lundi 10 février 2020

Poil de Carotte 3 Le pot - Les lapins - La pioche Jules Renard ( roman France )

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                                                      Poil de Carotte

                                                                      " Le pot "
                                                                       
                                                                 
            Comme il lui est arrivé déjà plus d'un malheur au lit, Poil de Carotte a bien soin de prendre ses précautions chaque soir. En été, c'est facile. A 9 heures, quand Mme Lepic l'envoie se coucher, Poil de Carotte fait volontiers un tour dehors ; et il passe une nuit tranquille.
            L'hiver, la promenade devient une corvée. Il a beau prendre, dès que la nuit tombe et qu'il ferme les poules, une première précaution, il ne peut espérer qu'elle suffira jusqu'au lendemain matin. On dîne, on veille, 9 heures sonnent, il y a longtemps que c'est la nuit, et la nuit va durer encore une éternité. Il faut que Poil de Carotte prenne une deuxième précaution.
            Et ce soir, comme tous les soirs, il s'interroge.
            -  Ai-je envie ? se dit-il ; n'ai-je pas envie ?
            D'ordinaire il se répond " oui ", soit que, sincèrement, il ne puisse reculer, soit que la lune l'encourage par son éclat. Quelquefois M. Lepic et grand frère Félix lui donnent l'exemple. D'ailleurs la nécessité ne l'oblige pas toujours à s'éloigner de la maison, jusqu'au fossé de la rue, presque en pleine campagne. Le plus souvent il s'arrête au bas de l'escalier ; c'est selon.
            Mais, ce soir, la pluie crible les carreaux, le vent a éteint les étoiles et les noyers ragent dans les prés.
            - Ça se trouve bien, conclut Poil de Carotte, après avoir délibéré sans hâte, je n'ai pas envie.
            Il dit bonsoir à tout le monde, allume une bougie, et gagne au fond du corridor, à droite, sa chambre nue et solitaire. Il se déshabille, se couche et attend la visite de Mme Lepic. Elle le borde serré, d'un unique renfoncement, et souffle la bougie. Elle lui laisse la bougie et ne lui laisse point d'allumettes. Et elle l'enferme à clef parce qu'il est peureux. Poil de Carotte goutte d'abord le plaisir d'être seul. Il se plaît à songer dans les ténèbres. Il repasse sa journée, se félicite de l'avoir fréquemment échappé belle, et compte, pour demain, sur une chance égale. Il se flatte que, deux jours de suite, Mme Lepic ne fera pas attention à lui, et il essaie de s'endormir avec ce rêve.
            A peine a-t-il fermé les yeux qu'il éprouve un malaise connu.
            - C'était inévitable, se dit Poil de Carotte.
            Un autre se lèverait. Mais Poil de Carotte sait qu'il n'y a pas de pot sous le lit. Quoique Mme Lepic puisse jurer le contraire, elle oublie toujours d'en mettre un. D'ailleurs, à quoi bon ce pot, puisque Poil de Carotte prend ses précautions ?
            Et Poil de Carotte raisonne, au lieu de se lever.
            - Tôt ou tard, il faudra que je cède, se dit-il. Or, plus je résiste, plus j'accumule. Mais si je fais pipi tout de suite, je ferai peu, et mes draps auront le temps de sécher à la chaleur de mon corps. Je suis sûr, par expérience, que maman n'y verra goutte.
            Poil de Carotte se soulage, referme ses yeux en toute sécurité, et commence un bon somme.

                                                                         II

            Brusquement il s'éveille et écoute son ventre.                             pinterest.fr 
Résultat de recherche d'images pour "poele et pot de chambre 1900"            - Oh ! oh ! dit-il, ça se gâte !
            Tout à l'heure il se croyait quitte. C'était trop de veine. Il a péché par paresse hier soir. Sa vraie punition approche.
            Il s'assied sur son lit et tâche de réfléchir. La porte est fermée à clef. La fenêtre a des barreaux. Impossible de sortir.
            Pourtant il se lève et va tâter la porte et les barreaux de la fenêtre. Il rampe par terre et ses mains rament sous le lit à la recherche d'un pot qu'il sait absent.
            Il se couche et se lève encore. Il aime mieux remuer, marcher, trépigner que dormir et ses deux poings refoulent son ventre qui se dilate.
            - Maman ! maman ! dit-il d'une voix molle, avec la crainte d'être entendu, car si Mme Lepic surgissait, Poil de Carotte, guéri net, aurait l'air de se moquer d'elle. Il ne veut que pouvoir dire demain, sans mentir, qu'il appelait.
            Et comment crierait-il ? Toutes ses forces s'usent à retarder le désastre.
            Bientôt une douleur suprême met Poil de Carotte en danse. Il se cogne au mur et rebondit. Il se cogne au fer du lit. Il se cogne à la chaise, il se cogne à la cheminée dont il lève violemment le tablier et il s'abat entre les chenets, tordu, vaincu, heureux d'un bonheur absolu.
            Le noir de la chambre s'épaissit.

