lundi 7 mai 2018

Mémoires d'un estomac racontées par lui-même 3 Sydney Whiting ( Roman Angleterre )


Salvador Dali.
eternels-eclairs.fr


                                                   Mémoires d'un estomac
                                                   racontées par lui-même - 3 -

            M'étant étendu sur l'idiosyncrasie de cet aimable habitant des mers plus que je ne le voulais d'abord, je dois être aussi concis que possible dans la description de mes impressions lors d'un événement qui opéra une véritable révolution dans toute mon économie domestique et affecta ma constitution presque autant que les révolutions en général affectent les constitutions.
            J'étais un jour dans la jouissance tranquille de mon " otium cum dignitate ", digérant paisiblement et confortablement, content de moi-même, content de mon dîner et de tous mes semblables, lorsque, tout-à-coup je sentis distiller sur ma malheureuse tête un mélange de salive et de je ne sais quel poison mortel qui, m'arrachant aux douceurs du " far niente ", me jette dans un état inexprimable d'émotion et d'horreur.
            J'en avisai aussitôt mon voisin Cérébral et il me répondit, par son télégraphe, que lui aussi souffrait et, graduellement, j'allai de mal en pis.
            Je fus immédiatement forcé de quitter l'occupation, toujours si agréable, de pourvoir aux besoins du corps dont je fais partie, et je ne pus qu'exprimer l'agonie de souffrances où j'étais par des spasmes et des contorsions que terminèrent des effets semblables à ceux déjà éprouvés sous l'influence du tangage à la mer, effets qu'il n'est pas nécessaire de décrire.
            Il suffit de dire que je fus malade tout le jour suivant et, rejetant toutes les offres de réconciliation, je restai maussade et dégoûté jusqu'à ce que le temps eût calmé le mal et m'eût rendu l'énergie nécessaire pour pouvoir me rendre compte de cet étrange phénomène !
            J'appris alors que mes maux, plus réels pour moi qu'une vaine fumée, avaient leur source pourtant dans la fumée ! La fumée d'une plante délétère, un génie malfaisant introduit par le feu, et chassé, exorcisé, par la nausée.
            La nature la fit nauséeuse et vénéneuse, cette plante. Mais l'homme luttant contre les pénalités attachées à l'infraction de l'avertissement qui nous en éloigne, l'homme passe sa vie à fumer. Et  l'épreuve que je venais de subir n'était, hélas, que la bouffée préliminaire.
            La répétition de l'acte vainquit mon dégoût et, à la fin, avec le stoïcisme propre à ma race, j'endurai ce que je ne pouvais empêcher. Les pipes et les cigares contribuèrent pour égale part à la somme de ces nouveaux maléfices, ainsi conjugués pour la ruine du système tout entier.
            Quant à moi, je partageai ce mal avec la confraternité adjacente et, personnellement, je subis l'injure qui m'était faite avec la dignité d'un estomac ayant la conscience de sa propre rectitude.
            A ce moment je quittai l'école.........
            Cependant bientôt une nouvelle ère s'ouvrit dans mon existence et commença une série d'infortunes qui me livrèrent à ceux qui ont toujours été les bourreaux de ma race, aux docteurs !
            ................Arrivèrent le médecin et son séide, le droguiste.            eternels-eclairs.fr 
Par Banksy            Oh ! comme je tremblais quand on annonçait un de ces messieurs ! Et il me parut bien étrange qu'il pût exister encore, dans ce siècle des lumières, des listes de poisons domestiques et une société de " posologistes " assermentés......... suivant la prétendue garantie de titres et de certificats officiels.
