vendredi 14 février 2020

Poil de Carotte 5 La Timbale - La Mie de pain - La Trompette - La Mèche Jules Renard ( Roman France )

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                                                     Poil de Carotte   

                                                                         " La Timbale "

            Poil de Carotte ne boira plus à table. Il perd l'habitude de boire, en quelques jours, avec une facilité qui surprend sa famille et ses amis. D'abord, il dit un matin à Mme Lepic qui lui verse du vin comme d'ordinaire :
            - Merci, maman, je n'ai pas soif.
            Au repas du soir, il dit encore :
           - Merci, maman, je n'ai pas soif.
           - Tu deviens économique, dit Mme Lepic. Tant mieux pour les autres.
           Ainsi il reste toute cette première journée sans boire, parce que la température est douce et que simplement il n'a pas soif.
            Le lendemain, Mme Lepic, qui met le couvert, lui demande :
            - Boiras-tu aujourd'hui, Poil de Carotte ?
            - Ma foi, dit-il, je n'en sais rien.
            - Comme il te plaira, dit Mme Lepic ; si tu veux ta timbale, tu iras la chercher dans le placard.
            Il ne va pas la chercher. Est-ce caprice, oubli ou peur de se servir soi-même ?
            On s'étonne déjà :
            - Tu te perfectionnes, dit Mme Lepic ; te voilà une faculté de plus.
            - Une rare, dit M. Lepic. Elle te servira surtout plus tard, si tu te trouves seul, égaré dans un désert sans chameau.
            Grand frère Félix et soeur Ernestine parient :
            Soeur Ernestine
            - Il restera une semaine sans boire.
            Grand frère Félix
            - Allons donc, s'il tient trois jours, jusqu'à dimanche, ce sera beau.
            - Mais, dit Poil de Carotte qui sourit finement, je ne boirai plus jamais, si je n'ai jamais soif.  Voyez les lapins et les cochons d'Inde, leur trouvez-vous du mérite ?
            - Un cochon d'Inde et toi, ça fait deux, dit grand frère Félix.
            Poil de Carotte, piqué, leur montrera ce dont il est capable. Mme Lepic continue d'oublier sa timbale. Il se défend de la réclamer. Il accepte avec une égale indifférence les ironiques compliments et les témoignages d'admiration sincère.
            - Il est malade ou fou, disent les uns.
            Les autres disent :
            Il boit en cachette.
            - Mais tout nouveau, tout beau. Le nombre de fois que Poil de Carotte tire la langue, pour prouver qu'elle n'est point sèche, diminue peu à peu.
            Parents et voisins se blasent. Seuls quelques étrangers lèvent encore les bras au ciel, quand on les met au courant :
            - Vous exagérez : nul n'échappe aux exigences de la nature.        boutique-etain.com 
Résultat de recherche d'images pour "timbale"            Le médecin consulté déclare que le cas lui semble bizarre mais qu'en somme rien n'est impossible.
            Et Poil de Carotte surpris, qui craignait de souffrir, reconnaît qu'avec un entêtement régulier, on fait ce qu'on veut. Il avait cru s'imposer une privation douloureuse, accomplir un tout de force, et il ne se sent même pas incommodé. Il se porte mieux qu'avant. Que ne peut-il vaincre sa faim comme sa soif ! Il jeûnerait, il vivrait d'air !
            Il ne se souvient même plus de sa timbale. Longtemps elle est inutile. Puis la servante Honorine a l'idée de le remplir de tripoli rouge pour nettoyer les chandeliers.     


