samedi 5 mai 2018

La femme de l' autre et le mari sous le lit 4 Fiodor Dostoïevski ( Nouvelles Russie )

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      tumaraa.centerblog.net                                                       La femme d'un autre
                                                                               et le mari sous le lit   4

            - Ciel ! Mon mari ! S'écria la dame en français en frappant dans ses mains et en devenant plus blanche que son peignoir.
            Ivan Andreievitch sentit qu'il était mal tombé qu'il avait fait une extravagance stupide de gosse, qu'il n'avait pas bien réfléchi à sa démarche et qu'il n'avait pas été suffisamment timide dans l'escalier. Mais il n'y avait rien à faire. La porte était déjà ouverte, déjà un mari pesant, à en juger seulement par ses pas pesants entrait dans la pièce... Je ne sais pour qui se prend Ivan Andreievitch à cet instant, je ne sais ce qui l'empêcha d'aller carrément au-devant du mari pour lui déclarer qu'il s'était fourvoyé, de reconnaître qu'il avait agi inconsciemment et de la façon la plus malséante qui fût, de présenter ses excuses et de s'éclipser sans grand honneur certes, de façon peu glorieuse certes, mais au moins de partir noblement, franchement.
Mais non, Ivan Andreievitch agit de nouveau comme un gamin comme s'il se prenait pour Don Juan ou un Lovelace ! D'abord il se cacha derrière les rideaux près du lit, puis lorsqu'il sentit le courage totalement l'abandonner, il se laissa choir par terre et rampa de façon insensée sous le lit. La frayeur agissait sur lui plus violemment que la raison, et Ivan Andreievitch, lui-même mari offensé, ou du moins se considérant comme tel, ne supporta pas la rencontre avec un autre mari, ayant sans doute peur de l'offenser par sa présence. En était-ce ainsi ou non, il se retrouva toutefois sous le lit, ne comprenant absolument pas comment cela était arrivé. Mais le plus étonnant pour lui fut que la dame ne manifesta pas la moindre opposition.  Elle n'avait pas crié en voyant un monsieur d'un certain âge, extrêmement bizarre, chercher refuge dans sa chambre. Elle était décidément si effrayée que, selon toute vraisemblance, elle avait perdu sa langue.
            Le mari entra, grognant et toussant, il salua sa femme et, exactement comme un vieillard, il se hâta  de s'écrouler dans un fauteuil, comme s' il venait d'apporter un fardeau de bois. Une longue toux caverneuse retentit. Ivan Andreievitch qui, de tigre furibond s'était transformé en agneau timide et pacifique, comme un souriceau devant un matou, osait à peine respirer tant il avait peur, bien qu' il eût pu savoir de par sa propre expérience que tous les maris offensés ne mordent pas. Mais cela ne lui avait pas traversé l'esprit, soit par un manque de réflexion, soit en raison d'une autre crise. Prudemment, tout doucement, à tâtons,  il commença à prendre ses aises sous le lit, afin de s'installer plus confortablement. Quelle ne fut pas sa surprise quand il sentit avec sa main un objet qui, à sa grande surprise se mit à remuer et qui à son tour le saisit par la main ! Quelqu'un d'autre était sous le lit...
            - Qui est-ce ? chuchota Ivan Andreievitch.
            - Eh bien je viens de vous dire qui je suis! chuchota l'étrange inconnu. Restez couché et taisez-vous puisque vous avez fait une gaffe !
            - Tout de même...
            - Silence!
            Et l'homme de trop, parce que sous le lit un seul eût été suffisant, l'autre homme donc serra la main d'Ivan Andreievitch au point que celui-ci faillit crier de douleur.            
            - Chut :
            - Ne me serrez pas ainsi ou bien je crie.
            - Allez-y, criez ! Essayez !
            Ivan Andreievitch rougit de honte. L'inconnu était implacable et sévère.  Peut-être était-ce un homme qui avait subi plusieurs fois les persécutions du destin et qui s'était plus d'une fois retrouvé dans une situation fâcheuse. Mais Ivan Andreievitch était novice et il étouffait dans cette promiscuité.  Le sang cognait dans sa tête.  Il n'y avait cependant rien à faire. Il devait rester couché sur le dos. Ivan Andreievitch se soumit et se tut.
            - Mon petit coeur,  commença le mari, je suis allé chez Pavel Ivanytch. Nous nous sommes mis à faire une préférence, et donc... atch... atch... atch!  Il éternua, et donc... atch ! Mon dos, atch ! Bon sang !... atch... atch... atch !
            Et le petit vieux s'enfonça dans sa toux.
            - Le dos... finit-il par dire avec des larmes aux yeux,  mon dos est archi-douloureux. Maudites hémorroïdes ! Ni debout, ni assis ! Atch,  atch,  atch! ...