            Ma carrière universitaire débuta par des soupers prolongés jusqu'au jour, et par des déjeuners qui se terminaient à midi.
            Et quels déjeuners ! Habitué à un bol de thé et à cette chère tartine de pain beurré, concevez ma consternation lorsque je vins à être bourré d'une masse hétérogène renfermant tous les condiments et tous les composés culinaires connus sous le soleil !
             " Des rognons sautés et du vin de Moselle !                                   
             Du cacao et du curaçao ! De la pâte aux anchois et du pâté de pigeons.
             Des champignons, de la marmelade et des conserves de poisson.
             Du poisson salé, du jambon de Catalogne et des langues de daim d'Archangel.
             Du pain de varech, du caviar, du café et du cognac ! "
            Tous ces mets et beaucoup d'autres moins délicats...... constituaient très souvent mon premier repas et dans ce mélange on s'attendait à me voir discerner le bon du mauvais, sans murmurer de ce surcroît de labeur !
            Mon ami et mon parent, Mr Head, avait aussi sa tâche à remplir, et jamais deux chevaux de fiacre, un jour de fête, ne travaillèrent plus rudement. Mais enfin...... je succombai tout net et demeurai insensible au fouet et à l'éperon.
            En vain essaya-t-on toutes sortes de drogues et de stimulants. J'étais devenu si blasé qu'ils avaient perdu toute leur vertu.
            En vain de petites boulettes de mercure me furent-elles expédiées pour essayer leur effet. Le Dieu de ce nom, lui-même, aurait secoué sans résultat son caducée sur ma face. Dans le fait, je ne pouvais, je ne voulais pas bouger, et ce n'est qu'après avoir été en quelque sorte affamé que je consentis à reprendre mes fonctions, lentement et par degrés.
            Après cet incident, je fus pour quelque temps traité avec plus d'indulgence. Mais, dès que j'eus recouvré mes forces, ils revinrent à leur habitude de me surcharger d'aliments, et alors, commença un plan systématique de me droguer, véritablement horrible à décrire. Le garçon apothicaire frappait incessamment à la porte, et un estomac seul peut apprécier l'état de trépidation nerveuse où son coup de marteau me jetait. Ils jugèrent à propos d'appeler mon malaise " dyspepsie ", et je n'ai jamais pu entendre prononcer ce mot sans frissonner. Tous les premiers hommes de l'époque * furent consultés pour cette maladie, et ils prescrivaient des remèdes ordinairement opposés les uns aux autres. Il y avait toutefois à cela un avantage, c'est que, comme ces messieurs tâtonnaient, la variété des drogues prescrites assurait leur innocuité en donnant une chance de neutralisation des poisons les uns par les autres.
            Pour prouver qu'il n'y a dans tout ceci ni exagération ni fantaisie, j'ai transcrit quelques prescriptions réelles, émanant de praticiens les plus célèbres du jour, achetées au prix d'une guinée, toutes adressées à la même maladie constamment décrite dans les mêmes termes par le malheureux patient. Observez que mon maître avait le bon sens de ne pas consulter ces médecins qui vendent eux-mêmes leurs drogues. S'il l'avait fait, je n'aurais pas vécu pour écrire ces mémoires. Les grands globes de verre remplis de liquides colorés que l'on voit au vitrage des boutiques d'apothicaires sont tous simplement des fanaux, puisqu'on les éclaire la nuit, destinés à avertir notre santé des lieux où elle est sûre de faire naufrage. Mais, pour couper court à cette digression, on me permettra de décrire, sous la forme dramatique........... l'entrevue du