                                                                          III
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            Poil de Carotte ne s'est endormi qu'au petit jour, et il fait la grasse matinée, quand Mme Lepic pousse la porte et grimace, comme si elle reniflait de travers.
            - Quelle drôle d'odeur ! dit-elle.
            - Bonjour, maman, dit Poil de Carotte.
            Mme Lepic arrache les draps, flaire les coins de la chambre et n'est pas longue à trouver.
            - J'étais malade et il n'y avait pas de pot, se dépêche de dire Poil de Carotte, qui juge que c'est là son meilleur moyen de défense.
             - Menteur ! menteur ! dit Mme Lepic.
             Elle se sauve, rentre avec un pot qu'elle cache et qu'elle glisse prestement sous le lit, flanque Poil de Carotte debout, ameute la famille et s'écrie :
            - Qu'est-ce que j'ai donc fait au ciel pour avoir un enfant pareil ?
            Et tantôt, elle apporte des torchons, un seau d'eau, elle inonde la cheminée comme si elle éteignait le feu, elle secoue la literie et elle demande de l'air ! de l'air ! affairée et plaintive.
            Et tantôt elle gesticule au nez de Poil de Carotte :
            - Misérable ! tu perds donc le sens ! Te voilà donc dénaturé ! Tu vis donc comme les bêtes ! On donnerait un pot à une bête, qu'elle saurait s'en servir. Et toi, tu imagines de te vautrer dans les cheminées. Dieu m'est témoin que tu me rends imbécile, et que je mourrai folle, folle, folle !
           Poil de Carotte, en chemise et pieds nus, regarde le pot. Cette nuit il n'y avait pas de pot, et maintenant il y a un pot, là, au pied du lit. Ce pot vide et blanc l'aveugle, et s'il s'obstinait encore à ne rien voir, il aurait du toupet.
            Et, comme sa famille désolée, les voisins goguenards qui défilent, le facteur qui vient d'arriver, le tarabustent et le pressent de questions :
            - Parole d'honneur ! répond enfin Poil de Carotte, les yeux sur le pot, moi je ne sais plus. Arrangez-vous.


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                                                              Les lapins                                        stickersmania.fr 
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            - Il ne reste plus de melon pour toi, dit Mme Lepic ; d'ailleurs, tu es comme moi, tu ne l'aimes pas.
            - Ça se trouve bien, se dit Poil de Carotte.
            On lui impose ainsi ses goûts et ses dégoûts. En principe, il doit aimer seulement ce qu'aime sa mère. Quand arrive le fromage :
            - Je suis bien sûre, dit Mme Lepic, que Poil de Carotte n'en mangera pas.
            Et Poil de Carotte pense :
            - Puisqu'elle en est sûre, ce n'est pas la peine d'essayer.
            En outre, il sait que ce serait dangereux.
            Et n'a-t-il pas le temps de satisfaire ses plus bizarres caprices dans des endroits connus de lui seul ? Au dessert Mme Lepic lui dit :
            - Va porter ces tranches de melon à tes lapins.
            Poil de Carotte fait la commission au petit pas, en tenant l'assiette bien horizontale afin de ne rien renverser.
            A son entrée sous le toit, les lapins, coiffés en tapageurs, les oreilles sur l'oreille, le nez en l'air, les pattes de devant raides comme s'ils allaient jouer du tambour, s'empressent autour de lui.
            - Oh ! attendez ! dit Poil de Carotte ; un moment, s'il vous plaît, partageons.
            S'étant assis d'abord sur un tas de crottes, de seneçon rongé jusqu'à la racine, de trognons de choux, de feuilles de mauves, il leur donne les graines de melon et boit le jus lui-même : c'est doux comme du vin doux.
            Puis il racle avec les dents ce que sa famille a laissé aux tranches de jaune sucré, tout ce qui peut fondre encore, et il passe le vert aux lapins en rond sur leur derrière.
            La porte du petit toit est fermée.
            Le soleil des siestes enfile les trous des tuiles et trempe le bout de ses rayons dans l'ombre fraîche.


-------------------------------                           La pioche
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            Grand frère Félix et Poil de Carotte travaillent côte à côte. Chacun a sa pioche. Celle de grand frère Félix a été faite sur mesure, chez le maréchal-ferrant, avec du fer, Poil de Carotte a fait la sienne tout seul, avec du bois. Ils jardinent, abattent de la besogne et rivalisent d'ardeur. Soudain, au moment où il s'y attend le moins ( c'est toujours à ce moment précis que les malheurs arrivent ), Poil de Carotte reçoit un coup de pioche en plein front.
            Quelques instants après, il faut transporter, coucher avec précaution, sur le lit, grand frère Félix qui vient de se trouver mal à la vue du sang de son petit frère. Toute la famille est là, debout, sur la pointe du pied, et soupire, appréhensive.
            - Où sont les sels ?
            - Un peu d'eau bien fraîche, s'il vous plaît, pour mouiller les tempes.
            Poil de Carotte monte sur une chaise afin de voir par-dessus les épaules, entre les têtes. Il a le front bandé d'un linge déjà rouge, où le sang suinte et s'écarte.
            M. Lepic lui a dit :
            - Tu t'es joliment fait moucher !
            Et soeur Ernestine qui a pansé la blessure :
            - C'est entré comme dans du beurre.
            Il n'a pas crié, car on lui a fait observer que cela ne sert à rien.
            Mais voici que grand frère Félix ouvre un oeil, puis l'autre. Il en est quitte pour la peur, et comme son teint graduellement se colore, l'inquiétude, l'effroi se retirent des coeurs.
            - Toujours le même donc ! dit Mme Lepic à Poil de Carotte ; tu ne pouvais pas faire attention, petit imbécile !


                                                                             à suivre.........
       
                                                                                           La Carabine

            M. Lepic dit...................

                                                                      Jules Renard

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