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            M. Lepic, s'il est d'humeur gaie, ne dédaigne pas d'amuser lui-même ses enfants. Il leur raconte des histoires dans les allées du jardin, et il arrive que grand frère Félix et Poil de Carotte se roulent par terre tant ils rient. Ce matin, ils n'en peuvent plus. Mais soeur Ernestine vient leur dire que le déjeuner est servi, et les voilà calmés. A chaque réunion de famille, les visages se renfrognent.
            On déjeune comme d'habitude, vite et sans souffler, et déjà rien n'empêcherait de passer la table à d'autres, si elle était louée, quand Mme Lepic dit :
            - Veux-tu me donner une mie de pain, s'il te plaît, pour finir ma compote ?
            A qui s'adresse-t-elle ?
            Le plus souvent, Mme Lepic se sert seule, et elle ne parle qu'au chien. Elle le renseigne sur le prix des légumes, et lui explique la difficulté, par le temps qui court, de nourrir avec peu d'argent six personnes et une bête.
            - Non, dit-elle à Pyrame qui grogne d'amitié et bat le paillasson de sa queue, tu ne sais pas le mal que j'ai à tenir cette maison. Tu te figures, comme les hommes, qu'une cuisinière a tout pour rien. Ça t'est bien égal que le beurre augmente et que les oeufs soient inabordables.
            Or, cette fois, Mme Lepic fait événement  Par exception, elle s'adresse à M. Lepic d'une manière directe. C'est à lui, bien à lui qu'elle demande une mie de pain pour finir sa compote. Nul ne peut en douter. D'abord, elle le regarde. Ensuite, M. Lepic a le pain près de lui. Étonné, il hésite, puis, du bout des doigts, il prend au creux de son assiette une mie de pain et, sérieux, noir, il la jette à Mme Lepic.
            Farce ou drame ? Qui le sait ?
            Soeur Ernestine, humiliée pour sa mère, a vaguement le trac.
            - Papa est dans un de ses bons jours, se dit grand frère Félix qui galope, effréné, sur les bâtons de sa chaise.
            Quant à Poil de Carotte, hermétique, des bousilles aux lèvres, l'oreille pleine de rumeurs et les joues gonflées de pommes cuites, il se contient, mais il va péter, si Mme Lepic ne quitte à l'instant la table, parce qu'au nez de ses fils et de sa fille on la traite comme la dernière des dernières !


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                                                           " La trompette "                          harryknipschild.nl
72 Armstrong Louis
            M. Lepic arrive de Paris ce matin même. Il ouvre sa malle. Des cadeaux en sortent pour grand frère Félix et soeur Ernestine, de beaux cadeaux, dont précisément ( comme c'est drôle ! ) ils ont rêvé toute la nuit. Ensuite, M. Lepic , les mains derrière son dos, regarde malignement Poil de Carotte et lui dit :
            - Et toi, qu'est-ce que tu aimes le mieux : une trompette ou un pistolet ?
            En vérité, Poil de Carotte est plutôt prudent que téméraire. Il préférerait une trompette, parce que ça ne part pas dans les mains ; mais il a toujours entendu dire qu'un garçon de sa taille ne peut jouer sérieusement qu'avec des armes, des sabres, des engins de guerre. L'âge lui est venu de renifler de la poudre et d'exterminer des choses. Son père connaît les enfants : il a apporté ce qu'il faut.
            - J'aime mieux un pistolet, dit-il hardiment, sûr de deviner.
            Il va même un peu loin et ajoute :
            - Ce n'est plus la peine de le cacher, je le vois !
            - Ah ? dit M. Lepic embarrassé, tu aimes mieux un pistolet ! Tu as donc bien changé ?
            Tout de suite, Poil de Carotte se reprend :
             - Mais non, va, mon papa, c'était pour rire. Sois tranquille, je les déteste, les pistolets. Donne-moi vite ma trompette, que je te montre comme ça m'amuse de souffler dedans.
            Mme Lepic
            Alors, pourquoi mens-tu ? Pour faire de la peine à ton père, n'est-ce pas ? Quand on aime les trompettes, on ne dit pas qu'on aime les pistolets, et surtout on ne dit pas qu'on voit des pistolets, quand on ne voit rien. Aussi, pour t'apprendre, tu n'auras ni pistolet ni trompette. Regarde-la bien : elle a trois pompons rouges et un drapeau à franges d'or. Tu l'as assez regardée. Maintenant, va voir à la cuisine si j'y suis ; déguerpis, trotte et flûte dans tes doigts.
            Tout en haut de l'armoire, sur une pile de linge blanc, roulée dans ses trois pompons rouges et son drapeau à franges d'or, la trompette de Poil de Carotte attend qui souffle, imprenable, invisible, muette, comme celle du jugement dernier.