                                                     Docteur et du Patient

        eternels-eclairs.fr                                                      Acte I Scène I
Autoportrait, par Francis Bacon
            Intérieur d'une belle maison dans une rue fashionable de Londres. Entre le patient et attend avec d'autres dans l'antichambre, jusqu'à son tour et est introduit en présence de l'Esculape, selon l'ordre de son arrivée. Entre le laquais.
            Le laquais - Par ici, Monsieur, s'il vous plaît.
            Le patient suit le laquais dans une vaste salle : livres, bustes, papiers, partout.
            Le patient un peu nerveux - J'ai pris la liberté...
            Le Docteur debout, le dos au feu - Prenez un siège, mon cher Monsieur.
            Le Patient - Je vous remercie. Il fait assez froid ( ou chaud ) ce matin.
            Le Docteur - Oui. Que puis-je ?
            Le Patient - Je ne suis pas du tout bien, Docteur. Le fait est que je n'ai pas le moindre appétit. Ainsi j'ai cru...
            Le Docteur l'interrompant - Montrez votre langue. Hum ! sale, dyspeptique, très dyspeptique.
            Le Patient -Quand je me lève le matin.
            Le Docteur l'interrompt - Un moment, donnez-moi votre main ( il tâte le pouls ), pouls languissant. Combien y a-t-il que vous ne vous sentez pas bien ?
            Le Patient - Environ une semaine.
            Le Docteur - Vous souffrez d'acidité ?
            Le Patient avec enthousiasme - Oh ! excessivement, une constante sensation brûlante.
            Le Docteur - Oui, je vois, Monsieur. L'estomac est dans un état morbide. Tout est-il bien là ?
( Il percute la poitrine du patient et avec un sourire ) - Il n'y a rien de mal dans cette région. Avez-vous mal à la tête ?
            Le Patient - Non, mais un terrible...
            Le Docteur l'interrompt - Oh ! cela se borne aux organes " un peu " en désordre. Je vous ferai une prescription, mon cher Monsieur, qui vous rétablira en quelques jours. ( Il s'assied pour écrire ).
             Le Patient - J'oubliais de dire que j'ai une vive douleur entre les épaules, et...
             Le Docteur l'interrompt - Justement, j'ajouterai une mixture pour vous en débarrasser. ( Il continue d'écrire, passe avec soin le buvard sur sa prescription, et la présente au patient avec un sourire placide ). Voilà, mon cher Monsieur, prenez ceci suivant l'instruction ** et revenez me voir dans quelques jours.
            Le Patient au comble de la reconnaissance - Je vous suis extrêmement obligé pour votre bonté. ( Il fouille dans sa poche après la guinée d'usage, honteux presque d'offrir une récompense quelconque à un Galien si savant et, en lui serrant la main, il glisse la pièce de monnaie. Le Docteur ne manifeste aucune fausse honte. Le Patient se dirige vers la porte ).
            Le Docteur - Si vous n'avez pas de pharmacien ordinaire, mon cher Monsieur, je vous recommande fortement M. Morbus, 24 Doom Street, Bury Square. Permettez-moi de mettre son adresse sur la prescription. Donnez-lui mon nom et vous trouverez ces médicaments excellents.
            Le Patient - Je vous remercie, il aura certainement votre prescription à exécuter. Ainsi je reviendrai vous voir mercredi prochain ?
            Le Docteur - S'il vous plaît, mon cher Monsieur, je ne doute pas que vous ne soyez bientôt entièrement rétabli. (Il sonne, reconduit en saluant le malade qui pense avoir encore quelque chose à dire. Ce dernier s'incline, le laquais lui ouvre la porte de la rue, et le malade sort.
            Entre un autre innocent. Scène semblable, ou à peu près. La porte de la rue se ferme, le patient lit tout haut la prescription en se dirigeant vers Doom Street, Bury Square ).


                                                              Prescription                                     eternels-eclairs.fr
Personnage avec quartiers de viande, par Francis Bacon
            Infusion de colombo, 5 onces. Mixture de gomme, quantité suffisante. Trinitate de bismuth, 18 grains. Sesqui carbonate de soude, 1/2 gros. Teinture d'opium, 1 gros. Ditto de colombo, 4 gros.

