et pénétrait  déjà sous le porche, quand soudain, comme à portée de main, se faufila la silhouette du gandin en manteau. Elle le dépassa et gravit l'escalier jusqu'au deuxième étage. Ivan Andréiévitch eut l'impression qu'il s' agissait du même  gandin, bien qu'il n'ait pu distinguer tout à l'heure non plus son visage. Son coeur se figea. Le gandin l'avait déjà dépassé de deux volées. Enfin il entendit la porte du deuxième étage s'ouvrir sans que l'on sonne, comme si l'on attendait le nouveau venu. Le jeune homme se faufila dans l'appartement. Ivan Andreievitch atteignit le deuxième étage alors qu'on n'avait encore eu le temps de fermer la porte. Il aurait bien eu envie de demeurer quelque temps devant cette porte, de prendre un instant pour réfléchir sensément à sa démarche, d'hésiter un instant, et se résoudre ensuite a une action décisive. Mais alors le grondement d'une voiture parvint de l'entrée, des portes s' ouvrirent bruyamment et de pas lourds entreprirent l'ascension jusqu'à l'étage supérieur, accompagnés de gémissements et de raclements de gorge. Ivan Andréiévitch ne tint plus sur ses jambes, il ouvrit la porte et se retrouva dans l'appartement avec toute l'emphase du mari offensé. Une femme de chambre affolée se précipita à sa rencontre, puis quelqu'un apparut. Mais il n'y avait aucun moyen d'arrêter Ivan Andréiévitch. Comme une bombe il entra dans les appartements privés et, après avoir traversé deux pièces sombres, il se retrouva soudain dans une chambre à coucher devant une jeune et belle dame toute tremblante de peur. Elle le regardait avec une terreur absolue, ne comprenant pas, semblait-il, ce qui se tramait autour d'elle. A cet instant on entendit dans la pièce voisine des pas lourds qui se dirigeaient  vers la chambre. C'étaient les pas qui avaient grimpé l'escalier.



                                                                                      /  à suivre  ............ 4

              " Ciel ! Mon mari !.......


                                                                       Fiodor Dostoïevski


         

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