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    affichepub.fr                                                       " La mèche "
GOMINA ARGENTINE - Cire coiffante
            Le dimanche, Mme Lepic exige que ses fils aillent à la messe. On les fait beaux et soeur Ernestine préside elle-même à leur toilette, au risque d'être en retard pour la sienne. Elle choisit les cravates, lime les ongles, distribue les paroissiens et donne le plus gros à Poil de Carotte. Mais surtout elle pommade ses frères.
            C'est une rage qu'elle a.
            Si Poil de Carotte, comme un Jean Fillou, se laisse faire, grand frère Félix prévient sa soeur qu'il finira par se fâcher : aussi elle triche :
            - Cette fois, dit-elle, je me suis oubliée, je ne l'ai pas fait exprès, et je te jure qu'à partir de dimanche prochain, tu n'en auras plus.
            Et toujours elle réussit à lui en mettre un doigt.
            - Il arrivera malheur, dit grand frère Félix.
            Ce matin, roulé dans sa serviette, la tête basse, comme soeur Ernestine ruse encore, il ne s'aperçoit de rien.
            - Là, dit-elle, je t'obéis, tu ne bougonneras point, regarde le pot fermé sur la cheminée. Suis-je gentille ? D'ailleurs, je n'ai aucun mérite. Il faudrait du ciment pour Poil de Carotte, mais avec toi, la pommade est inutile. Tes cheveux frisent et bouffent tout seuls. Ta tête ressemble à un choux-fleur et cette raie durera jusqu'à la nuit.
            - Je te remercie, dit grand frère Félix.
            Il se lève sans défiance. Il néglige de vérifier comme d'ordinaire, en passant sa main sur ses cheveux.
            Soeur Ernestine achève de l'habiller, le pomponne et lui met des gants de filoselle blanche.
            - Ça y est ? dit grand frère Félix.
            - Tu brilles comme un prince, dit soeur Ernestine, il ne te manque que ta casquette. Va la chercher dans l'armoire.
.            Mais grand frère Félix se trompe. Il passe devant l'armoire. Il court au buffet, l'ouvre, empoigne une carafe pleine d'eau et la vide sur sa tête, avec tranquillité.
            - Je t'avais prévenue, ma soeur, dit-il. Je n'aime pas qu'on se moque de moi. Tu es encore trop petite pour rouler un vieux de la vieille. Si jamais tu recommences, j'irai noyer ta pommade dans la rivière.                                                                                                        al-fifties-store.com
Résultat de recherche d'images pour "la gomina"            Ses cheveux aplatis, son costume du dimanche ruissellent, et tout trempé, il attend qu'on le change ou que le soleil le sèche, au choix : ça lui est égal.
            - Quel type ! se dit Poil de Carotte, immobile d'admiration. Il ne craint personne, et si j'essayais de l'imiter, on rirait bien. Mieux vaut laisser croire que je ne déteste pas la pommade.
            Mais tandis que Poil de Carotte se résigne d'un coeur habitué, ses cheveux le vengent à son insu.
            Couchés de force, quelque temps, sous la pommade, ils font les morts ; puis ils se dégourdissent, et par une invisible poussée, bossellent leur léger moule luisant, le fendillent, le crèvent.
            On dirait un chaume qui dégèle.
            Et bientôt la première mèche se dresse en l'air, droite, libre.


                                                            à suivre.........

                                                                       " Le bain "

            Comme 4 heures...........
                   



                               

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