            Et on avait l'impression que la toux qui reprenait allait vivre bien plus longtemps que le petit vieux à qui elle appartenait. Le petit vieux grogna quelque chose dans la langue des intermèdes, mais on ne put absolument rien comprendre.
            - Cher monsieur je vous en supplie, poussez-vous ! chuchota le malheureux Ivan Andreievitch.
            - Et où voulez-vous, il n'y a pas de place.
            - Tout de même admettez qu'il m'est impossible de rester ainsi.  Ce n'est guère que la première fois que je me retrouve dans une position aussi dégoûtante.
            - Et moi dans un voisinage aussi déplaisant.
            - Tout de même jeune homme...  
            - Silence !
            - Silence ? Mais vous avez une attitude extrêmement incorrecte, jeune homme... Si je ne m'abuse vous êtes encore très jeune, je suis plus âgé que vous.
            - Silence !
            - Cher monsieur, vous vous égarez, vous ne savez pas à qui vous vous adressez !
            - A un monsieur couché sous un lit...
            - Mais j'y ai été entraîné par surprise... C'est une erreur,  tandis que vous si je ne m'abuse, c'est par immoralité.
            - C'est bien là que vous vous trompez.
            - Cher monsieur je suis plus âgé que vous et je vous dit que...
            - Cher monsieur, sachez que nous sommes logés ici à la même enseigne. Je vous prie de ne pas vous agripper à mon visage !
            - Cher monsieur je n'y comprends rien ! Excusez-moi mais il n'y a pas de place.
            - Pourquoi êtes-vous si gros ?
            - Mon Dieu ! Je n'ai jamais été dans une situation aussi humiliante!
            - On ne saurait être couché plus bas !
            - Cher monsieur, cher monsieur, je ne sais qui vous êtes, je ne comprends pas comment cela est arrivé. Mais je suis ici par erreur, et non pour la raison que vous croyez...
    daumier
           - Je n'aurais strictement rien pensé de vous si vous ne me poussiez pas. Mais taisez-vous donc!
            - Cher monsieur, si vous ne vous écartez pas je vais avoir une crise... Vous répondrez de ma mort. Je vous assure... Je suis un homme respectable, un père de famille. Je ne peux tout de même pas me trouver dans une telle position! ...
            - C'est vous-même qui vous êtes fourré dans une telle position. Allez, écartez-vous donc.Voilà vous  avez de la place ! Plus c'est impossible.
            - Noble jeune homme ! Cher monsieur je constate que j'étais dans l'erreur, dit Ivan Andreievitch dans un enthousiasme de reconnaissance pour la place qui lui aurait été concédée,  il étendit ses membres engourdis, je comprends cette position fâcheuse qui est la vôtre, mais que faire ? Je vois que vous pensez du mal de moi. Permettez-moi de rehausser ma réputation à vos yeux, permettez-moi de vous dire qui je suis, car je suis venu ici contre mon gré, je vous assure... je ne suis pas là pour ce que vous croyez. J'ai une peur épouvantable.
            - Mais allez-vous vous taire ? Allez-vous comprendre que si l'on nous entend, cela ira mal ? Chut, il parle...
            Effectivement la toux du vieillard semblait commencer à se dissiper, apparemment.
            - Donc voilà mon petit coeur, dit-il de sa voix enroué  en entamant sa rengaine pleurnicharde, donc voilà mon petit coeur, atch. .. atch... Ah quel malheur, Fédossei Ivanovitch lui, il dit " vous devriez essayer de boire du mille-feuille" tu entends mon petit coeur ?
            - Oui mon ami.
            - Bon il m'a dit ceci " Vous devriez, dit-il, essayer de boire du mille-feuille" alors je lui ai dit " J'ai posé des sangsues " et il m'a dit " Non, Alexandre Démianovitch, mille-feuille est meilleur, il dégage,  je vais vous dire " Atch... atch... Oh mon Dieu ! Qu' en penses-tu mon petit  coeur ? Atch... atch...Ah Grand Dieu ! Atch,  atch... Donc le mille-feuille est meilleur, non ? Atch,  atch... atch.  Ah ! Atch...
            - Je pense que ce ne serait pas mal d'essayer ce remède, répondit l'épouse.
            - Oui ce ne serait pas mal. " Vous avez peut-être, m'a-t-il dit, la phtisie. "Atch,  atch.  Mais je lui ai dit que c'était la goutte et une irritation de l'estomac, atch, atch!  Alors il m'a dit que c'était peut-être bien la phtisie. Qu' est-ce que tu atch... atch... Qu' est-ce que tu en penses mon petit coeur,  c'est la phtisie ?
            - Ah mon Dieu, que dites-vous ?
            - Si, la phtisie ! Mais tu devrais te déshabiller et te coucher, mon petit coeur, atch atch ! Quant à moi aujourd'hui je suis enrhumé.
        