            Je suis persuadé que cet échantillon *** et les suivants, de drogues magistralement administrées recevraient la sanction de toute la faculté. Le bismuth tend, dit-on, à diminuer l'irritabilité nerveuse de l'estomac. L'acide minérale stimule l'action de suc gastrique. L'alcali favorise ses sécrétions alcalines du foie, etc., etc, etc. Mais je vous en prie n'en croyez pas un mot. Quels effets ces drogues peuvent avoir sur d'autres parties du corps, c'est ce que je ne prétends pas savoir. Je ne désire pas me mêler des affaires des autres.
            Quant à moi, tout cela, m'était plus qu'inutile, et certainement je suis le meilleur juge sur la matière.
            Avec quelle rage je reçus un pareil composé, mettant de côté le bismuth, la soude et le colombo, il y avait là l'opium - l'opium ! - qui, au lieu d'activer les sécrétions, les anéantit ! L'opium qui n'agit pas de même sur trois personnes différentes, excitant les unes, calmant les autres. En vérité, j'aurais pu grincer les dents de colère, si j'en avais eu, et cependant je fus forcé de prendre des doses répétées de cette mixture, deux fois par jour, si je me rappelle bien. Car, heureusement, nous n'avons pas le souvenir tenace des maux de cette vie. Comme de raison, j'empirai au lieu d'amender et ainsi une seconde visite fut payée au docteur.
            La même scène se reproduisit chez lui. Et je n'oublierai jamais la froide complaisance avec laquelle il écouta la description de mes maux, ajoutant tranquillement :
            " - Donnez-moi la recette, mon cher Monsieur, et je ferai une petite modification qui, je suis sûr, vous remettra en bon ordre. "
            Il jeta alors un coup d'oeil sur le précieux document et passa la plume sur l'un des items, l'opium, je crois. Puis, paraissant se raviser, il écrivit une nouvelle ordonnance et la remit à mon maître avec le même air de suavité bienveillante. Il refusa aussi le second honoraire, car les médecins sont ordinairement polis et généreux, et il nous salua avec les manières d'un parfait gentleman.
            Or, on peut bien imaginer que mes craintes et ma curiosité étaient vivement intéressées à connaître la nature de ce nouvel arrêt d'exécution. Le lecteur qui m'a suivi jusqu'ici, sympathisera, je suis sûr, à ma souffrance, et comprendra l'anxiété de ma position. L'épée de Damoclès était encore suspendue sur ma tête, et je ne pouvais que soupçonner l'épaisseur du fil qui la retenait. On doit se rappeler aussi qu'à cette époque j'étais incapable de donner l'attention convenable à mes affaires domestiques, en raison du dommage que j'avais subi par la surcharge alimentaire. Tout ce dont j'avais besoin c'était un régime léger, et la permission d'être livré aux seules opérations curatives de la nature, toujours bienveillante, et toujours empressée à guérir nos blessures pourvu qu'on la laisse             Dans ces circonstances, jugez donc de mon incertitude pénible lorsque, me dirigeant vers la demeure de M. Morbus, je lus le second composé, que voici :
            Trinitate de bismuth, confection aromatique, de chaque 2 gros, de gomme arabique, 3 gros. Esprit d'ammoniaque composé, 4 gros. Infusion d'écorce d'orange composée, une once. Infusion de à gentiane composée, assez pour faire 8 onces du tout. - Mêlez. - Deux cuillerées à soupe par jour.

            Je ne sais si ce poison me répugna plus que l'autre, il me parut, au moins, suffisamment nauséeux. Je reconnus mon ami le bismuth, et la gentiane n'était qu'un amer pour un autre. Mais tous deux se présentèrent sur mon territoire accompagnés de deux esprits plus méchants qu'eux. Évidemment ma condition rétrograda au lieu d'avancer et je fus immédiatement conduit à un autre
" éminent praticien " qui entra un peu plus avant dans le diagnostic de ma maladie. Comme d'ordinaire frappa sur les barreaux de ma prison, les côtes, et ensuite procéda à une série de questions d'une nature toute confidentielle.
            De nouveau, le désespoir s'empara de moi lorsque j'entendis sa plume écrire un autre manifeste contre la santé et la longévité. Cette fois la forme prit une forme un peu différente, et l'amertume de mon chagrin n'eut d'égal que l'amertume de l'aloès.

*           Sans doute, un de ces jours nous aurons des docteurs féminins. L'Amérique vient de nous donner cet exemple qui, après tout, n'a rien de nouveau. M. Torrens.......... rapporte qu'un monument de l'ancienne Rome portait une inscription grecque où se trouvait le nom de Euhodia, dame d'un rang élevé qui possédait un talent extraordinaire en médecine.
**          Dans l'apologie pour Hérodote d'Henry d'Estienne, on trouve l'histoire d'un paysan qui avala la prescription sous forme de bol, parce qu'on lui avait dit " prenez ceci selon l'ordonnance........... celui qui prit le billet du docteur, l'avala au lieu de la pilule.
***       Toute les prescriptions sont réelles et nullement imaginaires.
         

                                                                                à suivre.......................

            Décoction d'...............

                                                      
                                                                  
                                            

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