            - Ouf, fit Ivan,Andreievitch, au nom du ciel écartez-vous !
            - Décidément je suis surpris de ce qui vous arrive,  mais vous ne pouvez rester couché tranquillement.
            - Vous vous acharnez contre moi, jeune homme. Vous voulez me mortifier, je le vois bien. Vous êtes sans doute l'amant de cette dame?
            - Silence !
            - Je ne me tairai pas ! Je ne vous laisserai pas me donner des ordres ! Vous êtes certainement l'amant ? Si l'on nous découvre je ne suis en rien coupable, je ne sais rien.
            - Si vous ne vous taisez pas, dit le jeune homme en maugréant, je dirai que c'est vous qui m'avez entraîné. Je dirai que vous êtes mon oncle et que vous avez jeté votre fortune par les fenêtres. Alors au moins on ne pensera pas que je suis l'amant de cette dame.
            - Cher monsieur, vous vous moquez!  Vous venez à bout de ma patience.
            - Chut, ou bien je vous forcerai à vous taire ! Vous faites mon malheur ! Allez, dites-moi pourquoi vous êtes ici ? Sans vous je me  serai débrouillé pour rester ici jusqu'au matin, et je serai alors sorti.
            - Mais je ne peux quand même pas rester couché ici jusqu'au matin. Je suis un homme raisonnable.  Bien entendu j'ai des relations. Qu'en pensez-vous est-il possible qu'il passe la nuit ici ?
            - Qui ?
            - Mais ce vieillard...
            - Oui c'est évident. Tous les maris ne sont pas comme vous. D'aucuns passent la nuit chez eux.
            - Cher monsieur, cher monsieur ! s'écria Ivan Andreievitch glacé d'effroi. Soyez assuré que moi aussi je suis chez moi, et qu'il s'agit en l'occurrence de la première fois. Mais mon Dieu, je vois que vous me connaissez ! Qui êtes-vous jeune homme ? Dites-le moi tout de suite, je vous en supplie, au nom de notre amitié désintéressée, qui êtes-vous donc ?
            - Écoutez, je vais employer la force...
            - Mais permettez,  permettez-moi de vous dire cher monsieur,  permettez-moi de vous expliquer toute cette sale histoire...
            - Je n'écouterai aucune explication, je ne veux rien savoir.  Taisez-vous,  sinon. ..
            - Mais je ne peux quand même pas...
            Une vague lutte s'ensuivit sous le lit et Ivan Andreievitch se tut.
            - Mon petit coeur, j'ai comme l'impression qu'il y a des chats qui chuchotent ici...
            - Quels chats ? Que n'allez-vous pas inventer !
            Il était évident que l'épouse ne savait de quoi parler avec son mari. Elle était si stupéfaite qu' elle ne pouvait encore reprendre ses esprits. Maintenant elle tressaillit et tendit l'oreille.
             - Quels chats ?
            - Des chats mon petit coeur !  L'autre jour j'arrive je trouve Vasska installé dans mon bureau, et il chuchote " chu... chu... chu..."Je lui ai dit qu' est-ce qui t'arrive mon petit Vasska ? Et le voilà qui recommence " chu... chu.... chu... " Toujours comme s'il chuchotait. Je me suis dit " Ah, par tous les saints , n'est-il pas en train de me chuchoter des choses sur la mort ? "
            - Quelles bêtises ne dîtes-vous pas aujourd'hui ! Vous devriez avoir honte !
            - Allons ce n'est rien. Ne te fâche pas mon petit coeur. Je vois qu'il te serait désagréable que je meure, ne te fâche pas, je parle pour ne rien dire. Mais tu devrais te déshabiller ma petite âme et te coucher et moi je resterais bien assis ici le temps que tu te couches.
            - Mon Dieu, cela suffit, plus tard...
            - Allons ne te fâche pas, ne te fâche ! Seulement je t'assure j'ai comme l'impression qu' il y a des souris ici.
            - Allons bon, tantôt des chats,  tantôt des souris ! Vraiment je ne sais pas ce que vous avez !
            - Allons ce n'est rien, ce n' atch ! Ce n'est rien, atch, atch, atch, atch ! Ah mon Dieu, atch !
            - Écoutez vous vous agitez tellement qu'il a entendu, chuchota le jeune homme.
            - Mais si vous saviez ce qui m'arrive ! J'ai le nez qui saigne !
            - Qu'il saigne mais taisez-vous ! Attendez qu'il s'en aille.
            - Jeune homme essayez donc de comprendre ma situation!  Je ne sais même pas avec qui je suis couché !
            - Et est-ce que ce serait moins pénible pour vous, non? Peu m'importe de connaître votre nom. Eh bien, comment vous appelez-vous ?



                                                                         à suivre n○ 5 ................

            - Non pourquoi...

                                                                                          Fiodor Dostoïevski

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